Vladimir Baranov-Rossiné : d’une avant-garde explosive à son élimination ?

L’entrée à l’Académie et les premières expositions : de 1909 à 1910

Baranov finit sa formation et obtient son diplôme de l’Ecole de dessin d’Odessa en mai 1908. Il est reçu quelques mois plus tard à l’Académie de Saint-Pétersbourg, institution prestigieuse où la plupart des maîtres de la peinture russes et ukrainiens ont été formés. À l’époque de l’entrée de Baranov, c’est Ilia Répine, âgé de soixante-quatre ans, chef de file des Ambulants qui dirige l’Académie.
Quant au déroulement de ses études, nous ne disposons que des renseignements réunis dans une lettre du Musée d’Etat Russe envoyée au fils de l’artiste, monsieur Dimitri Baranov, lequel a eu la gentillesse de nous la communiquer. Cette lettre nous informe sur la durée du séjour de Vladimir Baranov au sein de l’Académie Impériale. En effet, nous apprenons qu’il y entre au mois d’août 1908 et que son exclusion est décidée par l’administration académique en raison de son absentéisme. Baranov quitte les bancs de l’Académie en janvier 1909.
Début 1908, Baranov participe également à la quinzième exposition des Artistes de Moscou. Nous notons ensuite sa présence à l’exposition dite « Le Maillon » (Zvieno), à la fin de l’année 1908, que David Bourliouk organise après celle de La Guirlande dans laquelle Baranov présente deux études. Cette exposition, également connue comme l’« Exposition des jeunes artistes en colère », apparaît véritablement novatrice à plus d’un titre : les artistes présents sont à la fois des peintres, des poètes et des sculpteurs et ils exhibent leurs œuvres directement dans la rue, ils sont ainsi les premiers à user de la performance artistique. Cette exposition est importante puisque que c’est dans celle-ci que David Bourliouk publie son tract manifeste : La voix de l’impressionnisme. À la fin de l’année 1908, Baranov aurait également participé à l’exposition des Artistes Russes du Sud, comme en témoigne certains documents conservés aux archives du Musée d’Etat Russe.
Au printemps 1909, fin mars-début avril, alors qu’il est renvoyé de l’Académie Impériale depuis janvier, Vladimir Baranov participe à l’exposition Guirlande-Stephanos organisée à Saint-Pétersbourg. Celle-ci présente à travers soixante-dix-huit pièces le travail de seulement six artistes : Vladimir et David Bourliouk, Alexandra Exter, Lentoulov et Gausch . Baranov expose alors deux œuvres : Soleil et Midi. Le nom de Baranov apparaît ensuite lors de la rétrospective organisée par Nicolas Koulbine (1868-1917) en mars 1909 à Saint-Pétersbourg puis dans le cadre de La Guirlande, exposition « Impressionnistes », présentée en septembre 1909 à Kherson et comptant notamment comme participants:Elena Gouro, Matiouchine, Baranov, Kroutchonykh, Kamienski, etc.
A l’hiver 1909-1910, le jeune Vladimir est à Wilno pour la présentation des œuvres à l’exposition Les Impressionnistes où il montre au public près de huit tableaux dont Soleil, Inondation et Pleurs d’automne.
A partir de 1910, Baranov suit le chemin classique des jeunes artistes russes du siècle précédent par un séjour d’études en Europe pour tenter de parfaire la formation artistique. Nous l’avons remarqué précédemment les grands maîtres de la peinture russe séjournent en France. Nous nous proposons donc à présent de retracer l’épopée artistique de Baranov en France et en Europe à partir de l’année 1910.

