LA QUESTION CENTRALE DE LโIแนขLฤแธค
Nombreux sont les mouvements et les personnes qui se sont revendiquรฉs de ce mouvement de rรฉforme. Les sociรฉtรฉs arabo-musulmanes ont en effet connu durant cette pรฉriode-lร un foisonnement intellectuel exceptionnel qui a vu naรฎtre de nouvelles logiques pour de nouvelles perspectives, pour des peuples qui sโรฉtaient depuis quelques siรจcles endormis (en opposition au rรฉveil, la Nahแธa) dans leur taqlฤซd.
Les penseurs musulmans de la deuxiรจme moitiรฉ du XIXe siรจcle ont fait preuve dโune activitรฉ intellectuelle et dโun effort de rรฉflexion littรฉralement exceptionnels pour leur รฉpoque durant laquelle lโintrospection et la remise en question collective nโรฉtaient plus dโactualitรฉ. Ils ont rappelรฉ combien il รฉtait important toujours de garder un esprit critique, surtout au sein du systรจme de pensรฉe auquel on se rรฉfรจre. A dรฉfaut de quoi, et cโest ร partir de ce constat que ces penseurs ont engagรฉ leur processus de questionnement, ce systรจme ne participe plus ร lโessor et au dรฉveloppement de la sociรฉtรฉ, mais finit au contraire par favoriser la lรฉthargie et le dรฉclin de celle-ci.
Dans toutes ses dimensions, le monde arabo-musulman avait sombrรฉ dans une dรฉcadence quโune confrontation avec le modรจle occidental moderne et croissant devait inรฉluctablement finir par rรฉvรฉler au grand jour. Que ce soit par le dรฉbut des colonisations ou ร travers certains auteurs dont les rรฉcits de voyage en Europe dรฉpeignaient une civilisation en dรฉveloppement dans bien des aspects comme celui de Rifฤโa at-แนฌahแนญฤwฤซ1 (1801-1873), il devenait indรฉniable que les tendances sโรฉtaient progressivement inversรฉes : lโรขge dโor de la civilisation arabo-musulmane sโรฉtait vu supplantรฉ par les progrรจs occidentaux. Dโaprรจs Malek Bennabi (m. 1973), al-Afฤกฤnฤซ (1838-1897) รฉtait ยซ le tรฉmoin intรจgre lucide mais impuissant de la dรฉcadence de sa sociรฉtรฉ, alors que la colonisation sโinstallait sur son sol. Ce fut pour lui la chute matรฉrielle et morale de la sociรฉtรฉ musulmane ยป.
Le constat รฉtait sans appel. Il fallait dรฉsormais se rendre ร lโรฉvidence : la pensรฉe arabo-musulmane รฉtait devenue au fil des derniers siรจcles un corps sans รขme, une banniรจre que lโon dรฉployait sans savoir ร quoi elle pouvait servir. Ainsi, les penseurs musulmans ont cherchรฉ ร comprendre ce qui avait pu amener ร cette situation. Cela sโest traduit par un certain nombre de questions dont les rรฉponses seraient une premiรจre รฉtape pour remรฉdier ร la paralysie sociale et intellectuelle.
Le raisonnement รฉtait le suivant : en principe, la rรฉfรฉrence religieuse devait traduire un idรฉal thรฉorique qui, mis en pratique, aurait pour rรฉsultat une nation souveraine dont les dimensions socio-รฉconomique, politique, morale, militaire et autre seraient en constant progrรจs et le modรจle ร suivre, puisque รฉmanant de prรฉceptes divins donc parfaits.
Puisque cela nโรฉtait manifestement pas le cas et que les sociรฉtรฉs majoritairement musulmanes sโรฉtaient retrouvรฉes en position de faiblesse dโun point de vue gรฉostratรฉgique ainsi que de celui des diverses dimensions mentionnรฉes plus haut, il semblait logique quโun problรจme se posait au niveau de la rรฉfรฉrence essentielle que constituait lโislam. Si la rรฉfรฉrence au religieux en tant quโidรฉal thรฉorique รฉmanant du Divin รฉtait de fait incontournable et nรฉcessaire, comment se faisait-il quโelle permette malgrรฉ tout cette dรฉcadence ? Lโislam a-t-il rรฉellement pour vocation de rรฉaliser concrรจtement et de maniรจre visible dans la sociรฉtรฉ cet idรฉal dโorigine divine ? De ces premiรจres interrogations dรฉcoulent deux possibilitรฉs : soit lโislam nโa pas pour objectif le progrรจs civilisationnel auquel cas il faut se poser la question de lโutilitรฉ de la rรฉfรฉrence religieuse, soit cela fait bien partie de ses objectifs, et alors la rรฉflexion porterait plutรดt sur les facteurs entravant la rรฉalisation de ce dessein et les maniรจres dโy remรฉdier.
