Yellow birch regeneration in irregular shelterwood
Dans un contexte d’aménagement forestier écosystémique, le défi du maintien de la biodiversité repose en partie sur la nécessité de développer et de mettre en œuvre une sylviculture proche de la nature. Ce nouveau contexte implique nécessairement une diversification de la sylviculture. Avec la venue du nouveau régime forestier en 2013, des nouvelles stratégies d’aménagement du bureau du forestier en chef et des guides sylvicoles du Québec, plusieurs productions de peuplements mélangés seront amenées dans le régime de la futaie irrégulière dont l’utilisation accrue est promue (Ministère des Ressources Naturelles 20 13b; l\1RNFP 2003). Le régime de la futaie irrégulière a le potentiel de contribuer à incorporer davantage toute la complexité et l’irrégularité des forêts naturelles irrégulières. Parmi les traitements préconisés, la coupe progressive irrégulière (CPI) fait appel à une plus grande diversité d’interventions que la coupe progressive régulière, la coupe progressive par bandes et la coupe progressive par trouées du régime régulier. Les arbres y sont récoltés de façon irrégulière dans l’espace et dans le temps afm de diversifier au maximum les conditions d’installation et de développement de la régénération. Cependant, la coupe progressive irrégulière est nouvelle et les effets réels sur la dynamique forestière sont peu connus, autant du point de vue de la production ligneuse, que de la régénération ou des habitats fauniques. En effet, l’application de la CPI au Québec est assez récente, avec différentes variantes qui ont été expérimentées dans les dernières années dans quelques régions du Québec, notamment par le Centre d’enseignement et de recherche en foresterie de Sainte-Foy (CERFO) et le Ministère des Ressources Naturelles (I\.1RN). Par exemple, dans la région du Témiscamingue, Tembec et le I\.1RN réalisent des CPI depuis 2009 et plusieurs milliers d’hectares sont prévues pour les prochaines années, ces coupes étant de plus en plus nombreuses aux plans annuels (Lessard et al. 2010; Ministère des Ressources Naturelles 2013a). Il apparaît donc nécessaire d’évaluer les effets de ces types de coupes sur le succès de la régénération et sur leur utilisation par la faune.
Dans la région du Témiscamingue, comme dans d’autres régions feuillues du Québec, la régénération des espèces feuillues semi-tolérantes comme le bouleau jaune, (Betula alleghaniensis), s’avère difficile. La possibilité en bois d’œuvre de ces espèces ainsi que la biodiversité sont ainsi compromises (Majcen 2003; Nappi and Poulin 2013). Avec les inventaires et la cartographie actuels, plusieurs secteurs potentiels pour le bouleau jaune ne sont pas identifiés et les prescriptions sylvicoles ne sont ainsi pas adaptées pour régénérer cette essence. En effet, une sylviculture inadéquate entraine parfois la modification de plusieurs facteurs pouvant affecter l’installation de la régénération et la survie de cette espèce. C’est pourquoi il importe de bien connaître l’autoécologie de cette espèce d’intérêt pour être en mesure de la régénérer et d’assurer son développement efficacement (CERFO 2007a). On reconnait généralement que la raréfaction de certains lits de germination spécifiques (ex: débris de bois décomposés), l’absence de conditions favorables à la survie des jeunes semis après coupe (ex: conditions trop sèches en l’absence d’un couvert protecteur suffisant), la présence de compétition et un brout accru nuisent à la régénération du bouleau jaune (CERFO 2011a; Gastaldello et al. 2007a; Meunier et al. 2002; Roy et al. 20 11). La proportion de la matrice forestière occupée par le bouleau jaune, au sein des forêts feuillues du nord-est de 1 ‘Amérique du Nord, tend ainsi à diminuer sur plusieurs territoires marqués par les interventions forestières (Lorenzetti et al. 2008). Pour certaines espèces fauniques, l’application de traitements de coupes pourrait avoir des effets tant positifs que négatifs sur la disponibilité de nourriture