Vers une modification du régime linguistique de l’Union européenne ?

Pays baltes

Compte tenu de leur histoire moderne commune et de leur proximité à la fois géographique et culturelle (on cite souvent l’architecture hanséatique de leurs capitales respectives pour illustrer cette dernière), les trois Etats baltes que sont l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie sont souvent considérés comme un ensemble, et l’on évoque rarement l’un de ces pays sans que les deux autres ne soient mentionnés.

Pour cette raison, il nous a paru opportun de regrouper la présentation de ces derniers, d’autant plus qu’en matière de politique linguistique et éducative, de nombreux points communs sont à relever entre eux. Parmi ceux-ci, on relèvera notamment le caractère très récent de la mise en place des formations qui nous intéressent. C’est d’ailleurs la préoccupation relativement tardive de ces pays à l’égard des sciences du langage qui explique la faible quantité d’informations dont on dispose à l’heure actuelle : sur les sites Internet des universités concernées par la formation des traducteurs et des interprètes dans les pays baltes, les renseignements fournis sont souvent très vagues, rendant particulièrement risquée l’interprétation que l’on pourrait en faire.

Estonie 

Données démo -linguistiques 

Contrairement aux apparences, l’estonien n’est pas une langue balte : il appartient à la famille ouralienne, dont les origines remontent à plusieurs siècles dans les régions situées à l’ouest de l’Oural. Egalement appelée « finnoougrienne », cette famille linguistique rassemble une population de plus de 25 millions de locuteurs se partageant une trentaine de langues dont le hongrois et le finnois.

Selon les sources, l’estonien serait parlé par 1,1 à 2,5 millions de locuteurs ! Cet écart dans les estimations est particulièrement révélateur de l’histoire politique mouvementée du pays : les nombreuses invasions qui se sont succédé, mais surtout les quarante-cinq années de domination soviétique qui ont entraîné la fuite de dizaines de milliers d’habitants ne permettent pas de dresser un bilan précis.

Tout comme dans les deux autres pays baltes (la Lettonie et la Lituanie), la langue de la majorité est la langue officielle. En l’occurrence, les Estoniens représentent environ 68 % de la population actuelle, alors que les russophones forment un groupe très important estimé à environ 25 %, principalement installé dans les zones urbaines et industrielles. Le fait que l’estonien ne soit ni une langue balte ni une langue indo-européenne constitue d’ailleurs une difficulté supplémentaire pour ces derniers.

La troisième communauté est formée des Ukrainiens, qui représentent environ 2 % de la population. Suivent enfin, dans une moindre mesure, le Biélorusses, les Finnois, les Tatars, les Lettons, les Polonais, les Juifs, les Lituaniens et les Allemands.

On estime que la grande majorité des citoyens estoniens (83 %) peuvent s’exprimer en estonien, alors que 15 % seulement peuvent le faire en russe.

Les relations interethniques entre les Estoniens et les Russes se sont d’ailleurs considérablement dégradées en juin 1993, à la suite de l’adoption d’une loi sur les étrangers demandant aux «non-citoyens» – en majorité russophones – de choisir entre la citoyenneté estonienne ou de rester étrangers, munis d’un permis de séjour. La loi d’acquisition de la nationalité, entrée en vigueur le 25 février 1992, prévoyait une période de résidence de trois ans, assortie d’un test de compétence de l’estonien et d’une déclaration d’allégeance à la république d’Estonie. En janvier 1995, le Riigikogu (Parlement) a adopté une nouvelle Loi sur la citoyenneté dont les exigences ont été sensiblement accrues, en particulier sur le plan linguistique qui nous intéresse. Selon son article 8, portant sur les exigences linguistiques, les citoyens désirant acquérir la nationalité estonienne doivent notamment :
– être capable de comprendre en estonien les déclarations et documents officiels, les avis de danger ou de sécurité, les nouvelles de l’actualité, les descriptions d’événements ;
– être capable de soutenir une conversation en estonien, soit raconter quelque chose, formuler des questions, des explications, des hypothèses, donner des ordres, exprimer des opinions ou des demandes personnelles ;
– être capable de lire en estonien des documents à caractère public, des avis, des formulaires simples, des articles de journaux, des messages, catalogues, modes d’emploi, questionnaires, rapports et des guides ;
– être capable de rédiger en estonien des demandes de candidature, des lettres officielles, des textes explicatifs, des curriculum vitae, des questionnaires, des formulaires standards, etc., et de remplir un test.

Toutes ses compétences en langue estonienne sont évaluées par le biais d’un examen, dont la réussite conditionne la remise d’un certificat sans lequel il est impossible d’obtenir la naturalisation. Toutefois, toute personne qui a complété son instruction primaire, secondaire ou post-secondaire, en estonien est dispensée de cet examen.

Formation des traducteurs et interprètes en Estonie. 

En Estonie, il n’existe que trois universités formant les étudiants aux métiers de traducteur et/ou d’interprète. Parmi celles-ci, deux sont publiques (Tartu et Tallinn) et une est privée (Euroülikool).

Bien que les sites Internet de chacune d’entre elles soient partiellement disponibles en anglais, il est particulièrement difficile d’en tirer des informations précises : les quelques renseignements que l’on trouve rédigés dans cette langue ne sont bien souvent que des généralités vantant les qualités pédagogiques de l’Université en question. Toutefois, par le biais d’une traductrice locale travaillant à l’ambassade de France, et grâce au contact établi avec la directrice du centre d’interprétariat de Tartu, il nous a été permis d’obtenir des précisions importantes concernant la formation des futurs traducteurs et interprètes estoniens.

Université de Tartu. 

