Voies prépondérantes de la dégradation des anthocyanes dans l’extrait d’hibiscus

Description botanique

   Selon Clydesdale et al. (1979), l’hibiscus est une plante pérenne herbacée pouvant atteindre 1 à 2 m de hauteur. Les feuilles sont ovales, alternées, trilobées ou simples sur des tiges fleuries. Elles sont réparties tout au long de la tige et présentent un diamètre qui varie entre 7 et 10 cm. Leur couleur est rose à la périphérie, devenant jaune à l’intérieur pour finir avec un cœur pourpre bordeaux (Figure 1a). Le calice, presque glabre, est formé de 5 sépales auxquels se soude un calicule extérieur multifide (Figure 1b). Le fruit est une capsule ovoïde à 5 loges composées chacune de 3 lames minces, lisses à l’intérieur et hérissées à l’extérieur de poils fins et piquants. La capsule contient les graines (Figure 1c) (Paul, 1995)

Principales utilisations

  La culture du bissap se présente actuellement comme une source de revenus non négligeable pour les agriculteurs de l’Afrique de l’ouest. De nombreux producteurs cultivent le bissap pour leur propre consommation et les surplus sont commercialisés aussi bien sur le marché local que pour l’exportation (Coly et al., 2005). L’espèce H. sabdariffa est utilisée dans l’alimentation humaine et dans l’industrie agroalimentaire. La plante est exploitée pour ses calices, feuilles et graines (Cisse et al., 2009b). Les calices, du fait de leur concentration élevée en acides, pectines et surtout en anthocyanes, constituent la partie de la plante la plus valorisée. Ils sont récoltés à la main avec un sécateur ou un couteau, 2 à 3 semaines après la floraison, habituellement 4 à 6 mois après le semis, avant que le fruit ne se dessèche et ne s’ouvre. Après décorticage, les calices sont séchés par exposition directe au soleil sur des nattes, des tôles ou des toiles en plastique étalées directement sur le sol. Leur humidité diminue de 86% à 14-16%. Ils sont ensuite conditionnés en sac de jute de 50 kg pour l’exportation (Cisse et al., 2009b). Les calices sont utilisés pour la production de boissons désaltérantes et tonifiantes sans alcool (Cisse et al., 2009b). Ces boissons sont toutes élaborées à partir d’un extrait aqueux obtenu après trempage des calices dans de l’eau chaude ou à température ambiante avec un ratio massique (calice/eau) entre 1/5 et 1/30. Après filtration, du sucre ainsi que d’autres ingrédients (jus de fruits, aromatisants, etc.) peuvent être ajoutés selon le pays pour la confection de la boisson finale. Cette boisson présente une coloration rouge foncé (Cisse et al., 2009b). Des confitures, des sirops, des infusions, des gelées et des desserts élaborés à partir des calices sont également proposés. Les confitures d’H. sabdariffa sont appréciées aux États-Unis, en Australie, au Sénégal, dans les Caraïbes et en Asie. Les calices sont aussi utilisés en Thaïlande pour fabriquer une boisson fermentée alcoolisée qui s’apparente à du vin (Mounigan et Badrie, 2007). Enfin, des extraits de calices liquides concentrés ou sous forme de poudre séchéesont utilisés comme colorant naturel par les industries alimentaires (pâtisserie, jus de fruits, boissons, etc) et pharmaceutiques. Cependant, actuellement, leur emploi est limité et pose problème du fait de l’instabilité des pigments lors de la conservation du produit (Francis, 1990 ; Pouget et al., 1990).