ou de couvert dans les peuplements forestiers. La présence de faune peut également avoir des répercussions sur la régénération des espèces arborescentes désirées, puisque celles-ci seront plus ou moins exposées à une pression de brout. Les aménagistes forestiers sont ainsi à la recherche de solutions pour la coexistence d’objectifs fauniques et sylvicoles afin que les forêts continuent de contribuer à la fois à la conservation de la biodiversité et aux besoins humains. Ils cherchent notamment à déterminer si le maintien d’habitat intact, permet de concentrer les effets de brout sur certaines proportions du territoire traité et, quels sont les effets des modalités d’intervention des divers patrons de coupes progressives irrégulières sur la faune (MRNFP 2003). Le lièvre d’Amérique (Lepus americanus E.) est ici utilisé en tant qu’espèce clé des écosystèmes forestiers. En effet, un traitement sylvicole défavorable pour la présence du lièvre influencerait la densité d’un grand nombre de prédateurs (Boutin et al. 1995; Krebs et al. 1995), mais à l’opposé, un traitement trop favorable engendrerait des effets adverses du broutement par le lièvre sur la régénération ligneuse (Brugerolle et al. 2004). Par conséquent, ce projet vise à évaluer l’effet à court terme de différents types de coupes progressives irrégulières sur la régénération forestière ainsi que sur la sélection d’habitats hivernaux du lièvre d’Amérique.
État des connaissances
La régénération du bouleau jaune
Au Québec, le bouleau jaune qui est à la limite nord de son aire de distribution (Messier et al. 2002) croît surtout dans les forêts feuillues et mixtes du domaine de la sapinière à bouleau jaune et de l’érablière à bouleau jaune (Raymond et al. 2013 ; Saucier et al. 2009). Son bois de grande qualité est toujours autant recherché par l’industrie, malgré la raréfaction de l’essence dans les érablières. Des interventions inappropriées, telles que la coupe à diamètre limite, l’écrémage, la coupe à blanc et le jardinage de faible intensité réalisé en hiver sont des exemples de traitements ayant nui à la régénération du bouleau jaune. Cette essence se reproduit surtout par semences, mais aussi à partir des rejets de souches (Ruel et al. 20 12). La production des graines commence vers l’âge de 40 ans et est optimale à l’âge de 70 ans. Les bonnes années semencières du bouleau jaune ont lieu en moyenne à tous les 3 ans (Erdmann 1990). La dispersion de ses graines se fait sur environ 100 rn, bien que pouvant aller jusqu’à plus de 400 rn (Erdmann 1990). La qualité du lit de germination qui assure l’établissement du bouleau jaune est la clé du succès pour sa régénération (Erdmann 1990; Godman and Krefting 1960; Lorenzetti et al. 2008; Webster and Jensen 2007). Le bois mort en décomposition, les buttes issues de chablis et le sol minéral exposé constituent d’excellents lits de germination puisque ceux-ci possèdent la capacité d’emmagasiner l’humidité et de la conserver (Erdmann 1990; Godman and Krefting 1960). De plus, les petites radicelles des semis ne parviennent pas à percer la litière moindrement épaisse à la surface du sol pour atteindre l’humidité contenue à quelques centimètres plus en profondeur (Marquis 1965). Une perturbation du sol est ainsi reconnue pour être très profitable à la germination des graines de cette essence par le fait qu’en mélangeant le sol minéral à l’humus, les graines sont ramenées à la surface du sol forestier et ainsi exposées aux températures plus clémentes nécessaires à leur germination (Erdmann 1990; Nolet et al. 2000; Prévost et al. 2010; Raymond et al. 2009; Ruel et al. 2012). En effet, le sol minéral procure l’humidité requise aux radicelles des semis alors que la matière organique contient les éléments nutritifs nécessaires à la croissance de ceux-ci (Godman and Krefting 1960). Ruel et al. (2012) rapportent même que plus une proportion importante des micro-placettes est scarifiée, plus la densité et le coefficient de distribution du bouleau jaune sont importants.