La naissance de l’avant-garde ukrainienne : une avant-garde dans l’avant-garde

Des créateurs en rébellion : les origines de l’Avant-garde ukrainienne

Au début du XXe siècle, la Russie fait montre d’un certain piétinement sur le plan économique par rapport aux empires voisins. Nicolas II cherche à rattraper son retard technologique depuis le début des années 1890 afin de faire contrepoids face à la Triple alliance Germano-Austro-Italienne. De fait, il s’allie politiquement et militairement (1891 et 1893) à la France, laquelle fournit l’essentiel des importations russes de capitaux grâce à des emprunts d’Etat, les fameux emprunts Russes, sources de maints investissements industriels.
Ce phénomène entraine un processus d’industrialisation rapide dans les grandes agglomérations telles que Saint-Pétersbourg et Moscou dont le corollaire est la constitution d’un prolétariat considérable aux conditions de vie désastreuses.
Toujours dans une volonté d’expansionnisme financier, le Tsar désire conquérir le marché économique du Pacifique Nord. La Russie procède alors par intimidation et contraint les grandes puissances européennes, comme la France et l’Allemagne, au renoncement de la part du Japon à son annexion de la péninsule du Liandong, laquelle lui revenait de fait par le traité de Shimonoseki, suite à sa victoire sur la Chine en 1895.
L’année suivante, Nicolas II obtient même la concession du chemin de fer Transmandchourien, l’un des tronçons du Transsibérien, consacrant ainsi son implantation économique dans l’est de la Chine. En outre, le gouvernement chinois accepte de lui transférer le bail de la ville de Port-Arthur pour vingt-cinq ans. La Russie va modeler PortArthur en bastion militaire russe en y établissant sa flotte. Parallèlement, le Japon est plongé dans une situation économique désastreuse, due à son retard industriel, et cherche lui aussi à accéder au rang de grande puissance industrielle et économique. Il étend donc sa sphère d’influence sur le continent asiatique, en Corée et en Mandchourie, ce qui suscite un climat de tensions politiques accrues avec la Russie.
Malheureusement, Nicolas II et ses conseillers, aveuglés par la conviction de leur supériorité militaire et tactique, restent impuissants face à l’attaque surprise de Port-Arthur par l’armée japonaise qui réduit à néant la flotte russe. Cette guerre constitue un échec cuisant pour Nicolas II mettant en lumière la vulnérabilité du régime autocratique russe, qui se révèle inapte à toute remise en question et incapable de pratiquer une politique d’anticipation des événements. La défaite russe revêt un caractère international puisqu’elle annonce le premier échec d’une puissance européenne face à un peuple non occidental et annonce les prémices du déclin de l’empire russe.
Nicolas II doit parallèlement gérer un pays en proie aux crises sociales liées à une expansion démographique et à une industrialisation rapides, cette dernière se réalisant au détriment des propriétaires terriens, des paysans, voire de la noblesse.
Les nombreuses défaites militaires essuyées par les Russes ont pour conséquence d’accélérer la mise en place d’un processus de rébellion contre l’autocratie tsariste. Pour la première fois en Russie, une effervescence contestataire touche toutes les classes de la société russe. D’une part, les nobles critiquent le poids de l’appareil administratif tsariste au sein des zemstvos (les administrations locales élues). D’autre part, les ouvriers, victimes de la crise économique, décident de manifester pacifiquement afin de déposer au Tsar une pétition comportant leurs suppliques. Malheureusement, la réponse de Nicolas II correspond à la terrible répression du « Dimanche Rouge » de janvier 1905 à SaintPétersbourg, provoquant ainsi la mort d’un millier de manifestants composés pour la plupart de femmes, d’enfants et de vieillards.
La contestation anti-tsariste gagne le milieu agricole qui connaît des jacqueries paysannes de plus en plus fréquentes, et atteint le milieu estudiantin qui dénonce violemment leur statut universitaire. En outre, les régions périphériques à la Russie comme la Finlande, la Pologne et le Caucase s’élèvent contre la politique de russification menée par le régime impérial ; enfin, la sédition du Cuirassé Potemkine à Odessa annonce la fin du joug arbitraire des officiers sur les marins, lesquels avaient refusé catégoriquement de s’alimenter avec de la viande avariée et recouverte de vers.
Les choix de Nicolas II sur le plan de la politique extérieure et nationale montrent les limites atteintes par le régime autocratique. Même s’il crée la Douma un an après la révolution de 1905, seule concession accordée par le Tsar, et transforme de fait la monarchie autocratique en monarchie constitutionnelle, il n’en demeure pas moins que cette assemblée équivaut à un simulacre de liberté, ce qui se vérifie par la suite. Tous ces événements frappent la conscience des Russes et ce, quelle que soit leur classe sociale.
Ainsi, la révolution de 1905 laisse derrière elle, une empreinte indélébile puisqu’elle consacre l’esprit de révolte d’une partie de la population sur le plan politique et social. Dès lors, la dénonciation de la politique sclérosée du régime tsariste ne fait que grandir pour aboutir aux événements irréversibles d’octobre 1917. Cependant, la circulation d’idées politiques et sociales réformatrices ainsi que la notion de modernité liée à l’industrialisation rapide dans les grandes villes de Russie, essaiment infailliblement des idées novatrices dans le milieu de l’art.
Il est évident que l’état d’esprit est à la protestation et que le terrain est propice pour cette jeunesse, avide d’un renouvellement de toutes les formes d’art.