Facteurs endogènes

pH Les anthocyanes sont plus stables en milieu acide que dans les solutions alcalines. Cependant, les anthocyanes sont connus pour afficher une grande variation de couleurs dans la gamme de pH de 1 à 14. En effet, la nature ionique des anthocyanes permet des changements de la structure de la molécule selon le pH, donnant plusieurs couleurs et teintes à différentes valeurs de pH (Brouillard, 1982). Dans les solutions aqueuses, les anthocyanes existent sous forme d’un mélange de différentes structures chimiques en équilibre : le cation flavylium (rouge), la base quinonique (bleue), la pseudo-base carbinol (incolore) et la chalcone (incolore à légèrement jaune) (Figure 7).Dans un milieu très acide (pH 1-2) le cation flavylium est l’espèce prédominante. Une perte rapide de protons du cation flavylium a lieu lorsque le pH augmente (pH 6,5-8) en décalant l’équilibre vers la forme quinonique (da Costa et al., 1998). Jusqu’à pH 6, le cation flavylium est hydraté par une attaque nucléophile de l’eau conduisant à l’équilibre à la forme incolore carbinol. Celle-ci à son tour, peut générer la forme chalcone qui est aussi incolore (pH > 8) (Brouillard, 1982 ; da Costa et al., 1998). Les constantes d’équilibre associées à ces changements qui se produisent dans les anthocyanes en solution aqueuse sont exprimées dans le Tableau 8. Les constantes d’hydratation (Kh) et d’acidité (Ka) sont des constantes thermodynamiques, qui permettent de calculer et définir la répartition entre les différentes formes des anthocyanes en équilibre dans un milieu aqueux (He et al., 2012). Selon Dougall et Baker (2008), une valeur de Kh faible montre que la concentration de l’ion flavylium est élevée et qu’il a une faible tendance à perdre sa couleur par hydratation (dans un millieu aqueux avec une acidité constante). Généralement des valeurs de Kh supérieures à Ka signifient que la forme incolore (pseudo-base carbinol) est prédominante. L’étude de ces constantes conduira à une compréhension plus détaillée du mécanisme par lequel la réaction d’hydratation des anthocyanes majoritaires d’hibiscus et la perte résultante de sa couleur ont lieu. Les quantités relatives des cations flavylium (AH+), de la base quinonique (A), du carbinol (B) et de la chalcone (C) en équilibre varient en fonction du pH et de la structure de l’anthocyane. La forme B est aussi en équilibre avec la cis-chalcone (Cc), elle-même en équilibre très lent avec la trans-chalcone (Ct). Ces équilibres sont caractérisés respectivement par les constantes d’acidité et d’hydratation globale Ka et K’h. Pour les anthocyanes communs 3-O-glycoside ou 3,5-di-O glucoside, le produit principal dans la solution avec l’augmentation du pH au-dessus de 3 est la forme incolore carbinol (B), comme représenté sur la Figure 8 pour la malvidine 3-O-glucoside (Brouillard, 1982).La forme structurale majoritaire en milieu aqueux induit les mécanismes réactionnels possibles de l’anthocyane. En effet, les différentes formes présentent des réactivités différentes. Ainsi la connaissance de ces constantes d’équilibre est un atout majeur pour l’étude de la stabilité des anthocyanes. Cependant, les paramètres du milieu tel que le pH ou encore la température modifient la valeur de ces constantes. D’après des études réalisées sur la détermination des constantes d’hydratation Kh et des constantes d’acidité Ka, les valeurs sont variables selon la structure des anthocyanes et la nature de leurs substituant (Dougall et Baker, 2008). En général, les constantes d’équilibre des anthocyanes sont déterminées par une méthode de saut de pH (pH-jump) qui permet le suivi des cinétiques d’hydratation en fonction du pH (Brouillard et Dubois, 1977) ou par simple titrage sur des solutions totalement équilibrées (Stintzing et al., 2002). La première méthode permet de  déterminer à la fois Ka et Kh tandis que la seconde ne fournit que la somme Ka + Kh.Les changements de couleur sont suivis par mesure de l’absorbance à une longueur d’onde donnée, habituellement à 520 nm (Stintzing et al., 2002). Récemment, une équipe brésilienne a enregistré les valeurs