SQUAT ET SQUAT ARTISTIQUE
Définition du squat
«Squatter, c’est occuper un bâtiment abandonné sans avoir demandé l’autorisation à son « propriétaire ». C’est, de fait, ne pas payer de loyer à des proprios qui possèdent plus d’un logement quand nous n’en possédons aucun. Squatter, c’est critiquer en actes un système qui veut que les riches continuent de s’enrichir sur le dos des pauvres. Squatter, c’est aussi habiter au sens plein du terme : c’est être libre et responsable dans son lieu de vie. C’est pouvoir y faire ce que l’on veut sans se référer à un proprio qui de toute façon n’y vit pas.
C’est aussi un moyen de survie quand on ne peut pas/plus payer de loyer (un moyen qui peut mener à se questionner sur nos façons de vivre, sur le travail, la famille, la vie collective, le train-train quotidien, sur les possibilités de vivre nos idées dans une telle société). Chaque squat est différent. Le quotidien dépend largement des contextes politique, socioéconomique, juridique, inter relationnel, etc., mais tout squat est « politique », dans la mesure où il bouleverse, même parfois involontairement, l’ordre social et la propriété privée.
Le squat est généralement dépendant des espaces laissés à l’abandon par la bourgeoisie, l’État et le système capitaliste. Il ne peut être considéré comme un but, mais tout au plus comme un moyen. Mais pas n’importe quel moyen : au-delà du logement, le squat peut être un lieu de résistance et d’expérimentation. Squatter, c’est prendre une part de l’interdit, briser la soumission à la légalité, c’est une recherche d’autonomie. L’espace ouvert par les squats permet aussi de se retrouver dans des pratiques diverses : autogestion, gratuité, entraide, récupération/recyclage, occupations en tous genres, ouverture sur l’extérieur et confrontation des façons de vivre, débats, réflexions, …
Le terme de squat semble se diviser en plusieurs définitions qui séparent les regards portés sur les squats et leurs occupants, et donc qui influent sur la difficulté de l’intégration des squats dans le paysage urbain. Ainsi la nuance réside dans le fait de la condamnation de l’existence d’un tel lieu et de ses occupants.
La première définition, issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, évoque des faits historiques. Mais surtout, le squat est ici défini par sa notion primaire : l’illégalité de l’occupation des squatters.»
Squatter
A.[Aux États-Unis, 1827] Pionnier qui s’installait sans titre de propriété et sans payer de redevance sur les terres encore inexploitées de l’Ouest.
Occupant d’un habitat précaire qu’il a installé sans titre légal dans un terrain vague d’une zone urbaine.
B.[En Australie, 1854] Éleveur de moutons qui pâturait des terrains jusque-là inoccupés moyennant le paiement d’une redevance au gouvernement.
C.[1946]. Occupant sans titre d’un logement, d’un local, d’un emplacement vacant.
Squat
n. m. (du verbe anglais to squat : s’asseoir sur les talons, s’accroupir, se blottir)
A.Occupation illégale d’un local, d’un immeuble.
Faire un squat. Occuper un local attribué à d’autres personnes.
B.Espace, local, immeuble ainsi occupé.
Et il y a des artistes de ces collectifs qui sont partis, donc qui sont devenus…
Marjorie :Ouais alors ça change beaucoup bien sûr, il y a le collectif Cran qui a éclaté. Ça a commencé un peu à être tendu entre ceux qui ne voulaient pas trop ouvrir le lieu, parce que ça demandait aussi beaucoup de travail d’accueil. L’organisation de soirées où nous finalement, les artistes qui travaillaient à Bitche devenaient des encadrants de soirées. Ça devenait obligatoire pour la sécurité de la chose. Bah les gens on pouvait pas leur laisser la salle sans être accompagnés. Donc certains ont commencé à dire que « Ouais ça prend trop de temps, on aimerait bien continuer à bosser pour nous tu vois euh… et arrêter de trop ouvrir euh… » Et notamment trop de concerts euh… qui a commencé à amener des plaintes de voisins hein.
