Vers une naturalisation de la théorie de la vertu: prolégomènes à une psychologie positive de la vertu

Contexte et motivation du projet

Vers une nouvelle science de la vertu 

Le caractère est un sujet de réflexion fort courant. Nos proches, nos connaissances, les personnalités en vue, nous les jugeons timides, courageux, loyaux, confiants, généreux, etc. Nous avons aussi des idées sur la façon dont le caractère pourrait être développé, changé quand cela est possible, ou au moins influencé. Un voyage peut nous ouvrir les yeux sur la pauvreté dans le monde et développer notre générosité ; la guerre ou l’activité militaire peuvent renforcer le courage ; l’interaction avec une personne que nous admirons et que nous cherchons à imiter peut augmenter notre confiance. Des réflexions et des croyances de ce genre sont explorées et transmises par le sens commun, dans la culture et dans la sagesse populaires, dans la littérature et les arts.

Toutefois, depuis que l’homme a développé l’ambition d’un savoir plus puissant, justifié et systématique (c’est-à-dire depuis que l’homme a développé de véritables théories), le fonctionnement et le développement du caractère ont fait aussi l’objet de ses efforts explicitement théoriques. Notamment, ici nous nous intéressons aux théories prescriptives qui proposent un idéal de personnalité vers lequel on devrait converger. Le caractère idéal est qualifié de « vertueux », du latin virtus, qui traduit le terme grec pour désigner l’excellence : « arêté ». Les théories normatives du développement du caractère vertueux (ou, plus simplement, théories de la vertu) ont plusieurs millénaires d’histoire : on peut les faire remonter aux débuts de la philosophie en occident (les théories de la vertu de Platon et Aristote ) et en Chine (la théorie de la vertu de Confucius ).

Le contexte : D’une crise des fondements à une nouvelle science de la vertu. Conditions de possibilité du dialogue entre psychologie et philosophie

L’analyse que nous allons entreprendre est beaucoup plus spécifique et limitée que l’ensemble de pistes et d’idées évoquées par le thème d’un dialogue entre philosophie et psychologie au sujet du caractère. Nous n’allons pas dresser un état des lieux de tous les liens envisageables à l’heure actuelle entre pensée psychologique (au sens le plus large) et pensée philosophique (au sens le plus large) sur le caractère. Notre projet sera soumis aux limitations suivantes : Du côté de la psychologie, nous allons nous intéresser à un nombre limité de traditions contemporaines (plus ou moins récentes) qui ont entrepris une étude systématique et fortement expérimentale de la personnalité, et ce choix exclut une masse indéfinie d’idées, d’approches et d’intuitions moins systématiques et/ou qui n’ont pas donné lieu à une activité expérimentale soutenue. Du côté de la philosophie, nous allons évaluer un modèle normatif du caractère d’inspiration aristotélicienne : ce modèle, qui se définit comme « globaliste » , propose le développement de traits de caractère vertueux définis par une très grande cohérence inter-situationnelle (le trait se manifeste de façon cohérente dans toutes les situations pertinentes : courage à la guerre, dans la vie politique, en famille, etc.) et un lien de renforcement mutuel (être courageux permet d’être encore plus honnête, être loyal permet d’être encore plus généreux, etc. En ce sens, les vertus se renforcent mutuellement). Même si ce modèle, inspiré d’Aristote, est encore aujourd’hui largement majoritaire, il laisse la place à un grand nombre de conceptions différentes de la vertu.

Nous envisageons un dialogue entre d’un côté certaines traditions expérimentales spécifiques en psychologie de la personnalité, psychologie sociale et psychologie de l’expertise, et de l’autre un modèle de la vertu déterminé, d’inspiration aristotélicienne. Le choix paraît très spécifique et semble relever de nos goûts théoriques personnels. Mais l’angle d’analyse restreint ne dépend pas uniquement de la limitation de nos forces, il répond en même temps à une nécessité stratégique et historique. Il doit être justifié et replacé dans le contexte de la réflexion théorique contemporaine sur le caractère. Tel est l’objectif de la présente introduction.

À notre connaissance, c’est la première fois qu’une telle quantité de données empiriques est portée à l’attention des philosophes. La seule exception est constituée par le travail de John Doris , qui néanmoins nous a offert une sélection plus restreinte et surtout moins représentative du point de vue des psychologues. Etant donné la popularité du thème du caractère chez les philosophes et le poids académique et institutionnel de la psychologie de la personnalité, ce manque de dialogue manifeste un blocage qui ne peut être expliqué uniquement par des raisons de sociologie de la connaissance (isolement des départements de philosophie et psychologie). En réalité, le manque de dialogue s’explique par une phase de crise des fondements qui a caractérisé la pensée sur la personnalité au XXème siècle, toutes disciplines confondues. À cause de cette crise, la philosophie et psychologie n’auraient pas pu dialoguer véritablement sur des bases solides.