d’absorbance à toutes les longueurs d’onde du spectre UV-visible et a utilisé la Résolution Multivariée de Courbes (MCR) pour obtenir la concentration de chaque forme à l’équilibre après déconvolution des spectres (Marco et al., 2011). Cependant, cette technique n’a jamais été testée sur des anthocyanes pures ni comparée aux valeurs obtenues avec la méthode à une longueur d’onde donnée. Les structures des anthocyanes présentées dans le Tableau 9 se différencient par la nature des substituants méthyle, hydroxyle ainsi que par les sucres liés à l’aglycone. Ces substituants ont une influence relativement faible sur les constantes thermodynamiques des anthocyanes, ce qui est corroboré par Leydet et al. (2012). Une légère augmentation du pKh de la malvidine est observée quand la température augmente et d’après Brouillard et Dubois (1977), les formations des formes hydratée (Kh) et quinonique (Ka) pour cette anthocyane sont endothermiques. Des études manquent concernant ces constantes d’équilibre pour les anthocyanes spécifiques des calices d’Hibiscus sabdariffa. Une étude sur les anthocyanes totales extraites des calices d’une autre espèce d’hibiscus (Acetosella Welw ex Finicius) a conduit à une valeur de pKa de 4,24 (0,04) (Março et Scarminio, 2007).
Ions Métalliques La présence de métaux de transition peut catalyser des phénomènes d’oxydation des polyphénols (Clifford, 2000). Il est connu que les ions métalliques peuvent intéragir avec les anthocyanes au travers des groupes hydroxyles (Figure 10) (Dangles et Elhajji, 1994).Les métaux les plus courants dans la complexation conduisant à une dégradation des anthocyanes sont l’étain (Sn), le cuivre (Cu), le fer (Fe), l’aluminium (Al), le magnésium (Mg) et le potassium (K) (Starr et Francis, 1974). La capacité de chélation du métal avec des polyphénols est liée à la présence d’ortho-dihydroxy polyphénols (o-diphénol), c’est à dire, des molécules portant des groupes catéchol ou galloyl ( Figure 11a). Après cette chélation il peut y avoir une formation d’espèce quinone par réaction rédox (Figure 11b). Seules la cyanidine, delphinidine et pétunidine, qui ont plus d’un groupe hydroxyle libre sur le noyau B, sont capables de chélation des métaux (Osawa, 1982). Danilewicz (2003) a conclu que l’interaction directe de composés phénoliques et de l’oxygène ne se produit pas à moins d’être catalysée par des ions de métaux de transition. Le rôle des métaux en tant que catalyseurs ou initiateurs de réactions d’oxydation a été bien étudié mais les résultats dans le vin ont été variables. Le fer, cuivre et manganèse comptent parmi les métaux les plus actifs dans le brunissement des vins (Cacho et al., 1995). Benı́ tez et al. (2002) ont observé la sensibilité au brunissement du vin, par ajout de métaux à différentes concentrations (12,23 mg.L-1 pour le fer, 0,21 mg.L-1 pour le cuivre et 1,64 mg.L-1 pour le manganèse). Ils ont obtenu une absorbance à 420 nm 2 fois plus elevée que la référence au bout de 5 jours à température ambiante.
Enzymes La polyphénol oxydase (PPO) est un nom générique pour un groupe d’enzymes capables de catalyser les réactions (brunissement enzymatique) de plusieurs phénols pour produire des o-quinones. Elle accomplit l’o-hydroxylation de monophénols (activité monophénolase) et l’oxydation de l’o-diphénol en o-quinone (activité de diphénolase) avec de l’oxygène comme oxydant primaire (Yoruk et Marshall, 2003). Le brunissement enzymatique se produit en 2 étapes : la première est l’oxydation enzymatique de monophénols ou o-diphénols pour donner des o-quinones, suivie par des réactions de condensation ou de polymérisation (Yoruk et Marshall, 2003). Il est bien connu que la PPO a une faible affinité avec les anthocyanes. Ceci est probablement dû à la présence de sucre (liée à l’aglycone) causant une gêne stérique (Jiang, 2000). La PPO impliquée dans la dégradation des anthocyanes dans la myrtille, fraise, prune et raisin a été largement étudiée. En l’absence de phénols, la dégradation des anthocyanes par la PPO est très lente, mais elle croît rapidement avec l’augmentation de la concentration en phénol (Kader et al., 1999). Sakamura et Obata (1963) ont montré que la présence d’acide chlorogénique a augmenté le taux de dégradation de la delphinidine 3-pcoumaroylrutinoside-5-glucoside par la PPO (98% au lieu de 53% en l’absence d’acide chlorogénique). Wesche- Ebeling et Montgomery (1990) ont montré que la présence de la catéchine augmente le taux de dégradation des anthocyanes de fraises par la PPO. Ils ont proposé que la réaction de brunissement était due à la copolymérisation des anthocyanes avec des produits de condensation formés par des réactions quinone-phénol. Cela conduirait à la formation de pigments bruns, tels que mélanine et phlobatanins (dimères ou trimères d’unités flavonoïdes), masquant la couleur rouge dans les fraises. Certains pigments polymériques contiennent des unitésquinone répétées qui pourraient être responsables d’une grande absorbance à 500 nm (Wesche-Ebeling et Montgomery, 1990). Selon Kader et al. (1999), le taux de dégradation des anthocyanes par la PPO est lié à leur structure. Les anthocyanes o-diphénoliques (delphinidine 3 glucoside et pétunidine 3-glucoside) sont plus rapidement oxydés que les autres (pélargonidine 3-glucoside). Les anthocyanes non o-diphénoliques ne devraient pas être sensibles à l’oxydation couplées mais peuvent réagir avec des quinones ou des produits secondaires d’oxydation pour former des copolymères (Kader et al., 1999). La peroxydase (POD) est une enzyme qui appartient au groupe des oxydoréductases, largement répandue dans le règne végétal. En présence de peroxyde d’hydrogène (H2O2), la POD est capable d’oxyder des composés polymérisées (Kader et al., 2002). Les deux enzymes, PPO et POD, sont impliquées dans le brunissement enzymatique des tissus végétaux. La PPO semble être la principale enzyme impliquée dans ces réactions mais le rôle de la POD dans le brunissement enzymatique n’est pas encore bien établi (Kader et al., 2002). Le mécanisme de la dégradation des anthocyanes par la POD reste inconnu. Peu d’études ont été consacrées à ce sujet puisque l’activité de la POD ne contribue pas significativement à la dégradation des anthocyanes dans les fruits (Kader et al., 2002).
Structure de l’anthocyane Les unités glycosyles et les groupes acyles fixés à l’aglycone et leur site de liaison ont un effet significatif sur la stabilité et la réactivité de l’anthocyane. De plus, le type de substitution de l’anthocyane, le nombre et l’emplacement des groupes hydroxyles et méthoxyles dans l’aglycone, affectent le comportement chimique du pigment (Rein, 2005). L’augmentation de l’hydroxylation de l’aglycone peut stabiliser l’anthocyanidine dans certains solvants ; la delphinidine est plus stable que la cyanidine dans le méthanol acide (Dao et al., 1998). Cependant, il existe des divergences liées à l’effet de l’hydroxylation de l’aglycone dans la stabilité de la molécule. Dans une solution tamponnée à pH 3,1, la cyanidine 3-glucoside (2 OH sur le noyau B) a montré une plus grande stabilité que la pélargonidine 3-glucoside (1 OH) mais la delphinidine 3-glucoside (3 OH) est moins stable que la cyanidine 3-glucoside (Cabrita et al., 2000). La pétunidine 3-glucoside (2 OH et 1 OCH3) est moins stable que la péonidine 3-glucoside (1 OH et 1 OCH3) (Cabrita et al., 2000). L’augmentation de la méthylation des groupes hydroxyles affaiblit la stabilité des anthocyanes, notamment en position C’4 et C’5 du noyau B (Mazza et Brouillard,1987a). Dans une solution tamponnée à pH 3, après 8 j de stockage à 10°C, la cyanidine 3-glucoside est plus stable que la pétunidine 3-glucoside, qui diffère de la première par une méthoxylation du C’5 (Cabrita et al., 2000). Le type d’unité glycosyle, attaché à l’aglycone, peut également influencer la stabilité des anthocyanes. Bronnum-Hansen et Flink (1985) ont rapporté que les anthocyanes avec un diholoside (sambubiose) étaient plus stables que les anthocyanes monoglycosilées.