Le succès de la régénération en bouleau jaune serait également lié au contrôle du couvert forestier (Erdmann 1990). Une plus grande pénétration du rayonnement solaire permet en effet un meilleur réchauffement du sol qui est propice à la germination des semis de bouleau jaune (Crow and Metzger 1987). Un ombrage partiel lui est cependant plus favorable que la pleine lumière pour sa croissance. Plusieurs auteurs recommandent une intensité lumineuse de l’ordre de 50 %pour une croissance en hauteur optimale et un développement racinaire efficace (Erdmann 1990; Gastaldello 2005; Godman and Krefting 1960). En forêt mixte, la régénération du bouleau jaune est fortement associée à la dynamique du régime de trouée (Kneeshaw and Prévost 2007; Prévost et al. 2010). En milieu naturel, l’occurrence des individus m atures de bouleau jaune serait ainsi directement reliée à une ouverture localisée et passée de la canopée (Gasser 2007). Le recrutement du bouleau jaune serait donc corrélé, en forêts naturelles, avec le passage de perturbations initiant des ouvertures du couvert de moyenne à grande superficie (100 à 400 m2 ) (Webster and Jensen 2007). Toutefois, l’augmentation de la lumière en sous bois profite également à l’installation des espèces compétitrices telles l’érable à épis (Acer spicatum L.), le framboisier (Rubus idaeus L.) et le cerisier de Pennsylvanie (Prunus pensylvanica L.) qui nuisent au développement de la régénération (Malenfant 2009). Par exemple, le framboisier forme souvent une couche de végétation monospécifique dense qui compétitionne avec les semis d’espèces arborescentes désirées pour la lumière, l’eau et les nutriments du sol (Ruel 1992; Wilson and Shure 1993). L ‘absence de traitement contre la végétation concurrente compromet la survie des jeunes bouleaux jaunes (Robitaille 2003) et leur croissance (Delagrange et al. 2008; Lorenzetti et al. 2008). Il a été révélé que plus la concurrence était élevée, plus l’étiolement des semis était important (Lorenzetti et al. 2008). Les espèces de lumière sont généralement considérées comme très agressives, mais un ombrage partiel diminue l’intensité de cette compétition et permet un meilleur développement des semis (Godman and Krefting 1960). C’est pourquoi afin de limiter cette compétition potentiellement nuisible, tant au-dessus qu’au-dessous du sol, il est recommandé de réduire la taille des ouvertures de façon à favoriser la croissance du bouleau jaune sans favoriser celle des espèces compétitrices. Une ouverture du couvert qui maintiendrait le niveau de lumière à moins de 10% de la lumière totale serait très fortement défavorable aux espèces compétitrices de lumière. Par contre, une telle ouverture devrait défavoriser la croissance juvénile du bouleau jaune par rapport aux autres espèces comme l’érable à sucre et le hêtre. Par ailleurs, si le mélange des horizons organiques et minéraux favorise la germination du bouleau jaune, il pourrait aussi retarder celle d’espèces concurrentes en éliminant leurs banques de graines et leur système racinaire (Gastaldello 2005; Messier et al. 2002). Plusieurs auteurs affirment que l’effet de la scarification est principalement perdu après deux à trois saisons de croissance (Erdmann 1990; Gastaldello 2005; Godman and Tubbs 1973). Il est donc important de synchroniser le scarifiage avec une bonne année semencière.
