VERS UNE LIBERATION DE LA PENSEE ISLAMIQUE

LA QUESTION CENTRALE DE Lโ€™IแนขLฤ€แธค

Nombreux sont les mouvements et les personnes qui se sont revendiquรฉs de ce mouvement de rรฉforme. Les sociรฉtรฉs arabo-musulmanes ont en effet connu durant cette pรฉriode-lร  un foisonnement intellectuel exceptionnel qui a vu naรฎtre de nouvelles logiques pour de nouvelles perspectives, pour des peuples qui sโ€™รฉtaient depuis quelques siรจcles endormis (en opposition au rรฉveil, la Nahแธa) dans leur taqlฤซd.
Les penseurs musulmans de la deuxiรจme moitiรฉ du XIXe siรจcle ont fait preuve dโ€™une activitรฉ intellectuelle et dโ€™un effort de rรฉflexion littรฉralement exceptionnels pour leur รฉpoque durant laquelle lโ€™introspection et la remise en question collective nโ€™รฉtaient plus dโ€™actualitรฉ. Ils ont rappelรฉ combien il รฉtait important toujours de garder un esprit critique, surtout au sein du systรจme de pensรฉe auquel on se rรฉfรจre. A dรฉfaut de quoi, et cโ€™est ร  partir de ce constat que ces penseurs ont engagรฉ leur processus de questionnement, ce systรจme ne participe plus ร  lโ€™essor et au dรฉveloppement de la sociรฉtรฉ, mais finit au contraire par favoriser la lรฉthargie et le dรฉclin de celle-ci.
Dans toutes ses dimensions, le monde arabo-musulman avait sombrรฉ dans une dรฉcadence quโ€™une confrontation avec le modรจle occidental moderne et croissant devait inรฉluctablement finir par rรฉvรฉler au grand jour. Que ce soit par le dรฉbut des colonisations ou ร  travers certains auteurs dont les rรฉcits de voyage en Europe dรฉpeignaient une civilisation en dรฉveloppement dans bien des aspects comme celui de Rifฤโ€˜a at-แนฌahแนญฤwฤซ1 (1801-1873), il devenait indรฉniable que les tendances sโ€™รฉtaient progressivement inversรฉes : lโ€™รขge dโ€™or de la civilisation arabo-musulmane sโ€™รฉtait vu supplantรฉ par les progrรจs occidentaux. Dโ€™aprรจs Malek Bennabi (m. 1973), al-Afฤกฤnฤซ (1838-1897) รฉtait ยซ le tรฉmoin intรจgre lucide mais impuissant de la dรฉcadence de sa sociรฉtรฉ, alors que la colonisation sโ€™installait sur son sol. Ce fut pour lui la chute matรฉrielle et morale de la sociรฉtรฉ musulmane ยป.
Le constat รฉtait sans appel. Il fallait dรฉsormais se rendre ร  lโ€™รฉvidence : la pensรฉe arabo-musulmane รฉtait devenue au fil des derniers siรจcles un corps sans รขme, une banniรจre que lโ€™on dรฉployait sans savoir ร  quoi elle pouvait servir. Ainsi, les penseurs musulmans ont cherchรฉ ร  comprendre ce qui avait pu amener ร  cette situation. Cela sโ€™est traduit par un certain nombre de questions dont les rรฉponses seraient une premiรจre รฉtape pour remรฉdier ร  la paralysie sociale et intellectuelle.
Le raisonnement รฉtait le suivant : en principe, la rรฉfรฉrence religieuse devait traduire un idรฉal thรฉorique qui, mis en pratique, aurait pour rรฉsultat une nation souveraine dont les dimensions socio-รฉconomique, politique, morale, militaire et autre seraient en constant progrรจs et le modรจle ร  suivre, puisque รฉmanant de prรฉceptes divins donc parfaits.
Puisque cela nโ€™รฉtait manifestement pas le cas et que les sociรฉtรฉs majoritairement musulmanes sโ€™รฉtaient retrouvรฉes en position de faiblesse dโ€™un point de vue gรฉostratรฉgique ainsi que de celui des diverses dimensions mentionnรฉes plus haut, il semblait logique quโ€™un problรจme se posait au niveau de la rรฉfรฉrence essentielle que constituait lโ€™islam. Si la rรฉfรฉrence au religieux en tant quโ€™idรฉal thรฉorique รฉmanant du Divin รฉtait de fait incontournable et nรฉcessaire, comment se faisait-il quโ€™elle permette malgrรฉ tout cette dรฉcadence ? Lโ€™islam a-t-il rรฉellement pour vocation de rรฉaliser concrรจtement et de maniรจre visible dans la sociรฉtรฉ cet idรฉal dโ€™origine divine ? De ces premiรจres interrogations dรฉcoulent deux possibilitรฉs : soit lโ€™islam nโ€™a pas pour objectif le progrรจs civilisationnel auquel cas il faut se poser la question de lโ€™utilitรฉ de la rรฉfรฉrence religieuse, soit cela fait bien partie de ses objectifs, et alors la rรฉflexion porterait plutรดt sur les facteurs entravant la rรฉalisation de ce dessein et les maniรจres dโ€™y remรฉdier.