La rรฉflexion initiรฉe par ces questionnements sโoriente vers la deuxiรจme possibilitรฉ. Cโest dโailleurs ce vers quoi tendaient les premiers ร constater cet รฉtat dรฉcadent comme แธชayr ad-Dฤซn at-Tลซnisฤซ (m.1890) qui propose une rรฉflexion sur les causes de la dรฉcadence. Il estime en effet inรฉvitable que les religieux chargรฉs du pouvoir spirituel soient en mesure dโรฉvaluer la situation de la sociรฉtรฉ, dโen faire une analyse scientifique et dโy proposer des solutions ou remรจdes. Cโest ainsi que les penseurs musulmans sโinscrivent dans une dรฉmarche de rรฉforme (iแนฃlฤแธฅ) en se lanรงant dans un nouvel effort critique (iฤtihฤd) afin de dรฉconstruire des logiques dogmatiques รฉtablies qui agissent comme des carcans qui figent la rรฉflexion et que แธชayr ad-Dฤซn appelle de ses voeux.
Des causes religieuses de la dรฉcadence
Parmi les facteurs les plus rรฉcurrents, certains rรฉformateurs รฉvoquent le laxisme vis-ร -vis de la religion qui se traduit de diverses maniรจres. En effet, les rรฉformateurs musulmans constatent que la sociรฉtรฉ nโest plus en accord avec les principes dรฉduits des sources de lโislam, car une partie de la population nโest plus soucieuse de ceux-ci, voyant par exemple dans le seul modรจle occidental une nouvelle voie salutaire qui fait ses preuves. Ils renvoient aussi ร la comprรฉhension mรชme des Textes en jugeant que celle-ci a รฉtรฉ erronรฉe sur bien des aspects. Cela a eu pour consรฉquence de permettre dโintroduire des รฉlรฉments inรฉdits dans le crรฉdo ou la pratique qui nโont rien ร voir avec le message originel de lโislam dโaprรจs les rรฉformateurs. Cโest pourquoi ils se montrent trรจs critiques ร lโรฉgard des bidโa-s infondรฉes selon eux qui rรฉpandent รฉnormรฉment de croyances et de superstitions contreproductives et qui amputent ร lโislam son rรดle de stimulateur ร tous les niveaux et lโรฉloignent de ses nobles objectifs. Cette situation conforte lโimmobilisme du peuple que ce soit politiquement, intellectuellement ou socialement et favorise รฉgalement les divergences sur des questions en rรฉalitรฉ sans incidence sur la vie des musulmans, ce qui provoque une division de fond de la โumma qui, disloquรฉe, nโest plus capable de rรฉagir face aux inรฉgalitรฉs sociales ou aux ingรฉrences politiques et conquรชtes des puissances coloniales รฉtrangรจres.
Ensuite, la question religieuse pose une problรฉmatique ร laquelle les rรฉformateurs vont tรขcher de rรฉpondre. En effet, ils ont vu en Europe lโhostilitรฉ du mouvement des Lumiรจres pour la religion, et certains orientalistes parmi lesquels Ernest Renan sโempressent de voir en lโislam un frein essentiel au dรฉveloppement et au progrรจs, jugeant que cette religion sโoppose ร la science et ร la modernitรฉ. Mรชme en Egypte, certains comme Faraแธฅ Anแนญลซn (1874-1922) adoptent cette vision et expriment une certaine hostilitรฉ ร lโรฉgard de lโislam. Dans ce contexte, les rรฉponses dโal-Afฤกฤnฤซ1 et de โAbduh2 se veulent ร la fois apologรฉtiques dans le sens oรน selon eux, lโislam ne peut avoir quโun apport positif sur la sociรฉtรฉ, mais aussi critique vis-ร -vis de lโapproche de la religion par les oulรฉmas qui ont finit par permettre ces accusations. Afin de dรฉmontrer lโinnocence de lโislam dans la dรฉcadence du monde arabo-musulman, dโexpliquer oรน se trouve en rรฉalitรฉ le problรจme dans le traitement qui en est fait, et trouver les solutions aux vrais facteurs de la rรฉgression, le projet de rรฉforme intรจgre un questionnement sur la mรฉthodologie religieuse et sur ses consรฉquences sur le rapport entre gouvernant et gouvernรฉs.
Despotisme et dรฉcadence
En plus de ce constat, une partie importante de lโanalyse des rรฉformateurs concerne les causes politiques de la dรฉcadence. Cela vise autant la philosophie politique quasi-inexistante dans le systรจme de pensรฉe arabo-musulman que les institutions qui dรฉtiennent lโautoritรฉ. Dans ce sens, une rรฉelle remise en question de la politique menรฉe est initiรฉe et aboutit ร une critique virulente de son aspect le plus รฉvident et le plus nรฉfaste, ร savoir le despotisme (al-istibdฤd). Pour les rรฉformateurs, ยซ si celui qui gouverne [la โumma] est ignorant et vil, dโun pauvre engagement [โฆ] et docile ยป, il entraรฎne inรฉvitablement la โumma dans sa chute, dans les limbes de lโignorance, de la pauvretรฉ et il se montre injuste, ouvrant la porte aux ennemis รฉtrangers.
