Villes et urbanisation de l’Arabie du Sud à l’époque préislamique

LES REPRÉSENTATIONS MENTALES DU CADRE GÉOGRAPHIQUE 

Le cadre géographique dans lequel nous envisageons notre étude correspond dans ses grandes lignes à une entité territoriale aujourd’hui unifiée, la république du Yémen et les régions frontalières, ce que nous désignons par Arabie du Sud. Calquer cette emprise géographique dans l’étude de la période préislamique est-elle pour autant cohérente etlégitime ? Cette unité est-elle uniquement une représentation mentale contemporaine ou trouve-t-elle sa raison d’être dans les représentations qu’avaient d’elles-mêmes les populations antiques ?

L’unification de la région sous une seule autorité est tardive ; elle n’est effective qu’à partir du règne de Shamir Yuhar‘ish au début du IVe s. Au Ier millénaire av. J.-C. et aux trois premiers siècles de l’ère chrétienne, le territoire est divisé en plusieurs royaumes indépendants dont l’identité se définit par la langue et lepanthéon(Figs 21-25). Dans son acception la plus large, le territoire en tant que référent identitaire est le royaume, ce dernier étant généralement mentionné de manière allusive . Au cours de la période préislamique, il n’est jamais fait mention d’un référent identitaire se rapportant à l’ensemble de l’Arabie du Sud. Si le terme Yamanat apparaît au IVe s., son acception reste ambiguë et ne semble pas désigner l’actuel Yémen, pas plus qu’il ne le désigne au cours de la période médiévale. Il est par ailleurs peu vraisemblable que la représentation mentale du territoire d’appartenance dépassât de beaucoup les limites des espaces cultivés environnants. Les monographies urbaines regroupées dans le cadre d’analyses régionales trouvent notamment leur raison d’être dans ce phénomène et leur intérêt en découle.

Toutefois, le choix d’une étude portant sur un espace relativement large, au détriment de l’étude d’un seul des nombreux royaumes qui ont divisé le territoire sudarabique au cours de la période préislamique, tient à l’intérêt que nous portons à la perception d’ensemble d’une dynamique évolutive. D’une part, aucun des différents royaumes n’est représentatif à lui seul des changements qui caractérisent l’Arabie du Sud tout au long de la période étudiée. D’autre part, ces entités sont soumises à une dynamique commune qui les amène progressivement à une centralisation de plus en plus forte. La prise en compte de l’Arabie du Sud dans son extension maximale, enfin, est justifiée par les points communs qui caractérisent cette partie de la péninsule Arabique, qu’ils soient environnementaux (l’hydrologie notamment) ou culturels (alphabet commun, culture  matérielle commune, divinités communes). Ces  dynamiques convergentes seront ainsi traitées dans la dernière partie de ce volume.

LES FORMES DU RELIEF 

La nature du relief et les grands ensembles qu’il dessine ont eu une influence sur l’extension des réseaux urbains sudarabiques et sur le rapport qu’ont entretenu les groupes de population entre eux. L’hydrologie a conditionné de manière conséquente le choix des sites d’implantation. Aussi convient-il de décrire ce cadre environnemental, déterminant dans la compréhension des comportements humains, par les contraintes exercées sur les populations. L’Arabie méridionale est bordée à l’ouest par la mer Rouge, au sud par le golfe de ‘Adan et au sud-est par la mer d’Arabie. Elle se subdivise en cinq ensembles géographiques (Fig. 3).

