Les éléments structuraux métalliques rencontrés dans la construction se distinguent très généralement de ceux constitués d’autres matériaux de constructions traditionels (tels que le béton, le bois et la maçonnerie) par leur grand élancement. Lorsqu’une structure est soumise à la compression, sa résistance est affectée, de manière défavorable, par les effets de son élancement. Cette réduction de la résistance des éléments structuraux en raison de leur élancement est le fait de phénomènes d’instabilité structurelle. L’étude de ces phénomènes est non seulement d’un grand d’intérêt, mais aussi une nécessité pour assurer la fiabilité de toute construction métallique.
Notion de la stabilité des structures
Lorsqu’un élément de structure élancé est soumis à une compression, il présente potentiellement un danger d’instabilité. Le mot instabilité est un terme générique utilisé pour désigner un ensemble de phénomènes et ce, indépendamment du type de structure que ces phénomènes concernent. Des termes spécifiques sont utilisés pour différencier plus précisément les phénomènes d’instabilité élémentaire, tels que: le flambement pour une poutre soumise à une compression longitudinale, le déversement pour une poutre soumise à une flexion ou le voilement pour les plaques et coques. Il faut noter que le terme voilement s’applique aussi bien aux plaques qu’aux coques, mais leurs comportements peuvent fréquemment être différenciés, en particulier leurs comportements postcritiques respectifs.
La notion d’instabilité ou de stabilité est toujours associée au concept d’équilibre, une des notions de base essentielle de la mécanique du solide. D’une manière générale, la stabilité peut être définie comme la capacité d’un système physique à revenir à l’équilibre lorsqu’il est perturbé légèrement. La stabilité peut être illustrée à travers l’exemple bien connu de la bille sur un support courbe . Si la bille repose sur une surface concave, l’équilibre est stable : si l’on donne à la bille une vitesse initiale faible, elle commencera à osciller, mais restera à proximité de son état d’équilibre. À l’inverse, lorsque, dans le second cas, la bille repose au sommet d’une surface convexe , le fait de lui donner une impulsion va conduire très rapidement à de grands déplacements : on dit alors que le système est instable. Si la bille repose sur un plan horizontal, l’équilibre est dit « neutre » : la perturbation appliquée à la bille conduit à un autre état d’équilibre.
L’exemple intuitif de la bille permet aussi d’illustrer une notion fondamentale de la stabilité : un état d’équilibre stable d’une structure est obtenu lorsque son énergie potentielle atteint une valeur minimale. Cette notion est la base des méthodes énergétiques de résolution des problèmes d’instabilité. Il existe bien sûr d’autres méthodes, telle que la méthode de relaxation dynamique (Douthe [51], Frieze et Dowling [60]). Cependant, ces dernières sont beaucoup moins courantes que la méthode de minimisation de l’énergie potentielle, la méthode qui sera appliquée à l’étude du voilement des plaques présentée dans la prochaine section.
Rappel sur la théorie du voilement des plaques
Le comportement d’une structure peut être étudié au moyen d’un diagramme chargedéplacement où le chargement appliqué est présenté en fonction du déplacement d’un point de référence choisi, a priori quelconque. En pratique, ce point est choisi parce qu’une valeur significative du déplacement est attendue, par exemple le raccourcissement de la section chargée ou le déplacement transversal du point au milieu. Lorsque la charge est appliquée de manière croissante depuis une valeur nulle, la relation charge-déplacement obtenue constitue ce qu’on appelle une trajectoire d’équilibre.
Les plaques planes possèdent donc ce que l’on appelle une réserve post-critique. Celleci est due à l’effet membrane qui tend à stabiliser la plaque après son voilement. Pour comprendre ce comportement, il convient de remplacer la plaque par un système de bandes dans deux directions perpendiculaires ; les bandes longitudinales sont comprimées et sont donc susceptibles de flamber. Le raccourcissement libre de la plaque dans la direction transversale étant bloqué au niveau des bords longitudinaux, le voilement crée une augmentation de longueur des bandes transversales ; ceci crée des forces de traction de membrane dans les bandes transversales. Ces bandes tendues jouent dès lors le rôle d’une fondation élastique pour les bandes comprimées et exercent par conséquent un effet stabilisateur sur ces bandes (figure 1.3). Ceci explique pourquoi la plaque peut atteindre un état d’équilibre stable au-delà de sa charge critique de voilement élastique. Cet effet des contraintes membranaires se développe avec une intensité d’autant plus grande que la configuration des appuis assure un meilleur ancrage (Van der Burg [150]). Pour avoir cet effet, il faut donc que les bords non chargés de la plaque soient au moins simplement appuyés ; un appui simple avec empêchement de déplacement dans le plan de la plaque ou un encastrement sont des configurations encore plus propices à l’apparition de contraintes membranaires.