On retrouve ici plusieurs aspects de la dรฉcadence dรฉnoncรฉs par les rรฉformateurs, pour qui il ne faisait aucun doute que le pouvoir politique a une grande responsabilitรฉ dans cette situation, si ce nโest la plus importante. Pour al-Kawฤkibฤซ, la conclusion de sa quรชte des origines de la dรฉcadence aboutit forcรฉment aux mรฉfaits du despotisme. Cโest pourquoi il rรฉdige un traitรฉ quโil intitule แนฌabฤโiโ al-istibdฤd (les Caractรจres du despotisme) qui selon ses dires ยซ ne vise pas un dirigeant ou un gouvernement en particulier ยปmais qui va chercher ร dรฉfinir clairement le despotisme, ses consรฉquences sur lโรฉtat du monde arabo-musulman et qui va รฉgalement tenter dโidentifier quelques moyens de sโen dรฉbarrasser.
Les rรฉformateurs ont donnรฉ quelques dรฉfinitions permettant dโidentifier le despotisme et ainsi limitรฉ son champ dโรฉtude.
Le despotisme politique est la mainmise dโune seule personne ou entitรฉ sur lโensemble de la population, de sorte que tout ne dรฉpend que de sa volontรฉ de maniรจre absolue. Ainsi, il peut choisir de se soumettre aux lois ou de sโen รฉcarter. Le respect de lโordre est sujet ร son bon vouloir1. Al-Kawฤkibฤซ dรฉveloppe sa dรฉfinition du despotisme en expliquant tout dโabord que linguistiquement, ce terme signifie la tendance quโa une personne ร se contenter de son avis, ainsi que le rejet de tout conseil venant dโautrui. Cโest un pouvoir solitaire et sans contrรดle, absolu et arbitraire. Il ajoute ensuite ร la dรฉfinition politique formulรฉe plus haut des synonymes et des antonymes afin dโen expliciter le sens et en donner le champ lexical. Il est intรฉressant de noter quโil y oppose les notions dโรฉgalitรฉ ou encore de solidaritรฉ. De plus, le despotisme a en charge la gestion des affaires publiques quโil peut administrer comme il le souhaite, sans craindre dโavoir ร rendre des comptes ou dโรชtre sanctionnรฉ.
Nรฉanmoins il existe plusieurs catรฉgories de despotisme certaines plus dangereuses que dโautres. La forme de despotisme dont les rรฉformateurs sont unanimes quant au danger quโelle constitue est le despotisme absolu dโune personne (comparรฉe ร Satan dans ce cas) sur son peuple sans aucun contrรดle ni aucune limite. Ce despote est absolu, hรฉritier du trรดne, chef des armรฉes, et dรฉtient lโautoritรฉ spirituelle. Pour Kawฤkibฤซ, plus le pouvoir se caractรฉrise par ces critรจres, plus celui-ci est despotique. Lorsque ces critรจres sont moins prรฉsents, le despotisme se fait de moins en moins sentir jusquโร disparaรฎtre.
Cette catรฉgorisation du despotisme aboutit ร une divergence de point de vue sur quelques-uns de ses aspects.
Dโaprรจs โAbduh, le pouvoir nโest plus rรฉellement despotique sโil fait appliquer une lรฉgislation dรฉjร รฉtablie, mรชme sโil en est le seul exรฉcutant, car cela lโempรชche dโune certaine maniรจre dโexercer une autoritรฉ totalement arbitraire. Il ne peut, dโaprรจs le rรฉformateur รฉgyptien, outrepasser les limites de ces lois. Ce qui lโexclut de la dรฉfinition du despote, terme dont le recours pour dรฉfinir ce dirigeant relรจverait alors dโun abus de langage. Quant ร la crainte quโil inspire, elle est nรฉcessaire pour faire appliquer et accepter sa politique parmi le peuple. Ce qui finit par lโamener ร formuler la possibilitรฉ dโun ยซ despote juste ยป dont lโOrient a selon lui besoin pour unir les musulmans sous une seule autoritรฉ mรชme si elle est imposรฉe. De maniรจre gรฉnรฉrale, โAbduh ne va pas se focaliser sur la rรฉflexion politique car il estime que le plus important est la rรฉforme de la sociรฉtรฉ par lโรฉducation. Il rapporte ร ce sujet un รฉchange intรฉressant avec son maรฎtre al-Afฤกฤnฤซ qui faisait de lโengagement politique une prioritรฉ. Le disciple lui aurait suggรฉrรฉ ยซ lโidรฉe que nous dรฉlaissions la politique et que nous nous retirions dans un endroit รฉloignรฉ de la surveillance des pouvoirs et que nous enseignions et que nous รฉduquions des รฉlรจves que nous aurions au prรฉalable choisis selon nos critรจres. Il ne se passerait pas dix ans que nous nโayons tant et tant dโรฉlรจves qui nous suivraient et seraient prรชts ร quitter leur patrie pour aller de par le monde pour rรฉpandre la rรฉforme exigรฉe qui se diffuserait ainsi de la meilleure faรงon ยป. Nรฉanmoins, sa participation et son engagement (bien que tardifs) aux cรดtรฉs de la rรฉvolte de โUrฤbฤซ Pacha (1839-1911) et sa position de dรฉfenseur de la constitution qui en a rรฉsultรฉ sont autant dโindices de son souci pour la rรฉforme politique, qui sera partiellement รฉvincรฉe par la rรฉpression de la rรฉvolte par le khรฉdive Tawfฤซq qui a rรฉgnรฉ de 1879 ร 1892, assistรฉ par les autoritรฉs britanniques qui se sont alors saisies des rรชnes du vรฉritable pouvoir en Egypte.