Afin d’obtenir une cohorte abondante de semis, un traitement sylvicole doit ainsi créer des ouvertures dans le couvert et perturber le sol au moment des opérations. Il doit également s’assurer de conserver un nombre suffisant de semenciers bien répartis dans le peuplement(Raymond 2013). Toutefois le bouleau jaune constitue une composante importante de l’alimentation (appétence élevée) de certains mammifères tels que le cerf de Virginie (Odocoileus virginianus Z.) etle lièvre d’Amérique (Hannah 1998; Hughes and Fahey 1991). Les pressions continues de brout exercées par les grands herbivores vertébrés influencent la régénération des forêts en exerçant un impact direct sur la survie, la croissance et le succès reproducteur des plantes préférées, ainsi qu’un impact indirect sur leurs relations compétitives avec les plantes qui lui sont résistantes ou tolérantes(Côté et al. 2004; Lyly et al. 2013). La pression de brout est ainsi un risque important pour la régénération du bouleau jaune (Erdmann 1990; Meunier et al. 2002; Roy et al. 2011). La proportion de brout peut même être plus élevée sur les superficies ayant bénéficié d’une préparation de terrain (Blouin et al. 2011). De plus, il est connu que le niveau d’herbivorie chez les espèces fréquemment broutées augmente avec l’intensité du prélèvement par le fait que l’élimination du couvert arborescent augmenterait la qualité nutritive des rameaux quant à leur teneur en protéines (Hughes and Fahey 1991).
Le lièvre d’Amérique
Dynamique des populations
Le lièvre d’Amérique est un lagomorphe principalement nocturne et crépusculaire qm demeure actif toute l’année mais doit s’adapter aux variations saisonnières du couvert végétal et de la disponibilité de sa nourriture. Sa présence sur l’ensemble du territoire boisé et jusqu’à la limite nord des arbres en fait l’espèce de mammifère la plus répandue au Québec (Alain 1986; Ferron et al. 1996). Gibier très prisé des chasseurs et des colleteurs, le lièvre est aussi un important maillon de la chaine alimentaire de l’écosystème forestier et c’est pourquoi il constitue une espèce clé en forêt boréale (Boutin et al. 1995; Krebs et al. 1995). Fortement présent dans ce biome, il a un impact fondamental sur les populations de prédateurs comme le lynx (Lynx canadensis), le coyote (Canis latrans), le pékan (Martes pennanti), la martred’Amérique (Martes americana), l’autour des palombes (Accipiter gentilis) et le grand-duc d’Amérique (Bubo virginianus) (Ausband and Baty 2005; Ferron et al. 1996; Fuller and Harrison 2005; O’Donoghue et al. 1998). En tant qu’herbivore omniprésent il a également un impact considérable sur la végétation composant son alimentation (Bouffard et al. 2007; Keith et al. 1984; Murray 2003).
Il est reconnu que les populations de lièvre subissent des variations importantes selon un cycle d’environ 10 ans (Wolff 1980) mais l’ampleur des cycles est variable selon les régions (Godbout 1999). Il est important de connaitre la situation démographique de l’espèce si on veut évaluer des préférences en habitat sans quoi une évaluation basée uniquement sur des indices d’abondance durant les périodes de haut de cycle pourrait entraîner des biais importants (Van Horne 1983). Au Canada, le cycle du lièvre d’Amérique est régit par un gradient longitudinal, ma1s il existe également un deuxième gradient en fonction de la latitude (Keith 1990). Plus le degré de latitude diminue, plus l’amplitude et la régularité du cycle diminuent. Au Québec, les populations présenteraient des cycles plus importants dans le nord de la province (Ferron et al. 1996). De plus, les régions de l’Ouest québécois auraient des cycles de plus forte amplitude et qui amorceraient un déclin avant ceux de l’Est québécois. C’est ce qu’appuient les travaux de Godbout (1999) sans toutefois pouvoir le confirmer, notamment par manque de suivi en Abitibi-Témiscamingue. La durée exacte du cycle d’abondance du lièvre d’Amérique dans cette région n’a pas encore été documentée. Cependant, les données d’observations issues des carnets d’arpentage ou des autochtones identifient un cycle qui atteint un maximum tous les sept ans (Vincent 1995). Le Ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) récolte des données depuis 1998 et ses résultats indiquent que la population de lièvre d’Amérique en Abitibi-Témiscamingue aurait atteint son haut de cycle lors de la saison 2001-2002 (FAPAQ 2003; MRNF 2005). Ces indications nous permettent de considérer que 2012 et 2013 correspondaient probablement au bas de ce cycle.
