L’intérêt porté à la période préconceptionnelle au fil des siècles
L’ examen prénuptial est réalisé pendant de nombreuses années dans le cadre de la loi, les futurs époux étant obligés d’être vus par un médecin pour pouvoir célébrer leur mariage. Cependant, l’intérêt de cette consultation dans le cadre de la grossesse n’est pas très étudié avant le début de ce siècle. Il a tout de même commencé à être abordé au milieu du XIXème siècle, en 1858 par Dewees lors d’un traité où il déclare que « le traitement médical des enfants devrait commencer aussi tôt que possible avec la formation de l’embryon, il est donc nécessaire d’impliquer la conduite de la mère même avant son mariage aussi bien que pendant sa grossesse. Il sera également évident que les divers contingents exercent une influence sur le fœtus. Nous allons donc adresser à la mère quelques directions auxquelles elle peut contribuer pour soutenir la vigueur de son enfant à naître » (16). En 1895, c’est Adolphe Pinard qui cite « la puériculture est le soin aux enfants commençant quinze jours avant la conception » (17). Ensuite au cours du XXème siècle, en 1957, une étude menée par deux nutritionnistes montre les bénéfices d’une supplémentation en vitamine B1. Une diminution des avortements a été constatée. Cette étude recommande alors une alimentation riche en protéines avant le début de la grossesse (18). En 1978, la conférence d’Alma-Ata sur les soins de santé primaires porte sur huit éléments dont fait partie les soins maternels, infantiles et la planification familiale (19). C’est au début des années 2000 que l’intérêt pour cette consultation prend un véritable engouement. Plusieurs recommandations paraissent sur le sujet et font l’objet de nombreux articles. Dans d’autres pays, cette consultation est déjà plus développée comme en Hongrie par exemple, où le professeur Czeizel a démontré que celle-ci pouvait participer à la diminution de moitié des malformations congénitales. Pour cela, il énonce que les futures mères doivent ingérer une boisson dite polyvitaminée un mois avant le début de la grossesse jusqu’à la fin du premier trimestre (20).
La démonstration de son intérêt
Michèle UZAN parle d’une véritable « check-list » qui permet de « s’entourer d’un maximum de garanties pour limiter le risque de complications prévisibles ou leur répétition » (22). En 2003, un article paru dans les Editions Scientifiques et Médicales Elsevier, souligne l’intérêt de la consultation prénuptiale « qui permet de faire le point à un moment où le couple est plus réceptif à sa santé. Elle mérite une attention toute particulière pour que des messages de prévention passent bien auprès du couple. » (3) Trois ans plus tard, le campus national de gynécologie obstétrique soulève le problème du nombre de couples en constante diminution qui bénéficient de l’examen prénuptial : « nombreux sont les couples qui conçoivent actuellement en dehors du mariage : il serait très utile qu’ils puissent bénéficier d’un examen prénuptial. » (11) Dans les recommandations de 2005 concernant la préparation à la naissance et à la parentalité, l’HAS déclare : « autant que possible, le niveau de risque doit être apprécié avant la grossesse, dans le cadre du suivi gynécologique de la femme quand elle exprime son désir de grossesse » (23). Aussi, l’Académie de Médecine recommande en mars 2006 « la mise en place d’une consultation préconceptionnelle générale en cas de grossesse programmée ou d’arrêt de la contraception, considérant que de nombreuses femmes en âge de procréer échappent à tout examen médical avant la grossesse. » (17) Sa suppression à la fin de l’année 2007 laisse place à un vide réel puisque seules quelques femmes ayant un risque important pour leur grossesse sont en général suivies avant même qu’elles soient enceintes. Le reste de la population en âge de procréer a peu de connaissances sur la consultation préconceptionnelle voire pas du tout pour la majorité. Pourtant, l’intérêt et le bénéfice de cette consultation sont démontrés par la Haute Autorité de Santé, l’HAS. L’idée de la consultation dite préconceptionnelle prend un sens quelques années avant la suppression de l’examen prénuptial. Dans les recommandations officielles, elle est abordée dans le cadre du suivi de grossesse, de la préparation à la naissance. En mai 2007, quelques mois avant la suppression de l’examen prénuptial par la loi du 20 décembre, de nouvelles recommandations sont publiées dans le document : « Suivi et orientation des femmes enceintes en fonction des situations à risque identifiées » (24) (Annexe I). L’objectif premier est d’améliorer la reconnaissance des situations où il existe des risques de complications maternelles, obstétricales et fœtales afin d’adapter si besoin le suivi. L’article propose un exemple de contenu pour plusieurs consultations : préconceptionnelle, avant 10 SA, avant 15 SA, puis mensuelle jusqu’au 9ème mois. L’évaluation des risques serait donc à apprécier avant de débuter une grossesse pour une prise en charge optimale. L’objectif est également de réduire les risques de grossesses non évolutives, sachant que beaucoup de facteurs de risque peuvent en être à l’origine (tabac, précarité, contraception non adaptée). On peut penser que l’évaluation des facteurs de risque d’une femme peut être faite lors de la première consultation de grossesse. Pourtant, à ce moment, le stade de développement embryonnaire est déjà entamé. C’est pourquoi la consultation préconceptionnelle a un réel avantage : elle a lieu avant la période d’organogénèse. C’est à ce moment que peuvent apparaître les anomalies majeures du développement du futur enfant (25).
