Vers une maîtrise des incertitudes en calculs des structures composites

Spécificités liées aux composites

Augmenter la robustesse du dimensionnement est d’autant plus nécessaire que l’emploi des matériaux composites se généralise dans tout le secteur aérospatial. En effet, si ces matériaux permettent comme il a été dit un gain en masse grâce à leurs excellentes propriétés mécaniques spécifiques, leur nature et le manque de recul résultant de leur utilisation encore récente les rendent encore peu fiables pour les industriels. De ce fait, les différentes marges et coefficients de sécurité, exigés par les organismes de certification aéronautiques, sont généralement beaucoup plus élevés dans le cas de matériaux composites que dans le cas de matériaux métalliques. Le développement de solutions composites innovantes est ainsi freiné par les méconnaissances et le manque de robustesse/fiabilité des méthodes de dimensionnement spécifiques à ces matériaux. Ceci est d’autant plus critique que les matériaux composites sont parfois les seules solutions possibles pour répondre à de nouveaux objectifs de performances. A titre d’exemple, citons l’aube composite FAN (Figure I-2a) développée par SNECMA où le gain de masse permet, en réduisant les efforts liés à la force centrifuge, de faire tourner à une même vitesse des soufflantes de turboréacteurs de plus grande dimension. Les programmes de recherche en cours sur le développement de risers composites (Figure I-2b) visent de même à exploiter des champs pétrolifères situés à plus grande profondeur tout en utilisant les plateformes actuelles grâce à la réduction des efforts de liaison fond-surface résultant du gain de masse de la solution composite. Cet allègement est également bien mis en évidence pour la cloison étanche de l’A380 (pièce à l’extrémité de la cabine supportant les efforts dus à la pressurisation) qui ne pèse que 250 kg (Figure I-2c).

Hétérogénéité, anisotropie : des caractéristiques accentuant l’incertitude 

Les incertitudes sur le comportement des composites sont d’autant plus importantes que leurs sources sont multiples. Tout d’abord, l’hétérogénéité de ces matériaux est un facteur essentiel. Le terme de composite désigne en effet un solide composé d’au moins deux phases, individualisées tant au début qu’à la fin du processus de fabrication, et dont la combinaison présente un avantage significatif par rapport à leur utilisation séparée. Ces phases sont généralement classées en trois catégories : renforts, matrice (ou liant) et charges, suivant que leur rôle soit respectivement de reprendre l’essentiel des sollicitations, d’assurer le lien et le transfert des efforts entre les divers constituants, ou que leur présence dans l’ensemble soit dictée par l’amélioration de propriétés particulières (conductivité, tenue aux chocs,…). L’hétérogénéité de ces matériaux est notamment à l’origine de l’anisotropie qu’ils présentent généralement et qui oblige à un effort d’identification plus important. Par rapport à des matériaux métalliques isotropes décrits simplement par deux coefficients en élasticité, le nombre de paramètres nécessaires pour décrire le comportement d’un composite peut ainsi aller de cinq à neuf suivant qu’il soit considéré isotrope transverse ou orthotrope. Ces hypothèses sont largement utilisées pour les composites à renforts à fibres longues, les plus utilisés par l’industrie aéronautique. Par ailleurs, la différence de nature entre fibres et matrice donne une grande importance à des effets habituellement considérés uniquement à l’échelle des structures, comme le flambement qui influence les propriétés à rupture. Ce problème de micro-flambement des fibres conduit ainsi à une différence de comportement en traction et en compression, qui augmente encore le nombre de paramètres à considérer dans les modèles. L’hétérogénéité des composites et l’influence de la microstructure se manifestent également avec l’effet de réalignement des fibres. En effet, au moment de la mise en forme, celles-ci peuvent être légèrement ondulées, et se tendre lors de l’application d’un chargement de traction, entraînant ainsi un comportement non-linéaire dans un domaine où celui-ci aurait dû être purement élastique. Cet effet est encore accentué avec les nouvelles nuances de matrice comme la M21. Dans celle-ci, l’incorporation de nodules thermoplastiques, afin d’améliorer la résistance à l’impact, contraint le positionnement des fibres et, de ce fait, est sans doute à l’origine de leur ondulation. Enfin, notons le rôle important des interfaces (fibres/matrice, ou entre plis) dont les effets sur le comportement et l’endommagement sont primordiaux, et dont les propriétés sont extrêmement sensibles aux conditions d’élaboration.