Cette université, considérée par de nombreux Estoniens comme la principale université nationale, est également la plus ancienne du pays : celle-ci fut en effet fondée en 1632 et possède plus de 150 bâtiments, dont 31 sont reconnus comme des monuments nationaux. Elle regroupe onze facultés spécialisées dans des disciplines aussi diverses que la théologie, le droit, la médecine, la biologie, les sciences sociales, ou encore la philosophie.

C’est d’ailleurs dans cette dernière faculté que se situe le Département de langues et littérature germaniques et romanes, qui propose des cours d’interprétation et de traduction. Ces deux cours sont séparés, tout comme leurs examens d’entrée : la seule partie commune aux deux cursus est le bloc théorique (Institutions de l’U.E ; Droit ; Economie ; Terminologie de la gestion ; Théorie de la traduction). En outre, dès le niveau du Baccalauréat, des cours optionnels de traduction et d’introduction à l’interprétation sont proposés. Les postulants aux cours de Master doivent être titulaires du bac (filière libre) et disposer d’une connaissance solide des langues choisies. La traductrice estonienne travaillant à l’ambassade de France ayant ellemême suivi sa formation d’interprète dans cette université, il nous paraît intéressant de faire figurer son témoignage ci-dessous : « Cela fait une dizaine d’années qu’il est possible d’étudier l’interprétariat en Estonie, nous écrit-elle. Les premières langues enseignées étaient l’anglais et l’allemand. Le français n’est enseigné à l’Université de Tartu que depuis l’année 2003. Il y a d’ailleurs toujours eu très peu d’étudiants en français (3 étudiants pour l’année 2003-2004 ; 2 étudiants pour l’année 2004-2005 ; et 3 étudiants pour l’année 2005-2006). La formation aux métiers de la traduction et de l’interprétariat en Estonie se fait en général au cours du deuxième cycle des études universitaires. Il y a des cours de traduction dans le premier cycle des facultés de langue étrangère, mais cette formation ne débouche pas sur un diplôme de traducteur / interprète. Pour avoir accès aux études de traduction dans le deuxième cycle, il faut d’abord posséder un diplôme universitaire équivalent au niveau Licence (soit 3 ans, 4 jusqu’à l’an dernier). A l’Université de Tartu, à l’examen d’entrée, il faut traduire (traduction consécutive) deux discours de 5 minutes, sans prise de note. Après la traduction, le jury pose quelques questions (sur l’Union européenne ; la politique intérieure) et puis… c’est tout ! Les études durent 1 ou 2 ans.

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Table des matières

Prolégomènes
1ère partie. Le point sur la formation des traducteurs et interprètes dans les nouveaux pays membres de l’U.E.
Introduction
I. Pays Baltes
I-1) Estonie
I-1-1) Données démo-linguistiques
I-1-2) Formation des traducteurs et interprètes en Estonie
I-2) Lettonie
I-2-1) Données démo-linguistiques
I-2-2) Formation des traducteurs et interprètes en Lettonie
I-3) Lituanie
I-3-1) Données démo-linguistiques
I-3-2) Formation des traducteurs et interprètes en Lituanie
II. Pays d’Europe centrale
II-1) Hongrie
II-1-1) Données démo-linguistiques
II-1-2) Formation des traducteurs et interprètes en Hongrie
II-2) Pologne
II-2-1) Données démo-linguistiques
II-2-2) Politiques linguistique générale de la Pologne
II-2-3) Formation des traducteurs et interprètes en Pologne
II-3) Slovaquie
II-3-1) Données démo-linguistiques
II-3-2) Formation des traducteurs et interprètes en Slovaquie
II-4) Slovénie
II-4-1) Données démo-linguistiques
II-4-2) Formation des traducteurs et interprètes en Slovénie
II-5) République Tchèque
II-5-1) Données démo-linguistiques
II-5-2) Formation des traducteurs et interprètes en République Tchèque
III. Pays insulaires
III-1) République de Chypre
III-1-1) Données démo-linguistiques
III-1-2) Formation des traducteurs et interprètes en République de Chypre
III-2) Malte
III-2-1) Données démo-linguistiques
III-2-2) Formation des traducteurs et interprètes à Malte
IV. Pays Balkaniques
IV-1) Bulgarie
IV-1-1) Données démo-linguistiques
IV-1-2) Formation des traducteurs et interprètes en Bulgarie
IV-2) Roumanie
IV-2-1) Préambule
IV-2-2) Données démo-linguistiques
IV-2-3) Formation des traducteurs et interprètes en Roumanie
V. Cas de l’irlandais
VI . Des disparités qualitatives
2ème partie. Traduction et interprétariat dans les institutions européennes : Théorie vs Pratique.
Introduction
I. A la Commission
I-1) Théorie et pratique de la traduction à la Commission
I-2 Théorie et pratique de l’interprétation à la Commission
II. Au Parlement
II-1) Théorie et pratique de la traduction au Parlement
II-2) Théorie et pratique de l’interprétation au Parlement
III. Coût du multilinguisme
3ème partie. Vers une modification du régime linguistique de l’Union européenne ?
Introduction
I. Une éventualité discutée
II. L’espoir d’un miracle technologique
II-1) La traduction automatique : mythe ou réalité
II-2) Les bases de données terminologiques : dictionnaires du futur ?
III. Propositions pour un nouveau régime linguistique de l’U.E
III-1) Une seule langue véhiculaire
III-1-1) L’anglais, unique langue officielle
III-1-2) L’hypothèse d’une langue universelle
IV. Solutions alternatives
IV-1) Pour une (re-)valorisation de l’enseignement des langues à l’école
IV-2) Développement de l’intercompréhension dans les institutions européennes
IV-3) Le compromis possible d’une « limitation démocratique » :
les mandats linguistiques
Conclusion
Bibliographie

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