La rรฉflexion initiรฉe par ces questionnements sโ€™oriente vers la deuxiรจme possibilitรฉ. Cโ€™est dโ€™ailleurs ce vers quoi tendaient les premiers ร  constater cet รฉtat dรฉcadent comme แธชayr ad-Dฤซn at-Tลซnisฤซ (m.1890) qui propose une rรฉflexion sur les causes de la dรฉcadence. Il estime en effet inรฉvitable que les religieux chargรฉs du pouvoir spirituel soient en mesure dโ€™รฉvaluer la situation de la sociรฉtรฉ, dโ€™en faire une analyse scientifique et dโ€™y proposer des solutions ou remรจdes. Cโ€™est ainsi que les penseurs musulmans sโ€™inscrivent dans une dรฉmarche de rรฉforme (iแนฃlฤแธฅ) en se lanรงant dans un nouvel effort critique (iฤŸtihฤd) afin de dรฉconstruire des logiques dogmatiques รฉtablies qui agissent comme des carcans qui figent la rรฉflexion et que แธชayr ad-Dฤซn appelle de ses voeux.

Des causes religieuses de la dรฉcadence

Parmi les facteurs les plus rรฉcurrents, certains rรฉformateurs รฉvoquent le laxisme vis-ร -vis de la religion qui se traduit de diverses maniรจres. En effet, les rรฉformateurs musulmans constatent que la sociรฉtรฉ nโ€™est plus en accord avec les principes dรฉduits des sources de lโ€™islam, car une partie de la population nโ€™est plus soucieuse de ceux-ci, voyant par exemple dans le seul modรจle occidental une nouvelle voie salutaire qui fait ses preuves. Ils renvoient aussi ร  la comprรฉhension mรชme des Textes en jugeant que celle-ci a รฉtรฉ erronรฉe sur bien des aspects. Cela a eu pour consรฉquence de permettre dโ€™introduire des รฉlรฉments inรฉdits dans le crรฉdo ou la pratique qui nโ€™ont rien ร  voir avec le message originel de lโ€™islam dโ€™aprรจs les rรฉformateurs. Cโ€™est pourquoi ils se montrent trรจs critiques ร  lโ€™รฉgard des bidโ€˜a-s infondรฉes selon eux qui rรฉpandent รฉnormรฉment de croyances et de superstitions contreproductives et qui amputent ร  lโ€™islam son rรดle de stimulateur ร  tous les niveaux et lโ€™รฉloignent de ses nobles objectifs. Cette situation conforte lโ€™immobilisme du peuple que ce soit politiquement, intellectuellement ou socialement et favorise รฉgalement les divergences sur des questions en rรฉalitรฉ sans incidence sur la vie des musulmans, ce qui provoque une division de fond de la โ€˜umma qui, disloquรฉe, nโ€™est plus capable de rรฉagir face aux inรฉgalitรฉs sociales ou aux ingรฉrences politiques et conquรชtes des puissances coloniales รฉtrangรจres.
Ensuite, la question religieuse pose une problรฉmatique ร  laquelle les rรฉformateurs vont tรขcher de rรฉpondre. En effet, ils ont vu en Europe lโ€™hostilitรฉ du mouvement des Lumiรจres pour la religion, et certains orientalistes parmi lesquels Ernest Renan sโ€™empressent de voir en lโ€™islam un frein essentiel au dรฉveloppement et au progrรจs, jugeant que cette religion sโ€™oppose ร  la science et ร  la modernitรฉ. Mรชme en Egypte, certains comme Faraแธฅ Anแนญลซn (1874-1922) adoptent cette vision et expriment une certaine hostilitรฉ ร  lโ€™รฉgard de lโ€™islam. Dans ce contexte, les rรฉponses dโ€™al-Afฤกฤnฤซ1 et de โ€˜Abduh2 se veulent ร  la fois apologรฉtiques dans le sens oรน selon eux, lโ€™islam ne peut avoir quโ€™un apport positif sur la sociรฉtรฉ, mais aussi critique vis-ร -vis de lโ€™approche de la religion par les oulรฉmas qui ont finit par permettre ces accusations. Afin de dรฉmontrer lโ€™innocence de lโ€™islam dans la dรฉcadence du monde arabo-musulman, dโ€™expliquer oรน se trouve en rรฉalitรฉ le problรจme dans le traitement qui en est fait, et trouver les solutions aux vrais facteurs de la rรฉgression, le projet de rรฉforme intรจgre un questionnement sur la mรฉthodologie religieuse et sur ses consรฉquences sur le rapport entre gouvernant et gouvernรฉs.

Despotisme et dรฉcadence

En plus de ce constat, une partie importante de lโ€™analyse des rรฉformateurs concerne les causes politiques de la dรฉcadence. Cela vise autant la philosophie politique quasi-inexistante dans le systรจme de pensรฉe arabo-musulman que les institutions qui dรฉtiennent lโ€™autoritรฉ. Dans ce sens, une rรฉelle remise en question de la politique menรฉe est initiรฉe et aboutit ร  une critique virulente de son aspect le plus รฉvident et le plus nรฉfaste, ร  savoir le despotisme (al-istibdฤd). Pour les rรฉformateurs, ยซ si celui qui gouverne [la โ€˜umma] est ignorant et vil, dโ€™un pauvre engagement [โ€ฆ] et docile ยป, il entraรฎne inรฉvitablement la โ€˜umma dans sa chute, dans les limbes de lโ€™ignorance, de la pauvretรฉ et il se montre injuste, ouvrant la porte aux ennemis รฉtrangers.