La plaine côtière

La plaine côtière est une zone marginale formée de deux bandes de terre enserrées entre mers et montagnes. L’une correspond à l’actuelle plaine de la Tihâma, le long de la mer Rouge ; l’autre se situe le long du golfe de ‘Adan et de la mer d’Arabie, au sud des monts yéménites et du plateau méridional du Hadramawt (Jawl). La Tihâma n’excède pas 60 km de large, elle est parcourue transversalement par descours d’eau saisonniers (wâdî) débouchant des montagnes à l’est de la plaine et formant des cônes alluviaux couvrant un substrat cristallin ou calcaire de dépôts sédimentaires quaternaires. La température moyenne élevée et le fort taux d’humidité (75 à 85 %) rendent cet espace peu hospitalier (Fig. 4) . La côte méridionale est une bordure de rift étroite entre le golfe de ‘Adan et une zone montagneuse au dénivelé important. Cette région aride offre peu de mouillages, elle n’est traversée que par quelques wâdîs. La plaine côtière se caractérise par une occupation ancienne, une culture mégalithique  et des échanges tournés vers la mer et la Corne de l’Afrique. Les contacts avec l’intérieur du pays ne se développent que tardivement (vers le début du Ier millénaire). Si le transport d’obsidienne semble mettre en contact les populations tihâmies avec celles des Hautes-Terres dès l’âge du bronze, les sources d’approvisionnement de la Corne de l’Afrique semblent toutefois être privilégiées . À partir du début de l’ère chrétienne, cette région connaît un essor avec le développement d’un commerce maritime et l’implantation de sites portuaires.

Les Hautes-Terres 

Un ensemble montagneux couvre une large partie de l’Ouest et du Sud-Ouest de l’Arabie du Sud. Il est formé d’un socle de roches cristallines précambriennes recouvert au sud-ouest par des épanchements volcaniques tertiaires. Des veines d’obsidienne sont localisées dans la région du jabal Isbîl, au nord-est de la ville de Dhamâr (Fig. 5). La chaîne de montagne qui longe la péninsule Arabique sur toute sa bordure occidentale culmine aux environs de San‘â’ à 3660 m. La ligne de partage des eaux étant décentrée vers l’ouest, le ruissellement se fait surtout d’ouest en est, en direction du Ramlat as-Sab‘atayn. Trois ensembles se dégagent :
– le flanc occidental qui plonge abruptement vers la Tihâma, au relief disséqué où alternent des vallées encaissées et des crêtes rigides (Fig. 6).
– les Hauts-Plateaux centraux, d’une altitude moyenne de 2 000 à 2 500 m, d’aspect tabulaire, où se juxtaposent buttes, collines rocheuses et cuvettes (Figs 7-8).
– les Hauts-Plateaux orientaux, qui s’interrompent brutalement pour laisser place à la steppe aride puis au désert du Ramlat as-Sab‘atayn. Ces plateaux sont traversés par de nombreux wâdîs. Des établissements sédentaires s’implantent dans cette région dès le IIIe millénaire av. J.-C. Jusqu’à la fin de la période préislamique, la densité de l’occupation y est croissante et les contacts avec l’intérieur du pays y sont de plus en plus nombreux. Enfin, elle est le cœur de plusieurs royaumes sudarabiques, notamment ceux de Himyar et de Sam‘y, elle forme également une partie importante des royaumes de Qatabân et de Saba’.

Les plateaux du Hadramawt 

Cette formation calcaire du Paléocène et de l’Éocène occupe toute la moitié orientale de l’Arabie du Sud ; elle culmine à 1 000 m d’altitude. Cette formation, dite Jawl , est disséquée par un réseau dense de talwegs qui draine les eaux de pluie en direction du wâdî Hadramawt. Ce dernier incise le Jawl transversalement, d’est en ouest. Le wâdî Hadramawt se poursuit sous le nom de wâdî Masîla vers l’est, jusqu’à la mer. Les wâdîs forment des vallées plates, bordées d’accumulations limoneuses et délimitées par des falaises calcaires (Fig. 9). La région du Zufâr se situe dans le prolongement de ce plateau calcaire et adopte une morphologie identique. Dans la région du Hadramawt, une occupation humaine a été reconnue dès le Paléolithique, caractérisée par les vestiges d’ateliers de débitage lithique accompagnés de sites d’habitat temporaire sur les plateaux. L’âge du bronze se caractérise par l’établissement de petits sites d’habitat en amont des wâdîs. L’âge du fer est marqué par une occupation dense des fonds de vallées.