Al-Kawฤkibฤซ sโoppose ร cette vision du pouvoir car il estime que le despotisme est de fait incompatible avec la justice. Il met en opposition le despote et le juste, le responsable (qui a des comptes ร rendre), dรฉterminรฉ (par une lรฉgislation) et constitutionnel (qui a une lรฉgitimitรฉ) dans la dรฉfinition quโil propose du despotisme. Cet oxymore que constitue lโassociation des deux termes dรฉfendue par โAbduh a dรฉjร รฉtรฉ dรฉnoncรฉ en France par Mme de Staรซl qui en 1817 sโexclamait dรฉjร : ยซ Mais n’y a-t-il pas, dit-on, des despotismes รฉclairรฉs, des despotismes modรฉrรฉs? Toutes ces รฉpithรจtes, avec lesquelles on se flatte de faire illusion sur le mot auquel on les adjoint, ne peuvent donner le change aux hommes de bon sens.ยป
La position dรฉfendue par โAbduh peut sโexpliquer par une influence importante de la philosophie politique des Lumiรจres qui a rayonnรฉ en Occident au cours du XVIIIe siรจcle, et particuliรจrement par cette notion de despotisme รฉclairรฉ4. En effet, le recours ร cette association de termes incompatibles rappelle lโusage qui en รฉtait fait en Europe et qui servait ร dรฉsigner ces monarques sโinspirant des idรฉes modernes des Lumiรจres pour favoriser le progrรจs (et donner par la mรชme occasion quelque lรฉgitimitรฉ ร leur pouvoir) comme par exemple Frรฉdรฉric II de Prusse ou Catherine II de Russie. Ce parallรจle est dโautant plus pertinent quโal-Kawฤkibฤซ รฉvoque le cas de cette derniรจre, en soulignant lโautoritarisme despotique quโelle lui inspirait. Il la dรฉcrit comme une femme sans morale dont le seul objectif รฉtait de sโenrichir sur le dos de son peuple qui devait travailler plus dur pour satisfaire ses caprices รฉgoรฏstes. ยซ Cโest ainsi que la morale nโintรฉresse pas les despotes, tout ce qui compte pour eux, cโest lโargent ยป, conclut-il.
Par consรฉquent, et contrairement ร son homologue รฉgyptien, le rรฉformateur aleppin ne conรงoit pas dโassociation entre le despotisme et la justice et affirme que les dirigeants de certaines nations รฉtrangรจres sont meilleurs que les dirigeants musulmans car ils sont plus proches de la justice et de la rรฉalisation des intรฉrรชts gรฉnรฉraux, comme le dรฉclarait cheikh al-islฤm Ibn Taymiyya (m. 1328), lโune des rรฉfรฉrences majeures des salafฤซs. Ils ont รฉgalement le souci de la prospรฉritรฉ du pays ainsi que lโencouragement de la culture et de lโinstruction du peuple. Il renvoie au verset : ยซ Et ton Seigneur nโest point tel ร dรฉtruire injustement des citรฉs dont les habitants sont des rรฉformateurs ยป, ainsi quโร la tradition prophรฉtique ยซ Je suis nรฉ au temps du roi juste ยป, rรฉfรฉrence ร Chosroรชs qui รฉtait zoroastrien . La qualitรฉ premiรจre du dirigeant nโest donc pas dโaprรจs al-Kawฤkibฤซ son islamitรฉ ou la crainte quโil inspire, mais sa justice. Inversement, lโinjustice du despote fait de lui ce quโil y a de plus exรฉcrable comme dirigeant politique : ยซ Et peut-รชtre perรงoivent-ils ceux qui appellent ร la rรฉforme comme des las de la religion, comme si le simple fait que le dirigeant soit musulman suffise mรชme au dรฉpend de la justice, comme si les musulmans avaient lโobligation de lui obรฉir mรชme sโil dรฉtruit leur pays et tue leurs enfants et les dirige pour les soumettre ร des gouvernements รฉtrangers […]. La perte de la libertรฉ est ce qui a provoquรฉ la dรฉcadence ยป.
