La fรชte de la Libรฉration : militariser les sociรฉtรฉs locales ; localiser les musiques militaires
La fรชte de la Libรฉration de Saint-Denis a lieu ร la fin de tous les mois dโaoรปt. Un carton dโarchives des archives municipales contient ainsi lโensemble des archives de la municipalitรฉ touchant ร lโorganisation de cette cรฉrรฉmonie entre 1946 et 1952 . Ces archives nous permettent de voir lโorganisation des deux grands moments de cette fรชte : le dรฉfilรฉ des cortรจges, et lโorganisation du bal le soir. Dโun point de vue trรจs pratique, la convocation des sociรฉtรฉs locales de musique est un dรฉfi pour la municipalitรฉ, ร une pรฉriode oรน beaucoup dโentre elles, comme lโHarmonie de la Plaine, sont en vacances. Nรฉanmoins, lโUnion des Trompettes et lโHarmonie municipale rรฉpondent ร lโappel de la municipalitรฉ en 1947 et 1948.
Le moment de la cรฉrรฉmonie en elle-mรชme (le dรฉfilรฉ et les hommages) est intรฉressant par deuxย aspects. Le premier touche ร lโordre des cortรจges durant le dรฉfilรฉ. Dans un rapport communiquรฉ au service des fรชtes en 1947, lโordre des cortรจges indiquรฉ est le suivant : ยซ 1. Armรฉe. 2. Musique. ยป En 1948, lโordre indiquรฉ est le suivant : ยซ Trompettes de la Garde Rรฉpublicaine, Sociรฉtรฉs de Musique, Drapeaux. ยป Dans les deux cas, ce qui interpelle est la maniรจre dont les symboles locaux que constituent les sociรฉtรฉs sont mis en valeur, en bonne position dans un cortรจge dont Saint-Denis Rรฉpublicain dรฉcrit la symbolique en ces termes en 1948 : ยซ La musique de la Garde Rรฉpublicaine, impeccable dans la tenue comme dans lโexรฉcution, rรฉglait la marche du dรฉfilรฉ ยป.
Les sociรฉtรฉs de musique sont pour ainsi dire incorporรฉes aux symboles nationaux, militaires et rรฉpublicains. Mais ce sont aussi les symboles nationaux, militaires et rรฉpublicains qui sont incorporรฉs ร une mรฉmoire locale.
Le second aspect intรฉressant est celui du rรฉpertoire des sociรฉtรฉs en lui-mรชme. En 1947 et 1948, le programme est identique : une minute de silence est ouverte et fermรฉe par lโUnion des Trompettes.
Ainsi, les sociรฉtรฉs de musique ne crรฉent pas seulement le son des cรฉrรฉmonies, elles crรฉent aussi leur silence. Le silence est suivi dโune sonnerie aux morts, interprรฉtรฉe par la mรชme sociรฉtรฉ, tandis que lโHarmonie municipale interprรฉtera plus tard la Marseillaise . On voit bien le mรชme entremรชlement de la musique locale et de la musique nationale, et donc du passรฉ local et du passรฉ national .
Le moment du bal, de son cรดtรฉ, laisse part ร une fรชte purement locale. Un ร quatre bals publics simultanรฉs ont lieu dans toute la ville. En 1948, sur la place de la mairie, lโHarmonie municipale joue son rรฉpertoire sur la place de la mairie. Rรฉmunรฉrรฉe ร hauteur de 7000 francs, la formation est รฉgalement nourrie par la municipalitรฉ, qui installe sons et lumiรจres . Un bal local, moment de sociabilitรฉ dionysienne se dรฉroule alors, et encore une fois le national est mis au service du local, ร lโimage de lโaffiche annonรงant cette commรฉmoration locale de 1949, revรชtant les couleurs du drapeau tricolore.