On retrouve ici plusieurs aspects de la dรฉcadence dรฉnoncรฉs par les rรฉformateurs, pour qui il ne faisait aucun doute que le pouvoir politique a une grande responsabilitรฉ dans cette situation, si ce nโ€™est la plus importante. Pour al-Kawฤkibฤซ, la conclusion de sa quรชte des origines de la dรฉcadence aboutit forcรฉment aux mรฉfaits du despotisme. Cโ€™est pourquoi il rรฉdige un traitรฉ quโ€™il intitule แนฌabฤโ€™iโ€˜ al-istibdฤd (les Caractรจres du despotisme) qui selon ses dires ยซ ne vise pas un dirigeant ou un gouvernement en particulier ยปmais qui va chercher ร  dรฉfinir clairement le despotisme, ses consรฉquences sur lโ€™รฉtat du monde arabo-musulman et qui va รฉgalement tenter dโ€™identifier quelques moyens de sโ€™en dรฉbarrasser.
Les rรฉformateurs ont donnรฉ quelques dรฉfinitions permettant dโ€™identifier le despotisme et ainsi limitรฉ son champ dโ€™รฉtude.
Le despotisme politique est la mainmise dโ€™une seule personne ou entitรฉ sur lโ€™ensemble de la population, de sorte que tout ne dรฉpend que de sa volontรฉ de maniรจre absolue. Ainsi, il peut choisir de se soumettre aux lois ou de sโ€™en รฉcarter. Le respect de lโ€™ordre est sujet ร  son bon vouloir1. Al-Kawฤkibฤซ dรฉveloppe sa dรฉfinition du despotisme en expliquant tout dโ€™abord que linguistiquement, ce terme signifie la tendance quโ€™a une personne ร  se contenter de son avis, ainsi que le rejet de tout conseil venant dโ€™autrui. Cโ€™est un pouvoir solitaire et sans contrรดle, absolu et arbitraire. Il ajoute ensuite ร  la dรฉfinition politique formulรฉe plus haut des synonymes et des antonymes afin dโ€™en expliciter le sens et en donner le champ lexical. Il est intรฉressant de noter quโ€™il y oppose les notions dโ€™รฉgalitรฉ ou encore de solidaritรฉ. De plus, le despotisme a en charge la gestion des affaires publiques quโ€™il peut administrer comme il le souhaite, sans craindre dโ€™avoir ร  rendre des comptes ou dโ€™รชtre sanctionnรฉ.
Nรฉanmoins il existe plusieurs catรฉgories de despotisme certaines plus dangereuses que dโ€™autres. La forme de despotisme dont les rรฉformateurs sont unanimes quant au danger quโ€™elle constitue est le despotisme absolu dโ€™une personne (comparรฉe ร  Satan dans ce cas) sur son peuple sans aucun contrรดle ni aucune limite. Ce despote est absolu, hรฉritier du trรดne, chef des armรฉes, et dรฉtient lโ€™autoritรฉ spirituelle. Pour Kawฤkibฤซ, plus le pouvoir se caractรฉrise par ces critรจres, plus celui-ci est despotique. Lorsque ces critรจres sont moins prรฉsents, le despotisme se fait de moins en moins sentir jusquโ€™ร  disparaรฎtre.
Cette catรฉgorisation du despotisme aboutit ร  une divergence de point de vue sur quelques-uns de ses aspects.
Dโ€™aprรจs โ€˜Abduh, le pouvoir nโ€™est plus rรฉellement despotique sโ€™il fait appliquer une lรฉgislation dรฉjร  รฉtablie, mรชme sโ€™il en est le seul exรฉcutant, car cela lโ€™empรชche dโ€™une certaine maniรจre dโ€™exercer une autoritรฉ totalement arbitraire. Il ne peut, dโ€™aprรจs le rรฉformateur รฉgyptien, outrepasser les limites de ces lois. Ce qui lโ€™exclut de la dรฉfinition du despote, terme dont le recours pour dรฉfinir ce dirigeant relรจverait alors dโ€™un abus de langage. Quant ร  la crainte quโ€™il inspire, elle est nรฉcessaire pour faire appliquer et accepter sa politique parmi le peuple. Ce qui finit par lโ€™amener ร  formuler la possibilitรฉ dโ€™un ยซ despote juste ยป dont lโ€™Orient a selon lui besoin pour unir les musulmans sous une seule autoritรฉ mรชme si elle est imposรฉe. De maniรจre gรฉnรฉrale, โ€˜Abduh ne va pas se focaliser sur la rรฉflexion politique car il estime que le plus important est la rรฉforme de la sociรฉtรฉ par lโ€™รฉducation. Il rapporte ร  ce sujet un รฉchange intรฉressant avec son maรฎtre al-Afฤกฤnฤซ qui faisait de lโ€™engagement politique une prioritรฉ. Le disciple lui aurait suggรฉrรฉ ยซ lโ€™idรฉe que nous dรฉlaissions la politique et que nous nous retirions dans un endroit รฉloignรฉ de la surveillance des pouvoirs et que nous enseignions et que nous รฉduquions des รฉlรจves que nous aurions au prรฉalable choisis selon nos critรจres. Il ne se passerait pas dix ans que nous nโ€™ayons tant et tant dโ€™รฉlรจves qui nous suivraient et seraient prรชts ร  quitter leur patrie pour aller de par le monde pour rรฉpandre la rรฉforme exigรฉe qui se diffuserait ainsi de la meilleure faรงon ยป. Nรฉanmoins, sa participation et son engagement (bien que tardifs) aux cรดtรฉs de la rรฉvolte de โ€˜Urฤbฤซ Pacha (1839-1911) et sa position de dรฉfenseur de la constitution qui en a rรฉsultรฉ sont autant dโ€™indices de son souci pour la rรฉforme politique, qui sera partiellement รฉvincรฉe par la rรฉpression de la rรฉvolte par le khรฉdive Tawfฤซq qui a rรฉgnรฉ de 1879 ร  1892, assistรฉ par les autoritรฉs britanniques qui se sont alors saisies des rรชnes du vรฉritable pouvoir en Egypte.