Bah oui, parce que beaucoup de monde euh, plus de bruit, euh… un public euh… une populace un petit peu alcoolisée euh… tout ça à gérer quoi. Un bar à gérer, les entrées. Tout ça quoi. Donc ça a commencé un peu à débattre sur ça. Et euh… voilà. Et il y a… alors moi j’étais pas là quand on les a invités, il y a eu l’association Câble… donc je sais pas si tu connais un peu, ils font le festival Câble. Euh… qui est musique expérimentale, Jazz expérimental, qui est mené par Louis LeGuttri entre autre. Ils étaient à Bitche donc on les a… euh… donc c’était Gabriel et merde comment il s’appelle, je sais plus (rires)… Rémi qui a invité l’asso’ Câble à un peu, euh… avoir résidence à Bitche, presque pérenne. Ils les ont invités à faire partie du collectif Cran quoi. Et entre… euh…. Ce qui s’est passé c’est qu’il y a eu des mésententes avec ce collectif qui faisait des grosses soirées concerts, des festivals, qui amenait énormément de public… voilà et ils commençaient à investir les ateliers…
Ils ont investis les ateliers en mode fumoir, voilà donc bon… à s’accaparer un peu plus les espaces de travail euh… Bon une fois de temps en temps mais bon c’était voilà… Il y a des problèmes qui ont commencé à arriver et puis forcément des disputes entre personnes qui étaient pas du même avis sur le projet de ce qu’on peut faire à Bitche. Sur les espace, sur comment on organise les espaces, comment on organise les lieux. Donc moi, Gabriel et quelques autres, on s’est fighté un peu avec certains Cran et je crois qu’on était plus trop dans la même directive, la même vision des choses. Et donc on a crée Gabriel et moi euh… et quelques uns aussi qui nous ont suivis, on a recrée l’association Intervention Expérimentation. C’était pour recréer une dynamique hein, un espace associatif. Et peut-être pour casser cet effet squat aussi quelque part.»
Evolution du squat par sa publicité
Le squat est défini par certains artistes-squatters comme une «œuvre totale».
En effet, ce n’est plus uniquement ce que les artistes produisent qui importe, c’est aussi l’ensemble dans lequel les artistes produisent. Car le lieu n’est plus qu’un espace d’exposition, il fait partie intégrante de la création des artistes. C’est pourquoi nous pouvons comprendre le terme d’œuvre totale.
La notion de publicité dans le squat semble importante car c’est une des forces d’un tel lieu. C’est être accessible à tout le monde, n’importe quand. Il y donc un besoin d’ouverture sur l’extérieur, allant du voisinage à des groupes d’artistes étrangers ou encore des touristes (comme c’est le cas au 59 rue Rivoli à Paris). Et plus que l’ouverture physique sur l’extérieur, cela semble être plutôt une ouverture d’esprit et une façon d’être, à l’instar de l’idéologie des mouvements hippies des années 70 en
France. Il s’agit d’un besoin et d’un appel au partage, dans un lieu investi de façon collective. Cependant, malgré ce partage et cette appropriation commune dans un squat, il n’existe que peu de production commune.
A la différence des squats d’habitations, connotés comme précaires, insalubres et lieux d’isolement, le squat artistique se révèle être à la fois une alternative en terme d’habitat mais aussi de lieu de travail pour les artistes. Alors que le squat d’habitation collectif peut générer finalement une sorte de communautarisme qui s’isole de l’extérieur, les lieux alternatifs s’inscrivent alors dans une démarche d’investissement urbain et de production de liens sociaux au sein de la structure-même mais aussi avec le monde extérieur. C’est pourquoi les collectifs d’artistes qui occupent ces lieux sont souvent impliqués dans l’événementiel des villes. Pour exemple, le collectif nantais C’est Pas Nous, dont j’ai pu en rencontrer deux artistes dans le bar Les sales gosses, participe à quelques événements proposés par la ville de Nantes. Ils sont alors contactés par la Ville. Il en est de même pour Bitche qui a déjà participé au Voyage à Nantes, et Pol’n qui est aussi amené a travaillé avec les services d’aménagement et de la culture à la tête de la ville de Nantes.
Cependant, il semble y avoir un certains fossé entre le squat artistique et le lieu artistique indépendant vis-à-vis de l’implication des lieux dans la vie d’un quartier ou de la ville. En effet, les squats artistiques semblent plus fermés, sûrement du fait de leur statut juridique. Le lieu indépendant, lui cherche à créer dans une optique d’indépendance mais régulée et officielle. Ainsi, ce dernier semble plus en relation avec les maisons de quartier, les mairies, que ce soit pour des interventions à l’extérieur de leur cadre de travail (ateliers, travail de communication, performance pour de l’événementiel, …) ou bien au sein même de leur lieu de travail. Il s’avéreraitalors qu’officialiser un lieu culturel alternatif permette de le rendre aussi publique plus facilement. Le rendre publique c’est alors assurer l’élargissement des profils de personnes intéressées, mais aussi construire une réputation et un projet qui puisse motiver les élus à investir dans un tel lieu et à diversifier la culture dans les villes.
Malgré tout, il n’est pas aussi simple de se démarquer vis-à-vis des communes et de s’affirmer en tant que projet artistique concret. Il est intéressant de voir comment les occupants de squats d’habitation et lieux culturels alternatifs s’adaptent à la loi, et comment celle-ci peut être amenée à évoluer suivant les événements.