Cette divergence de point de vue sur le despotisme explique les attitudes diffรฉrentes des rรฉformateurs face ร la crise politique. โAbduh croit en la rรฉforme sous le despotisme car celui-ci, sโil est acquis ร sa cause, pourrait servir de diffuseur de ses thรฉories et rรฉaliser les changements nรฉcessaires. Cela explique certains de ces commentaires en faveur des khรฉdives ou du sultan dont il fait lโรฉloge et prend la dรฉfense. Al-Afฤกฤnฤซ avait un tempรฉrament plus rรฉvolutionnaire, ce que son disciple โAbduh compte tenu de son orientation politique ne manque pas de lui reprocher de maniรจre rรฉtrospective : ยซ Il [al-Afฤกฤnฤซ] sโรฉtait approchรฉ des pouvoirs suffisamment pour pouvoir rรฉformer lโรฉducation et lโinstruction sans avoir ร sโopposer ร la dรฉbauche de leur cour ni ร prendre parti dans leurs affaires dโEtat ; bien plutรดt il devait chercher ร les aider dans ce qui les concernait personnellement et cela eut รฉtรฉ bien [โฆ]. Mais il sโest immiscรฉ dans les affaires immorales et pleines de dรฉbauches de ces princes alors quโil รฉtait impossible dโen rien rรฉformer, cโest pourquoi son entreprise a รฉchouรฉ ยป. Cette critique du manque de diplomatie de son maรฎtre explicite la maniรจre dont โAbduh conรงoit la rรฉforme sous le despotisme, tout comme elle confirme la dรฉtermination de son maรฎtre dans son opposition politique. Ce dernier nโhรฉsitait pas ร dรฉnoncer la crise politique et morale dont souffrait lโempire ottoman, constituant ainsi une menace pour le pouvoir comme en tรฉmoigne son exil dโEgypte en aoรปt 1879, avant les รฉvรฉnements qui ont entraรฎnรฉ la rรฉvolte de โUrฤbฤซ Pacha. Son opposition politique nโen devient alors que plus marquรฉe.
Dans cet article dโal-โUrwฤ al-Wuแนฏqฤ, la responsabilitรฉ des dirigeants politiques dans la situation dรฉcadente que vit le monde arabo-musulman ne fait aucun doute. ยซ Les temps sont devenus si cruels et la vie si pรฉnible et bouleversรฉe que certains Musulmans โ ils sont dโailleurs rares โ perdent patience et supportent difficilement que leurs dirigeants soient des oppresseurs et renoncent dans leur comportement ร appliquer les principes de la justice canonique. ยป Les rรฉformateurs de la revue parisienne vont jusquโร faire de cette vรฉritรฉ une rรจgle historique, prenant ร titre dโargument le passรฉ marquรฉ par les schismes et les querelles fratricides : ยซ [โฆ] En vรฉritรฉ, les scissions et les divisions qui se sont produites dans les Etats musulmans nโont pour origine que les manquements des chefs qui sโรฉloignent des principes solides sur lesquels la religion islamique sโest รฉdifiรฉe et qui sโรฉcartent des chemins suivis par leurs premiers ancรชtres. En effet, aller ร lโencontre des principes solidement รฉtablis et sโรฉcarter des chemins habituels, sont les choses les plus prรฉjudiciables au pouvoir suprรชme. Lorsque ceux qui, en islam, dรฉtiennent le pouvoir, reviendront aux rรจgles de leur Loi et modรจleront leur conduite sur celle des premiรจres gรฉnรฉrations, il ne se passera que peu de temps avant que Dieu ne leur donne un pouvoir รฉtendu et ne leur accorde quโune puissance comparable ร celle dont jouirent les Califes orthodoxes, Imams de la religion.ยป
Vers une libรฉration de la pensรฉe islamique
Le fait de ยซ renverser lโautoritรฉ religieuse ยป est le cinquiรจme des fondements quโรฉnonce le cheikh โAbduh. Dโautres de ces fondements constituent des axes mรฉthodologiques permettant de cerner le rapport entre raison et rรฉvรฉlation, ainsi que la dialectique de la religion et de la science.