Comportement des plaques raidies
L’utilisation d’une plaque non-raidie de grande dimension est cependant peu fréquente dans la pratique car elle est trop sensible aux phénomènes d’instabilité. Par exemple, pour une plaque métallique de 4 mètres de largeur et 20 millimètres d’épaisseur, la contrainte critique de voilement est égale à σcr = 19MPa, ce qui donne un coefficient de réduction ρ = 0, 22, soit un taux de travail de 22%. Une plaque bien dimensionnée est celle qui peut atteindre la charge plastique (ρ = 1), qui fait travailler la section à 100%. Cela signifie que cette plaque perd 78% de sa capacité ultime par rapport à la résistance plastique (fy) rien qu’à cause du problème de voilement. Pour assurer une intensité importante de chargement, il est possbile de changer la nuance de l’acier pour une classe supérieure, c’est à dire d’augmenter la limite d’élasticité fy. Pourtant, cette solution coûte très chère. Une autre solution est d’augmenter la contrainte critique de voilement jusqu’à 760 MPa afin que λ ≤ 0, 673 et ρ = 1 : il n’y a pas de réduction vis-à-vis du problème de voilement. Selon l’équation 1.1, la contrainte critique de voilement d’une plaque dépend de deux paramètres importants : la largeur de chargement b et l’épaisseur de la plaque t. Si on fixe la largeur de chargement à sa valeur initiale (b = 4 m), la valeur minimale de l’épaisseur pour atteindre 760 MPa devrait égale à 140 mm (7 fois plus que l’épaisseur initiale). Cette valeur conduit à une structure lourde et chère (du fait de la complexité de fabrication des tôles épaisses) qui n’est pas optimale pour des structures en acier. En revanche, si l’épaisseur initiale est inchangée, on n’a besoin que diminuer 2, 5 fois la largeur b de chargement pour arriver à une même valeur de contrainte critique de voilement. Ceci s’obtient facilement en ajoutant des raidisseurs. Ces derniers ne représentent qu’une petite fraction du poids total de la structure, mais ils contribuent substantiellement à la résistance et à la stabilité de la structure. En outre, le développement des techniques de soudure permet la fabrication aisée de plaques raidies qui peuvent ainsi d’être utilisées dans plusieurs domaines.
La première application concrète des plaques raidies dans le domaine des ouvrages d’art a été établie dans le pont-caisson du Britannia (1850) qui relie l’Angleterre à l’Irlande, bien avant que la théorie sur le comportement des plaques raidies n’ait été développée. Les panneaux raidis de cette époque sont simplement dimensionnés par la théorie élastique de la résistance des matériaux. Cependant, durant quatre années entre 1969 et 1973, plusieurs ponts caissons s’écroulent pendant leur construction (Akesson [7]). Suite à des effondrements, des enquêtes ont été menées et ont conclu que les règles pour la conception de panneaux raidis étaient insuffisantes. Dès lors, les efforts de recherche se sont orientés vers le développement d’outils théoriques pour améliorer les pratiques existantes pour le dimensionnement.
État de l’art
Les développements théoriques sur le voilement des plaques raidies s’avèrent particulièrement difficiles. Outre les difficultés rencontrées pour les plaques non raidies (la présence d’imperfection inévitables dus à la fabrication, la nécessité d’une théorie non-linéaire en grande déformation, etc.), la présence des raidisseurs complexifie le comportement des plaques raidies. En effet, selon la rigidité relative des raidisseurs par rapport la plaque de fond, une plaque raidie peut voiler selon plusieurs modes.
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Table des matières
Introduction
1 Voilement des plaques : Etat de l’art
1.1 Notion de la stabilité des structures
1.2 Rappel sur la théorie du voilement des plaques
1.2.1 Contrainte critique de voilement élastique
1.2.2 Contrainte ultime
1.3 Comportement des plaques raidies
1.3.1 État de l’art
1.3.2 Aspects normatifs pour les plaques raidies
1.4 Dimensionnement d’une plaque raidie selon l’EN 1993-1-5
1.4.1 Détermination de l’aire efficace résultant du voilement local
1.4.2 Détermination de l’aire efficace résultant du voilement global
1.4.3 Section efficace vis-à-vis du voilement
1.5 Choix actuel des raidisseurs longitudinaux
1.6 Conclusion
2 Évaluation de la démarche de l’Eurocode par éléments finis
2.1 Modélisation par éléments finis
2.1.1 Logiciel
2.1.2 Choix du type d’élément
2.1.3 Matériau
2.1.4 Conditions aux limites
2.1.5 Chargement
2.1.6 Imperfections
2.1.7 Algorithmes de résolution
2.2 Évaluation de la démarche de l’Eurocode
2.2.1 Discussion du comportement critique de voilement
2.2.2 Discussion du comportement ultime
2.2.3 Influence de la forme d’interpolation
2.2.4 Conclusion
2.3 Recommandations pour une amélioration de la démarche de l’Eurocode
2.3.1 Contrainte critique de voilement
2.3.2 Formule d’interpolation
2.3.3 Raidisseur de faible rigidité
2.4 Conclusion
3 Tôles cylindriques non-raidies soumises à une compression longitudinale
3.1 Généralités sur les tôles courbes
3.1.1 Etat de l’art
3.1.2 Comportement des éléments courbes
3.1.3 Choix du paramètre de courbure
3.2 Modélisation par éléments finis
3.2.1 Type d’éléments
3.2.2 Construction de la géométrie du modèle d’éléménts finis
3.2.3 Conditions aux limites
3.3 Comportement critique de voilement élastique linéaire
3.3.1 Généralités sur le voilement des tôles courbes
3.3.2 Expression de la contrainte de voilement
3.4 Etude numérique du comportement ultime
3.4.1 Influence de la forme des imperfections
3.4.2 Etude paramétrique
3.5 Courbe caractéristique de voilement
3.5.1 Par modification de l’EN 1993-1-5
3.5.2 Par modification de l’EN 1993-1-6
3.5.3 Comparaison des deux approches
3.6 Coefficient de sécurité
3.6.1 Etat de l’art
3.6.2 Principe d’évaluation
3.6.3 Evaluation du coefficient de sécurité sur le modèle n◦1
3.7 Conclusion
Conclusion