Visage actuel de l’enseignement des sciences expérimentales
Les sciences ont eu à jouer dans l’essor des sociétés humaines un rôle considérable qui est attesté depuis plusieurs siècles. Elles ont été à l’origine de certaines inventions, des formes d’organisations économique, sociale et politique les plus spectaculaires que le monde ait connues. Ce constat justifie l’importance que devraient avoir les études, en général, et l’enseignement des sciences, en particulier, dans tout système éducatif.
La société a beau avoir besoin de bien plus de spécialistes dans les domaines scientifiques, les élèves ont beau être renseignés sur les possibilités qu’offre une formation scientifique, il est étonnant dès lors, comme l’écrivent Larochelle et Désautels (1992, cité par Tatchou, 2004, p.11) de noter que « les élèves, lorsque la filière scolaire le leur permet, évitent soigneusement les sections scientifiques ». Cette désertion de l‟enseignement scientifique a été confirmée par l‟Association Internationale pour l‟Évaluation du Rendement scolaire (I.E.A, 2007) . Nous rappelons qu’en février 1997 un test avait été effectué sur les connaissances des élèves en sciences et en mathématiques dans 41 pays. Les résultats avaient montré une carence des élèves en sciences mais aussi que les pays comme le Japon, Singapour, la Chine et certains pays de l‟Est de l‟Europe grâce à leur avancée économique remarquable devançaient de loin des pays comme la France et la Belgique dans le domaine des études scientifiques. Cependant, sur le plan de développement, les pays de l’Est ne sont pas plus avancés que la France.
Ces résultats avaient montré aussi que les élèves de quelques pays en développement qui avaient pris part à ces tests obtenaient les scores les plus bas de tous les pays aussi bien en mathématiques qu’en sciences. En outre, ce rapport faisait état d’énormes différences entre pays développés et pays en développement. Pourtant, entre les nations qui avaient en commun des traits culturels, linguistiques, socio-économiques et autres, les différences étaient faibles. L’influence de l’expérience sur l’apprentissage des sciences physiques par les élèves était aussi commentée dans ce rapport.
Certains travaux s’étaient intéressés à l‟enseignement expérimental.
« En France, à partir de l’année scolaire 1997-1998 les élèves des écoles primaires de cinq départements vont expérimenter une méthode d’enseignement importée de Chicago. C’est » l’opération Charpack », du nom du prix Nobel de physique 1992. Georges Charpack promoteur en France de ce projet, qui propose la mise en place des sciences expérimentales à l’école primaire, espère ainsi contourner « le manque d’intérêt ou la médiocre qualité de l’enseignement scientifique » (Ratziu,1998, p.11) .
Dans le cadre de l‟enquête du programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), 57 pays, 30 états membres de l‟organisation de la coopération et de développement économique (OCDE) et 27 pays partenaires ont participé au projet. Il s‟agissait de faire une étude comparative des élèves en mathématique, en français et en culture scientifique. Les performances des élèves du Luxembourg de 15 ans en culture mathématique et en compréhension de l‟écrit sont restées stables entre PISA 2003 et PISA 2006. Pour la culture scientifique, ce type d‟analyse ne sera possible qu‟à partir de PISA 2009.
En Belgique, l‟explication des mauvais résultats des étudiants et des élèves dans les matières scientifiques dans un esprit de changement pédagogique nous permet de rappeler avec Lebrun (1999) que :
«- le développement exponentiel des savoirs de ces dernières décennies et l’impossibilité ou la non pertinence de vouloir tout enseigner;
– le degré élevé de déperdition de ces savoirs par les élèves (ou étudiants) d’une année à l’autre ou encore entre l’école (ou l’université) et l’activité quotidienne (ou professionnelle);
– le caractère trop théorique, trop magistral ou trop peu contextualisé des enseignements par rapport aux besoins quotidiens (et aux réalités du terrain);
– le caractère passif de l’apprentissage de l’élève (ou l’étudiant) par rapport au seul transmetteur du savoir qu’est l’enseignant bien seul face au nombre de plus en plus élevé d’élèves (ou d’étudiants);
– le faible niveau d’activité cognitive (savoir-redire) ou méthodologique (prendre des notes) par rapport aux compétences nécessaires dans la vie quotidienne ou dans le champ des activités (savoir lire un article, consulter un ouvrage, une encyclopédie) » (pp. 21-33).