Périodes à risque lors de l’embryogénèse
La période embryonnaire se termine au terme de 10 SA, puis la période fœtale débute à 11 SA. Pendant les deux premières semaines de grossesse ont lieu la division cellulaire et l’implantation embryonnaire. Il y a peu de risque de malformation à ce moment. L’organogénèse commence au début du deuxième mois de gestation juste après la segmentation de l’œuf à 6 SA. L’organogénèse du système nerveux central et des organes sensoriels a lieu lors des quinze premières semaines de développement de l’embryon. La période où ceux-ci sont les plus vulnérables se concentre dans les huit premières semaines. Elle est donc déjà en cours ou bien terminée lors de la première consultation de grossesse ou lorsque la femme apprend qu’elle est enceinte (21). Selon la banque des données médicosociales, BDNS ONE, les patientes mineures font leur première visite prénatale aux environs de 7 SA pour la plupart, et de 9,5 SA pour les femmes de plus de 18 ans (21). Pendant cette période, ce sont les parties principales du corps du futur enfant qui sont en plein développement à savoir le système nerveux central et le cœur dans un premier temps, puis les membres en même temps que les yeux et les oreilles, et enfin les organes génitaux. Le schéma situé sur la page suivante nous montre plus précisément les périodes critiques du développement embryonnaire.
Les patientes sans antécédent particulier
Au sein de l’ensemble des patientes n’ayant pas mentionné d’antécédent, nous différencions plusieurs profils. Les trois qui ressortent sont :
– les patientes qui ont envisagé leur grossesse et l’ont exprimé à leur médecin
– les patientes l’ayant envisagé mais qui n’en n’ont pas parlé lors d’une consultation
– celles dont la grossesse n’était pas programmée.
Il est étonnant de constater que la majorité de ces femmes n’ont pas prévu l’arrivée de leur enfant. Cette population ne peut donc avoir de consultation préconceptionnelle, le désir d’enfant étant la motivation principale à sa réalisation. Parmi celles qui l’ont programmé et l’ont déclaré à leur médecin, des démarches préconceptionnelles ont été réalisées (informations et bilans de dépistage). Cependant, la majorité n’a pas mentionné cette volonté et de ce fait aucune démarche n’a été entreprise. Ces résultats mettent en évidence une population de femmes qui ne font pas la démarche d’aller consulter pour exprimer leur désir de grossesse, ne voulant pas confronter leur vie intime au monde médical confirmant notre deuxième hypothèse. Nous remarquons qu’une minorité de patientes déclare n’avoir aucun suivi gynécologique en dehors de la grossesse. Ces femmes n’exprimeront donc sûrement pas leur désir d’enfant puisqu’elles n’ont pas l’habitude de se référer à un professionnel pour leur suivi.
