Historiqueย
Vibrations ambiantes et forcรฉes
On doit les premiers enregistrements de vibrations de structures de gรฉnie civil au cรฉlรจbre sismologue japonais Fusakichi Omori au dรฉbut du XXe siรจcle. Il enregistre des sรฉismes dans des structures en maรงonnerie entre 1900 et 1908, ainsi que les vibrations de tours et de cheminรฉes de 1902 ร 1921. Son objectif est alors de trouver les formes ร donner aux structures pour rรฉsister aux sรฉismes. Les publications concernant ses travaux constitueraient un ouvrage de 700 pages (Davison, 1924). Il a particuliรจrement รฉtudiรฉ le Marunouchi Building de Tokyo pour lequel il a rรฉalisรฉ des mesures de vibrations ambiantes pendant la construction, aprรจs le sรฉisme du 26 avril 1922 et pendant les travaux de rรฉhabilitation (Omori, 1922). Dรจs lors, dโautres auteurs reprennent ce thรจme, au Japon comme Ishimoto et Takahasi (1929) (qui publient en franรงais !), puis aux Etats-Unis (Byerly et al., 1931). Les travaux publiรฉs dans le Bulletin of the Earthquake Research Institute (ERI) de Tokyo, crรฉรฉ en 1926, et le Bulletin of the Seismological Society of America (BSSA), crรฉรฉ en 1911, ont ร lโรฉpoque une portรฉe mondiale encore rรฉelle aujourdโhui. Compte tenu de la faible probabilitรฉ dโenregistrer un sรฉisme, les sismologues et les ingรฉnieurs enregistrent donc des vibrations ambiantes. Ces premiers enregistrements correspondent รฉgalement ร la multiplication des structures de grande hauteur dans les villes (lโEmpire State Building, 381 m de haut, a รฉtรฉ construit en 1931) et ร la nรฉcessitรฉ de comprendre leur dynamique.
Les premiers travaux dโampleur sur lโanalyse des vibrations des structures de gรฉnie civil ont รฉtรฉ rรฉalisรฉs dans le cadre du programme de vibrations de lโUS Coast and Geodetic Survey, qui a fait suite au sรฉisme de Long Beach de 1933, coordonnรฉ par Dean Carder en 1934-35 (Carder, 1936a,b). Les travaux de Carder se rapportent ร des enregistrements de vibrations ambiantes dans 336 bรขtiments californiens (et 7 dans le Montana) en 50 mois, cโest-ร -dire une opรฉration titanesque quand on imagine les moyens dโenregistrement de lโรฉpoque (fig. 1.1). Carder teste des configurations complexes : il rรฉalise des mesures pendant la construction pour voir lโรฉvolution de la frรฉquence et des enregistrements simultanรฉs ร plusieurs รฉtages pour dรฉterminer la dรฉformรฉe modale (fig. 1.2). Il รฉtudie lโinteraction entre des bรขtiments mitoyens et entre les ailes dโun mรชme bรขtiment, il discute le problรจme de la torsion et observe une augmentation de pรฉriode aprรจs endommagement par un sรฉisme. . . le tout sans une seule transformรฉe de Fourier ! En effet toutes les pรฉriodes de vibrations sont dรฉterminรฉes directement sur les sismogrammes. Ces enregistrements vont servir de base aux formules empiriques donnant la pรฉriode de vibration des structures en fonction de leurs dimensions que lโon trouve dans les codes parasismiques, notamment aux Etats-Unis (Housner et Brady, 1963). Il sโintรฉresse รฉgalement ร cette รฉpoque aux chรขteaux dโeau en acier (Carder, 1936c) et aux ponts de San Fransisco (Carder, 1937) pour estimer les risques de mise en rรฉsonance et donc de ruine par des tremblements de terre. Dans le mรชme cadre, Blume (1935) imagine une machine rotative permettant de forcer les vibrations des structures. En effet, mettre les structures en vibrations forcรฉes permet dโobtenir un signal contrรดlable et plus facile ร enregistrer mais aussi de se rapprocher des amplitudes atteintes lors des mouvements forts, mรชme si la sollicitation a lieu par le haut et non par le bas.
