Imaginons, imaginons une salle de psychomotricité, c’est le lieu principal de l’action. C’est le lieu des prises en charge, d’échanges et de discussions pour la professionnelle et la stagiaire. La structure est un Institut Médico-Educatif (IME). Il est fréquenté par quatre-vingt dix jeunes de trois à plus de vingt ans environ. Il y a trois entités : l’Institut MédicoPédagogique (IMP), l’Institut Médico-Professionnel (IMPro) et l’Iinstitut Médico-Adapté (IMA). En ce qui concerne les bâtiments, la structure est aménagée sur deux niveaux. Le rez-de-chaussée est consacré au personnel administratif, à la restauration (cuisine et réfectoire), l’IMpro et l’IMA, ainsi que le bureau du cadre de l’IMPro. A l’étage, se trouve les groupes de vie de l’IMP ; les bureaux du cadre référent de l’IMP et l’IMA, de l’assistante sociale ; l’infirmerie ; la salle de psychomotricité. Dans un bâtiment détaché, se trouvent les bureaux de l’orthophoniste, des deux psychologues ; les deux salles de classes avec deux enseignants spécialisés. Il y a également un gymnase où ont lieu les séances de sport. Pour les espaces extérieurs, on trouvera un lieu d’expérimentation et d’apprentissage pour l’horticulture et l’entretien des espaces verts, ainsi que trois cours pour les récréations. N’étant présente un jour par semaine, une grande partie des espaces m’échappe, ce qui s’y vit également, en termes de temporalité, d’implication et d’expériences de vie pour ces jeunes et professionnels. La salle de psychomotricité est dans un premier temps le seul lieu où je peux saisir l’essence du patient qui vient en séance. Et je sens bien que des choses m’échappent, que des éléments me manquent pour une compréhension des participants. Il est donc pour moi primordial d’effectuer un travail réflexif afin de me faire une idée de chacun pour comprendre ce qui se joue en séance. Ma précédente formation – dans l’écologie – tend à me faire envisager tout élément compris dans un (éco)système. Ma précédente profession – éducatrice environnement – influence mes observations sur un versant éducatif et comportemental, plutôt que thérapeutique. Dans cette situation, les éléments seuls recueillis en séance – observation psychomotrice, type de relations, comportements – ne me suffisent pas, je constate même que je n’arrive pas à les percevoir totalement. Il me faut donc acquérir un regard analytique sur le contenu des séances, afin de saisir ce qui est mis en jeu pour les patients.
Le temps de la rencontre, premières impressions
Présentation du groupe : médiation, cadre, dispositif, participants
Ce travail autour de la question groupale et des dynamiques à l’œuvre va s’appuyer sur un groupe, au sein d’un IME, dont les participants font partie de l’IMPro. Il est dénommé « groupe danse et expression corporelle » C’est en ces termes que la psychomotricienne le présente lors des temps de réunion institutionnelle ou sur les documents qu’elle diffuse dans la structure. Il s’agit dans les faits d’un groupe à médiation danse. Jean-Bernard Chapelier indique que « le groupe à médiation permet d’optimiser le développement de l’activité créatrice relationnelle déjà caractéristique de tout fonctionnement groupal. » Ici, la danse est donc au service du travail groupal, dans ses possibilités relationnelles et affectives. Concernant le cadre, les séances se déroulent toujours dans le même espace, à savoir la salle de psychomotricité. Le groupe se réunit tous les jeudis, de 14 à 15h. L’animation du groupe est assurée par la psychomotricienne, en co-animation avec le stagiaire en troisième année du Diplôme d’Etat de Psychomotricité. Le nombre maximum de participants est fixé à sept.