Exigences de l’habitat
Ses besoins en matière d’abri et de nourriture suivant des variations saisonnières, le lièvre d’Amérique accepte des types d’habitats variés, passant des forêts purement conifériennes aux forêts feuillues. En été, le régime alimentaire du lièvre est constitué d’une très grande variété de plantes herbacées et de feuilles d’arbres et d’arbustes (Murray 2003). Bien qu’ il creuse dans la neige pour atteindre des herbacées, lorsque les accumulations de neige au sol dépassent 40 cm (Gilbert 1990), le lièvre se nourrit principalement de ramilles et de bourgeons d’essences ligneuses (brout) et va essentiellement préférer les ramilles d’essences décidues, telles le bouleau jaune, le saule (Salix sp. ), le peuplier (Populus sp. ), l’aulne (Al nus sp.), l’érable à épis (Acer spicatum), l’amélanchier (Amelanchier sp.), les viornes, le cornouiller (Comus sp.) et le noisetier (Corylus cornuta) (De Bellefeuille et al. 2001a; Ferron et al. 1998; Guay 1994; Wolff 1980). Le sapin et l’épinette, très peu consommés par le lièvre dans différents domaines climatiques ne sont pas considérés comme nourriture adéquate pour celui-ci (Carreker 1985; Guay 1994). À cette période, il doit consommer environ 300 g de ramilles de moins de 3 mm de diamètre par jour pour sa survie (Grigal and Moody 1980). Le lièvre d’Amérique est un brouteur généraliste dont l’intensité de consommation est étroitement liée à la densité de population. À des densités de pointe, il peut ainsi retirer des quantités importantes de biomasse forestière (Murray 2003 ).
L’hiver est la saison la plus critique en regard de la disponibilité de nourriture et de couvert pour le lièvre (Guay 1994). Sans couvert pour se protéger, les lièvres sont très affectés par la prédation. On comprend ainsi l’importance d’un bon couvert de protection qui lui offre à la fois une protection visuelle ainsi qu’une obstruction physique contre les attaques des prédateurs (Keith 1990). La densité latérale de la végétation est une des variables les plus significatives qui expliquent la répartition du lièvre d’Amérique (Brugerolle et al. 2004; Ferron et al. 1996). Il a été évalué que pour procurer un abri et une nourriture hivernale adéquate, un peuplement doit présenter une obstruction visuelle du couvert latéral de plus de 40 %, sans quoi il sera évité par le lièvre en hiver. Un habitat ayant un degré supérieur à 85% lui serait cependant optimal (Carreker 1985; Ferron and Ouellet 1992). La densité du couvert vertical est importante dans la sélection de 1 ‘habitat puisque la fermeture verticale permet aux lièvres de se protéger des prédateurs aériens (Brugerolle 2003; Ferron et al. 1996; Potvin et al. 2001). Toutefois, un couvert vertical très dense causera une diminution de l’utilisation de 1 ‘habitat par le lièvre car une canopée très fermée réduit la densité et la diversité de la régénération (Fuller and Harrison 2005).
La qualité d’un habitat en termes de disponibilité de brout mats aussi de couvert de protection, est également influencée par la hauteur de la neige. Un jeune peuplement de 2 à 3 rn de hauteur qui fournit un bon couvert contre les prédateurs en été pourra en effet devenir inadéquat en hiver parce qu’il est enfoui partiellement ou totalement sous la neige. Le lièvre se déplacera alors vers un peuplement plus âgé où il trouvera un abri dans les branches dépassant de la couche de neige (Ferron et al. 1996). Dans la région du Témiscamingue, d’ après les relevés faits à la station météorologique de Belleterre, la couverture neigeuse moyenne entre novembre et avril est de 35.3 cm mais atteint 60 cm de moyenne en février (Environnement Canada 2012). Compte tenu de ces accumulations et de la capacité du lièvre à brouter jusqu’à 60 cm au-dessus du couvert de neige, la hauteur du garde-manger du lièvre dans cette région peut atteindre près de 2 rn, dépendamment de la hauteur de la couverture neigeuse (Lavoie 2004).