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Table des matières

INTRODUCTION
CADRES D’UNE ÉTUDE DU FAIT URBAIN SUDARABIQUE
CADRE ENVIRONNEMENTAL
1 – Les représentations mentales du cadre géographique
2 – Les formes du relief
a – La plaine côtière
b – Les Hautes-Terres
c – Les plateaux du Hadramawt
d – Les marges du pourtour du Ramlat as-Sab‘atayn
e – Le Ramlat as-Sab‘atayn
3 – Le climat
4 – L’hydrologie et l’irrigation
5 – La végétation
CADRE CHRONOLOGIQUE
1 – Étudier le long terme à dessein
2 – Périodisation et terminologie
a – Entre chronologie courte et chronologie longue
b – Terminologie pour une périodisation
3 – Le conditionnement historique d’une dynamique urbaine
a – L’âge du bronze
b – La période proto-sudarabique (1200-800 av. J.-C.)
c – La période sudarabique ancienne (800-110 av. J.-C.)
d – La période sudarabique moyenne (110 av. J.-C. – 300 ap. J.-C.)
e – La période sudarabique récente (300–560)
f – La domination perse sassanide (560–630)
NATURE ET LIMITES DES SOURCES
1 – L’épigraphie sudarabique
2 – La Bible, le Coran et la Gloire des Rois
3 – Les sources classiques
4 – Les sources médiévales
5 – Les récits des voyageurs
6 – Les recherches scientifiques et les données de terrain
a – Historiographie de la recherche en Arabie du Sud
b – Les données de terrain : avantages et insuffisances d’une recherche récente
LA VILLE ET SON ENVIRONNEMENT SOCIAL : DÉFINITION DE CONCEPTS EN CONTEXTE
DÉFINIR LA VILLE SUDARABIQUE
1 – Des langues qui jettent le trouble
a – HGR : la ville sudarabique ?
b – MSN‘T, ‘QBT et ‘RR : des sites à fonction défensive ?
c – QRY, ‘SD ; DWR : une terminologie régionale ?
2 – Définir la ville sudarabique par des critères quantitatifs
a – L’obtention de données chiffrées : étude surfacique et paléodémographique
b – Les limites des données surfaciques
c – Le périmètre irrigué comme substitut ?
d – Les limites des données démographiques
3 – Définir la ville par des critères qualitatifs : les fonctions urbaines
a – Identifier les fonctions urbaines sur le terrain
b – Les limites de la caractérisation des fonctions urbaines
c – Au-delà des réserves, les fonctions comme critères de choix
L’ARABIE DU SUD : UNE SOCIÉTÉ SEGMENTAIRE
1 – ’hl (’ahl)
2 – Byt (bayt)
3 – S2‘b (Sha‘b)
a – Le s2‘b minéen
b – Le s2‘b qatabânite
c – Le s2‘b sabéen
4 – La dynamique sociale, clé de lecture de la dynamique urbaine
ÉTUDES RÉGIONALES DU PEUPLEMENT
MÉTHODOLOGIE ET FINALITÉS
LA RÉGION DU JAWF
Spécificités régionales
Les sites
Kharibat Hamdân (Hrm, Haram)
Kamna (Kmnhw, Kaminahû)
As-Sawdâ’ (Ns2 n, Nashshân)
Al-Baydâ’ (Ns2 q, Nashq)
Ma‘în (Qrnw, Qarnaw)
Barâqish (Ythl, Yathill)
Inabba’ (’nb’, Inabba’)
Jidfir Ibn Munaykhir (Khl, Kuhâl)
Hizmat Abû Thawr (Mnyt, Maniyat ; Mnht, /Manhat)
La vallée du Jawf : Spécificités et dynamiques régionales du peuplement
a – Continuités et dynamiques du peuplement
b – Résilience d’une structure urbaine
LES BASSES-TERRES SABÉENNES
Spécificités régionales
Les sites
Kharibat Sa‘ûd (Ktl, Kutal)
Al-Asâhil (‘rrt, ‘Ararât)
Ma’rib (Mryb, Maryab ; Mrb, Marib)
Sirwâh-Khawlân (Srwh, Sirwâh)
Yalâ (Hfry, Hafaray)
Hajar ar-Rayhânî (Mrd‘, Marda‘)
CONCLUSION

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