Le 14 Juillet : de la fรชte de quartier ร la fiertรฉ nationale
Le 14 Juillet revรชt ร Saint-Denis รฉgalement les couleurs nationales sur ses affiches (voir annexe 3) . Il sโagit dโun moment de la vie locale extrรชmement important, et la commission des fรชtes rรฉclame rรฉguliรจrement que toutes les sociรฉtรฉs musicales y participent . Tout comme pour la fรชte de la Libรฉration, les cรฉrรฉmonies sont systรฉmatiquement suivies de bals publics aux quatre coins de la ville. Quand on examine plus prรฉcisรฉment les affiches, le nombre de ces grands bals gratuits augmente de 1945 ร 1951, annรฉe oรน ils sont au nombre de quatre. Puis ร partir de 1952, on redescend ร trois bals, puis deux en 1956 . La chronologie de lโaugmentation et de la diminution du nombre de bals ร lโoccasion de la fรชte de la Libรฉration est la mรชme. Ainsi, le rรดle dโun passรฉ fier et patriotique semble particuliรจrement important au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, avant de dรฉcroรฎtre au tournant de la moitiรฉ des annรฉes 1950.
Ce qui fait de la fรชte nationale un moment de cรฉlรฉbration de lโhyperlocal par le biais de lโhistoire nationale rรฉside dans les bals de quartiers, qui sont organisรฉs en supplรฉment des trois ou qua tre grands bals placรฉs dans toute la ville. Ces moments de sociabilitรฉ et de musique extrรชmement populaires sont attendus et aimรฉs des comitรฉs de quartiers. Lors dโune rรฉunion de la commission des fรชtes en 1949, le reprรฉsentant du comitรฉ Stalingrad ยซ revendique pour le 14 Juillet un bal et demande quโune sociรฉtรฉ de musique passe dans le quartier ยป . On voit bien comment le passรฉ national est avant tout un moment de fรชte ร lโรฉchelle ultra-locale.
Les formations prรฉsentes dans ces bals sont dโailleurs typiquement dionysiennes : lโorchestre Louberand est prรฉsent en 1945, et les sociรฉtรฉs de musique sont rรฉguliรจrement conviรฉes, que ce soit dans les ยซ grands bals publics ยป ou ceux de quartier . Un rapport de la commission des fรชtes รฉlargieen 1957, indique ainsi que ce 14 Juillet ยซ les comitรฉs de quartier […] pourront faire appel ร lโHarmonie municipale pour les musiciens […] ยป.
Ici, sans aucun doute, le national est mis au service du local ; le patriotisme est mis au service du clocher, autant quโil lui est nรฉcessaire. La population est ยซ invitรฉe ร pavoiser aux couleurs nationales ยป , mais dans son quartier. Dans ce moment de mรฉdiation, de lโhistoire nationale ร lโidentification locale, les sociรฉtรฉs de musique jouent un rรดle central, venant dans chaque quartie r insuffler un sentiment dโappartenance ร Saint-Denis. *** ยซ Le goรปt pour les fรชtes dโautocรฉlรฉbration de la commune, le folklore propre aux associations, des emprunts ร lโhistoire nationale, ร celle du mouvement ouvrier et du mouvement communiste, la valorisation constante de la Rรฉsistance, surtout locale sont les รฉlรฉments constitutifs [dโun] mรฉlange, base hรฉtรฉrogรจne dโune identitรฉ locale [qui] explique pour une part le maintien de lโhรฉgรฉmonie communiste aprรจs-guerre. ยป
Dans sa description de la vie festive ร Bobigny aprรจs-guerre, Annie Fourcaut laisse voir le mรฉlange historique sans cesse rรฉactualisรฉ qui permet de crรฉer une forme de terreau commun d’une banlieue rouge, ร laquelle les habitants peuvent sโidentifier.
Si ยซ Saint-Denis-la-Rouge ยป est un ยซ toponyme performatif ยป , alors la musique le met en performance. En rรฉactivant le passรฉ glorieux de la ville avant-guerre, mais aussi au Moyen-รge et durant les grands รฉpisodes nationaux, la municipalitรฉ cherche ร dรฉvelopper le sentiment dโappartenance des populations ร leur ville. Dans ce cadre, les sociรฉtรฉs de musique et les bals jouent un rรดle central. Mais la construction de ce patriotisme de clocher ne passe pas simplement par lโutilisation de la musique comme dโun signe vers des passรฉs communs, construits , harmonisรฉs, consensuels et non-conflictuels. La musique est รฉgalement utilisรฉe comme un son, qui occupe lโespace et le produit, le dรฉlimite. Elle produit une ยซ culture sonore quotidienne ยป, qui dรฉlimite lโespace de Saint-Denis, rythme le quotidien de la ville, et dessine son paysage sonore.