Le lièvre recherche ainsi plutôt les couverts de conifères qui lui offrent un meilleur abri que les peuplements feuillus caducs devenant alors beaucoup plus ouverts. Puisqu’il préfère les conifères comme couvert d’abri et les feuillus comme couvert d’alimentation, l’alternance des deux types de peuplement ou la réalisation d’ouvertures créera un habitat très favorable au lièvre (Ferron et al. 1996). De plus, ses besoins en terme de nourriture et de protection mènent souvent à associer le lièvre aux milieux en régénération (De Bellefeuille et al. 2001a; Litvaitis et al. 1985; Smith et al. 1988; Wolff 1980). Le lièvre s’aventure fréquemment dans les milieux ouverts tels que les bordures des routes et des sentiers ainsi que les éclaircies, où abondent les herbacées. Dans le cadre de travaux sylvicoles et de récolte, les chemins de débardage participent par exemple à cette disponibilité en nourriture (Ferron et al. 1996). Toutefois le lièvre se déplace peu et évite de franchir de grandes distances en milieu ouvert. L’amplitude maximale de ses déplacements est de l’ordre de 200 à 400 rn (Conroy et al. 1979; Ferron and Ouellet 1992; Ferron et al. 1996). Ainsi, les coupes forestières qui ont comme objectif de maximiser ou de maintenir les populations de lièvres doivent être exécutées de manière à ce qu’un type d’habitat homogène ne dépasse pas 200 rn de largeur (Ferron et al. 1996).
Utilisation des coupes forestières
Même s’il fréquente les grandes forêts à maturité, c’est dans les forêts jeunes que le lièvre atteint les plus fortes densités, soit environ 20 à 30 ans après une perturbation (Carreker 1985; Guay 1994). La sélection entre les coupes forestières et les forêts intactes par le lièvre dépend à la fois de l’intensité de coupe et de la taille de la population locale. Les conclusions sur l’impact de différentes intensités de coupes forestières pourraient ainsi varier selon la taille de la population locale. Cela suggère que des études d’impacts de perturbation de l’habitat peuvent être très sensibles au moment où l’on réalise les inventaires, surtout dans le cas d’espèces cycliques comme le lièvre (Hodson et al. 20 lOb).
De par sa biologie, le lièvre d’Amérique est une espèce qui peut avoir un effet significatif sur son milieu si celui-ci est aménagé de façon à trop favoriser ses populations. Sullivan and Sullivan (1988) ont notamment observé dans un peuplement éclairci, que l’intensité des dommages liés au brout de lièvre sur les arbres cultivés coïncidait avec les phases du cycle. En broutant les rameaux et les bourgeons et en rongeant l’écorce des jeunes arbres en hiver, les lièvres endommagent les jeunes plants dont les tiges sont affligées de blessures. Ces dégâts ont un effet significatif sur la croissance des arbres et leur survie. Si certaines essences broutées de façon préférentielle par le lièvre sont présentes dans des peuplements après coupes, la régénération se trouve affectée, particulièrement si les densités de lièvres sont importantes (Bergeron and Tardif 1988; Brugerolle 2003; Sullivan and Sullivan 1988). Il a été identifié que certains traitements sylvicoles, notamment les traitements de remise en production de bétulaies jaunes dégradées, comme les coupes par bandes et les coupes avec protection de la régénération et des sols (CPRS), favorisent le lièvre à un point tel qu’on pourrait se préoccuper des effets adverses du broutement par le lièvre sur la régénération (Brugerolle et al. 2004).