David Bourliouk, le metteur en scène de la première avant-garde

L’histoire de la première avant-garde russe, appelée avant-garde ukrainienne, est étroitement liée à l’histoire du phalanstère crée autour de David Bourliouk. C’est en Ukraine que David (1882-1967) et Vladimir (1886-1917) Bourliouk créent un groupe d’artistes qui fonde le noyau de la première avant-garde. Ce cercle culturel est né dans la propriété de la famille Bourliouk, appelée La Tchernianka, située dans la province de Tauride en Ukraine.
David Bourliouk est le premier des six enfants issus de l’union de David Fedorovich et de Ludmilla Mikhnenvich, fille d’un avocat ayant reçu, une bonne éducation dans la ville de Kiev. Le père lui, était l’intendant du domaine Tchernopodolinski et à ce titre avait publié diverses brochures sur l’agronomie qui le rendirent célèbre. Il aurait adopté, selon les dires de son arrière-petite fille, « le système de rotation des cultures et des formes primitives d’irrigation pour augmenter les récoltes, mesures qui lui valurent d’administrer des domaines de plus en plus grands ».
Mais, c’est l’exposition à Odessa qui se déroule du 4 décembre 1909 au 10 juillet 1910 dont le titre est Premier salon de VI. Izdebsky organisée par le sculpteur Vladimir Izdebsky (1881-1964), qui établit pour notre phalanstère un virage fondamental dans leur approche d’une nouvelle esthétique. En effet, les tendances les plus représentatives de l’art européen moderne sont exposées et parmi les participants l’on rencontre : N.Altman, Bonnard, Braque, Balla, Bakst, Vuillard, Werefkin, Gleizes, Maurice Denis, Van Dongen, Kandinsky, Larionov, Lentoulov, Machkov, Matiouchine, Odilon Redon, Rouault, Signac.
Le Fauconnier, Exter ou encore Jawlensky. A l’été 1910, David Bourliouk reçoit à la Tchernianka un certain nombre d’artistes avec qui il fonde son phalanstère « espéré ». Le groupe prend dans un premier temps pour nom les Hyléens.

Hylea : terre promise « des jeunes artistes en colère »

A l’été 1910, les Bourliouk reçoivent leurs amis à la Tchernianka « ou comme les deux frères préféraient l’appeler, Hyléa version de ce mot en grec ancien ».
Ainsi s’y côtoient les poètes Vélimir Khlebnikov (1885 Oblast d’Astrakhan-1922), Benedikt Livchits (1886 Odessa-1939), Kamienski et de nombreux peintres comme Alexandra Exter (1882 Byalistok-1949), Mikhail Larionov (1888Tiraspol-1964), E.Sagaïdatchny (1886-1961), Vladimir Tatline (1885-1953) , Elena Gouro et son mari Matiouchine qui est musicien, compositeur et peintre Benedikt Livchits, qui a côtoyé la famille Bourliouk, raconte dans son livre sur l’épopée du futurisme l’atmosphère qui régnait à « Hylae, l’antique Hylae, foulée par nos pieds prenait la signification d’un symbole et devait devenir un drapeau. »
David Bourliouk et ses amis décident de fonder le groupe des Hyléens. De fait, l’arrivée sur la scène artistique de ce groupe Hylea « pour qui le calme et le quiétisme (kéleïnost) avaient cessé d’être les seules qualités obligatoires pour l’oeuvre picturale, et qui se distinguait par une ouïe artistique plus déliée » marque radicalement un jalon dans l’histoire de l’art russe et ouvre la voie à la modernité.
David Bourliouk et ses partisans se rebellent contre la vieille tradition héritière des principes de l’Académie impériale de Saint-Pétersbourg. Ces jeunes artistes ukrainiens ressentent alors peu à peu le sentiment de rejet de l’héritage du passé. Cependant, il ne s’agit pas de rompre avec n’importe quel passé artistique mais de condamner celui issu de la vieille tradition. David Bourliouk déclare d’ailleurs : « Que le grand art aille se faire fiche ! ».
Ce phalanstère refuse l’art réaliste social pratiqué par les peintres Ambulants, l’esthétique raffinée et décorative du symbolisme de « la Rose-Bleue » , et le modern style encouragé par le Monde de l’Art. Dorénavant, leur intérêt se porte sur la création d’un art de l’avenir, d’un art où tout est à construire. À ce titre, ils choisissent de s’appeler les Aveniristes (Boudietlanie).
De plus, David Bouliouk et ses compagnons éprouvent une passion pour l’art populaire et le folklore ukrainien qu’ils cherchent à associer à l’art russe. Passionnés par les enseignes des boutiques et les images populaires (loubkis), ils commencent à les collectionner et s’en inspirent dans leurs réalisations artistiques. Ainsi, ils opèrent un renversement dans la hiérarchie des valeurs puisque l’artisanat change de statut pour devenir un art à part entière. Leurs regards se dirigent également sur les innovations artistiques européennes dont ils ont connaissance grâce à l’apport d’Alexandra Exter qui effectue à partir de 1907, des séjours parisiens de plusieurs mois et qui rapporte un nombre impressionnant de revues et publications artistiques ainsi que des photographies d’œuvres ; l’ensemble formant un véritable trésor d’informations esthétiques. Valentine Marcadé évoque les Hyléens en ces termes.