Identifier les paramètres d’un composite demande donc différentes configurations d’essais (longitudinal, transverse, de cisaillement,…), ce qui multiplie d’autant le nombre d’essais nécessaires pour estimer précisément leur variabilité. Conserver un nombre d’essais modéré implique donc une méconnaissance plus forte sur les divers paramètres. Par ailleurs même avec des incertitudes modérées sur ces divers paramètres, une méconnaissance existe toujours sur la façon dont elles se combinent entre elles au niveau structural, notamment pour déterminer si de multiples incertitudes d’amplitudes limitées conduisent à une grande incertitude. Un besoin existe donc pour des méthodes permettant de prévoir comment ces incertitudes se propagent. De plus, les propriétés sont généralement mesurées séparément et sur des éprouvettes différentes (par exemple le module longitudinal du pli sur l’éprouvette unidirectionnelle 0°, le mo dule transverse sur éprouvette 90°,…). Les propriétés sont donc considérées comme indépendantes, ce qui exclut toute corrélation entre elles, corrélations évidemment présentes par les relations microstructurales .

Des matériaux multiéchelles 

Le besoin de méthodes permettant d’estimer la propagation des incertitudes apparaît d’autant plus important en raison de la nature multiéchelle des composites, en particulier ceux à matrice organique (ou CMO). Ce type de composite est actuellement le plus utilisé dans l’industrie pour tous les usages à température modérée (<300°C). Pour des applications plus spécif iques et à températures plus élevées (pièces situées en partie chaude de turbomachine), les composites à matrice métallique (CMM) ou céramique (CMC) prennent le relais (Figure I-3), bien que leur coût de fabrication soit plus élevé. Des exemples d’application, comme le disque de compresseur en CMM à technologie ANAM (anneau aubagé monobloc), ou les volets de tuyère en CMC, sont cités dans [Dambrine, 05].

Au sein des CMO, des distinctions peuvent également être faites suivant le type de matrice (thermoplastique, thermodurcissable) ou de renforts (tissés, unidirectionnels, fibre courtes) employés. Parmi les deux types de matrice, les thermodurcissables, pour lesquels l’état solide de la matrice est irréversible après cuisson, sont actuellement les plus utilisées. Toutefois un intérêt grandissant est porté aux thermoplastiques du fait notamment de leur capacité à être mise en forme plusieurs fois de suite. Cette propriété permet en effet l’utilisation de procédés de fabrication en continu (comme l’empilement avec soudage et consolidation) économiquement plus performants que la cuisson en autoclave. En ce qui concerne les renforts, dans les tissés les fibres sont, comme le nom l’indique, assemblées sous la forme de tissus (satin, taffetas,…etc.) qui sont ensuite imprégnés de résine. D’utilisation commode pour la réalisation de pièces de surfaces non développables, ils présentent également une sensibilité plus faible au délaminage (décohésion entre deux plis contigus) ainsi qu’à la fissuration transverse (fissure traversant un pli dans la direction de stratification). Toutefois, les composites à renforts unidirectionnels, aux propriétés mécaniques plus élevées, leur sont encore souvent préférés. Les CMO à fibres courtes sont quant à eux utilisés pour des applications où la tenue de la pièce doit être renforcée sans qu’il soit toutefois nécessaire d’obtenir un haut niveau de performance. La disposition aléatoire des renforts permet une utilisation aisée via des procédés par injection.

Influence clé du processus de fabrication sur les incertitudes 

Tout cela explique la complexité de la prévision de la rupture des CMO, et l’utilisation d’importantes marges de sécurité du fait des incertitudes sur les modèles. D’autant que les propriétés des composites sont également influencées par d’autres paramètres incertains liés à leur mode de fabrication. Or, la multiplication des étapes, dont certaines manuelles et donc de reproductibilité douteuse, rend les matériaux composites particulièrement sensibles à leur processus d’élaboration. Une incertitude sur le taux de fibre, liée à la fois au taux de fibre des préimprégnés et à la  perte de matrice au moment de la cuisson, affecte ainsi l’ensemble des propriétés mécaniques du stratifié. Il en va de même pour les incertitudes sur les propriétés de la matrice, fortement influencées par le cycle de cuisson. Lors du passage de l’échelle du pli au stratifié, le facteur de méconnaissance principal est cette fois lié aux valeurs des angles de l’empilement qui dépendent des erreurs de positionnement lors du drapage. Cela est d’autant plus vrai pour des pièces complexes, notamment celles de surface non-développable, pour lesquelles il est parfois difficile de savoir comment sont réellement orientées les fibres dans certaines zones. Les empilements industriels pouvant comporter plusieurs dizaines de plis, le nombre de paramètres incertains apparaît clairement des plus conséquents, surtout si l’on ajoute les incertitudes sur les propriétés mécaniques (coefficients élastiques, paramètres des modèles de comportement non-linéaire, d’endommagement, de rupture,…) et sur les paramètres géométriques.