Le modèle globaliste « néo-aristotélicien » en tant que représentant de la psychologie de la vertu classique

Nous avons donné une définition minimale de « théorie de la vertu », pour n’exclure aucun théoricien du débat. La théorie de la vertu est une théorie normative du caractère qui exploite le potentiel normatif des termes de traits. Malgré cela, il faut constater que, d’un point de vue historique, la discussion sur la psychologie morale de la vertu a été largement influencée par une famille de modèles psychologique très ambitieux, qui ont imposé des thèmes et des thèses substantielles. C’est une remarque importante, car, dans le but de préparer un dialogue entre la théorie de la vertu et la psychologie empirique, il faut choisir un modèle psychologique qui représente la tradition philosophique.

Le modèle sera sans doute une abstraction, par rapport aux détails de la psychologie morale défendue par des philosophes déterminés. Cela pourra paraître gênant, mais c’est en fait nécessaire. Choisir d’analyser les détails de la psychologie morale des (par exemple) Stoïciens nous aurait donné l’impression de travailler avec des théories bien réelles, mais cela aurait été prématuré pour deux raisons. Premièrement, aux yeux des philosophes, la recherche en psychologie empirique est généralement considérée comme étant non pertinente (c’est de moins en moins vrai, heureusement) : si l’on n’opère pas une distinction entre les détails d’une théorie philosophique et certains postulats plus généraux qu’elle mobilise, on met une pression exagérée sur la psychologie, ce qui ne favorise pas le dialogue. C’est comme si on demandait aux psychologues de mettre en avant les recherches qui auraient mis à l’épreuve de manière déterminée une certaine théorie stoïcienne, ou alors de quitter la table de négociation. L’attitude selon laquelle les seuls psychologues pertinents sont ceux qui ont étudié exactement la même question qui a occupé les philosophes est l’ennemi principal de tout dialogue fructueux.

Le modèle néo-aristotélicien 

La question fondatrice de l’éthique ancienne est « comment vivre ? ». La réponse de la théorie de la vertu est nette : le meilleur investissement pour une vie qui se rapproche le plus possible de la meilleure vie qui puisse être vécue est le développement d’un caractère vertueux. La vertu – conçue comme condition unitaire de l’individu vertueux – est l’excellence du caractère. Quelles que soient les circonstances, un individu vertueux agit de façon opportune et moralement impeccable. La vertu est une forme de savoir vivre, une véritable expertise dans l’art de la vie. Il ne s’agit pas d’une façon de s’exprimer : la philosophie ancienne a littéralement conçu la vertu comme une forme d’expertise et de savoir sui generis, portant sur la manière dont il faudrait vivre.

La psychologie morale des vertus des anciens est inspirée par les théories de l’excellence pratique et technique qui étaient répandues à l’époque (voir le chapitre sur la psychologie de l’expertise). Un bon artisan ne se limite pas à fabriquer des chaussures de qualité plus souvent qu’un citoyen lambda ne pourrait le faire. Avoir une capacité supérieure à la moyenne n’est pas suffisant. Un artisan capable fabrique de bonnes chaussures (presque) tout le temps. En termes techniques, sa performance est stable (il peut fabriquer des chaussures aujourd’hui, il pourra les fabriquer dans deux ans) et cohérente. En particulier, il s’agit d’une cohérence inter situationnelle : dans toutes les situations différentes dans lesquelles ses capacités devraient se manifester, elles s’y manifesteront. Supposons qu’il sache fabriquer des chaussures, des sacs et des gants. Il doit être en mesure de les fabriquer en hiver, en été, en ayant beaucoup de temps à disposition, en étant très pressé et dans toute autre situation raisonnablement compatible avec la pratique de son activité, que les circonstances soient favorables ou défavorables. C’est un modèle d’excellence.