De 1938 ร 1964, au Japon, K. Kanai รฉcrit de nombreux articles sur les vibrations dans les structures, en particulier sur les enregistrements in situ de vibrations forcรฉes (Kanai et al., 1949; Kanai et Tanaka, 1951; Kanai et Yoshizawa, 1952, 1961). Hisada et Nakagawa (1956) utilisent รฉgalement les vibrations forcรฉes jusquโร la ruine des bรขtiments. Aux Etats-Unis, aprรจs les travaux prรฉcurseurs de Carder, il faut attendre les annรฉes 1950 ร lโEarth quake Engineering Research Laboratory (EERL) du California Institute of Technology (CalTech) de Pasadena pour trouver des publications sur le sujet. D. Hudson, G. Housner et leurs รฉtudiants rรฉalisent des enregistrements ponctuels dans des bรขtiments excitรฉs par des explosions (Hudson et al., 1952), des machines rotatives (Alford et Housner, 1953; Hudson et Housner, 1954; Hudson, 1961, 1962) ou encore par lโopรฉrateur lui-mรชme (Hudson et al., 1964). Blume (1969, 1972) sโintรฉresse, quant ร lui, aux enregistrements dโessais nuclรฉaires dans des structures de Las Vegas. LโEERL รฉtudie รฉgalement dโautres types de structures, comme les chรขteaux dโeau et les barrages en terre (Keightley et al., 1961; Keightley, 1963, 1964). Les mesures des annรฉes 1930 dans les bรขtiments restent une rรฉfรฉrence et cโest avec celles-ci que sont discutรฉes les formules des codes parasismiques (Kanai et Yoshizawa, 1961; Arias et Husid, 1962; Housner et Brady, 1963). Housner affirme que la frรฉquence propre mesurรฉe est le paramรจtre le plus informatif (ยซย the single most informative factย ยป) ร propos de la structure interne des bรขtiments. Les dรฉformรฉes modales sont รฉgalement dโune importance capitale car elles dรฉterminent la rรฉpartition des efforts dans la structure (Housner et Brady, 1963). Les rรฉsultats obtenus par les chercheurs japonais et amรฉricains sont comparรฉs grรขce aux confรฉrences mondiales de gรฉnie parasismique (WCEE) dont la premiรจre a lieu en 1956 ร Berkeley (Californie) et la seconde en 1960 ร Tokyo (Japon).ย Lโinstrumentation se dรฉveloppe peu car les amplitudes des vibrations dans les structures sont importantes (vibrations forcรฉes) donc la prรฉcision des capteurs nโest pas fondamentale. Crawford et Ward (1964) de la Division of Building Research dโOttawa (Canada) rรฉaffirment lโintรฉrรชt des vibrations ambiantes (essentiellement le vent) et utilisent des vรฉlocimรจtres, plus sensibles. Ils rรฉalisent des enregistrements simultanรฉs avec une rรฉfรฉrence pour assembler les jeux de donnรฉes. Ces auteurs utilisent les densitรฉs spectrales de puissance du signal car elles reprรฉsentent son รฉnergie et ils sโintรฉressent ร lโamortissement calculรฉ par diffรฉrentes mรฉthodes (Ward et Crawford, 1966). Ils lโestiment entre 1 et 3% pour les bรขtiments. Ils insistent sur lโintรฉrรชt des mesures pour valider la modรฉlisation, souvent fondรฉe sur des hypothรจses trop rรฉductrices. Ils montrent aussi que les formules empiriques des codes parasismiques donnant la frรฉquence en fonction des dimensions doivent รชtre utilisรฉes avec prรฉcautions compte tenu des frรฉquences mesurรฉes. Les dรฉformรฉes modales permettent, selon eux, de dรฉterminer la rรฉpartition des rigiditรฉs et donc de la sollicitation en cas de sรฉisme. Pourtant, lโessentiel des travaux de lโEERL porte, ร partir des annรฉes 1970, sur les vibrations forcรฉes et les algorithmes dโidentification sous sollicitation connue (Jennings et al., 1971; Foutch, 1976; Udwadia et Marmarelis, 1976; Hudson, 1977) (cf. ยง 1.1.2). Parallรจlement ร ces activitรฉs, M. Trifunac et ses collaborateurs sโintรฉressent eux aussi aux vibrations ambiantes ร partir des annรฉes 1970 (Trifunac, 1970a,b, 1972; Udwadia et Trifunac, 1974). Ils assurent que les rรฉsultats sous vibrations ambiantes sont aussi pertinents et les mesures beaucoup plus rapides ร effectuer que les tests sous vibrations forcรฉes (Trifunac, 1972). Aprรจs cet article trรจs positif sur les perspectives de cette technique, ils insistent (Udwadia et Trifunac, 1974) sur la non-linรฉaritรฉ du comportement dynamique sous sรฉisme, en particulier au niveau de lโinteraction sol-structure. Ce groupe va donc ensuite se consacrer ร lโรฉtude de lโinteraction solstructure jusque dans les annรฉes 2000 et les donnรฉes post-sismiques sous vibrations ambiantes du tremblement de terre de Northridge (1994) (Ivanovic et al., 2000a,b; Trifunac et al., 2001a,b). Lโobjectif est alors de localiser (sans succรจs) lโendommagement provoquรฉ par le sรฉisme grรขce ร des enregistrements en de nombreux points dโune structure et de dรฉterminer les modifications de frรฉquences de rรฉsonance sous sรฉisme.