Dans l’objectif de réaliser un dimensionnement robuste, la prise en compte de toutes les incertitudes ayant un rôle significatif sur le résultat est bien sûr nécessaire. Il est donc important d’être en mesure de pouvoir déterminer l’ensemble des sources d’incertitudes et de les hiérarchiser. Cependant pour réaliser le meilleur dimensionnement possible, l’ingénieur doit pouvoir faire son choix parmi une gamme relativement large de nuances de fibres et de matrices. Cela suppose donc de pouvoir évaluer la propagation des incertitudes entre les échelles. Mais la sensibilité des matériaux composites au processus d’élaboration peut également l’amener à devoir choisir entre plusieurs procédés. Le critère de sélection pour un dimensionnement robuste sera alors tout autant l’adéquation du procédé au type de pièce fabriqué que le niveau de propriété mécanique que celui-ci permet d’obtenir, en tenant compte de sa reproductibilité.

Un point sur la démarche industrielle

Dans le cas précédent (Figure I-5), l’ingénieur sera vraisemblablement amené à conserver le procédé par autoclave pour tenir compte du niveau de variabilité observé. Ceci est intimement lié aux méthodes actuelles de prise en compte des dispersions dans le dimensionnement, préconisées par les exigences réglementaires FAR (pour Federal Aviation Regulations) et JAR (pour Joint Aviation Requirements). Leur formulation est l’œuvre des deux principales autorités en matière de contrôle : la Federal Aviation Administration (FAA) américaine et la Joint Aviation Authority (JAA) européenne. Une mise à jour régulière est faite par l’intermédiaire des circulaires ACJ (Advisory Circular Joint) en Europe et AC aux Etats-Unis. La conception des avions de ligne est notamment régie par la norme JAR 25 dont la partie C s’attache au dimensionnement des structures. Pour bien comprendre l’accumulation des marges de sécurité, nous allons détailler dans les grandes lignes les règles préconisées. Tout d’abord deux niveaux de charges sont définis (JAR 25.301) :
– les charges limites correspondant aux charges maximales attendues sur la structure en service et qu’elle doit pouvoir supporter sans que des dégradations préjudiciables apparaissent (déformations permanentes, fissures…).
– les charges extrêmes, correspondant aux charges limites multipliées par un coefficient de sécurité, généralement fixé à 1.5 (JAR 25.303), et que la structure doit pouvoir supporter sans rompre. Le dimensionnement s’effectue donc généralement en charges extrêmes. Par ailleurs, la partie D de la JAR 25 consacrée aux problèmes de conception et de construction (design and construction) impose un certain nombre de règles supplémentaires. Il est tout d’abord précisé que « les appareils ne doivent pas comporter de caractéristiques ou de détails de conception que l’expérience a montré être risqués ou peu fiables ». Des essais sont donc requis pour démontrer la résistance de chaque pièce. L’adéquation et la durabilité des matériaux (JAR 25.603) doivent notamment être établies au moyen d’essais, et prendre en compte les effets des conditions environnementales, comme la température et l’humidité. Elles doivent de plus être conformes aux spécifications (industrielles, militaires ou relevant de normes techniques) déjà établies. Cela explique que les méthodes industrielles s’appuient souvent sur les règles définies dans les Military Handbooks pour les matériaux métalliques (MIL-HDBK5) et composites (MIL-HDBK17).