Concentration en anthocyanes La concentration en anthocyanes est également un facteur qui affecte leur stabilité (Giusti and Wrolstad, 2003). Son augmentation favorise une plus grande stabilité de la couleur. La stabilité de la couleur du sirop de fraise est grandement améliorée par l’augmentation de la concentration des anthocyanes. Il a été observé que l‘effet de la concentration des anthocyanes totaux avait plus d’impact sur la stabilité de la couleur que l’ajout de différents types d’anthocyanes individuels (Skrede et al., 1992).
Copigmentation La copigmentation est un phénomène dans lequel les pigments et d’autres composés organiques incolores ou des ions métalliques, forment des associations moléculaires ou complexes, générant un changement ou une augmentation dans l’intensité de la couleur (Boulton, 2001). Certaines études suggèrent que la copigmentation des anthocyanes avec d’autres composés (copigments) est le principal mécanisme de stabilisation de la couleur dans les plantes (Davies and Mazza, 1993; Mazza et Brouillard, 1990). Les copigments sont des systèmes riches en électrons π qui sont capables de s’associer avec des ions flavylium, assez pauvres en électrons. Cette association hydrophobe protège le chromophore de l’attaque nucléophile de l’eau dans la position 2 de l’ion flavylium (Matsufuji et al., 2003). Les copigments peuvent être des alcaloïdes, flavonoïdes, acides aminés, acides organiques, nucléotides, polyosides, métaux ou d’autres anthocyanes (Matsufuji et al., 2003). Le phénomène de copigmentation produit un effet bathochrome. La longueur d’onde maximale dans le visible (λmax) est décalée vers une longueur d’onde plus élevée. Il s’accompagne également souvent d’un effet hyperchrome, dans lequel l’intensité de la couleur des anthocyanes augmente par copigmentation (Asen et al., 1972). La Figure 12 montre la variation de l’ordre de 20 nm de la longueur d’onde d’absorption maximale (déplacement bathochrome) et une augmentation d’un facteur 2 de l’intensité de la couleur (effet hyperchrome) pour la cyanidine 3-glucoside copigmentée avec de l’acide rosmarinique (Asen et al., 1972).  La copigmentation peut être obtenue via plusieurs interactions. Les mécanismes de copigmentation sont intramoléculaires et intermoléculaires (formations de complexes). L’auto-association et la complexation de métaux sont également des moyens possibles par lesquels se produit la copigmentation (Timberlake et Bridle, 1967).Les interactions intramoléculaires ont lieu lorsqu’un acide organique, un groupe acyle aromatique ou un flavonoïde (ou encore une combinaison de ceux-ci) sont liés de manière covalente à un chromophore anthocyanique, tandis que dans les interactions intermoléculaires prédominent probablement les forces de Van der Waals et l’effet hydrophobe qui conduit à un «empilage» de la molécule d’anthocyane avec le copigment (Bloor et Falshaw, 2000 ; Brouillard, 1981 ; Dangles et al., 1993a). Selon Dangles et Brouillard (1992), le résultat de la copigmentation est basé sur 2 effets : (1) la formation du complexe π-π qui provoque des changements dans les propriétés spectrales dans l’ion flavylium en augmentant l’intensité de l’absorption (effets bathochrome et hyperchrome) ; (2) la forme flavylium est stabilisée par le complexe π a partir d’une réaction en équilibre (flavylium + pyrocatéchol) qui déplace vers l’augmentation de la couleur rouge (complexe de transfert de charge) (Figure 13).
Sucres Les sucres sont naturellement présents dans les fruits mais ils peuvent être ajoutés au cours des processus de transformation (cas des nectars, concentrés, sirops, etc). Les sucres, ainsi que leurs produits de dégradation, sont connus pour diminuer la stabilité des anthocyanes (Meschter, 1953). Dans une étude réalisée par Daravingas et Cain (1968), tous les sucres testés (saccharose, fructose, glucose et xylose) ont augmenté la vitesse de dégradation des anthocyanes dans un milieu modèle à pH 3 après un mois de stockage à 50 °C. Parmi les produits typiques de dégradation du sucre, le furfural accélère la dégradation des anthocyanes plus nettement que l’hydroxy-méthylfurfural (Meschter, 1953). Les réactions des anthocyanes avec ces produits de dégradation des sucres et l’acide ascorbique, engendrent la formation de polymères et de pigments bruns (Meschter, 1953).