Al-Kawฤkibฤซ sโ€™oppose ร  cette vision du pouvoir car il estime que le despotisme est de fait incompatible avec la justice. Il met en opposition le despote et le juste, le responsable (qui a des comptes ร  rendre), dรฉterminรฉ (par une lรฉgislation) et constitutionnel (qui a une lรฉgitimitรฉ) dans la dรฉfinition quโ€™il propose du despotisme. Cet oxymore que constitue lโ€™association des deux termes dรฉfendue par โ€˜Abduh a dรฉjร  รฉtรฉ dรฉnoncรฉ en France par Mme de Staรซl qui en 1817 sโ€™exclamait dรฉjร  : ยซ Mais n’y a-t-il pas, dit-on, des despotismes รฉclairรฉs, des despotismes modรฉrรฉs? Toutes ces รฉpithรจtes, avec lesquelles on se flatte de faire illusion sur le mot auquel on les adjoint, ne peuvent donner le change aux hommes de bon sens.ยป
La position dรฉfendue par โ€˜Abduh peut sโ€™expliquer par une influence importante de la philosophie politique des Lumiรจres qui a rayonnรฉ en Occident au cours du XVIIIe siรจcle, et particuliรจrement par cette notion de despotisme รฉclairรฉ4. En effet, le recours ร  cette association de termes incompatibles rappelle lโ€™usage qui en รฉtait fait en Europe et qui servait ร  dรฉsigner ces monarques sโ€™inspirant des idรฉes modernes des Lumiรจres pour favoriser le progrรจs (et donner par la mรชme occasion quelque lรฉgitimitรฉ ร  leur pouvoir) comme par exemple Frรฉdรฉric II de Prusse ou Catherine II de Russie. Ce parallรจle est dโ€™autant plus pertinent quโ€™al-Kawฤkibฤซ รฉvoque le cas de cette derniรจre, en soulignant lโ€™autoritarisme despotique quโ€™elle lui inspirait. Il la dรฉcrit comme une femme sans morale dont le seul objectif รฉtait de sโ€™enrichir sur le dos de son peuple qui devait travailler plus dur pour satisfaire ses caprices รฉgoรฏstes. ยซ Cโ€™est ainsi que la morale nโ€™intรฉresse pas les despotes, tout ce qui compte pour eux, cโ€™est lโ€™argent ยป, conclut-il.
Par consรฉquent, et contrairement ร  son homologue รฉgyptien, le rรฉformateur aleppin ne conรงoit pas dโ€™association entre le despotisme et la justice et affirme que les dirigeants de certaines nations รฉtrangรจres sont meilleurs que les dirigeants musulmans car ils sont plus proches de la justice et de la rรฉalisation des intรฉrรชts gรฉnรฉraux, comme le dรฉclarait cheikh al-islฤm Ibn Taymiyya (m. 1328), lโ€™une des rรฉfรฉrences majeures des salafฤซs. Ils ont รฉgalement le souci de la prospรฉritรฉ du pays ainsi que lโ€™encouragement de la culture et de lโ€™instruction du peuple. Il renvoie au verset : ยซ Et ton Seigneur nโ€™est point tel ร  dรฉtruire injustement des citรฉs dont les habitants sont des rรฉformateurs ยป, ainsi quโ€™ร  la tradition prophรฉtique ยซ Je suis nรฉ au temps du roi juste ยป, rรฉfรฉrence ร  Chosroรชs qui รฉtait zoroastrien . La qualitรฉ premiรจre du dirigeant nโ€™est donc pas dโ€™aprรจs al-Kawฤkibฤซ son islamitรฉ ou la crainte quโ€™il inspire, mais sa justice. Inversement, lโ€™injustice du despote fait de lui ce quโ€™il y a de plus exรฉcrable comme dirigeant politique : ยซ Et peut-รชtre perรงoivent-ils ceux qui appellent ร  la rรฉforme comme des las de la religion, comme si le simple fait que le dirigeant soit musulman suffise mรชme au dรฉpend de la justice, comme si les musulmans avaient lโ€™obligation de lui obรฉir mรชme sโ€™il dรฉtruit leur pays et tue leurs enfants et les dirige pour les soumettre ร  des gouvernements รฉtrangers […]. La perte de la libertรฉ est ce qui a provoquรฉ la dรฉcadence ยป.
Cette divergence de point de vue sur le despotisme explique les attitudes diffรฉrentes des rรฉformateurs face ร  la crise politique. โ€˜Abduh croit en la rรฉforme sous le despotisme car celui-ci, sโ€™il est acquis ร  sa cause, pourrait servir de diffuseur de ses thรฉories et rรฉaliser les changements nรฉcessaires. Cela explique certains de ces commentaires en faveur des khรฉdives ou du sultan dont il fait lโ€™รฉloge et prend la dรฉfense. Al-Afฤกฤnฤซ avait un tempรฉrament plus rรฉvolutionnaire, ce que son disciple โ€˜Abduh compte tenu de son orientation politique ne manque pas de lui reprocher de maniรจre rรฉtrospective : ยซ Il [al-Afฤกฤnฤซ] sโ€™รฉtait approchรฉ des pouvoirs suffisamment pour pouvoir rรฉformer lโ€™รฉducation et lโ€™instruction sans avoir ร  sโ€™opposer ร  la dรฉbauche de leur cour ni ร  prendre parti dans leurs affaires dโ€™Etat ; bien plutรดt il devait chercher ร  les aider dans ce qui les concernait personnellement et cela eut รฉtรฉ bien [โ€ฆ]. Mais il sโ€™est immiscรฉ dans les affaires immorales et pleines de dรฉbauches de ces princes alors quโ€™il รฉtait impossible dโ€™en rien rรฉformer, cโ€™est pourquoi son entreprise a รฉchouรฉ ยป. Cette critique du manque de diplomatie de son maรฎtre explicite la maniรจre dont โ€˜Abduh conรงoit la rรฉforme sous le despotisme, tout comme elle confirme la dรฉtermination de son maรฎtre dans son opposition politique. Ce dernier nโ€™hรฉsitait pas ร  dรฉnoncer la crise politique et morale dont souffrait lโ€™empire ottoman, constituant ainsi une menace pour le pouvoir comme en tรฉmoigne son exil dโ€™Egypte en aoรปt 1879, avant les รฉvรฉnements qui ont entraรฎnรฉ la rรฉvolte de โ€˜Urฤbฤซ Pacha. Son opposition politique nโ€™en devient alors que plus marquรฉe.