« les Futuristes prennent les commandes ! » : l’épopée du Futurisme

Naissance et tentative de définition du futurisme russe

Avant de tenter de définir le futurisme, nous devons rappeler qu’au commencement ce phalanstère se dénomme Hyléa. Dans le même temps le poète Khlebnikov invente le néologisme Boudietlianie, les aveniriens ou hommes du futur ou « Boudietlianstvo », formé du verbe être à l’infinitif « être » au futur et d’un suffixe qui est la contraction du mot le monde slave. »
Les premiers germes du Futurisme russe éclosent après la publication dans la presse moscovite, le 8 mars 1909, du Manifeste Futuriste dans le journal, Le Soir, Vetcher. Pour Marinetti, son auteur, il s’agit de capter l’attention du public, d’abord parisien, puisque le Manifeste est publié dans le journal le Figaro à Paris, qui se focalise sur les expériences cubistes de Braque et de Picasso et de l’amener à s’intéresser aux réalisations artistiques des futuristes Milanais. En effet, ces derniers exaltent la beauté de la vitesse, clament leur fascination pour le monde industriel, la glorification de « la guerre – seule hygiène du monde » et la destruction des musées et des bibliothèques. Ils recherchent l’expression picturale du mouvement et revendiquent sa décomposition et sa représentation aussi bien en peinture qu’en sculpture.
Les jeunes artistes russes gravitant autour de David Bourliouk, marqués par la découverte du cubisme, fraternisent alors avec certains principes du Manifeste futuriste de Marinetti mais nous verrons qu’il existe des différences entre les deux tendances.

Caractéristiques du futurisme russe et divergences avec le futurisme italien

C’est dans l’écriture des manifestes que nous trouvons les principes du futurisme russe. Ces publications représentent des supports à la fondation de la collectivité futuriste et constituent des vecteurs de diffusion de leurs idées. En 1910, le manifeste des peintres futuristes revendique la libération de la peinture « de la tradition académique » . Les Hyléens ou futuristes veulent, à l’instar des futuristes italiens, la destruction de l’Académie. Ils luttent pour rompre avec la vision artistique rétrograde du passé, avec celle d’un art sous la tutelle de l’Académie de peinture de Saint-Pétersbourg, en opposition avec la tendance réaliste sociale des Ambulants. Cependant, c’est avec la publication du manifeste Gifle au goût du public signé par D.Bourliouk, V.Maïakovski, A.Kroutchonykh, V.Khlebnikov fin 1912 que le groupe futuriste pose les bases des principes futuristes. Valentine Marcadé relate : « Ce n’est qu’avec le recueil « Gifle au goût public », paru en décembre 1912 sur du papier d’emballage que seront formulés de façon précise les concepts des futuristes russes » . Les futuristes russes promulguent l’incompréhensibilité de l’Académie et indiquent que : « Le passé est étroit. L’Académie et Pouchkine sont plus incompréhensibles que les hiéroglyphes. Il faut jeter Pouchkine, Dostoïevski, Tolstoï, et Cie, par-dessus le bord du navire de l’Epoque contemporaine. »
Gifle au goût public s’ouvre avec cette phrase « Nous seuls sommes le visage de notre temps. Dans l’art c’est nous qui sonnons le cor du temps ». Bourliouk et ses complices de fait écartent les symbolistes et les artistes issus du Monde de l’Art.
Les futuristes russes refusent l’idée de la beauté de l’esthétisme et du « bon goût », d’ailleurs dans leur manifeste Gifle au goût public il est question de s’attaquer et de gifler le« bon goût ».
Dans cette idée de gifler le bon goût, ils décident d’organiser des actions, des performances pendant lesquelles ils récitent leurs manifestes. Leurs lectures sont organisées telles des spectacles qui doivent scandaliser le public. Celui-ci doit être pris à parti et malmené. Ainsi lorsque Kroutchenykh récite Gifle au goût public, il renverse du thé sur le public qui se met à hurler ! Tout ce comportement n’est pas le fait du hasard puisque les futuristes ambitionnent d’établir une relation entre l’art et la vie par l’action. Ils désirent créer une relation forte avec le public en le déstabilisant, ils vont même jusqu’à se peinturlurer le visage. Leurs performances sont intentionnelles puisqu’elles doivent susciter la polémique et des réactions au sein du public. Les futuristes se réunissent dans le cabaret du Chien errant à Saint-Pétersbourg et au cabaret de la Lanterne Rouge à Moscou à partir de 1913. De plus, ils prônent le culte de la machine et du modernisme, à l’instar de leurs homologues italiens. Ils repensent l’art et ambitionnent de le rénover et de le révolutionner. De fait, ils cherchent à atteindre la radicalité de l’art grâce aux innovations techniques. Etre un futuriste, c’est, entre autres, d’avoir pour dessein de modifier les formes poussiéreuses de la création artistique existantes et de projeter l’expérimentation artistique dans une nouvelle dimension.
En outre, les futuristes russes et italiens se présentent comme un mouvement artistique en rupture dans le cadre du système littéraire et pictural. C’est dans un tel contexte que les futuristes italiens et russes rêvent de former une langue nouvelle et universelle où chacun pourrait communiquer. Anne Tomiche explique dans son essai sur les avant-gardes futuristes.