UN LIEU ENTRE ILLÉGALITÉ ET LÉGALITÉ
L’occupation illégale des squats d’habitation
« Du point de vue juridique, le squatter est l’occupant sans titre d’un domaine privé ou public ; mais si le lieu d’occupation ne sert pas d’habitation et de résidence réelle à un citoyen, il n’y a pas violation de domicile et aucune sanction pénale n’est prévue, sauf bris ou effraction. Même dans ce cas, il est possible d’invoquer « l’état de nécessité » dans lequel se trouvent les personnes pour les exonérer de leur responsabilité pénale. L’expulsion est ensuite soumise à une procédure judiciaire précise auprès du tribunal de grande instance. Les forces de l’ordre ne peuvent intervenir que dans un laps de temps très court (moins de quarante-huit heures), période au-delà de laquelle le squat est reconnu comme le domicile de l’occupant. Une fois l’expulsion prononcée, des délais peuvent être accordés, qui tiennent compte de « la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations », de ses ressources, de sa situation familiale, des conditions atmosphériques. La reconnaissance implicite d’un « droit au logement » depuis quelques années semble amorcer une clarification de la norme d’État. Par décision du 19 janvier 1995, le Conseil constitutionnel a reconnu que « la possibilité de pouvoir disposer d’un logement décent constitue un objectif à valeur constitutionnelle ». Par conséquent, l’existence de normes de référence est loin d’être évidente et, de fait, les représentations des agents des diverses institutions ne sont pas homogènes. » (Isabelle Coutant).
Le squat en tant que lieu d’expression artistique
Dans une approche de réappropriation de lieux laissés à l’abandon, les collectifs d’artistes et même artistes indépendants s’inscrivent dans le paysage urbain par leurs actions culturelles. Malgré tout, le squat artistique est éphémère. Et pourtant cette notion semble être prise d’un point de vue positif, puisqu’elle constitue une sorte de pression où tout va très vite ; cette conscience du court terme crée entre autre une émulation de l’imagination, qui amène les occupants à produire sans limites. Les squats artistiques sont donc investis « à fond » durant une période, souvent variante mais toujours relativement courte. En effet, il peut être présenté comme un lieu de travail, de représentation et d’activités culturelles dans un quartier, le squat artistique reste malgré tout illégal. À l’image de l’Appeau, occupé par des musiciens. Bien que le lieu ait accueilli des soirées et concerts, il a dû fermer sur demande du propriétaire, BMH2 . Le collectif de Bolv’Art, à Paris, écrit sur son site et explique leur vision sur leur propre façon de faire.
Du squat artistique au lieu indépendant
Le squat artistique étant dans une situation instable d’un point de vue judiciaire et administratif, d’autres collectifs réussissent en parallèle à proposer des lieux culturels alternatifs régularisés. C’est le cas des Ateliers de Bitche et de Pol’n par exemple. Il est alors intéressant de comprendre comment cela se passe, et en quoi cette officialisation change par rapport au squat artistique dans le fonctionnement des lieux.
Dans les deux cas étudiés, il s’agit d’associations. C’est-à-dire que le collectif d’artistes possède un statut reconnu par la loi. Il y a donc une organisation, un règlement, des conditions pour adhérer, un engagement envers le collectif à respecter… D’ailleurs, nous retrouvons des similitudes dans le fonctionnement des deux structures nantaises.
Comme me l’explique Marjorie de l’association Interventions Expérimentations, Bitche a une histoire assez mouvementée du point de vue de sa régularisation et de son acceptation.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
Car le squat, au-delà de la précarité qu’il dégage et dont il résulte, est un lieu collectif.
N’ayant pas de réel propriétaire, chaque occupant en devient le gestionnaire. De plus, l’histoire des mouvements de squatters a démontré que cette idéologie du vivre-ensemble, du partage des biens et de l’autonomie financière avait engendré une part importante dans la motivation des squatters. Aujourd’hui des mouvements sociaux s’organisent encore, à l’image du squat de migrants nantais rue Maurice Sibille, et Notre-Dame-des-Landes. Ces actions démontrent que le squat d’habitation est encore un moyen, et non une solution, face aux problèmes sociaux et sociétaux. Aujourd’hui, face aux revendications des mouvements de squatters contemporains, des collectifs s’organisent comme Jeudi Noir ou l’Atelier des archis dans l’optique de proposer de nouvelles façons de faire la ville : «Nous croyons au principe de «co-construction», c’està-dire une façon de concevoir des logements en faisant collaborer architectes et futurs habitants, sans être soumis aux exigences de rentabilité du bailleur. Aujourd’hui, d’autres modèles tels que le «cohousing» commencent à émerger, portés par des réseaux d’architectes qui préfèrent agir avec les usagers, plutôt que d’attendre le réveil des maîtres d’ouvrage traditionnels. Et c’est ce qu’on a essayé d’accomplir place des Vosges.»