Dans le cadre de cet atelier, le groupe peut être amené à effectuer des sorties : spectacles, visites d’exposition, etc. Afin de définir le dispositif groupal, il est nécessaire de présenter ici les caractéristiques inhérentes à l’organisation institutionnelle. Les participants actuels sont ensemble depuis septembre 2014. Un de ses membres n’ayant pu réellement participer ces deux premières années, ils se donc régulièrement depuis la rentrée de 2016. Il s’agit donc de la deuxième année de vie pour la configuration actuelle. Ce groupe présente les modalités d’un groupe fermé, en ce sens qu’il est à durée indéterminée – entendue sur plusieurs années. Et s’il y a une absence ponctuelle ou l’abandon d’un des membres, celui-ci ne sera pas remplacé. En effet, les participants restent les mêmes pour l’année en cours. Cependant, d’une année sur l’autre, s’il y a un départ du groupe soit car le patient quitte la structure ou que celui-ci ne souhaite plus participer, il peut être remplacé si unpatient présente les indications pour ce travail groupal. On peut donc dire, au vu de ces données temporelles, qu’il s’agit d’un groupe semifermé par le fait qu’il n’y ait pas de fin prévue et que l’arrêt volontaire ou une entrée soient possibles à la rentrée de septembre. Concernant les présentations des participants, elles ne reflètent pas une anamnèse classique, détaillée mais résultent des premières informations que j’ai pu obtenir d’eux et des informations qui m’en ont été données à ce moment-là. Lesmembres font tous partie de l’IMPro, sauf une jeune adulte intégrée à l’IMA, Paula. Ils présentent tous une déficience intellectuelle profonde, associée à des capacités motrices altérées. Paula a vingt ans. Elle participe au groupe depuis la rentrée 2016. Elle vient dans ce groupe tous les quinze jours, en alternance avec des sorties en piscine avec son groupe de l’IMA. Cette alternance semble être intégrée et métabolisée pour les autres participants. Ses capacités d’expression sont de l’ordre du jargon, associé à une prosodie et des variations sonores, dont on mesure bien l’intentionnalité.
Octavie a dix-neuf ans. Sa participation au groupe était prévue à la rentrée 2014. Elle a pu seulement venir en séance à partir de septembre 2016, en raison d’opérations au niveau des cervicales, des hanches et des pieds. Malgré ces interventions sa mobilité est parfois limitée. Elle boite et peut se plaindre de douleurs. Elle présente une trisomie 21. Sa communication verbale est assez restreinte – sujet et verbe à l’infinitif ou mot phrase, associé à de nombreuses insultes. Jérémy, dix-neuf ans, participe à ce groupe depuis la rentrée 2013. Lui aussi est atteint d’une trisomie 21. Il présente des difficultés d’articulations importantes et s’exprime par des mots phrases. David, a dix-neuf ans. Il a intégré le dispositif en 2010. Il présente une trisomie 22- 10 et a bénéficié de nombreuses interventions au niveau du visage pour des raisons esthétiques. David utilise beaucoup le makaton pour communiquer et illustre ces signes par un accompagnement de la parole, avec des difficultés d’articulation – peu de consonnes. Lucie, 21 ans, a intégré le groupe en septembre 2011. Elle présente une trisomie 21, et un diabète non stabilisé. Elle est la personne présentant des capacités langagières les plus développées. Alex a 23 ans. Il a intégré le groupe en septembre 2011. Il a peu accès au langage et utilise le mot « wascha » pour désigner des objets ou actions qu’il souhaite effectuer. Sybille, la plus âgée du groupe, a 24 ans. Elle a débuté le groupe danse en 2008. Elle est donc la patiente qui a connu le plus grand nombre de configurations quant à ce dispositif. L’étiologie de ses troubles est mise en lien avec une microcéphalie. Elle s’exprime grâce à un makaton rudimentaire, des gestes, par sons et prononce quelques prénoms.
Clinique, une séance ordinaire ?
En tant qu’animateur ou thérapeute de groupe, nous sommes sans cesse dans ce rapport de corporéité, de tout ce qui frappe les sens lorsque nous guidons, portons et travaillons en groupe. C’est à travers nos propres perceptions de ce dernier que nous parvenons, entre autres, à questionner et comprendre ce qu’il vit. Qu’est-ce que j’éprouve ; comment je me sens dans ce groupe ?
Nous sommes à la mi-octobre, il s’agit de la sixième séance depuis la rentrée. Les adultes de l’IMPro ne peuvent, pour la plupart, venir d’eux-mêmes à la séance – sauf Lucie qui est la moins en difficulté. La psychomotricienne part chercher le restant du groupe pendant que nous préparons la salle, Lucie et moi. Je me sens encore fébrile à l’idée d’être seule avec les participants. Je sens que je comble la conversation et suis dans l’agir. Je propose rapidement de compter les participants pour installer le nombre adéquat de chaises, sans me laisser le temps de percevoir dans quel état d’esprit elle se trouve. A son retour, la professionnelle fait rentrer Jérémy dans la salle. Elle semble épuisée, comme si elle l’avait porté sur le chemin. Les autres participants entrent à leur suite. Il s’agit de Paula, Octavie, Sybille, David et Alex. La psychomotricienne propose à Octavie de déposer sur le bureau ou dans sa poche la petite balle qu’elle a ramenée avec elle. Puis nous débutons la séance. Assise à côté de Jérémy, la psychomotricienne l’incite à rentrer dans la séance durant la première partie de l’échauffement. Octavie garde les mains dans ses poches pour manipuler la balle et ne participe pas. Comme elle s’enferme dans la manipulation de l’objet, la psychomotricienne récupère la balle, la dépose sur un meuble et signifie à Octavie qu’elle pourra la reprendre à la fin de la séance. Elle reçoit une bordée d’injures dont elle finit par ignorer l’auteur afin de se recentrer sur le groupe. De ce début de séance compliqué dans le rassemblement des participants, vont découler plusieurs situations, dues en grande partie au fait que l’attention de la psychomotricienne était mobilisée par Jérémy puis Octavie. Paula, la plus en difficulté participera beaucoup moins aux propositions qu’à son habitude. Lucie ne pourra pas bénéficier d’une attention suffisante.