Les deux premiers fondements de lโislam selon โAbduh sont ยซ lโexamen rationnel pour acquรฉrir la foi ยป et ยซ la prรฉรฉminence de la raison sur le sens de la rรฉvรฉlation en cas de doute ยป. On ne peut selon lui tendre ร une plรฉnitude de la foi sans une approche pourvue de raison, indispensable ร une quรชte de la vรฉritรฉ. Al-Afฤกฤnฤซ et al-Kawฤkibฤซ confirment cette conception rationnelle de la religion, en argumentant que lorsque deux sources au sens apparent ou interprรฉtรฉ se contredisent, le recours ร la raison sโimpose.
Le meilleur moyen de revivifier la religion et lui rendre son rรดle dโรฉducation morale pour le croyant est le recours ร la philosophie. Celle-ci est dโaprรจs al-Afฤกฤnฤซ la science qui permet dโapporter la cohรฉrence ร nโimporte quel savoir, et ainsi apporter la certitude dans lโesprit de celui qui la pratique. Lโinfluence de วฆamฤl ad-Dฤซn dans ce domaine est la plus importante et sa contribution ร la rรฉhabilitation de la philosophie dans la pensรฉe musulmane est รฉvidente.Cela se fait dans un premier temps par un rappel de lโhistoire de la philosophie dans le monde arabe, en รฉvoquant des grands noms de la civilisation arabo-musulmane tels que โIbn Ruลกd1, Ibn Sฤซna2 ou encore al-Farฤbฤซ (m. 905). Dans un second temps, il รฉnonce les bienfaits de la philosophie qui selon lui mรจne ร la vรฉracitรฉ et ร l’amรฉlioration des moeurs et constitue un facteur de civilisation et ce de maniรจre universelle.
De mรชme, les sciences participent au progrรจs des civilisations. Si le monde arabo-musulman se trouve dans cet รฉtat de dรฉcadence, cela est notamment dรป ร la nรฉgligence des sciences autres que religieuses. Dโaprรจs al-Afฤกฤnฤซ, le savoir est la raison essentielle qui explique la supรฉrioritรฉ gรฉopolitique de lโOccident sur le reste du monde. Selon lui, la colonisation des Afghans et des Tunisiens ne se rรฉsument pas simplement ร des rapports de force militaire. La cause principale de ces dรฉfaites ne sont que la dรฉmonstration de la grandeur et de la puissance des sciences sur lโignorance qui nโa dโautres possibilitรฉs que de sโy soumettre. โAbduh rejoint son maรฎtre sur ce point et explique la domination des nations europรฉennes ainsi : ยซ Aprรจs rรฉflexion, nous trouvons quโil nโy a dโautre cause au dรฉveloppement de leur richesse et de leur puissance que le haut niveau de leur instruction et de leur prรฉparation scientifique, donc notre premier devoir est de nous efforcer, autant que possible ร rรฉpandre ces sciences parmi nos compatriote5. ยป Ils constatent donc que le domaine scientifique ne fait pas lโobjet dโรฉtudes poussรฉes permettant de rattraper le retard et de prรฉtendre ร un rang respectable parmi les civilisations.
Cette curiositรฉ pour ces savoirs de la connaissance du monde a รฉtรฉ รฉtouffรฉe. Al-Afฤกฤnฤซ cherche ainsi ร rรฉtablir ce quโil perรงoit comme une injustice ร lโencontre des sciences et une erreur, ร savoir la confusion des oulรฉmas qui divisent la science en deux catรฉgories : une science europรฉenne qui serait de par son origine occidentale incompatible avec lโislam, et une autre science musulmane qui se rรฉsumerait ร une connaissance basique en langue arabe et en kalฤm se rรฉfรฉrant strictement aux sources traditionnelles de lโislam. Les oulรฉmas sujets ร ce manque de discernement interdisent en consรฉquence lโรฉtude et le recours ร des sciences dites profanes. Ce qui constitue une erreur lourde de consรฉquences selon al-Afฤกฤnฤซ car il est important de distinguer la valeur et lโutilitรฉ universelle de ces sciences qui peuvent enrichir et dรฉvelopper la culture arabo-musulmane dโune part et lโinfluence nรฉfaste de la pensรฉe occidentale de lโautre. Lors dโun discours donnรฉ ร des รฉtudiants indiens sur lโenseignement et lโapprentissage, il rappelle de nombreux รฉlรฉments des sciences contemporaines hรฉritรฉs de la civilisation orientale, et notamment indienne en รฉvoquant entre autres les chiffres auxquels on a recours dans le monde entier1.