Dans le domaine des sciences physiques, il semble s’imposer une autre approche provenant des résultats de la recherche en didactique. C’est ainsi que Ratziu (2000, p.60) souligne que « les tendances rénovatrices plus récentes prônent l’inclusion de l’étude des liens entre les sciences, les technologies et la société, dans l’éducation aux sciences (perspective dite STC) ».
Selon Mathy (1997, p.44) « A côté de facteurs sociétaux généraux, des visions théoriques nouvelles en épistémologie et sociologie des sciences ont influencé ces réformes. Des bases de données sur les conceptions des élèves et des enseignants ont été constituées, afin de diagnostiquer les problèmes, d’élaborer de nouveaux curriculum (sic !) de formation des enseignants et des élèves, et de mesurer l’impact et l’efficacité de ce curriculum ».
Pour Wolfs (1998, p.18) « La tendance actuelle des programmes scolaires à mettre l’accent sur la notion de compétence vise notamment à inciter les enseignants à ne pas enseigner de manière strictement linéaire, cloisonnée ou morcelée des savoirs, savoir-faire ou savoir-être mais au contraire à imaginer des situations d’apprentissage en classe, orientées vers la résolution de problèmes ou la réalisation de projets qui font appel à l’intégration et au transfert de ces savoirs, savoir-faire et savoir-être. Ce qui n’exclut évidemment pas des moments de structuration et de fixation des acquis ».
Après avoir décrit l’enseignement des sciences expérimentales dans quelques pays développés, nous allons examiner le cas de certains pays en voie de développement en tenant compte du fait que le programme scolaire d‟un pays se construit selon son système éducatif. Le diagnostic effectué par de nombreux chercheurs sur les systèmes éducatifs africains et sur l‟état de l‟enseignement des sciences dans ces systèmes montre que la situation n‟est pas meilleure en Afrique. Voici par exemple l‟état des lieux des systèmes éducatifs africains tels que « synthétisé » par Brandolin (1996, p.18 et 19)
« Elèves : effectifs pléthoriques dans les classes urbaines, redoublements et abandons excessifs, situation encore plus défavorisée pour les filles, absence de débouchés pour tous, etc. Maîtres : formation insuffisante, sous-qualification, mauvaises conditions de travail, absence de contrôle et d’encadrement pédagogique, rémunération précaire, pas de statuts, manque de suivi des carrières, faible considération sociale, etc.
Enseignants : programmes et méthodes inadaptés, inadéquation formationemploi, insuffisance ou absences de manuels scolaires et guides pédagogiques, etc. Moyens: locaux insuffisants, et en mauvaise état, manque d’entretien, absence ou délabrement du mobilier, fournitures et livres scolaires mal gérés et mal entretenus, peu ou pas de matériel didactique, etc. » .
Importance de l‟expérimentation en sciences physiques
La physique et la chimie, comme toutes les sciences expérimentales, s‟appuient sur l‟expérience pour construire les savoirs, élaborer des théories, mettre au point des modèles et confronter ces théories et ces modèles aux faits expérimentaux afin de les valider ou de les réfuter. L‟enseignement de ces sciences physiques doit mettre l‟accent sur la place des activités expérimentales dans l‟apprentissage de cette discipline. Cet enseignement ne doit pas être compris comme un postulat ou une mode mais plutôt comme une conviction qui tient du fondement épistémologique de la physique. La physique utilise des concepts et des modèles qui lui sont propres et qui visent, non seulement à rendre compte des faits, mais aussi à les prévoir de façon qualitative et quantitative. L‟élaboration et la validation des modèles ou des théories scientifiques s‟appuient principalement sur l‟expérience (Johsua, 1989). Quant à l‟expérience, elle joue un rôle déterminant dans l‟enseignement des sciences physiques. Elle constitue un support pédagogique pour la maîtrise des concepts physiques suivant que la méthode adoptée est :
-inductive : dans ce cas l‟expérience constitue la base fondamentale par laquelle découle l‟énoncé des lois et des principes.
-déductive : l‟expérience et les applications vérifient les principes et les lois de départ.
Il ne servirait à rien d‟enseigner la physique et la chimie si l‟on ne montrait pas aux élèves que c‟est l‟expérience qui permet de rejeter un modèle, de le valider plus ou moins partiellement ou d‟en établir les limites.
D‟après Kane (2004, p.18) « Les rôles respectifs de la théorie et de l’expérience dans l’élaboration du savoir savant ont été une préoccupation importante des épistémologues et des physiciens ». Aujourd‟hui, la primauté de l‟expérience ou de la théorie est un débat dépassé et, selon Abragam (1996), théorie et expérience sont indissociablement liées. Ces va et vient entre théorie et expérience sont au cœur des démarches du physicien, ils permettent de valider les savoirs de la physique.