Chapitre 2 : Rythmer le quotidien ; dessiner lโespace. Ce que fait le son de la musique ร la ville de Saint-Denis ยซ Des quartiers avaient รฉgalement leur fรชte : Pleyel en mars, la Plaine en aoรปt… Saint-Denis รฉtait une ville pleine de musique. Chaque semaine nous allions รฉcouter des concerts au kios que de la place de la Mairie. Cโรฉtait le soir et des grandes guirlandes รฉclairaient le kiosque, les musiciens et le public installรฉ tout autour des chaises. Les sociรฉtรฉs de musique de Saint-Denis, mais aussi de toute la rรฉgion y jouaient des airs dโopรฉrette, des valses, des morceaux classiques. Il y avait รฉgalement unkiosque ร musique place de Geyter. ยปDans ses mรฉmoires, Auguste Persancier, adjoint emblรฉmatique ร la mairie de Saint-Denis de 1945 ร 1965, montre comment la musique vient dessiner les lieux (ยซ place de la Mairie ยป, ยซ place de Geyter ยป), lโespace sonore (ยซ des airs dโopรฉrette, des valses, des morceaux classiques ยป) et le temps dionysien (ยซ en mars ยป, ยซ en aoรปt ยป, ยซ chaque semaine ยป). Si dans cet extrait, il รฉvoque sa jeunesse, avant-guerre, il mentionne รฉgalement cette prรฉsence de la musique ร propos de la pรฉriode oรน il est maire-adjoint : ยซ Des repas pour les vieux, […] des goguettes oรน tout le mondeย chantait… rythmaient rรฉguliรจrement la vie des quartiers. ยป Cโest ce rรดle de la musique comme celui dโun rythme rรฉgulierde la vie dionysienne que nous allons รฉtudier dans ce second chapitre. Ce qui nous intรฉresse ici nโest donc pas tant ce vers quoi la musique fait signe, ce que nous avons รฉtudiรฉ dans notre premier chapitre, mais la maniรจre dont elle sโinscrit dans lโespace, le dรฉlimite, trace ses frontiรจres, et dรฉfinit sa temporalitรฉ. Pour cela on รฉtudiera successivement trois dimensions de ce rapport entre esp ace, musique et temps : la maniรจre dont la musique vient occuper lโespace dionysien, la faรงon dont elle vient rythmer son temps, et enfin la maniรจre dont elle vient dessiner son paysage sonore. Cette approchephรฉnomรฉnologique de la musique permet dโen saisir la triple รฉtendue : la musique a une รฉtenduedans le temps, dans lโespace, et dans le son.
Dรฉfilรฉs, grands bals : dessiner les lieux centraux des Dionysiens
Aprรจs avoir vu la maniรจre dont les concerts du quotidien estivaux et printaniers occupent et organisent lโespace dionysien, on peut maintenant se pencher sur le rapport ร lโespace des grandes fรชtes et รฉvรฉnements dionysiens, de la Foire du Lendit ร la fรชte ยซ des vieilles mamans et des vieux papas ยป, en passant par les grands bals de nuit . On peut en rรฉalitรฉ distinguer trois types de rapports ร lโespace de ces diffรฉrents รฉvรฉnements, proches des trois fonctions des concerts du quotidien : les รฉvรฉnements qui visent ร occuper lโespace, notamment ร travers des dรฉfilรฉs festifs, ceux qui cherchent ร mettre en avant des quartiers, et enfin ceux qui visent ร dรฉgager des lieux centraux dans la ville.
Les dรฉfilรฉs et les grandes fรชtes exceptionnelles : animer lโespace urbain
Sur un film datรฉ de 1960, Pierre Douzenel, photographe et cinรฉaste cรฉlรจbre ร Saint-Denis, nous montre le 21รจmeGrand Pardon des Bretons de Saint-Denis, ayant eu lieu la mรชme annรฉe. Au dรฉbutdu film, il est inscrit que la fรชte se dรฉroule au Parc de la Courneuve : a priori, rien ร voir avec un dialogue avec lโespace dionysien, si ce nโest sur le mode du paradoxe (les Bretons de Saint-Denis sont cรฉlรฉbrรฉs ร la Courneuve). Mais en rรฉalitรฉ, le film commence par une grande procession dans Saint-Denis des Bretons. Si le film est muet, on croit presque entendre le son des bombardes etdestambours envahir la rue, ร la vue des participants, en costume tra ditionnel, arborant divers drapeaux.