En Europe, lโinstitut de gรฉnie parasismique et de sismologie appliquรฉe (IZIIS) de Skopje (Macรฉdoine) fait figure de prรฉcurseur en dรฉmarrant en 1963 un programme dโenregistrement de vibrations ambiantes dans les bรขtiments suite au sรฉisme de Skopje (26/07/1963) (Krstevska et Taskov, 2005). Lโobjectif de ces enregistrements est de vรฉrifier les calculs de dimensionnement des structures, pour รฉviter que les destructions de 1963 ne se reproduisent. En France, hormis quelques รฉtudes dans le domaine du gรฉnie civil (Paquet, 1976), il faut attendre la fin des annรฉes 90 pour que des รฉquipes de recherche se consacrent ร ces mรฉthodes et ร leur intรฉrรชt pour lโanalyse de la vulnรฉrabilitรฉ des structures aux sรฉismes. Les รฉquipes de C. Boutin ร lโEcole Nationale des Travaux Public de lโEtat (ENTPE) de Vaulx-en-Velin et de P.-Y. Bard du Laboratoire de Gรฉophysique Interne et Tectonophysique de Grenoble (LGIT LCPC) se penchent sur lโintรฉrรชt que prรฉsentent les mesures in situ pour le gรฉnie parasismique (Farsi, 1996; Farsi et Bard, 2004; Boutin et al., 2000, 2005; Hans et al., 2005). Ces deux รฉquipes ont remarquรฉ lโintรฉrรชt des paramรจtres dynamiques enregistrรฉs in situ pour la dรฉtermination de la vulnรฉrabilitรฉ des structures aux sรฉismes via des modรจles mรฉcaniques assez simples. Ils proposent รฉgalement dโutiliser ces paramรจtres enregistrรฉs in situ pour lโestimation de lโendommagement suite ร un sรฉisme (Dunand et al., 2004; Dunand, 2005). Les moyens dโenregistrement gรฉophysiques dont disposent ces deux laboratoires leur permettent dโeffectuer dโimportantes campagnes de mesures dans diffรฉrentes structures.
Comparaison avec les vibrations sous sรฉismeย
On reproche dรจs le dรฉbut aux vibrations ambiantes de reprรฉsenter la dynamique des structures sous trop faibles dรฉformations pour รชtre comparรฉes ร des mouvements forts. De leur cรดtรฉ, les tests sous vibrations forcรฉes sollicitent la structure par le haut, ce qui nโest pas non plus reprรฉsentatif dโun sรฉisme, mais tout au plus dโun vent violent. Il apparaรฎt alors nรฉcessaire dโenregistrer des mouvements forts en structures pour valider, ou non, les autres approches des ingรฉnieurs (modรฉlisation, enregistrements sous vibrations ambiantes et forcรฉes). Au Japon, Tanaka et al. (1969) comparent des enregistrements sous sรฉismes et sous vibrations ambiantes. En 1972, la Californie lance le California Strong Motion Instrumentation Program (CSMIP) dont le but est dโobtenir des enregistrements accรฉlรฉromรฉtriques de sรฉismes, notamment dans les structures. Ainsi, 170 stations ont รฉtรฉ placรฉes dans des bรขtiments, 20 dans des barrages et 60 sur des ponts. Hormis Afra (1991), qui a รฉtudiรฉ les enregistrements dโun maximum de bรขtiments disponibles et a permis une des premiรจres synthรจse sur la question (Bard et al., 1992), la plupart des รฉtudes se sont alors concentrรฉes sur certains bรขtiments particuliรจrement bien instrumentรฉs et soumis ร de nombreux sรฉismes comme la Robert Millikan Library du campus de Caltech (Jennings et Kuroiwa, 1968; Jennings, 1970; Trifunac, 1972; Iemura et Jennings, 1973; Udwadia et Trifunac, 1974; Foutch et al., 1975; Foutch, 1976; Udwadia et Marmarelis, 1976; Luco et al., 1987; Bradford et al., 2004; Dunand, 2005; Clinton et al., 2006; Snieder et Safak, 2006) (fig. 1.3). Les variations de ses frรฉquences propres vont notamment permettre de nombreux dรฉveloppements concernant lโinteraction sol-structure. Clinton et al. (2006) ont, en particulier, montrรฉ les variations de frรฉquence au cours des 40 annรฉes dโenregistrements, dโabord