Les coupes peuvent être considérées comme des habitats ouverts que les lièvres utilisent plus fortement en été lorsque ceux-ci sont associés à un couvert de protection et/ou d’alimentation (Carreker 1985). D’autre part, il est reconnu que les coupes réalisées sur de faibles superficies sont aussi favorables pour le lièvre (Ferron et al. 1994; Ferron and St-Laurent 2005). Des études effectuées en forêts mélangées démontrent que les coupes partielles sont utilisées par le lièvre d’Amérique, bien que la densité de l’espèce y soit moins élevée que dans les forêts non traitées (Fuller et al. 2004; Fuller and Harrison 2005). Le couvert latéral étant le principal paramètre qui influence l’utilisation d’un site par le lièvre, il est probable qu’une importante diminution de cette variable, suite à la coupe, soit à l’origine de l’évitement des coupes partielles par le lièvre à court terme (Bois et al. 2012; Fuller et al. 2004; Rioux 2006; Valois 2005). Le lièvre semble éviter les aires de coupe qui sont au stade fourré, caractérisés par une végétation arborescente de moins de 2 rn, une grande densité de framboisiers et la présence de nombreux débris de coupe. De plus, le lièvre préfèrerait les peuplements résineux dont la structure correspond au stade gaulis et où la régénération mesure de 2 à 5 rn de hauteur parce qu’ils leur procurent un bon couvert de protection à l’année longue et une nourriture abondante en hiver (De Bellefeuille et al. 2001a).
L’éclaircie précommerciale (EPC) en peuplements résineux et mixtes a été identifiée comme ayant des effets fortement négatifs (Ausband and Baty 2005; Griffm and Mills 2007; Homyack 2007) ou pratiquement pas d’effet (Etcheverry et al. 2005; Sullivan et al. 2010) sur les lièvres d’Amérique, et cette variabilité peut être liée au temps écoulé depuis le traitement ou à l’intensité de l’éclaircie appliquée (Sullivan et al. 2010). Généralement, les plus fortes densités sont atteintes dans les peuplements de mi-succession qui ont un couvert végétatif dense dû à la croissance du sous-étage substantiel après coupe, ainsi la période d’apparition de cette hausse d’abondance peut être variable (Ferron et al. 1998; New bury and Simon 2005; St-Laurent et al. 2008). Il a été constaté qu’après une période d’environ cinq ans, l’habitat redevient propice au lièvre au fur et à mesure que le couvert se referme et que les tiges de feuillus coupées se régénèrent (Blanchette et al. 2003; Godbout et al. 2001). Parizeau (2011) rapporte que les différences de structure de la forêt à la suite d’une EPC sont toujours facilement observables 8 années après la coupe. De Bellefeuille et al. (2001b), quant à eux, soulignaient déjà que dans la sapinière boréale pluviale, il fallait plus de 10 ans pour qu’une aire de coupe régénérée naturellement devienne un habitat convenable pour le lièvre. Dans le cadre d’éclaircies commerciales (EC), le rétablissement de l’utilisation se ferait même entre 14 et 20 ans après le traitement (Bois et al. 2012), un impact similaire à celui des CPRS où le rétablissement des populations se produit entre 13 et 27 ans après la coupe (Jacqmain et al. 2007). Pendant ces périodes d’évitement des coupes, le lièvre se réfugie dans les forêts résiduelles, d’où l’importance de conserver des superficies matures intactes à l’intérieur des parterres de coupe pour maintenir les populations locales (De Bellefeuille et al. 2001b; Ferron et al. 1998; Ferron and St-Laurent 2005; Hodson et al. 2011).