« Si on considère que la physique et la chimie sont des activités intellectuelles, alors la formation à ces activités intellectuelles doit être au centre de leur enseignement. Il ne faut pas enseigner les résultats des sciences comme des données à croire mais comme des résultats produits par des méthodes » (Joëlle, 2001, p.01).
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE I. PROBLÉMATIQUE DE LA RECHERCHE
Introduction
1) Contexte et objet de la recherche
1.1) Visage actuel de l‟enseignement des sciences expérimentales
*En Europe
*Dans les pays subsahariens
1.2) Importance de l‟expérimentation en sciences physiques
1.3) Les caractéristiques de l‟expérimentation en sciences physiques au Sénégal
1.3.1) Repère historique des programmes de sciences physiques : de la colonisation à nos jours
1.3.2) Finalités et objectifs généraux des nouveaux programmes dans le secondaire
1.3.2.1) Les finalités
1.3.2.2) Les objectifs
1.3.2.3) La population scolaire du moyen, secondaire général et technique
1.3.3) Les activités expérimentales pratiquées dans les lycées et collèges
1.3.3.1) Expérience de cours
1.3.3.2) T.P cours
1.3.3.3) Travaux pratiques
1.3.3.4) Résultats des enquêtes menées sur les trois types d‟activités expérimentales pratiquées au Sénégal
1.3.4) Les conditions d‟expérimentation des activités expérimentales en sciences physiques
1.3.5) Les obstacles matériels, pédagogiques et méthodologiques
1.3.5.1) Les obstacles d’ordre matériel
1.3.5.2) Les Obstacles méthodologiques et pédagogiques
1.4) Questionnement large du sujet de recherche
1.5) Objet de la recherche
2) Objectifs de la recherche
CHAPITRE 2. CADRE THÉORIQUE ET REPÈRES ÉPISTÉMOLOGIQUES
Introduction
1) L’option constructiviste
2) L’expérimentation en sciences physiques : synthèse de la littérature
2.1) La situation de l‟enseignement expérimental de quelques pays européens
2.1.1) La pratique des enseignants de sciences en Europe
2.1.2) Des objectifs aux compétences en sciences expérimentales
2.1.3) Les enjeux d’apprentissage pour les activités expérimentales
3) Repères épistémologiques sur les rôles de l’expérience et des activités expérimentales en sciences physiques
3.1) Historique relatif aux rôles de l‟expérience en rapport avec le programme français
3.2) Option inductiviste
3.3) Rôles de l‟expérience et des activités expérimentales en sciences physiques
3.3.1) Activités expérimentales illustrant un cours
3.3.1.1) Les limites des activités expérimentales illustrant un cours
3.3.2) Activités expérimentales réalisées par les élèves
3.3.3) Quelle relation entre activités expérimentales, cours et exercices ?
3.3.4) Conclusion des rôles de l’expérience et des activités expérimentales en sciences physiques
4) Les modes didactiques des activités expérimentales
4.1) Le mode de familiarisation pratique
4.2) Le mode d‟investigation empirique
4.3) Le mode d‟élaboration théorique
5) Conclusion du cadre théorique et des repères épistémologiques
CHAPITRE 3. CADRE CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE
Introduction
1) La notion de transposition didactique
2) La notion de « savoir » dans l’enseignement des sciences
2.1) Définitions
2.1.1) Savoir
2.1.2) Le savoir savant
2.1.3) Le savoir à enseigner (prescrit)
2.1.4) Le savoir enseigné
2.1.5) Les savoirs issus de l‟expérience : cas des activités expérimentales en électrocinétique de la seconde « S »
2.1.5.1) Les savoirs conceptuels
2.1.5.2) Les savoirs procéduraux
2.1.5.3) Les savoirs épistémologiques
3) Le concept d’expérience
3.1) Définitions
3.1.1) Les fonctions des expériences scolaires
3.2) Expérience et connaissance
3.3) Qu’est-ce qu’une science expérimentale?
3.3.1) Repère historique de la science expérimentale
3.3.2) Quelques critères caractérisant une science expérimentale
4) Le concept d’expérimentation
4.1) Définitions
4.2) Les fondements de l’expérimentation scolaire
5) Le concept de démarche expérimentale
* La démarche expérimentale du chercheur
La démarche expérimentale scolaire
CONCLUSION GÉNÉRALE