ponctuels puis continus dans la structure. Ils associent ces variations aux dommages irrรฉversibles dus aux sรฉismes que la structure a subis mais aussi aux variations de tempรฉrature, aux tempรชtes et aux fortes pluies. Celebi et Safak se sont intรฉressรฉs, dรจs la fin des annรฉes 1980, aux enregistrements de sรฉismes dans les structures instrumentรฉes comme le Transamerica Building ou le Pacific Park Plaza Building ร San Francisco et aux comparaisons avec les enregistrements sous vibrations ambiantes prรฉ, post-sismique et aprรจs rรฉhabilitation (Celebi et Safak, 1991; Safak et Celebi, 1991; Celebi et al., 1993; Celebi, 1996, 1998). Au Japon, Satake (1996) a รฉgalement comparรฉ frรฉquences et amortissements sous vibrations ambiantes et sous sรฉisme de 31 bรขtiments en acier. Au Mexique, Meli et al. (1998) ont instrumentรฉ un bรขtiment de 14 รฉtages et รฉtudiรฉ lโimportance de lโinteraction sol-structure sous sรฉisme. La loi californienne oblige lโinstrumentation des nouveaux gratte-ciels, Taรฏwan a รฉgalement instrumentรฉ de nombreux bรขtiments. On peut aussi noter lโinstrumentation de structures en Roumanie (Aldea et al., 2007).
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Table des matiรจres
Introduction
1 Vibrations ambiantes et analyse modale
1.1 Historique
1.1.1 Vibrations ambiantes et forcรฉes
1.1.2 Comparaison avec les vibrations sous sรฉisme
1.1.3 Utilisation en gรฉnie civil
1.2 Vibrations ambiantes dans les structures et leur enregistrement
1.2.1 Origine et nature des vibrations ambiantes des structures
1.2.2 Enregistrement de vibrations ambiantes dans les structures
1.3 Analyse modale
1.3.1 Dรฉcomposition du mouvement des structures et approximation linรฉaire
1.3.2 Mรฉthodes dโanalyse modale
1.3.3 Pointรฉ des pics en frรฉquence (Peak Picking)
1.3.4 Identification paramรฉtrique par un processus auto-rรฉgressif
1.3.5 Frequency Domain Decomposition (FDD)
1.3.6 Cas dโรฉtude : analyse modale dโune structure aux modes trรจs proches
1.3.7 Incertitudes sur les paramรจtres modaux
2 Modรฉlisation des bรขtiments
2.1 Idรฉalisation du problรจme
2.1.1 Modรจles discrets 1D
2.1.2 Modรจles continus : poutre en flexion et poutre de Timoshenko
2.2 Utilisation des paramรจtres modaux dรฉterminรฉs par les enregistrements in situ
2.2.1 Poutre de Timoshenko
2.2.2 Modรจle modal
2.2.3 Estimation des rigiditรฉs
3 Applications
3.1 Modรฉlisation de cinq bรขtiments par des poutres de Timoshenko
3.1.1 Prรฉsentation des bรขtiments
3.1.2 Enregistrements et analyse modale
3.1.3 Modรฉlisation par des poutres de Timoshenko
3.1.4 Conclusion
3.2 Validation du modรจle modal grรขce ร lโenregistrement de la chute dโun pont
3.2.1 Vibrations Ambiantes (AV)
3.2.2 Dรฉmolition du pont
3.2.3 Validation par simulation de la rรฉponse du bรขtiment et calcul de la rigiditรฉ
3.2.4 Conclusion
3.3 Validation du modรจle modal grรขce ร lโenregistrement de sรฉismes ร lโHรดtel de Ville de Grenoble
3.3.1 LโHรดtel de Ville de Grenoble, une structure test
3.3.2 Rรฉseau permanent
3.3.3 Sรฉismes enregistrรฉs
3.3.4 Test sous vibrations ambiantes
3.3.5 Dรฉtermination du centre de torsion
3.3.6 Comparaison modรจle modal-enregistrements rรฉels
3.3.7 Comparaison des frรฉquences sous bruit de fond et sรฉisme
3.3.8 Conclusion
3.4 Baisse de frรฉquence transitoire – permanente dans les structures. Apport de la reprรฉsentation temps-frรฉquence
3.4.1 Mรฉthode dโanalyse : la distribution temps-frรฉquence de Wigner-Ville rรฉallouรฉe
3.4.2 Sรฉismes forts – Application ร la Millikan Library
3.4.3 Sรฉismes modรฉrรฉs – Application ร lโHรดtel de Ville
3.4.4 Interprรฉtation
Conclusion