Au fond de lโimage, on distingue la basilique de Saint-Denis. On peut ainsi penser que le dรฉfilรฉ parcourt toute la partie Nord-Est de la ville, du centre-ville au Parc de la Courneuve.Ce dรฉfilรฉ constitue un moment dโappropriation de lโespace urbain dionysien par la musique. Laville est parcourue par sa population et le son des bombardes. Ainsi, dans ces moments oรน lepublicest nombreux, les habitants ressentent fortement l’unitรฉ de la ville. On retrouve ce mรชme procรฉdรฉlors de la cavalcade de la Foire du Lendit, oรน tout le centre -ville est animรฉ, dans un parcours qui part lรฉgรจrement de lโextรฉrieur de celui-ci. Ces dรฉambulations semblent rรฉguliรจres dans la ville : ร lโoccasion de la fรชte de la Rentrรฉe scolaire de 1947, lโUnion des Trompettes mรจne une dรฉambulation enfantine jusquโau stade de Saint-Denis . Lร oรน les concerts locaux viennent renforcer les identifications ร lโespace ultra-local, les dรฉambulations recrรฉent du lien, de lโunitรฉ dans lโespace dionysien. Elles dรฉcloisonnent les quartiers. Comme le note Gรฉrard Noiriel, ยซ les cortรจges ne se dรฉplacent pas au hasard. ยป
On retrouve cette mรชme volontรฉ dโunifier lโespace dionysien par dโautres processus que la dรฉambulation. La dรฉmultiplication des bals de quartiers lors du 14 Juillet, que lโon a dรฉjร รฉvoquรฉs, qui viennent sโajouter aux quatre grands bals organisรฉs aux quatre coins de la ville (centre-ville, est, ouest, sud) sont un mรชme moyen de dessiner les frontiรจres de la ville. Quant aux grands รฉvรฉnements, comme le festival de musique de 1949, il sโagit littรฉralement de moments dโunisson : plus de quarante lieux de concerts dans la ville sont citรฉs dans les archives portant sur ce festival . Pourmontrer cette volontรฉ dโanimer lโespace urbain dionysien, on a reprรฉsentรฉ sur une carte les lieuxdes quatre bals du 14 Juillet 1951, ainsi que le trajet de la cavalcade de 1957, conservรฉ dans lesarchives du comitรฉ dโorganisation de la Foire. On y voit cette volontรฉ dโoccuper le territoire โ dans tous lessens du terme, de le mettre en mouvement.
Les grandes fรชtes anniversaires : cรฉlรฉbrer haut et fort Saint -Denis
On a dรฉjร รฉvoquรฉ plus haut deux grandes fรชtes qui jouent un rรดle central dans la rรฉactivation dโune mรฉmoire dionysienne. On va ici, sans les รฉvoquer longuement ร nouveau, souligner la maniรจre dont elles viennent marquer une rupture dans le temps dionysien, venant en faire des points dโorgues de la cรฉlรฉbration dโune identification des habitants ร leur ville.
Pour le festival de 1949, cela passe par un envahissement de lโespace dionysien, avec comme on lโa vu, plus de quarante lieux de concerts. Toutes les dispositions sont prises en amont afin quetout le monde soit au courant de lโรฉvรฉnement : la prรฉfecture de la Seine participe au financement de lโรฉvรฉnement ร hauteur de 250 000 francs, la presse est prรฉvenue, et un festival de musique prรฉvu dans la ville voisine de Pierrefitte est annulรฉ cette annรฉe pour laisser tout lโespace au festival dionysien290. Ainsi, le festival de musique apparaรฎt comme un point central dans le temps et lโespace de cรฉlรฉbration de la ville. Pour le centenaire de la chorale des Enfants de Saint-Denis, la mise en รฉvรฉnement de la mรฉmoire de la ville, la rupture dans la quotidiennetรฉ, ne passe pas tant par un envahissement de lโespace urbain que par un envahissement de son temps. Du 13 au 19 mai 1956, plusieurs concerts ont lieu chaque jour .Dans les deux cas, enfin, la mise en รฉvรฉnement passe par la recherche dโune tรชte dโaffiche, dโungrand nom fรฉdรฉrateur qui crรฉe davantage lโรฉvรฉnement que lโHarmonie municipale ou lโUnion desTrompettes. Signe de la relative stabilitรฉ du paysage musical dionysien de 1945 ร 1959, lors des deuxรฉvรฉnements, la solution est la mรชme: convier la cรฉlรจbre fanfare parisienne ยซ La Sirรจne ยป pourconclure lโรฉvรฉnement. Lors des prรฉparatifs du festival, elle est en effet qualifiรฉe de ยซ plus forte sociรฉtรฉ musicale civile ยป par lโun des membres du comitรฉ dโorganisation . Faire venir une telle sociรฉtรฉ a son prix : dans sa correspondance avec la chorale des Enfants de Saint-Denis, la formation demande50 000 francs pour venir jouer en clรดture du festival . On voit bien comment lโรฉvรฉnement est crรฉรฉ autour de ces deux fรชtes, pour en faire, non pas le tempo de la ville, mais des moments de rupture, oรน lโidentification ร la ville ne passe pas par labanalitรฉ du quotidien, mais par le caractรจre exceptionnel de lโanniversaire. Dโautres รฉvรฉnements exceptionnels, qui ne viennent pas sโinscrire dans une tradition annuelle, mensuelle, ou hebdomadaire, ont lieu au cours de notre pรฉriode.