Comme nous lโavons soulignรฉ plus haut, lโinfluence des philosophes musulmans de lโรฉpoque classique sur le maรฎtre วฆamฤl ad-Dฤซn est considรฉrable. Celle-ci explique sa considรฉration des sciences. En effet, durant ce discours donnรฉ aux รฉtudiants, il explique que ยซ la vรฉritรฉ se trouve lร oรน il y a preuve, et [que] ceux qui interdisent la science et le savoir en pensant protรฉger la religion musulmane sont en rรฉalitรฉ les ennemis de cette religion ยป . Il cite ensuite Abลซ แธคฤmid al-ฤ azฤlฤซ (m.1111) qui dans al-Munqiแธ min aแธ-แธalฤl (la Dรฉlivrance de lโerreur) รฉnonรงait la rรจgle suivante : ยซ Quiconque affirme que la religion islamique est incompatible avec les preuves mathรฉmatiques, les dรฉmonstrations philosophiques (logiques) et les lois de la nature est un ami ignorant de lโislam. Et le mal de cet ami ignorant de lโislam est plus grave que celui dโhรฉrรฉtiques ou ennemis de lโislam, car les lois de la nature, les preuves mathรฉmatiques et les dรฉmonstrations philosophiques sont des vรฉritรฉs qui sโimposent comme des รฉvidences. Ainsi, quiconque dirait โโma religion contredit ces vรฉritรฉs รฉvidentes, a inรฉvitablement dรฉmontrรฉ lโinvaliditรฉ de sa religionโโยป.
Al-Kawฤkibฤซ regrette cette nรฉgligence des sciences naturelles et profanes par ceux qui se contentent des sciences religieuses et dโun peu de mathรฉmatiques et rappelle le dicton ยซ lโhomme est ennemi de ce quโil ignore ยป, une maniรจre dโinciter avant tout ร faire preuve de curiositรฉ et ร dรฉcouvrir ce que ces sciences peuvent apporter de maniรจre objective. Lorsquโil รฉvoque le christianisme et la mรฉfiance quโil inspirait vis-ร -vis des sciences, il met en garde les oulรฉmas de tomber dans le mรชme piรจge : ยซ La religion pleine de lรฉgendes et la raison รฉclairรฉe ne peuvent se rรฉunir dans un mรชme esprit ยป. Pour cette raison, beaucoup de scientifiques et dโesprits รฉclairรฉs se sont รฉcartรฉs du christianisme selon les rรฉformateurs, chose quโil faut รฉviter pour lโislam qui en rรฉalitรฉ place le savoir sur un piรฉdestal. Or de leurs jours, la civilisation occidentale a largement distancรฉ la civilisation musulmane car celle-ci ne donne pas ร la science le statut qui lui est dรป6 : ยซ Dis : ย ยป Sont-ils รฉgaux ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?ย ยป Seuls rรฉflรฉchissent les hommes douรฉs d’intelligence1 ยป. Cโest dโaprรจs eux conformรฉment ร cette logique coranique que le monde arabo-musulman sโest laissรฉ distancรฉ par les autres civilisations, et notamment lโoccidentale.
Cette science est mรชme un moyen de prouver le miracle que constitue le Coran selon al-Kawฤkibฤซ qui insiste sur cet aspect. Dโaprรจs lui, la Rรฉvรฉlation รฉnonce des vรฉritรฉs gรฉologiques, biologiques ou encore astronomiques que la science vient tout juste de dรฉmontrer soit douze siรจcles aprรจs la mort du Prophรจte. Ainsi, ces donnรฉes quโon appelle communรฉment des ยซ miracles scientifiques du Coran ยป peuvent servir ร renforcer la vรฉracitรฉ et la crรฉdibilitรฉ de lโislam et ร affirmer la foi du croyant.
Cette idรฉe sโest trรจs vite rรฉpandue jusquโร nos jours parmi la masse populaire (la โฤmma) des musulmans qui aiment ร รฉvoquer ce genre de ยซ miracles ยป parfois dans une logique apologรฉtique, mais le plus souvent pour sโassurer de lโorigine divine du Coran. Mais le cheikh โAbduh fait preuve de retenue face ร cette tendance : ยซ Muhammad โAbduh, faisant preuve dโune remarquable sobriรฉtรฉ pour lโรฉpoque, se dรฉmarque de cette tendance et ne tente nullement dโ ยซ extraire ยป des sciences du Coran car lโobjet du Coran est, pour lui, ailleurs ยป. En effet, cette approche ne fait pas partie selon lui des prรฉrogatives du Coran dont le rรดle premier est dโapporter des enseignements moraux et des pistes de cheminement spirituel. Ceci รฉtant, ยซ il insiste cependant sur le fait que le Coran ne contient rien de contraire ร la science et il signale que certains versets laissent supposer plusieurs siรจcles dโavance ; incompris dans le passรฉ, ces versets font, en fait, allusion ร des dรฉcouvertes scientifiques qui seront faรฎtes beaucoup plus tard, ร lโรฉpoque moderne. Mais cela reste trรจs secondaire pour Muhammad โAbduh ยป. Il est nรฉanmoins ร noter quโร plusieurs reprises dans son commentaire du Coran, le cheikh โAbduh sโadonne ร cette interprรฉtation scientifique comme pour la sourate 105 : ยซ [Elle] parle dโAbraha al-แธคabaลกฤซ qui aurait voulu dรฉtruire la Kaโba, mais lโintervention divine a fait que son armรฉe a reculรฉ devant la chute de pierres portรฉes par des oiseaux. โAbduh explique ce ยซ miracle ยป en ces termes : ยซ Ces oiseaux sont des mouches porteuses de microbes qui provoquent des maladies, et ces pierres sont de la boue sรจche contaminรฉe. ยป
Une thรฉologie du libre-arbitre
Les rรฉformateurs ont constatรฉ un manque dโengagement populaire qui a participรฉ ร la dรฉcadence, notamment en permettant au despotisme de perdurer et ce sans rรฉagir. Une idรฉe rรฉcurrente dans leur rรฉflexion et qui revient comme un leitmotiv lorsquโil sโagit du peuple est la signification des notions complรฉmentaires de โamr bi l-marโลซf et de nahy โan al-munkar, notions trรจs prรฉsentes dans le texte coranique. Ceci afin dโexpliquer ร la masse populaire que mener une vie conforme ร la thรฉologie musulmane ne consiste pas ร mener une vie dโinsouciance en se soumettant ร un destin immuable comme tรฉmoignage de foi et de piรฉtรฉ. La vraie foi saine est celle qui au contraire pousse ร lโengagement et ร lโaction pour la rรฉussite individuelle mais aussi collective.