Dans cet article dโ€™al-โ€˜Urwฤ al-Wuแนฏqฤ, la responsabilitรฉ des dirigeants politiques dans la situation dรฉcadente que vit le monde arabo-musulman ne fait aucun doute. ยซ Les temps sont devenus si cruels et la vie si pรฉnible et bouleversรฉe que certains Musulmans โ€“ ils sont dโ€™ailleurs rares โ€“ perdent patience et supportent difficilement que leurs dirigeants soient des oppresseurs et renoncent dans leur comportement ร  appliquer les principes de la justice canonique. ยป Les rรฉformateurs de la revue parisienne vont jusquโ€™ร  faire de cette vรฉritรฉ une rรจgle historique, prenant ร  titre dโ€™argument le passรฉ marquรฉ par les schismes et les querelles fratricides : ยซ [โ€ฆ] En vรฉritรฉ, les scissions et les divisions qui se sont produites dans les Etats musulmans nโ€™ont pour origine que les manquements des chefs qui sโ€™รฉloignent des principes solides sur lesquels la religion islamique sโ€™est รฉdifiรฉe et qui sโ€™รฉcartent des chemins suivis par leurs premiers ancรชtres. En effet, aller ร  lโ€™encontre des principes solidement รฉtablis et sโ€™รฉcarter des chemins habituels, sont les choses les plus prรฉjudiciables au pouvoir suprรชme. Lorsque ceux qui, en islam, dรฉtiennent le pouvoir, reviendront aux rรจgles de leur Loi et modรจleront leur conduite sur celle des premiรจres gรฉnรฉrations, il ne se passera que peu de temps avant que Dieu ne leur donne un pouvoir รฉtendu et ne leur accorde quโ€™une puissance comparable ร  celle dont jouirent les Califes orthodoxes, Imams de la religion.ยป

Vers une libรฉration de la pensรฉe islamique

Le fait de ยซ renverser lโ€™autoritรฉ religieuse ยป est le cinquiรจme des fondements quโ€™รฉnonce le cheikh โ€˜Abduh. Dโ€™autres de ces fondements constituent des axes mรฉthodologiques permettant de cerner le rapport entre raison et rรฉvรฉlation, ainsi que la dialectique de la religion et de la science.
Les deux premiers fondements de lโ€™islam selon โ€˜Abduh sont ยซ lโ€™examen rationnel pour acquรฉrir la foi ยป et ยซ la prรฉรฉminence de la raison sur le sens de la rรฉvรฉlation en cas de doute ยป. On ne peut selon lui tendre ร  une plรฉnitude de la foi sans une approche pourvue de raison, indispensable ร  une quรชte de la vรฉritรฉ. Al-Afฤกฤnฤซ et al-Kawฤkibฤซ confirment cette conception rationnelle de la religion, en argumentant que lorsque deux sources au sens apparent ou interprรฉtรฉ se contredisent, le recours ร  la raison sโ€™impose.
Le meilleur moyen de revivifier la religion et lui rendre son rรดle dโ€™รฉducation morale pour le croyant est le recours ร  la philosophie. Celle-ci est dโ€™aprรจs al-Afฤกฤnฤซ la science qui permet dโ€™apporter la cohรฉrence ร  nโ€™importe quel savoir, et ainsi apporter la certitude dans lโ€™esprit de celui qui la pratique. Lโ€™influence de วฆamฤl ad-Dฤซn dans ce domaine est la plus importante et sa contribution ร  la rรฉhabilitation de la philosophie dans la pensรฉe musulmane est รฉvidente.Cela se fait dans un premier temps par un rappel de lโ€™histoire de la philosophie dans le monde arabe, en รฉvoquant des grands noms de la civilisation arabo-musulmane tels que โ€™Ibn Ruลกd1, Ibn Sฤซna2 ou encore al-Farฤbฤซ (m. 905). Dans un second temps, il รฉnonce les bienfaits de la philosophie qui selon lui mรจne ร  la vรฉracitรฉ et ร  l’amรฉlioration des moeurs et constitue un facteur de civilisation et ce de maniรจre universelle.