ii. La venue des mineurs du Nord : des moments de cรฉlรฉbration du ยซ classe contre classe ยป Ainsi, en 1945, des mineurs du Nord-Pas-de-Calais viennent ร Saint-Denis, en pleine ยซ batailledu charbon ยป, dans une grande fรชte en compagnie de lโHarmonie municipale visant ร les remercierdes dons de charbons quโils ont fait ร Saint-Denis . De mรชme, en septembre 1948, les mineurs de Billy-Montigny viennent jouer leurs morceauxdโaccordรฉon et de fanfare, accompagnรฉs de jeunes vedettes de la chanson. Ils seront suivis quelques mois plus tard par lโHarmonie des mineurs dโHรฉninLiรฉtard.
Ces รฉvรฉnements sont ainsi des vรฉritables cรฉlรฉbrations de la classe ouvriรจre, oรน les mineurs dรฉfilent en costume, comme nous le montrent des photographies conservรฉes dans un album souvenir de la municipalitรฉ aux archives municipales (voir figure 5). Les symboles ouvriers sont exhibรฉs en opposition aux symboles bourgeois. Cette stratรฉgie du ยซ classe contre classe ยป de la municipalitรฉ, trรจs prรฉsente avant-guerre , se perpรฉtue donc lors de ses lendemains. On pourrait supposer que cette pensรฉe en termes de classe vienne gommer la question de la localitรฉ : aprรจs tout, les mineurs viennent du Nord ; cโest donc bien dโidentification ร une classe et non ร un espace dont il est question.
Y a-t-il un paysage sonore dionysien ?
Mais si le son des fanfares peut bien produire un sentiment dโappartenance sensoriel ร la ville chez les habitants, ce son nโest nรฉanmoins pas spรฉcifique ร Saint-Denis, et en cela ne constitue pas ce que Raymond Murray Schaffer nomme un marqueur sonore. Existe-t-il des marqueurs sonores musicaux dionysiens ? Sans doute faut-il se plonger dans les rรฉpertoires rรฉguliers des sociรฉtรฉs de musique pour y chercher une rรฉponse. Deux รฉlรฉments nous interpellent : tout dโabord lโUnion des Trompettes joue rรฉguliรจrement des morceaux qui lui semblent spรฉcifiques : une marche de lโUnion, une valse de lโUnion, et deux morceaux intitulรฉs ยซ En Avant lโUnion ยป et ยซ Les Tambours de lโUnion ยป . On peut imaginer que ces morceaux constituent des signes distinctifs de lโUnion des Trompettes โ et donc de Saint-Denis โdans le paysage sonore. Mais un morceau, jouรฉ par lโUnion musicale de Saint-Denis une dizaine de fois entre 1945 et 1948 attire encore davantage notre attention : ยซ Montjoye Saint-Denis ยป. ยซ Montjoye Saint-Denis ยป ou ยซ Montjoie Saint-Denis ยป, ancien cri de guerre des rois de France, est une expression ร la chronologie complexe, dont lโhistorienne Anne Lombard- Jourdan a fait lโhistoire passionnante . Elle y montre que lโexpression nโest pas la simple รฉvocation du saint protecteur de la France, mais bien la mise en lien entre une formation gรฉographique (la montjoie, untumulus de terre) et un territoire (la Plaine Saint-Denis). En effet, ยซ Montjoie ยป serait le nom donnรฉ au tumulus, situรฉ dans la Plaine, sur lequel Saint-Denis aurait รฉtรฉ dรฉcapitรฉ (son nom viendrait du francique mundgawi, signifiant ยซ protรจge-pays ยป). Progressivement, le terme se mit alors ร dรฉsigner lโensemble des petits monuments gothiques ornรฉs dโune croix qui jalonnent la Plaine Saint -Denis. Lโexpression ยซ Montjoye Saint-Denis ยป avant de se rรฉfรฉrer ร une histoire nationale se rรฉfรจre donc bien ร une histoire locale, celle dโun territoire et de ses toponymes. Cet hymne a donc bien quelque chose de local.