Jérémy et Octavie intègreront peu à peu la séance : Jérémy grâce aux sollicitations de la psychomotricienne ; Octavie au contraire, lorsqu’elle ne sera plus sous son regard et qu’elle se sera apaisée. Sybille nous dévoilera son sourire, son envie de participer, son regard observateur et diminuera ses rires, semblables à des réactions de prestance. Alex adoptera l’attitude qu’il présente souvent en séance, il se situera en retrait et lorsqu’il entrera en interaction, ce sera avec Jérémy par des échanges de cris, comme en échos. David trouvera une place entre Octavie – qui le colle physiquement en rapprochant sa chaise – et l’attention des deux adultes présents, la psychomotricienne et moi-même, nouvelle stagiaire. Ce jour-là, mais aussi durant ces deux mois de rencontre, je me sens submergée par ce groupe. Les séances sont marquées par l’agitation. Après cette prise en charge, je me sens comme étourdie, incapable de me faire une idée de chacun. C’est la dynamique qui me saisit et m’interpelle et non pas chacun des participants. J’aimerais être attentive à tout le monde, ne pas être attirée que par les plus impulsifs, porter attention aux plus discrets. Une autre impression m’interpelle. Pour moi, ces séances sont de mauvaises séances, en cela qu’elles sont traversées par de l’agitation. Je me dis que si pour moi elles sont épuisantes, par projection, elles doivent l’être pour l’ensemble des participants. Et la mobilisation que cela suscite ne me semble pas propice à un travail en séance. Selon moi, une bonne séance serait marquée par le sceau du calme, de l’écoute. Je me sens imprégnée par ma profession précédente, sur un versant éducatif, où les apprentissages doivent s’effectuer grâce à une certaine disponibilité, qui passe entre autres par le calme. J’ai donc mis du temps à comprendre qu’il me fallait me détacher de cette vision dichotomique d’une bonne ou mauvaise séance et que probablement d’autres dynamiques étaient à l’œuvre. Cesdernières pouvant être en lien avec les relations qu’entretiennent les membres du groupe. Mais je suppose que d’autres facteurs, qui pour l’instant m’échappent, pourraient également influer sur la séance, la dynamique relationnelle, ses participants et ma propre disponibilité à la singularité de ce groupe.
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1 : Le temps de la rencontre, premières impressions
1. Présentation du groupe : médiation, cadre, dispositif, participants
2. Clinique, une séance ordinaire ?
3. Contenu des séances
A. Premier temps de la séance : échauffement articulaire
B. Deuxième temps de la séance : descriptions des séquences possibles
C. Troisième temps : rituel de fin
4. Retours et observation
A. Constellation des participants : liens, alliances et mésalliances
B. Variations de la dynamique au sein de l’espace-temps de la séance
Chapitre 2 : Un intervenant extérieur, une autre approche corporelle
1. Présentation
A. Historique des interventions
B. Rolfing® Intégration Structurale
C. Rolfing et psychomotricité
2. Contenu des séances
A. Temps d’accueil
B. Premier temps de la séance : échauffement par système
C. Deuxième temps de la séance : descriptions des séquences possibles
3. Clinique, la dernière séance
4. Retours et observations
A. Ce que les participants retiennent
B. Ce que nous avons observé, évolutions sur un plan individuel
C. Les silences empathiques, comme unité du groupe
D. Apport d’un intervenant extérieur à la structure
Chapitre 3 : Ce qu’est devenu le groupe après le départ de l’intervenant
1. Une séance comme avant ?
2. Les participants : évolution individuelle
Chapitre 4 : Sortons de la salle, les autres espaces et l’environnement fréquentés par les patients
1. Clinique, Sybille ou « l’ex-pression » face à la violence
2. L’institution
A. Fonctionnement institutionnel durant le 1er trimestre
B. Clinique, remous et conséquences d’interventions avec un praticien en Rolfing
C. Enjeu fantasmatique autour du groupe
3. De l’enveloppe familiale à l’enveloppe institutionnelle
CONCLUSION