De mรชme, les sciences participent au progrรจs des civilisations. Si le monde arabo-musulman se trouve dans cet รฉtat de dรฉcadence, cela est notamment dรป ร  la nรฉgligence des sciences autres que religieuses. Dโ€™aprรจs al-Afฤกฤnฤซ, le savoir est la raison essentielle qui explique la supรฉrioritรฉ gรฉopolitique de lโ€™Occident sur le reste du monde. Selon lui, la colonisation des Afghans et des Tunisiens ne se rรฉsument pas simplement ร  des rapports de force militaire. La cause principale de ces dรฉfaites ne sont que la dรฉmonstration de la grandeur et de la puissance des sciences sur lโ€™ignorance qui nโ€™a dโ€™autres possibilitรฉs que de sโ€™y soumettre. โ€˜Abduh rejoint son maรฎtre sur ce point et explique la domination des nations europรฉennes ainsi : ยซ Aprรจs rรฉflexion, nous trouvons quโ€™il nโ€™y a dโ€™autre cause au dรฉveloppement de leur richesse et de leur puissance que le haut niveau de leur instruction et de leur prรฉparation scientifique, donc notre premier devoir est de nous efforcer, autant que possible ร  rรฉpandre ces sciences parmi nos compatriote5. ยป Ils constatent donc que le domaine scientifique ne fait pas lโ€™objet dโ€™รฉtudes poussรฉes permettant de rattraper le retard et de prรฉtendre ร  un rang respectable parmi les civilisations.
Cette curiositรฉ pour ces savoirs de la connaissance du monde a รฉtรฉ รฉtouffรฉe. Al-Afฤกฤnฤซ cherche ainsi ร  rรฉtablir ce quโ€™il perรงoit comme une injustice ร  lโ€™encontre des sciences et une erreur, ร  savoir la confusion des oulรฉmas qui divisent la science en deux catรฉgories : une science europรฉenne qui serait de par son origine occidentale incompatible avec lโ€™islam, et une autre science musulmane qui se rรฉsumerait ร  une connaissance basique en langue arabe et en kalฤm se rรฉfรฉrant strictement aux sources traditionnelles de lโ€™islam. Les oulรฉmas sujets ร  ce manque de discernement interdisent en consรฉquence lโ€™รฉtude et le recours ร  des sciences dites profanes. Ce qui constitue une erreur lourde de consรฉquences selon al-Afฤกฤnฤซ car il est important de distinguer la valeur et lโ€™utilitรฉ universelle de ces sciences qui peuvent enrichir et dรฉvelopper la culture arabo-musulmane dโ€™une part et lโ€™influence nรฉfaste de la pensรฉe occidentale de lโ€™autre. Lors dโ€™un discours donnรฉ ร  des รฉtudiants indiens sur lโ€™enseignement et lโ€™apprentissage, il rappelle de nombreux รฉlรฉments des sciences contemporaines hรฉritรฉs de la civilisation orientale, et notamment indienne en รฉvoquant entre autres les chiffres auxquels on a recours dans le monde entier1.
Comme nous lโ€™avons soulignรฉ plus haut, lโ€™influence des philosophes musulmans de lโ€™รฉpoque classique sur le maรฎtre วฆamฤl ad-Dฤซn est considรฉrable. Celle-ci explique sa considรฉration des sciences. En effet, durant ce discours donnรฉ aux รฉtudiants, il explique que ยซ la vรฉritรฉ se trouve lร  oรน il y a preuve, et [que] ceux qui interdisent la science et le savoir en pensant protรฉger la religion musulmane sont en rรฉalitรฉ les ennemis de cette religion ยป . Il cite ensuite Abลซ แธคฤmid al-ฤ azฤlฤซ (m.1111) qui dans al-Munqiแธ min aแธ-แธalฤl (la Dรฉlivrance de lโ€™erreur) รฉnonรงait la rรจgle suivante : ยซ Quiconque affirme que la religion islamique est incompatible avec les preuves mathรฉmatiques, les dรฉmonstrations philosophiques (logiques) et les lois de la nature est un ami ignorant de lโ€™islam. Et le mal de cet ami ignorant de lโ€™islam est plus grave que celui dโ€™hรฉrรฉtiques ou ennemis de lโ€™islam, car les lois de la nature, les preuves mathรฉmatiques et les dรฉmonstrations philosophiques sont des vรฉritรฉs qui sโ€™imposent comme des รฉvidences. Ainsi, quiconque dirait โ€˜โ€˜ma religion contredit ces vรฉritรฉs รฉvidentes, a inรฉvitablement dรฉmontrรฉ lโ€™invaliditรฉ de sa religionโ€™โ€™ยป.
Al-Kawฤkibฤซ regrette cette nรฉgligence des sciences naturelles et profanes par ceux qui se contentent des sciences religieuses et dโ€™un peu de mathรฉmatiques et rappelle le dicton ยซ lโ€™homme est ennemi de ce quโ€™il ignore ยป, une maniรจre dโ€™inciter avant tout ร  faire preuve de curiositรฉ et ร  dรฉcouvrir ce que ces sciences peuvent apporter de maniรจre objective. Lorsquโ€™il รฉvoque le christianisme et la mรฉfiance quโ€™il inspirait vis-ร -vis des sciences, il met en garde les oulรฉmas de tomber dans le mรชme piรจge : ยซ La religion pleine de lรฉgendes et la raison รฉclairรฉe ne peuvent se rรฉunir dans un mรชme esprit ยป. Pour cette raison, beaucoup de scientifiques et dโ€™esprits รฉclairรฉs se sont รฉcartรฉs du christianisme selon les rรฉformateurs, chose quโ€™il faut รฉviter pour lโ€™islam qui en rรฉalitรฉ place le savoir sur un piรฉdestal. Or de leurs jours, la civilisation occidentale a largement distancรฉ la civilisation musulmane car celle-ci ne donne pas ร  la science le statut qui lui est dรป6 : ยซ Dis : ย ยป Sont-ils รฉgaux ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?ย ยป Seuls rรฉflรฉchissent les hommes douรฉs d’intelligence1 ยป. Cโ€™est dโ€™aprรจs eux conformรฉment ร  cette logique coranique que le monde arabo-musulman sโ€™est laissรฉ distancรฉ par les autres civilisations, et notamment lโ€™occidentale.