Les coupes de jardinage, qui visent à maintenir la structure équilibrée des forêts anciennes, semblent néanmoins maintenir un meilleur couvert que l’éclaircie commerciale (Hodson et al. 2012). La protection des tiges de petit diamètre dans la couche dense des gaules évite une réduction significative du couvert latéral et la réponse immédiate dulièvre y est moins négative. La coupe de jardinage semble conserver un couvert suffisant pour que les lièvres perçoivent ces traitements comme des vieux peuplements non altérés. Les traitements de jardinage s’avèrent ainsi être une approche prometteuse pour maintenir un habitat du lièvre typique des forêts boréales anciennes, même à court terme. La préservation du couvert latéral se révèle donc essentiel lors des coupes partielles. Les résultats de Hodson et al. (2012) ont d’ailleurs montrés qu’au cours des 3 années qui suivent la récolte des peuplements les tiges de bouleau blanc avaient la même probabilité d’être broutées par le lièvre dans les peuplements traités par des coupes de jardinage prélevant moins de 50 % des arbres (surface terrière 2: 15 m2 ·ha-1) que dans les forêts non coupées.
Hodson (20 11) s’est intéressé à 1 ‘utilisation des trouées par le lièvre d’Amérique et ses inventaires de régénération ont affirmé que l’importante concentration de brout en essences feuillues dans les trouées crée des parcelles de forte densité de brout hivernal pour le lièvre. Toutefois, les inventaires de pistes réalisés en hiver ont montré que les lièvres sélectionnaient des milieux ayant une fermeture de canopée supérieure à la moyenne et qu’ils ajustaient leurs déplacements afin d’éviter les trouées ou de les traverser plus rapidement. Les lièvres perçoivent un plus grand risque de prédation dans les trouées et sont moins susceptibles de brouter des tiges localisées relativement loin du couvert forestier, vers le centre de la trouée (Hodson et al. 2010a). Les trouées semblaient donc créer un compromis entre nourriture et sécurité. Ils obtenaient tout de même la majorité de leur nourriture hivernale à 1 ‘intérieur de celles-ci. L’influence des trouées sur les déplacements et l’approvisionnement du lièvre semble surtout liée aux variations de perception du risque de prédation (Hodson et al. 2011 ).
CONCLUSION GÉNÉRALE
Cette étude avait pour objectif global de déterminer les effets des différents patrons de coupe progressive irrégulière (uniforme, par bandes et par trouées) sur la régénération du bouleau jaune et l’utilisation de ces habitats par le lièvre d’Amérique. Ces interventions étaient couplées à une préparation du sol par scarifia ge dans le but d’établir des lits de germination adéquats à l’installation du bouleau jaune. Ce projet de recherche s’inscrit dans une démarche globale de validation des prescriptions sylvicoles pour l’aménagement écosytémique des forêts mixtes du Québec. Plus spécifiquement, les coupes progressives irrégulières visent la remise en production des peuplements à espèces semi-tolérantes dans le but de répondre à l’enjeu de raréfaction de ces espèces tout en conservant la complexité de l’écosytème forestier.
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Table des matières
CHAPITRE1 INTRODUCTION GÉNÉRALE
1.1 Problématique
1.2 État des connaissances
1.2.1 La régénération du bouleau jaune
1.2.2 Le lièvre d’Amérique
1.2.3 La coupe progressive irrégulière
1.3 Objectifs de l’ étude et hypothèses de travail
CHAPITRE II SHORT-TERMEFFECTS OF IRREGULAR SHELTERWOOD CUTTING ON YELLOW BIR CH REGENERATION AND HABITAT USE BY SNOWSHOE HARE
2.1 Abstract.
2.2 Résumé
2.3 Introduction
2.4 Methods
2.4.1 Study area and experimental design
2.4.2 Regeneration and browsing
2.4.3 Habitat use by snowshoe hare
2.4.4 Statistical analyses
2. 5 Results
2.5.1 Regeneration
2.5.2 Browse
2.5.3 Habitat use by snowshoe hare
2.6 Discussion
2.6.1 Yellow birch regeneration in irregular shelterwood
2.6.2 Potential inter-specifie competition
2.6.3 Short-term browse pressure
2.6.4 Snowshoe hare use of irregular shelterwood
2. 7 Conclusions
2.8 Acknowledgements
2.9 References
CHAPITRE III CONCLUSION GÉNÉRALE
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