Un Futurisme russe ou des futurismes russes ?

En 1910, le groupe d’artistes rassemblé par D.Bourliouk s’appelle les Hyléens et élabore une stratégie commune visant à la révolution des arts. Rapidement, Khroutchenykh crée le néologisme des Aveniristes ou Budetlanie pour se démarquer des futuristes Italiens et Maïakovcki rajoute « les Aveniristes sont les hommes de demain. Nous sommes à la veille de ce demain. »
En 1910, l’exposition du Valet de Carreau, Boubnoviï Valet, signifiant dans le langage des cartes « l’arnaqueur », présente non seulement les dernières réalisations des Aveniristes mais aussi d’artistes représentants des dernières tendances de l’art moderne ou d’avant-garde. Cette première exposition du Valet de Carreau s’avère courte puisqu’elle se tient de décembre 1910 à janvier 1911.
Sur les trente-huit participants avec une présentation de 250 œuvres, nous trouvons les noms de Vladimir et David Bourliouk, Gontcharova, Larionov, Machkov, Exter, Falk, Lentoulov, Survage et Malévitch… Y sont invités également les Russes de Munich Kandinsky et Werefkin, et des peintres français comme A.Gleizes, Le Fauconnier, L.A. Moreau. D’ailleurs, cette exposition scandalise Ilia Répine, maître tout-puissant de l’Académie impériale, qui dans un geste de désapprobation à la vue de la première salle, se met à cracher par terre pour signifier sa répulsion. Valentine Marcadé parle de l’impact majeur de cette exposition pour les Futuristes.
Nous pouvons poser l’hypothèse suivante en reprenant les mots de David Bourliouk qui affirme que « le futurisme n’est pas un école mais une nouvelle attitude » . Cette formule explique que le futurisme russe ne constitue pas un système artistique homogène mais donne naissance à différentes tendances et à des groupements divers dont le dénominateur commun fut la soif de nouvelles formes d’art de l’avenir alliée au maintien d’une certaine tradition à travers, notamment, la référence au primitivisme.
Il est donc primordial de garder en mémoire que le futurisme des Hyléens ouvre la voie aux autres mouvements artistiques et annonce le néo-primitivisme, le cubo-futurisme, le rayonnisme et le suprématisme. Même si le futurisme italien a influencé le futurisme russe, ce dernier s’en est détaché rapidement pour devenir parfaitement autonome et inscrire sa propre destinée dans l’histoire de l’art russe. Il est donc essentiel de noter l’importance de cette phalange d’artistes ukrainiens à la naissance de la première avant-garde russe, appelée également avant-garde ukrainienne, que l’on délimitera de 1907 à 1917. En effet, la plupart des artistes futuristes sont natifs d’Ukraine (Larionov et Malévitch étant à demi ukrainiens), ce qui nous permet de déduire que le berceau de la première avant-garde est à chercher en Ukraine et non pas en Russie. De fait, Baranov appartient et participe à cette avant-garde ukrainienne.
Pour conclure notre partie sur le futurisme nous devons mentionner que la caractéristique majeure des futuristes réside dans leur pluridisciplinarité puisqu’ils recherchent l’interaction entre les tous les arts et la matérialisation du concept de l’œuvre d’art totale, mis en place par Wagner au siècle précédent. L’alliance de la peinture et de la musique sera évoquée avec Victoire sur le Soleil, opéra suprématiste de Malévitch, Matiouchine et Khlebnikov ainsi qu’avec la création du piano optophonique de BaranovRossiné. Evgenia Petrova déclare à ce propos.