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Table des matières

INTRODUCTION
Introduction. Contexte et motivation du projet
Vers une nouvelle science de la vertu
Le contexte : D’une crise des fondements à une nouvelle science de la vertu. Conditions de possibilité du dialogue entre psychologie et philosophie
Le modèle globaliste « néo-aristotélicien » en tant que représentant de la psychologie de la vertu classique
Le modèle néo-aristotélicien
L’ambition morale du modèle « néo-aristotélicien » : la psychologie de l’excellence morale
vs. la psychologie de la « décence » morale
Les modèles psychologiquement ambitieux et les approches révisionnistes
Introduction à la première partie
La nécessité d’une psychologie des vertus basée sur la psychologie empirique
L’insuffisance du débat contemporain sur l’adéquation empirique de la théorie de la vertu
face à la menace situationniste : la rhétorique de « la philosophie qui nie l’évidence
factuelle »
Le dialogue avec la psychologie empirique est-il possible ? Philosophie de la psychologie
wittgensteinienne et données expérimentales
Psychologie philosophique normative
Psychologie normative et données empiriques
Pourquoi et comment étudier le sens commun ?
Introduction et résumé – Le sens commun, ce grand inconnu
Section I – l’étude du sens commun en philosophie – l’insuffisance des approches traditionnelles
Quelle est la position du sens commun ? L’importance de la philosophie expérimentale
« Populisme normatif et expertise » vs « fiabilisme et révisionnisme éclairé »
La nécessité de la philosophie expérimentale, dans l’approche populiste
Les philosophes en tant qu’experts dans l’étude des intuitions réfléchies
Les philosophes en tant qu’experts des intuitions « robustes »
La nécessité de la philosophie expérimentale dans le cadre du fiabilisme
La psychologie morale est l’étude des engagements dynamiques du sens commun : des intuitions à une jurisprudence naïve
Les intuitions sont un produit cognitif complexe
L’étude des engagements dynamiques du sens commun
Section II – Qu’est une théorie naïve en psychologie ?
Extraction d’engagements ontologiques d’aspects locaux du fonctionnement de la cognition
Confusion entre le fonctionnement d’un domaine cognitif et ses engagements ontologiques
La théorie du caractère implicite du sens commun
Introduction et résumé
Section I – Cartographie de l’usage conceptuel : Existence et portée des concepts de trait dans le sens commun
Attribution
Prédiction
Explication
Traits et stéréotypes
Scepticisme quant au rôle des concepts de trait dans la psychologie populaire
La réduction entre des concepts universels et importants du sens commun est très improbable
Dissociation entre trais et croyances/désirs dans l’ontogenèse
Dissociation entre traits et croyances/désirs
Statut
Anti-réalisme global
Anti-réalisme spécifique aux traits
Théorie spontanée des traits
La possibilité d’une science de la personnalité
Introduction et résumé
I. Personnalité et évolution : au-delà du réductionnisme
Expliquer la variation individuelle : la sélection fluctuante
Personnalité animale
L’évolution : un cadre méta-théorique pour la structure de la personnalité
Réductionnisme dans l’histoire des théories de la personnalité
Le modèle de l’excellence
Le modèle des valeurs
II La définition du domaine d’une science de la personnalité
Délimitation du domaine de la psychologie de la personnalité : la différence entre la psychologie de la personnalité et l’étude de l’identité personnelle
Introduction deuxième partie
La psychologie traditionnelle des traits et son inadéquation pour évaluer la théorie de la vertu
Introduction et résumé
La nécessité de désambiguïser la psychologie morale de la théorie de la vertu en tant que théorie des traits
La notion de trait en psychologie
Relation entre psychologie et théorie de la vertu
Le problème de l’homogénéité locale et l’interprétation réaliste des traits de caractère dans la tradition philosophique et psychologique
Les traits généraux sont-ils des artefacts ? Défense d’un point de vue réaliste
Les effets holistes sont encore moins fiables que ceux associés à un seul trait
Approches psychologiques de l’étude de la vertu
La classification VIA
Approches typologiques et développementales à l’étude de la personnalité
Introduction et résumé
Approche typologique à la personnalité et théorie de la vertu
La nécessité d’une typologie « molaire »
Typologies « macro » : les adaptés, le sous-contrôlés et les sur-contrôlés
Approche développementale à la personnalité
Conceptualiser la stabilité et la continuité de la personnalité dans le temps
Macro-typologies développementales
Modèles socio-cognitifs de la personnalité
Aspects communs des approches socio-cognitives
Questions ouvertes : la nature des unités cognitives et le rôle des modules dans la cognition sociale
KAPA (knowledge appraisal personality architecture)
Modèle de l’auto-régulation de Morf
CAPS (cognitive-affective personality system)
Les formes de cohérence « substantielle » proposées par l’approche socio-cognitive: profil
de personnalité, types, dynamiques relationnelles et la personnalité d’une culture
La sensibilité au rejet
RS et auto-régulation
RS et personnalité borderline
RS et dépression
RS liée au statut social
Narcissisme
Personnalité dépendante
La cohérence de la personnalité à un niveau supra-individuel : les dynamiques dans une relation et la dimension culturelle
Introduction troisième partie
Premier chapitre
Deuxième chapitre – la critique du situationnisme radical
Troisième chapitre – Vertu morale et psychologie de l’expertise
Chapitre 4 – l’intégration de la vertu et le rôle de la sagesse
A la recherche de la cohérence dans le comportement : la leçon de la psychologie de la personnalité pour la théorie des vertus
I. L’étude de la cohérence inter-situationnelle (cross-situational consistency) et sa pertinence pour la théorie de la vertu : prémisses méthodologiques
Classification des formes différentes de cohérence
II. A la recherche de la cohérence inter-situationnelle : 80 ans de psychologie de la personnalité et leur pertinence pour la théorie de la vertu
L’enquête sur l’éducation du caractère et d’autres études classiques
Funder : une tentative manquée de dépasser le « coefficient de personnalité »
Vranas : le plafond de 0,30 est réel mais compatible avec un niveau élevé de cohérence
A la recherche de la cohérence perdue
Existence de traits non intuitifs ou non représentés dans le langage
La perception partagée des situations ne correspond pas à nos attentes
Découverte des dimensions générales qui expliquent la similitude entre situations
Template Matching
Nature subjective des traits
Méta-Traits
Conclusion
CONCLUSION

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