Vers une politique culturelle incarnée dans l’enjeu de développement des territoires

La politique culturelle régionale de droit commun

La Région Rhône-Alpes qui en 2014 consacrait un budget de plus de cinquante millions d’euros pour la mise en œuvre de sa politique culturelle choisit depuis une décennie de jouer un rôle important dans le développement culturel de ses territoires, au nom de la clause générale de compétence et grâce au volontarisme de l’exécutif régional installé (I). En concertation avec les acteurs culturels concernés, la Région se dote ainsi de politiques structurantes qui visent à consolider les différentes filières artistiques, tout en veillant à prendre en compte la spécificité des territoires régionaux. (II)

Une politique culturelle ambitieuse

Le cadre d’intervention des régions pour le développement culturel

Avec la loi du 2 mars 1982, les régions deviennent des collectivités à part entière et se dotent de compétences générales en matière de planification, de protection des intérêts sociaux et économiques, ainsi que de compétences plus spécifiques en matière de formation professionnelle ou encore d’éducation. Le texte de loi leur attribue un « droit à promouvoir le développement économique, social et culturel » lorsque les actions entreprises correspondent à l’intérêt régional défini au sein des rapports-cadres votés par l’assemblée plénière. Cette définition assez large du rôle des régions dans le paysage territorial laisse entrevoir une marge de manœuvre important en ce qui concerne leurs champs d’intervention et leur niveau d’implication. Il est donc compréhensible que les politiques mises en œuvre par les services régionaux soient issues directement de choix politiques forts, défendus par l’exécutif régional et délibérés par ce dernier. Cette caractéristique d’une action régionale resserrée autour d’un « noyau dur » de compétences, parmi lesquelles ne figure par la culture, s’accompagne dans les années quatre-vingt-dix, d’une faible lisibilité de l’action culturelle régionale comme le décrivent Philippe Teillet et Emmanuel Négrier : « la culture constituait pour [les Régions] un terrain où leurs responsabilités étaient mal identifiées et peu lisibles, car souvent associées à celles de l’État disposant au même échelon de services déconcentrés dont la montée en puissance accompagnait celle de la décentralisation » . C’est seulement par la mise en place d’une clause générale de compétence que les régions commencent à investir le champ culturel au même titre que d’autres échelons de collectivités, sans pour autant dégager une spécificité de leur action. Si elle devient donc parfois « une couche supplémentaire de financements croisés » , une dynamique positive se met malgré tout à l’œuvre en partie liée à la volonté de rattraper le retard pris en comparaison d’autres collectivités instituées depuis plus longue date. L’effort culturel des Régions est ainsi croissant dès leur émergence en tant que collectivité territoriale, comme le souligne Jean-Pierre Saez, en introduction des Assises nationales « Culture et Région » de l’Assemblée des Régions de France en janvier 2013, qui précise « qu’entre 1990 et 2009 les budgets culture ont été multipliés par 3,5. »
Par la suite, les vagues successives de décentralisation vont accentuer un phénomène de concurrence au sein d’un même espace territorial entre la Région et les différents partenaires publics tels que les Départements ou les Métropoles qui interviennent davantage en matière culturelle. On assiste en effet depuis une quinzaine d’années au renforcement de l’intercommunalité culturelle qui – si elle se résume parfois à une simple gestion d’équipements culturels – peut sur certains territoires aboutir à la définition d’un véritable projet culturel communautaire. Il est donc compréhensible que la définition de lignes de conduite en matière de soutien à la culture représente un certain défi pour la collectivité régionale qui doit parmi la multitude d’acteurs publics à l’origine de la production de politiques culturelles, tirer son épingle du jeu et en retirer une légitimité. L’unique décentralisation d’une compétence obligatoire concernant le champ culturel en direction de l’échelon régional s’est menée dans une relative discrétion. Il s’agit du transfert de l’Inventaire général du patrimoine culturel (créé en 1964 par André Malraux) qu’institue la loi du 13 août 2004 relative aux responsabilités locales. La gestion de ce service, auparavant déconcentrée au sein des Directions régionales des affaires culturelles, se voit donc transférée aux Régions (l’État conservant un rôle de contrôle) et concerne un domaine d’investigation plus large, puisque l’inventaire recouvre désormais tout le « patrimoine culturel » et non plus seulement « les monuments et richesses artistiques. »
Cet acte de décentralisation contribue à la mise en place d’une politique régionale de valorisation patrimoniale. En Rhône-Alpes plus précisément, le fait que le service de l’inventaire soit au sein de l’organigramme des services intégré à la Direction de la culture, permet à la collectivité d’intervenir sur l’ensemble de la « chaîne patrimoine » , de la phase de recherche et d’acquisition de connaissances, à la transmission d’un patrimoine en bon état de conservation, tout en développant des projets de valorisation et de médiation en direction des publics. Une autre particularité de ce transfert réside dans l’apparition de nouveaux champs d’études patrimoniaux spécifiques aux différentes régions. C’est ainsi qu’en Rhône Alpes est portée une attention particulière au patrimoine des lycées ou encore à celui des parcs naturels régionaux.
Dans ce contexte où le cadre législatif ne permet pas de systématiser une intervention régionale en matière de culture, il apparaît plus difficile pour les élus régionaux d’obtenir une légitimité dans les politiques qu’ils élaborent dans ce domaine. Cette limite est d’autant plus perceptible lorsqu’à l’échelle du territoire régional il n’existe pas d’identité culturelle sur laquelle s’appuyer pour développer des politiques. Le découpage administratif du territoire rhônalpin ne permet pas de rendre compte d’une réalité historique commune – situation que partagent la plupart des régions, hormis la Bretagne ou l’Alsace. Pour illustrer cette hétérogénéité culturelle des territoires rhônalpins, Bruno Frappat résumait ainsi dans Le Monde : « A priori, il n’y a pas grand-chose à voir entre : des paysans savoyards, des producteurs de fruits de la vallée du Rhône, les vignerons du Beaujolais, les chercheurs de Grenoble, les poulets de Bresse et la châtaigne ardéchoise, les protestants du sud de la Drôme et les catholiques lyonnais. »
Ces images, quoique réductrices, mettent pourtant en relief la disparité culturelle du territoire rhônalpin et la discontinuité qui peut exister entre les nombreux bassins de vie formés autour des pôles urbains que sont Lyon, Grenoble ou SaintÉtienne. L’élaboration de politiques publiques régionales doit ainsi s’entendre comme la tentative de construire un projet de territoire qui englobe ces particularismes et qui cherche par l’action publique à gagner la reconnaissance des populations. Dans leur étude sur « La question régionale en culture », Emmanuel Négrier et Philippe Teillet proposent une manière de caractériser l’intervention des Régions sur ce champ de l’action publique. Selon eux, la particularité des collectivités régionales en matière de culture ne tient pas vraiment au contenu des politiques mises en œuvre, mais à la manière dont elles sont élaborées: « C’est plutôt en inventant une nouvelle façon d’agir en ce domaine, un style qui leur serait propre, que les régions ont tenté de renforcer leur légitimité culturelle. »