Le ressenti de la femme
Nous sommes dans une décennie où la société met en avant la physiologie de la grossesse et la bonne santé de la femme enceinte. De même, les médias mettent en valeur les silhouettes arrondies de ces femmes et montrent ainsi une étape heureuse et naturelle de la vie génitale féminine. Ces représentations de la grossesse dans notre société ne tendent pas à développer la prévention des risques par une consultation avant une grossesse. Les femmes peuvent trouver un paradoxe dans notre discours : on leur répète que l’état de grossesse n’est pas synonyme de maladie ou d’incapacité et parallèlement on leur conseille fortement de consulter un professionnel de santé. Concernant les patientes sans antécédent connu, il est tout à fait compréhensible qu’elles réagissent de la manière suivante : » mais je vais bien, je veux juste avoir un enfant « . Cette réaction peut être due en partie au défaut d’information comme nous l’avons développé précédemment. Si elles connaissaient réellement les enjeux et les bénéfices de ce bilan, leur démarche serait plus spontanée. De plus, ce type de consultation est réalisé par un gynécologue en règle générale. Celui-ci peut représenter aux yeux des patientes une forme d’autorité et de pouvoir. Il est légitime qu’elles craignent cette tierce personne qui s’immisce dans l’intimité de leur couple et leur réticence pourrait aussi s’expliquer par le fait qu’elles se sentent jugées. Les femmes ne doivent pas avoir cette impression de « demander l’autorisation d’être enceinte ». Il est de notre ressort de les informer et les rassurer sur le déroulement, le but de cet entretien le plus en amont de la grossesse si possible. Nous voyons également des femmes qui ne se sentent pas concernées, et ne pensent pas en avoir besoin. Cette remarque rejoint le fait que la grossesse est un événement naturel, propre à l’intimité du couple. Une autre explication à ce détachement peut être le cas des femmes multipares. Si une grossesse a déjà été vécue, la demande semble moindre.
La place de la sage-femme
La question de la médicalisation de la grossesse a été soulevée dans le paragraphe précédent. La patiente envisage sa grossesse mais hésite à rencontrer son médecin car elle ne se sent pas malade. L’art de la sage-femme est d’accompagner le couple lors de la grossesse, de l’accouchement et en post-partum. Elle est un acteur incontournable de la périnatalité et représente pour beaucoup de patientes un professionnel de santé sensible, qui guide les parents en devenir en essayant de respecter leurs choix et leurs valeurs. La sage-femme a un rôle privilégié avec la femme ou le couple grâce à la relation de confiance qu’elle instaure avec eux. Le fait que ces compétences se limitent à la physiologie obstétricale contribue à cette relation privilégiée soignant-soignée car la femme la voit comme celle qui l’accompagnera au mieux quelque soit le déroulement des événements. En 2009, les nouvelles compétences élargies permettent aux sages-femmes de réaliser des consultations de contraception et de suivi gynécologique de prévention, en l’absence de situation pathologique selon l’article L.4151-1. Une liste non exhaustive est parue, énumérant certains actes qu’elles peuvent pratiquer dans le cadre de ces nouvelles compétences. La consultation préconceptionnelle n’apparaît pas mais elle rentre dans le cadre du suivi gynécologique de la femme. Aujourd’hui les sages-femmes commencent à le pratiquer et elles seront de plus en plus nombreuses et sollicitées notamment grâce à l’extension de l’exercice libéral.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : Revue de la littérature
1. Historique
1.1. L’examen prénuptial
1.2. L’intérêt porté à la période préconceptionnelle au fil des siècles
2. Intérêt et contenu de la consultation préconceptionnelle
2.1. La démonstration de son intérêt
2.2. Son contenu
3. Obstacles à la consultation dans la littérature
3.1. Du côté des patientes
3.2. Du côté des professionnels
DEUXIEME PARTIE: Etude
1. La méthode de recherche
1.1. La problématique
1.2. Les objectifs de l’étude
1.3. Les hypothèses
2. Le déroulement de l’étude
2.1. La description de l’étude
2.2. La population ciblée
2.3. Le recueil des données
2.4. Les difficultés de l’enquête
3. L’analyse des résultats
3.1. La partie présentant la population
3.2. La partie relative aux circonstances de survenue de la grossesse
TROISIEME PARTIE: Analyse et Discussion
1. La synthèse des résultats de l’étude
1.1. L’âge de la patiente
1.2. Les patientes avec des antécédents particuliers
1.3. Les patientes sans antécédent particulier
1.4. Les patientes face à leur désir de grossesse
2. La discussion
2.1. L’information des patientes
2.2. Le ressenti de la femme
2.3. La place de la sage-femme
3. Propositions
3.1. Informer dès lors du suivi gynécologique
3.2. Diffuser l’information plus largement
3.3. Prévoir une prise en charge financière plus adaptée
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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