 

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Table des matières
Avant – Propos : L’Ukraine 
Introduction 
Première partie
Vladimir Baranov-Rossiné, un acteur de l’avant-garde ukrainienne
A. Vladimir Baranov-Rossiné : le parcours d’un artiste Ukrainien
1) Contexte artistique et années de formation
a. Le foyer culturel d’Odessa : une formation artistique déterminante
b. Retour sur la peinture de paysage russe au XIXe siècle
2) Un peintre sous influences
a. L’influence des maîtres de l’école de dessin d’Odessa sur Baranov
b. L’influence des revues artistiques et des mécènes
c. L’importance des collectionneurs dans la diffusion de l’art occidental et russe en Russie
d. La primauté accordée à la créativité individuelle : postulat des impressionnistes et de l’école de dessin d’Odessa
3) Œuvres de jeunesse et expérimentations
4) L’entrée à l’Académie Impériale des Beaux-Arts et les premières expositions : de 1909 à 1910
B. La naissance de l’avant-garde ukrainienne : une avant-garde dans l’avant-garde
1) Des créateurs en rébellion : les origines de l’avant-garde ukrainienne
a. Le contexte politique russe avant 1907
b. David Bourliouk, le metteur en scène de la première avant-garde
c. Hylea : terre promise « des jeunes artistes en colère »
2) « Les Futuristes prennent les commandes ! » : l’épopée du futurisme
a. Naissance du futurisme et tentative de définition du futurisme
b. Caractéristiques du futurisme russe et divergences avec le futurisme italien
c. Un futurisme russe ou des futurismes russes ?
Deuxième partie 
Les années parisiennes (1910-1914) : une carrière artistique pluridiciplinaire et prolifique
A. Paris, épicentre des recherches de l’avant-garde russe
1) La tradition du voyage parisien pour les jeunes artistes russes
2) La Ruche: centre de création et refuge des artistes de l’avant-garde russe et ukrainienne
3) L’expérience du cubisme et du futurisme
a. Baranov : L’arrivée d’un artiste de l’avant-garde russe
b. Baranov : le cubisme cézannien
c. Le cubisme de la Section d’Or et le cubo futurisme
B. Un artiste en quête de nouvelles expériences
1) Vers de nouvelles expérimentations: l’Orphisme et premiers pas dans l’abstraction
2) Le temps des séries : Adam et Eve et l’Apocalypse
3) Baranov : un peintre en quête d’érotisme ?
4) Premiers pas dans l’art abstrait
C. L’expérimentation de la sculpture : de la sculpture cubiste aux contre-reliefs
1) « La sculpto-peinture » : les tableaux reliefs de Baranov et la sculpture cubiste
2) Les contre-reliefs : l’influence d’Archipenko sur Baranov, les contre-reliefs de Tatline
Troisième Partie 
Vladimir Baranov-Rossiné : d’une avant-garde explosive à son élimination ?
A. Le choc de la révolution : une avant-garde en pleine ascension
1) Contexte historique
2) Lounatcharski protecteur des artistes de l’avant-garde russe
3) La révolution : un stimulateur de création artistique ?
4) La réorganisation du système artistique et le rôle dévolu à l’artiste
B. Du constructivisme à l’élimination de l’avant-garde
1) Le conflit Malevitch et Tatline
2) Un nouvel état d’esprit : le constructivisme
3) Vers l’élimination de l’avant-garde
C. Le cas Baranov
1) les années de transition : de 1914 à 1917
2) Une production hétéroclite : 1918-1922
3) La quête de la synthèse des Arts : l’alliance de la peinture et de la musique
Conclusion
Bibliographie

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