Facteurs exogènes

Température Lors des procédés de chauffage ou pendant le stockage, la stabilité des anthocyanes est affectée principalement par la température qui accélère toutes les réactions de dégradation (Adam et Ongley, 1973 ; Palamidis et Markakis, 1978). L’élévation de température à des pH de 2 à 4 induit la perte des groupements glycosylés des anthocyanes, par hydrolyse de la liaison glycosidique. Cela conduit à leur dégradation et une perte de couleur, puisque les formes aglycones sont beaucoup moins stables que leurs formes glycosylées (Adams, 1973). Cisse et al. (2012) ont étudié les pertes en anthocyanes dans des extraits d’Hibiscus sabdariffa lors de traitements thermiques et durant le stockage. Lors d’une pasteurisation à 90°C pendant 5 min, ils ont observé des pertes en anthocyanes de 4%. De plus, ils ont remarqué qu’un stockage pendant six mois à des températures de 4, 20, 30, 37 et 40°C entraîne des pertes respectives de 33, 45, 60, 70 et 80%. La dégradation thermique des anthocyanes peut conduire à une grande variété d’espèces en fonction de la sévérité du chauffage. Les principaux mécanismes identifiés dans la littérature montrent une scission des noyaux A et B des anthocyanes. Ces différents mécanismes de dégradation des anthocyanes sont résumés dans la Figure 14 (Hrazdina, 1971; Jurd et Asen, 1966; Patras et al., 2010 ; Sadilova et al., 2006 ; Salas et al., 2003 ; Schwarz et al., 2003 ; Seeram et al., 2001 ; Sun et al., 2011; Zhao et al., 2013). En majorité, la scission des noyaux A et B des anthocyanes conduit à des acides phénols tels que l’acide protocatéchique (pour la cyanidine) ou l’acide gallique (pour la delphinidine) et au phloroglucinaldéhyde ou ses dérivés. A pH acide, le mécanisme passe d’abord par une déglycosylation de l’aglycone suivie d’une hydratation formant ainsi un hémiacétal conduisant à la forme ouverte de l’aglycone (chalcone) qui est la première étape dans la dégradation thermique des anthocyanes (Adams, 1973 ; Markakis et al., 1957). Selon Markakis et al. (1957), le noyau hétérocyclique de la pseudobase incolore s’ouvre pour former une chalcone incolore (avant que l’hydrolyse de la liaison glycosidique ne se produise). La chalcone est ensuite transformée en un dérivé de glucoside de coumarine après clivage et perte du noyau B. Ce mécanisme a été proposé en réponse à l’absence d’anthocyanidine détectable pendant la décomposition de la pélargonidine-3-glucoside purifiée à pH 2 et 3,4 (Markakis et al., 1957). Adams (1973) a proposé un autre mécanisme. Les anthocyanes chauffés dans une plage de pH de 2 à 4, subissent d’abord une hydrolyse du sucre suivie d’une conversion de l’anthocyanidine en chalcone, ce qui donne par la suite une α-dicétone (Melanie et al., 2007 ; Williamson et Clifford, 2010) qui est très réactive à pH > 3 et susceptible de se décomposer en acide phénolique (Tableau 10) et aldéhyde (phloroglucinolaldéhyde) (Fleschhut et al., 2006 ; Keppler et Humpf, 2005 ; Surangi et al., 2013). Les voies de polymérisation restent encore indéterminées mais de précédentes études évoquent souvent la formation de « polymères bruns » (Kader et al., 1999) issus de la dégradation des anthocyanes par condensation ou polymérisation. Une voie de polymérisation à été proposée par Salas et al. (2003) faisant intervenir des anthocyanes glycosylés sous forme hydratée. De même, une voie de condensation entre un anthocyane et l’acide caféique induisant une perte de dioxyde de carbone est présentée par Schwarz et al. (2003). Mais les anthocyanes sont des molécules pouvant réagir de manières différentes du fait de leur structure chimique. C’est pourquoi l’étude des mécanismes réactionnels entre les anthocyanes et les différents composants de la matrice naturelle est extrêmement complexe. Il a été montré que le mécanisme de dégradation des anthocyanes est dépendant de la nature de l’anthocyane (Hrazdina, 1971). Hrazdina (1971) a identifié undiglycoside de coumarine en tant que produit de dégradation commun de lamalvidine, cyanidine, delphinidine, pétunidine, et péonidine 3,5-diglycoside dans la gamme de pH 3 à 7. Cependant, les anthocyanidine-3-glycoside ne forment pas de dérivés de la coumarine.
La teneur en oxygène L’oxygène présent dans une matrice alimentaire peut être modifié au cours d’un procédé. Sa présence est un autre facteur qui affecte la stabilité des anthocyanes en amplifiant l’impact d’autres processus de dégradation. Son élimination dans une matrice protège contre la dégradation thermique. La présence d’oxygène et une température élevée est la combinaison la plus favorable à la détérioration de la couleur de différents jus de fruits et d’anthocyanes (Nebesky et al., 1949). L’oxygène associé à l’acide ascorbique est préjudiciable à la stabilité de l’anthocyane du jus de canneberge (Starr et Francis, 1968). L’effet délétère de l’oxygène sur les anthocyanes peut avoir lieu à travers le mécanisme de l’oxydation directe et/ou par oxydation indirecte, dans lequel les composants oxydés du milieu réagissent avec les anthocyanes, donnant lieu à des produits incolores ou bruns (Jackman et al., 1987). En présence d’oxygène, d’enzymes et/ou de fer, les anthocyanes peuvent se dégrader selon un mécanisme mettant en jeu des intermédiaires de type quinone, très réactives. Ces composés peuvent par la suite donner lieu à des réactions de condensation avec les composés présents dans le milieu conduisant à la formation de polymères bruns selon la Figure 15 (Danilewicz, 2003 ; Kader et al., 1999 ; SarniManchado et al., 1997). Figure 15 : schéma de formation des polymères bruns (Perron et al., 2010) La complexité des produits obtenus dans ces réactions de polymérisation ne permet pas leur identification formelle. Certaines techniques, comme la mesure de l’indice de brun ou du pourcentage de couleur polymérique, permettent d’évaluer les changements dans la composition et la couleur des extraits (Brownmiller et al., 2008 ; Hager et al., 2008).