De son interprรจte, lโUnion musicale, nรฉe en 1870, on ne sait que peu de choses. Moins prรฉsente sur notre pรฉriode que dโautres formations dionysiennes, on apprend, dans une annonce parue en 1947 dans le journal quโelle dรฉlivre des cours de ยซ solfรจge instrumental ยป, de ยซ formation des membres exรฉcutants ยป, et de ยซ section fanfare ยป . Il semblerait donc quโil sโagisse dโune fanfa re, dont l’hymne serait instrumental. Dans les archives privรฉes de la chorale des Enfants de Saint-Denis, qui constitue avec lโUnion musicale lโune des deux plus anciennes sociรฉtรฉs musicales de la ville, on retrouve le texte dโun morceau nommรฉ ยซ Montjoie Saint-Denis ยป.Sโagit-il dโune version du mรชme morceau, cette fois avec des paroles ? On ne peut pas en รชtre certain. De mรชme, il est difficile de dater le morceau. Il a รฉtรฉ composรฉ par un certain ยซ Sourilas ยป. En faisant quelques recherches, on dรฉcouvre unThรฉophile Sourilas , qui a bel et bien composรฉ quelques ลuvres pour chลur, parfois publiรฉes dans lโorphรฉon, ร la fin du XIXรจme siรจcle. Mais lร encore, impossible de faire le lien avec certitude.
Le texte du morceau rappelle les diffรฉrentes รฉpoques de Saint-Denis. Le ยซ trรฉsor de la vieille basilique ยป et ยซ lโoriflamme des rois ยป sont dโabord รฉvoquรฉs. Puis la vie quotidienne dโun monde ouvrier qui travaille en journรฉe et chante le soir est dรฉcrite (ยซ nos forges, nos chantiers font dโimmenses travaux, et lorsque vient le soir, des torrents dโharmonie de la vieille Citรฉ rรฉveillent les รฉchos ยป). Enfin, la dรฉfense de la France en temps de guerre est glorifiรฉe, sans que l’on sache de quelle guerre il s’agit (ยซ Sโil le fallait encore, nous nous dresserions fiers devant lโenvahisseur, dรฉfendant nos foyers et notre Rรฉpublique ยป).
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PARTIE 1 : HARMONISER LE ยซ PATRIOTISME DE CLOCHER A BASE DE CLASSE ยป : LA STRATEGIE DE LA MUNICIPALITE DANS LA VIE MUSICALE DIONYSIENNE. (1945-1959)ย
PARTIE 2 : LA POLYPHONIE DES IDENTIFICATIONS FAรONNEES PAR LA MUSIQUE (1945-1959)
PARTIE 3 : LES NOUVELLES VOIX. LE DEVELOPPEMENT DE NOUVEAUX MODES D’IDENTIFICATION A SAINT -DENIS PAR LA MUSIQUE (1959-1968)ย
CONCLUSION : APRES 1968 : MUSIQUE SAVANTE, ROCK, MUSIQUES DU MONDE ET RAP, ENTRE INSTITUTIONNALISATION DE LA VIE MUSICALE ET DIVERSIFICATION DES IDENTIFICATIONS
BIBLIOGRAPHIEย
INVENTAIRE DES SOURCES
ANNEXESย
TABLE DES ANNEXESย
TABLE DES ILLUSTRATIONS
TABLE DES MATIERES