En parallèle de ces lieux d’habitations illégaux ou de ces nouvelles façons de penser l’habiter, la culture dans les villes s’émancipe et de nouvelles façons de produire investissent les rues. C’est le cas des lieux culturels alternatifs, qui représentent des espaces collectifs qui fonctionnent comme des centres d’expérimentations artistiques.
Mais en plus d’être occupés par des artistes, ils assurent le développement culturel dans les villes en organisant des événements à l’échelle du quartier ou à l’échelle urbaine. Cette tendance résulte du besoin de liberté dans la façon d’agir de la part des artistes qui conçoivent les méthodes institutionnelles trop cadrées et, dans un sens, nuisibles à l’émulation de l’imagination. Ce sont alors des lieux vivants, avec une activité qui s’étend au dehors du lieu investi jusqu’à s’impliquer dans la vie culturelle des métropoles. Aujourd’hui, 59 Rivoli est considéré comme un haut lieu touristique parisien. C’est ainsi que la culture du squat artistique et de l’artiste nomade qui prend part à l’occupation de divers lieux abandonnés évolue (à l’image du collectif C’est Pas Nous). Depuis quelques années les collectifs d’artistes réussissent à pérenniser leur travail dans des espaces inoccupés en régularisant leur situation et leur façon d’agir. Grâce aux différents exemples étudiés, nous avons pu constater que le fonctionnement de chaque structure diffère selon les squats. Malgré tout, nous pouvons en retenir le fait qu’il s’agit de lieux collectifs, où la vie communautaire est mise en avant et symbolise ce besoin de vivre-ensemble. La question du squat continue de faire débat. La loi change et semble durcir l’intégration du squat dans les villes, amenant les occupants à trouver d’autres façons d’investir des lieux. Du point de vue des squats artistiques, ils semblent inscrits dans un réseau assez discret, même si très diffusé sur internet. L’illégalité de l’activité pourrait les pousser à opérer plutôt dans l’ombre, mais le partage fait aussi partie de la pratique artistique. Ces lieux sont alors ouverts au public, puisque par ailleurs aucun des occupants ne se considère comme propriétaire. L’éphémère est alors associé à la précarité de ces espaces qui ne sont pas déterminés à fonctionner administrativement. L’officialisation des lieux permet cependant une diffusion plus large de l’activité alternative voire marginale de l’art en dehors des institutions. Malgré cela, ces lieux peinent à s’imposer dans le paysage politique puisqu’ils revendiquent malgré tout leur indépendance dans leur action sans être financièrement indépendants. Les collectivités ont donc le dernier mot sur ce qu’il adviendra de la structure et de ses activités.
Ces lieux alternatifs sont de plus en plus convoités. Lors de visites à Pol’n, j’ai pu observer de nombreuses personnes en familles ou seules qui visitaient simplement le lieu et l’exposition. Au vu du nombre de personnes que peuvent réunir ces structures lors d’événements, nous pouvons comprendre que la culture alternative s’est plutôt démocratisée du point de vue du public, même si ce dernier reste assez ciblé.
Pour finir j’aimerais revenir sur cette question du collectif d’artistes « indissociable du squat »évoquée par Emmanuelle Maunay. C’est une affirmation discutable puisque des collectifs ont aujourd’hui un statut juridique, un lieu mis aux normes et loué. À l’inverse, si nous prenons le terme de squat de façon générale, définissant plutôt le monde du squat (c’est-à-dire le monde de l’art alternatif), nous pouvons dès lors comprendre que le squat, de part sa liberté de mouvements et d’actions est un lieu destiné à la production artistique. Autrement dit, ne pouvons-nous pas plutôt nous demander si ce n’est tout simplement pas l’art qui est indissociable du squat ?
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Table des matières
Prélude
Introduction
I. Squat et « squat artistique »
1. Définition du terme de squat
2. Histoire du squat
3. Du squat à l’atelier d’artistes
II. L’organisation amenant de la solitude au partage
1. Vivre le squat, un lieu stéréotypé
2. Activités et relations au sein du squat artistique
3. Evolution du squat artistique par sa publicité
III. Un lieu entre illégalité et légalité
1. L’occupation illégale des squats d’habitation
2. Le squat en tant que lieu d’expression artistique
3. Du squat artistique au « lieu indépendant »
Conclusion et perspectives
Bibliographie
Annexes
Table des matières
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