Réactifs chimiques et composés de référence

  Les solvants utilisés (méthanol, acétone, hexane et acétonitrile) sont tous de qualité CLHP, commercialisés par Carlo Erba (Val de Reuil, France). L’eau est de Qualité Milli-Q (Merck Millipore, Allemagne). L’acide formique, le DL-acide malique, l’acide chlorhydrique, le métabisulfite de potassium, la soude, le chlorure de fer, le chlorure de cuivre, le chlorure de manganèse, l’urée, la vanilline, l’acide acétique, l’acide sulfurique ainsi que la résine Amberlite XAD-16proviennent de Sigma-Aldrich (L’Isle d’Abeau, France). Le gel Sephadex G-25 provient de Pharmacia (Upsala, Suède). La delphinidine 3-O-sambubioside, la cyanidine 3-O-sambubioside et l’acide 3-caféoylquinique ont été fournis par Extrasynthèse (Genay, France). L’acide gallique, l’acide protocatéchique, le phloroglucinaldéhyde, la quercétine et le kampférol proviennent de Sigma-Aldrich (L’Isle d’Abeau, France)

Analyse des minéraux

Minéralisation par voie sèche et mise en solution Environ 500 mg de matériel végétal préalablement séché sont introduits dans une capsule en platine. La capsule est placée dans un four dont la température est progressivement augmentée jusqu’à 500 °C puis maintenue ainsi pendant 2 h. Un pallier est effectué aux alentours de 200 °C jusqu’à la fin du dégagement de fumées. Après refroidissement, les cendres sont humectées avec quelques gouttes d’eau puis 4 mL de HCl 6 N sont ajoutés. L’ensemble est laissé en contact 10 min puis filtré dans une fiole jaugée de 50 mL. Le filtre contenant le résidu est alors calciné à 500 °C. Un à 2 ml d’acide fluorhydrique sont alors ajoutés sur les cendres puis évaporés sur plaque chauffante. La silice contenue dans les cendres est ainsi volatilisée sous forme de SiF6. Le résidu est repris par 1 mL de HCl 6 N puis filtré dans la même fiole de 50 mL. Après avoir ajusté avec de l’eau au trait de jauge, la solution est homogénéisée par agitation.
Dosage La solution est analysée par un spectromètre d’émission plasma à couplage inductif ICP VARIAN VISTA (Victoria, Australie), équipé d’un détecteur CCD (Coupled Charged Device) permettant la détermination simultanée, à plusieurs longueurs d’onde, de tous les éléments de la classification périodique des éléments à l’exception des corps gazeux. Les dosages sont effectués en réalisant un étalonnage respectant les conditions du milieu analysé (matrice, acidité).

Méthode du saut de pH (pH-jump)

   La méthode utilisée est adaptée de celle décrite par Dangles et al. (1993b). Unecuve en quartz (d = 1 cm) contenant 1 mL de solution d’anthocyane est placée sous agitation magnétique dans un spectrophotomètre (SPECORD S600 Analytik Jena, Allemagne) équipé d’un cryostat F250 (Julabo, Allemagne). Un mL de NaOH est ajouté rapidement dans la cuve et les spectres (200-800 nm) sont enregistrés immédiatement à raison d’une mesure par seconde durant les 10 premières secondes puis une mesure toutes les 5 secondes jusqu’à atteindre l’équilibre d’hydratation. Le pH final est soigneusement mesuré. Il est compris entre 2,5 et 4,5. Pour chaque essai, au moins 10 concentrations de solution de soude sont utilisées et la durée de mesure (atteinte de l’équilibre) est comprise entre 1 min et 1 min 30 s selon la température à laquelle est effectuée l’expérimentation. A la fin de chaque essai, la solution la moins basique est acidifiée avec de l’HCl concentré sans dilution significative (20 µL) pour obtenir un pH inférieur à 1 et le spectre est enregistré. Tous les essais ont été réalisés trois fois. Cette analyse a également été effectuée à 25 °C sur de l’extrait d’hibiscus préalablement dilué 10 fois dans de l’acide malique 0,1 M (pH 2,2).