Volontarisme politique et processus de concertation à l’origine de la politique culturelle rhônalpine

En Rhône-Alpes, c’est avec l’arrivée de la gauche unie le 2 avril 2004, emmenée parl’ancien ministre socialiste Jean-Jack Queyranne que s’opère un tournant dans le style et lesmoyens alloués pour la mise en œuvre des politiques culturelles. Alors que la Région était depuis le premier scrutin du conseil régional en 1986 détenue par la droite, cette alternance politique ainsi que la personnalité « d’homme de culture » du nouveau Président de région, vont permettre dans un contexte de crise du secteur culturel, de bâtir des politiques publiques culturelles ambitieuses. En effet, à l’été 2003, une réforme du régime d’assurance chômage des intermittents, durcissant les conditions d’indemnisation, provoque une mobilisation d’ampleur nationale au sein du secteur culturel. Cet événement révèle la situation critique de l’emploi culturel à l’échelle nationale dans laquelle se trouvent les équipes artistiques, pourtant très dynamiques en Rhône-Alpes, comme le dépeint Jean-Jack Queyranne dans un discours aux acteurs culturels : « Ce n’est pas seulement une crise de l’intermittence, mais bien de l’emploi culturel sous ses diverses formes. C’est aussi une crise des modes de production et de diffusion à l’heure de la réalité virtuelle et du village planétaire. L’art de la représentation, cet art ancien et précieux qui ne connaît ni gains de productivité ni économies d’échelle, car il n’existe que par la mise en péril, en temps réel, du corps des comédiens, des danseurs et des musiciens, se trouve confronté à des logiques économiques nouvelles. »
Conscient de cette conjoncture, l’exécutif régional est amené à conduire plusieurs actions en faveur des politiques culturelles, qu’il place au cœur de ses priorités depuis la campagne électorale et sa prise de fonction en 2004. Une première décision concerne l’évolution du service culturel auparavant intégré à la Direction Cadre de vie (sport, santé, politique de la ville, culture) en une Direction de la culture autonome constituée de plusieurs postes de chargés de missions sectoriels. Alors que le service culturel avait pour principale mission la gestion du « chèque culture » , la gratuité de ce dispositif conduit à revoir les missions des collaborateurs de la direction. En parallèle, Bernadette Laclais vice-présidente déléguée à la Culture, décide de transférer la gestion administrative et financière de ce dispositif – dont le coût des avantages culturels proposés s’amplifie – à la Direction Sport, Jeunesse et Vie associative. Ce choix permet à l’exécutif régional de préserver les lignes budgétaires de la Direction Culture et de concrétiser un des fers de lance de la campagne électorale qu’est l’augmentation conséquente du budget dédié à la culture. Ainsi, à partir de 2005, ce ne sont plus vingt-cinq millions, mais trente millions d’euros qui sont alloués pour la réalisation d’opérations de fonctionnement et le budget dédié au soutien à l’investissement double quant à lui de huit à seize millions d’euros. Cet accroissement du budget s’accompagne de la création de plusieurs postes de chargés de mission par secteur artistique permettant ainsi la structuration d’une équipe importante. Si des moyens conséquents sont dégagés pour la mise en œuvre de projets culturels et artistiques sur son territoire, la Région Rhône-Alpes souhaite cependant redéfinir ses orientations en matière culturelle et dégager des axes d’intervention qui correspondent davantage à l’attente des professionnels des différents secteurs artistiques et des citoyens. Dès 2004 s’initie donc un cycle de concertations entre les services de la région, les élus concernés, et les opérateurs culturels qui concernent respectivement l’ensemble des secteurs artistiques et permettent d’aboutir à l’élaboration de politiques-cadres délibérées par le Conseil Régional.
Pour la Région, c’est ég

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