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Table des matières

INTRODUCTION
Chapitre I Présentation générale
I.1. Contexte et enjeux
I.2. Spécificités liées aux composites
I.2.1. Hétérogénéité, anisotropie : des caractéristiques accentuant l’incertitude
I.2.2. Des matériaux multiéchelles
I.2.3. Influence clé du processus de fabrication sur les incertitudes
I.3. Un point sur la démarche industrielle
I.4. Objectifs et limites de ce travail : définition d’un cadre pour le problème de traitement des incertitudes
I.4.1. Quelques définitions adaptées à cette étude
I.4.2. Quelques remarques sur le dimensionnement : incertitudes et notion de conception robuste
I.4.3. Cadre défini pour ce travail
Chapitre II Sélection des méthodes de transports des incertitudes
Introduction
II.1. Bref historique sur les incertitudes en physique
II.2. Représentation des incertitudes
II.2.1. Approche probabiliste
II.2.2. Arithmétique des intervalles
II.2.3. Ensembles flous et logique floue
II.2.4. Approche non- paramétrique
II.2.5. Théorie des méconnaissances
II.3. Approche Industrielle en aéronautique
II.4. Méthode de Monte-Carlo
II.5. Transport d’incertitudes par décomposition de la fonction de transfert en séries de Taylor
II.5.1. Principe
II.5.2. Limite de validité
II.6. Analyse de sensibilité
II.7. Surface de réponse
II.7.1. A l’origine : les plans d’expériences
II.7.2. Des méthodes de surfaces de réponse
II.7.3. Utilisation du chaos polynomial
II.7.4. Krigeage pour surface de réponse
II.7.5. Autres formes de métamodèles
II.8. Méthode fiabiliste
II.8.1. Principe
II.8.2. Relations avec la méthode des surfaces de réponse
II.9. Eléments finis stochastiques
II.9.1. Méthode par perturbation
II.9.2. Méthode spectrale
Conclusion
Vers une maîtrise des incertitudes en calcul des structures composites
Chapitre III Construction d’une stratégie adaptée au traitement des incertitudes en calcul de structures
Introduction
III.1. Proposition d’une démarche progressive du transport d’incertitudes
III.1.1. Principe d’une approche classique de type « Surface de réponse» (Response Surface Method – RSM)
III.1.2. Amélioration par l’introduction d’estimateur de la qualité du transport d’incertitude
III.1.3. Description de la stratégie progressive d’Analyse de la Variabilité
III.2. Présentation d’une approche classique de type « Surface de Réponses »
III.2.1. Normalisation des paramètres
III.2.2. Sélection des points d’identification
III.2.3. Calculs des valeurs des fonctions objectifs
III.2.4. Choix et identification du métamodèle
III.2.5. Exploitation du métamodèle : estimation de l’effet des incertitudes
III.3. Apport d’une phase de vérification dans une approche de type RSM
III.3.1. Présentation des méthodes de validation croisée
III.3.2. Conséquences sur l’étape de sélection des points d’identification
III.3.3. Phase de vérification du métamodèle
III.3.4. Obtention d’un intervalle de confiance sur les indicateurs statistiques calculés au travers de la démarche
III.4. Intérêts d’une stratégie progressive d’Analyse de la Variabilité
III.4.1. Optimisation de la sélection des points d’identification du métamodèle d’ordre un
III.4.2. Stratégie adoptée en cas de détection d’une défaillance du métamodèle : progressivité de la démarche
III.5. Mise en œuvre et premières validations de la démarche d’Analyse de la Variabilité (AdV)
III.5.1. Principe de la validation
III.5.2. Synthèse des résultats obtenus
III.5.3. Quelques remarques sur les cas « fortement » non linéaires
III.5.4. Deux exemples de tests
Conclusion
Chapitre IV Validation de la stratégie développée sur des problèmes mécaniques représentatifs des particularités composites
Introduction
IV.1. Calcul de structures composites et procédure de validation de la démarche
IV.2. Etude complète d’un cas correspondant à un fonctionnement « optimal » de notre stratégie.
IV.2.1. Argument pour le choix de l’exemple de la poutre stratifiée en flexion
IV.2.2. Présentation du cas traité
IV.2.3. Sélection du plan d’expérience et identification des métamodèles
IV.2.4. Utilisation des réponses du métamodèle aux points d’identification comme premier indicateur de qualité
IV.2.5. Estimation de la qualité du métamodèle par méthode de validation croisée
IV.2.6. Exploitation des résultats de la démarche Vers une maîtrise des incertitudes en calcul des structures composites
IV.2.7. Confrontation des résultats avec ceux issus d’une méthode de MonteCarlo
IV.2.8. Etude « probabiliste » de la rupture
IV.3. Exemple de stratégies de résolution pour diverses situations potentiellement problématiques.
IV.3.1. Grand nombre de variables présentant chacune une faible incertitude
IV.3.2. Nombre réduit de variables présentant chacune une forte incertitude
IV.3.3. Application à un comportement non-linéaire : prise en compte de la viscosité
IV.4. Etude d’un cas de réponse bimodale : flambement d’une plaque composite
IV.4.1. Présentation de l’exemple
IV.4.2. Mise en œuvre de l’étude des effets des incertitudes
Conclusion
CONCLUSION

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