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Table des matières

Introduction générale
CHAPITRE I : Synthèse Bibliographique
1. Hibiscus sabdariffa
1.1 Présentation de la plante
1.2 Description botanique
1.3 Principales utilisations
1.4 Principales variétés
1.5 Importance socio-économique
1.6 Composition physico-chimique
1.6.1 Polyphénols
1.6.2 Anthocyanes
2. Stabilité des anthocyanes 
2.1 Facteurs endogènes
2.1.1 pH
2.1.2 Ions Métalliques
2.1.3 Enzymes
2.1.4 Structure de l’anthocyane
2.1.5 Concentration en anthocyanes
2.1.6 Copigmentation
2.1.7 Sucres
2.2 Facteurs exogènes
2.2.1 Température
2.2.2 La teneur en oxygène
3. Cinétique de dégradation des anthocyanes
3.1 Ordre de réaction
3.2 Constantes cinétiques au cours des procédés thermiques et du stockage
CHAPITRE II : Matériels et Méthodes
1. Matériels
1.1 Matériel végétal
1.2 Réactifs chimiques et composés de référence
2. Méthodes
2.1 Préparation des modèles d’étude
2.1.1 Préparation de l’extrait brut
2.1.2 Préparation de la fraction polyphénolique
2.1.3 Préparation des solutions modèles
2.2 Traitement thermique et stockage
2.3 Analyses physico-chimiques
2.3.1 Analyse des acides organiques
2.3.2 Analyse des sucres
2.3.3 Analyse des minéraux
2.3.3.1 Minéralisation par voie sèche et mise en solution
2.3.3.2 Dosage
2.3.4 Analyses des polyphénols
2.3.4.1 Identification par CLHP-SM
2.3.4.2 Quantification par CLHP-DAD
2.3.5 Suivi spectrophotométrique UV-visible dans les modèles d’études
2.3.6 Chromatographie d’exclusion
2.3.7 Mesure du pourcentage de couleur polymérique
2.4 Modélisation de la dégradation des anthocyanes
2.5 Étude de la fraction polymérique
2.5.1 Fractionnement de l’extrait
2.5.1.1 CLHP préparative
2.5.1.2 Analyse par résonance magnétique nucléaire
2.5.1.3 Hydrolyse acide de la fraction 1 (purifiée par CLHP préparative)
2.6 Détermination des constantes d’équilibre d’acidité et d’hydratation
2.6.1 Préparation des solutions
2.6.2 Méthode du saut de pH (pH-jump)
2.6.3 Identification de Ka et K’h avec la méthode de Brouillard
2.6.4 Identification de Ka et K’h par la Résolution Multivariée de Courbes par Moindres Carrés Alternés (MCR-LAS)
2.6.5 Paramètres thermodynamiques
2.7 Analyses statistiques
CHAPITRE III Résultats
1ère partie: Anthocyanins degradation during storage of Hibiscus sabdariffa extract and evolution of its degradation products 
1. Introduction
2. Materials and methods
2.1 Plant material
2.2 Reagents
2.3 Extract preparation, thermal treatment and storage
2.4 Identification and quantification of polyphenol compounds
2.5 Kinetic modeling of anthocyanin degradation
2.6 Spectrophotometric measurements
2.7 Analysis of minerals
3. Results and discussion
3.1 Identification and composition of polyphenols
3.2 Evolution pattern of anthocyanins during storage at different temperatures
3.3 Identification of dégradation compounds
3.4 Kinetics of the evolution of the UV-VIS spectrum during storage
3.4.1 Brown index
3.4.2 Polymeric color index
Conclusion
2 ème partie: Effect of temperature on acidity and hydration equilibrium constants of delphinidin-3-O- and cyanidin-3-O-sambubioside calculated from uni- and multi-wavelength spectroscopic data
1. Introduction
2. Material and methods
2.1 Solution preparation
2.2 pH-jump experiments
2.3 Equilibrium constant determination
3. Results
3.1 pH-Jump method
3.2 MCR method
3.3 Equilibrium constant in Hibiscus sabdariffa extract
4. Discussion
3 ème partie : Exploration of reaction mechanisms of anthocyanin degradation in a roselle extract through kinetic studies on formulated model media 
1. Introduction
2. Materials and methods
2.1 Plant material
2.2 Chemicals
2.3 Preparation of the extract and polyphenolic fraction
2.4 Preparation of model media
2.5 Analyses
2.6 Kinetic modeling of anthocyanin degradation
3. Results and discussions
3.1 Compositions
3.2 Comparison of stability of anthocyanins in extract and polyphenolic fraction
3.3 Effect of dissolved oxygen
3.4 Effect of constituents of extract studied in model media
3.4.1 Effect of metals
3.4.2 Effect of iron concentration
3.4.3 Effect of polyphenols
3.5 Mechanism of degradation of anthocyanins
CHAPITRE IV : Synthèse des résultats et discussion
1. Caractérisation physico-chimique de l’extrait d’hibiscus
2. Etude cinétique de la dégradation des anthocyanes dans l’extrait
3. Évolution des constantes d’équilibre en fonction de la température
4. Elucidation de l’effet des constituants de l’extrait sur la dégradation des anthocyanes en milieux modèles
5. Voies prépondérantes de la dégradation des anthocyanes dans l’extrait d’hibiscus
6. Étude de la voie de polymérisation
6.1 Paramètres colorimétriques de l’extrait
6.1.1 Densité de la couleur
6.1.2 Pourcentage de couleur polymérique
6.2 Paramètre colorimétrique dans les fractions monomériques et polymériques
6.3 Évolution des spectres UV-vis des fractions F1 et F3 et déconvolution par la MCR
6.4 Étude de la fraction polymérique
Conclusions générales et perspectives
Références Bibliographiques
ANNEXES

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