Cette science est mรชme un moyen de prouver le miracle que constitue le Coran selon al-Kawฤkibฤซ qui insiste sur cet aspect. Dโ€™aprรจs lui, la Rรฉvรฉlation รฉnonce des vรฉritรฉs gรฉologiques, biologiques ou encore astronomiques que la science vient tout juste de dรฉmontrer soit douze siรจcles aprรจs la mort du Prophรจte. Ainsi, ces donnรฉes quโ€™on appelle communรฉment des ยซ miracles scientifiques du Coran ยป peuvent servir ร  renforcer la vรฉracitรฉ et la crรฉdibilitรฉ de lโ€™islam et ร  affirmer la foi du croyant.
Cette idรฉe sโ€™est trรจs vite rรฉpandue jusquโ€™ร  nos jours parmi la masse populaire (la โ€˜ฤmma) des musulmans qui aiment ร  รฉvoquer ce genre de ยซ miracles ยป parfois dans une logique apologรฉtique, mais le plus souvent pour sโ€™assurer de lโ€™origine divine du Coran. Mais le cheikh โ€˜Abduh fait preuve de retenue face ร  cette tendance : ยซ Muhammad โ€˜Abduh, faisant preuve dโ€™une remarquable sobriรฉtรฉ pour lโ€™รฉpoque, se dรฉmarque de cette tendance et ne tente nullement dโ€™ ยซ extraire ยป des sciences du Coran car lโ€™objet du Coran est, pour lui, ailleurs ยป. En effet, cette approche ne fait pas partie selon lui des prรฉrogatives du Coran dont le rรดle premier est dโ€™apporter des enseignements moraux et des pistes de cheminement spirituel. Ceci รฉtant, ยซ il insiste cependant sur le fait que le Coran ne contient rien de contraire ร  la science et il signale que certains versets laissent supposer plusieurs siรจcles dโ€™avance ; incompris dans le passรฉ, ces versets font, en fait, allusion ร  des dรฉcouvertes scientifiques qui seront faรฎtes beaucoup plus tard, ร  lโ€™รฉpoque moderne. Mais cela reste trรจs secondaire pour Muhammad โ€˜Abduh ยป. Il est nรฉanmoins ร  noter quโ€™ร  plusieurs reprises dans son commentaire du Coran, le cheikh โ€˜Abduh sโ€™adonne ร  cette interprรฉtation scientifique comme pour la sourate 105 : ยซ [Elle] parle dโ€™Abraha al-แธคabaลกฤซ qui aurait voulu dรฉtruire la Kaโ€˜ba, mais lโ€™intervention divine a fait que son armรฉe a reculรฉ devant la chute de pierres portรฉes par des oiseaux. โ€˜Abduh explique ce ยซ miracle ยป en ces termes : ยซ Ces oiseaux sont des mouches porteuses de microbes qui provoquent des maladies, et ces pierres sont de la boue sรจche contaminรฉe. ยป

Une thรฉologie du libre-arbitre

Les rรฉformateurs ont constatรฉ un manque dโ€™engagement populaire qui a participรฉ ร  la dรฉcadence, notamment en permettant au despotisme de perdurer et ce sans rรฉagir. Une idรฉe rรฉcurrente dans leur rรฉflexion et qui revient comme un leitmotiv lorsquโ€™il sโ€™agit du peuple est la signification des notions complรฉmentaires de โ€™amr bi l-marโ€˜ลซf et de nahy โ€˜an al-munkar, notions trรจs prรฉsentes dans le texte coranique. Ceci afin dโ€™expliquer ร  la masse populaire que mener une vie conforme ร  la thรฉologie musulmane ne consiste pas ร  mener une vie dโ€™insouciance en se soumettant ร  un destin immuable comme tรฉmoignage de foi et de piรฉtรฉ. La vraie foi saine est celle qui au contraire pousse ร  lโ€™engagement et ร  lโ€™action pour la rรฉussite individuelle mais aussi collective.
Dans le Coran, cette notion apparait ร  huit reprises. Dans son commentaire de la premiรจre de ces occurrences, โ€˜Abduh souligne lโ€™injonction de mettre en pratique ce โ€™amr bi al-maโ€˜rลซf dans le verset, et signale que lโ€™une des questions qui sโ€™est posรฉe parmi les exรฉgรจtes รฉtait de savoir si cet impรฉratif visait chaque musulman ou uniquement certaines personnes qui seraient qualifiรฉes et dรฉsignรฉes pour ce rรดle (ร  lโ€™image du muแธฅtasib par exemple3). Le rรฉformateur รฉgyptien opte clairement pour lโ€™avis selon lequel cet ordre coranique incombe ร  tout un chacun. Il est en dรฉsaccord sur ce point avec le commentaire dโ€™aแนฃ-แนขuyลซแนญฤซ pour qui lโ€™injonction est adressรฉe ร  une partie des musulmans seulement, conditionnรฉe par la connaissance et la distinction entre ce qui entre dans la catรฉgorie du maโ€˜rลซf et ce qui concerne le munkar. โ€˜Abduh rรฉtorque que dans son sens le plus absolu, le terme maโ€˜rลซf signifie ce qui est connu, autrement dit tout musulman est en thรฉorie naturellement en mesure de faire cette distinction.
Al-Kawฤkibฤซ rejoint parfaitement โ€˜Abduh sur cette analyse. Il estime tout comme lui que lโ€™obligation incombant ร  la โ€™umma dans son ensemble et non ร  chaque individu les dรฉresponsabilise et fait de la masse populaire un troupeau plus docile et manipulable. De plus, cette interprรฉtation contredit un hadith rรฉpandu : ยซ Chacun parmi vous est un gardien, et chacun parmi vous est responsable de ce quโ€™il garde1ยป. Dโ€™ailleurs, il note รฉgalement la comprรฉhension erronรฉe de ce hadith qui pour beaucoup limiterait la responsabilitรฉ de chacun ร  sa famille, ce ร  quoi il sโ€™oppose. Dโ€™aprรจs lui, ce hadith fait lui-mรชme รฉcho au verset : ยซ Les croyants et croyantes sont de proches amis les uns des autres. Ils s’ordonnent mutuellement ce qui est biensรฉant et s’interdisent ce qui est malsรฉant.ยป2 Celui-ci indique la responsabilitรฉ mutuelle de chaque muโ€™min et muโ€™mina3 qui ne se limite pas au tรฉmoignage comme certains le prรฉtendent dโ€™aprรจs al-Kawฤkibฤซ.
Ainsi la religion ne sert plus ร  assumer cette responsabilitรฉ sociale si chรจre ร  al-Afฤกฤnฤซ4 mais elle devient au contraire un outil dโ€™asservissement des peuples entre les mains des oulรฉmas et de lโ€™autoritรฉ politique quโ€™ils servent.
Pour les rรฉformateurs, cโ€™est ce genre de travestissement des principes de la religion qui a menรฉ le peuple ร  cet รฉtat de dรฉcadence, comme en tรฉmoigne ce hadith citรฉ par al-Kawฤkibฤซ : ยซ Soit vous conseillez le convenable et rรฉprouvez lโ€™inconvenable, soit vous serez torturรฉs par les pires dโ€™entre vous.ยป Dans le mรชme esprit, le verset suivant est rรฉguliรจrement invoquรฉ afin de responsabiliser le peuple : ยซ Dieu ne change rien ร  l’รฉtat de choses dans lequel se trouvent les hommes tant que ceux-ci ne changent pas ce qui est en eux-mรชmes.ยป Ainsi dโ€™aprรจs les rรฉformateurs, le peuple se doit dโ€™รชtre attentif ร  son comportement et ses actions afin dโ€™รชtre en position de rรฉformer leur sociรฉtรฉ. Le fait dโ€™avoir des manquements ร  ce niveau indique une mauvaise comprรฉhension des finalitรฉs de la religion.
Ces conseils tรฉmoignent dโ€™un pragmatisme et dโ€™une volontรฉ de passer ร  lโ€™action et non de se contenter uniquement dโ€™une thรฉorie abstraite, dont lโ€™objectif est avant tout la rรฉforme concrรจte en vue dโ€™apporter le souffle de progrรจs que le monde arabo-musulman a perdu au fil des siรจcles. Dโ€™oรน la nรฉcessitรฉ dโ€™apporter aux nouvelles gรฉnรฉrations une nouvelle grille de comprรฉhension du fonctionnement de leur sociรฉtรฉ (et notamment au niveau politique) et des outils pratiques pour parvenir ร  y contribuer ร  moyen terme.
Cโ€™est cette mรฉthode quโ€™adoptent les rรฉformateurs pour initier leur rรฉflexion politique, qui ne peut aboutir ร  des rรฉsultats concrets sans la participation du peuple, comme le dรฉclarait Muแธฅammad โ€˜Abduh : ยซ Et je lanรงais aussi un appel en faveur dโ€™une autre rรฉforme que les gens ignoraient et dont ils ne semblaient mรชme pas comprendre la portรฉe ; cependant cette rรฉforme est ร  la base de la vie sociale et les Egyptiens ne sont tombรฉs en dรฉcadence, et nโ€™ont รฉtรฉ humiliรฉs par leurs voisins, que parce quโ€™ils lโ€™avaient nรฉgligรฉe. Elle consiste ร  tracer une ligne de dรฉmarcation bien nette entre les droits quโ€™a le gouvernement sur le peuple, et cโ€™est le droit ร  lโ€™obรฉissance, et ceux quโ€™a le peuple vis-ร -vis de son gouvernement, et cโ€™est le droit ร  la justice. [โ€ฆ] Le souverain nโ€™est quโ€™un homme comme les autres ; [โ€ฆ] la seule chose qui puisse รฉviter [ses] erreurs et mettre un frein ร  ses passions, ce sont les conseils que lui donne la nation en paroles et en actions.

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Table des matiรจres

LISTES DES TRANSCRIPTIONS
INTRODUCTIONย 
I. LA QUESTION CENTRALE DE Lโ€™IแนขLฤ€แธคย 
1. DES CAUSES RELIGIEUSES DE LA DECADENCE
2. DESPOTISME ET DECADENCE
II. DECONSTRUCTION DU POUVOIR RELIGIEUX
1. VERS UNE LIBERATION DE LA PENSEE ISLAMIQUE
2. UNE THEOLOGIE DU LIBRE-ARBITRE
III. REFORME DE LA PENSEE POLITIQUEย 
1. RESTAURATION DU CALIFAT
2. DEBATS SUR LES FORMES DE Lโ€™ETAT
CONCLUSIONย 
BIBLIOGRAPHIEย 
SOURCES DE PREMIERE MAINย 
SOURCES SECONDAIRESย 
RESSOURCES INTERNET

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