Dans le Coran, cette notion apparait ร huit reprises. Dans son commentaire de la premiรจre de ces occurrences, โAbduh souligne lโinjonction de mettre en pratique ce โamr bi al-maโrลซf dans le verset, et signale que lโune des questions qui sโest posรฉe parmi les exรฉgรจtes รฉtait de savoir si cet impรฉratif visait chaque musulman ou uniquement certaines personnes qui seraient qualifiรฉes et dรฉsignรฉes pour ce rรดle (ร lโimage du muแธฅtasib par exemple3). Le rรฉformateur รฉgyptien opte clairement pour lโavis selon lequel cet ordre coranique incombe ร tout un chacun. Il est en dรฉsaccord sur ce point avec le commentaire dโaแนฃ-แนขuyลซแนญฤซ pour qui lโinjonction est adressรฉe ร une partie des musulmans seulement, conditionnรฉe par la connaissance et la distinction entre ce qui entre dans la catรฉgorie du maโrลซf et ce qui concerne le munkar. โAbduh rรฉtorque que dans son sens le plus absolu, le terme maโrลซf signifie ce qui est connu, autrement dit tout musulman est en thรฉorie naturellement en mesure de faire cette distinction.
Al-Kawฤkibฤซ rejoint parfaitement โAbduh sur cette analyse. Il estime tout comme lui que lโobligation incombant ร la โumma dans son ensemble et non ร chaque individu les dรฉresponsabilise et fait de la masse populaire un troupeau plus docile et manipulable. De plus, cette interprรฉtation contredit un hadith rรฉpandu : ยซ Chacun parmi vous est un gardien, et chacun parmi vous est responsable de ce quโil garde1ยป. Dโailleurs, il note รฉgalement la comprรฉhension erronรฉe de ce hadith qui pour beaucoup limiterait la responsabilitรฉ de chacun ร sa famille, ce ร quoi il sโoppose. Dโaprรจs lui, ce hadith fait lui-mรชme รฉcho au verset : ยซ Les croyants et croyantes sont de proches amis les uns des autres. Ils s’ordonnent mutuellement ce qui est biensรฉant et s’interdisent ce qui est malsรฉant.ยป2 Celui-ci indique la responsabilitรฉ mutuelle de chaque muโmin et muโmina3 qui ne se limite pas au tรฉmoignage comme certains le prรฉtendent dโaprรจs al-Kawฤkibฤซ.
Ainsi la religion ne sert plus ร assumer cette responsabilitรฉ sociale si chรจre ร al-Afฤกฤnฤซ4 mais elle devient au contraire un outil dโasservissement des peuples entre les mains des oulรฉmas et de lโautoritรฉ politique quโils servent.
Pour les rรฉformateurs, cโest ce genre de travestissement des principes de la religion qui a menรฉ le peuple ร cet รฉtat de dรฉcadence, comme en tรฉmoigne ce hadith citรฉ par al-Kawฤkibฤซ : ยซ Soit vous conseillez le convenable et rรฉprouvez lโinconvenable, soit vous serez torturรฉs par les pires dโentre vous.ยป Dans le mรชme esprit, le verset suivant est rรฉguliรจrement invoquรฉ afin de responsabiliser le peuple : ยซ Dieu ne change rien ร l’รฉtat de choses dans lequel se trouvent les hommes tant que ceux-ci ne changent pas ce qui est en eux-mรชmes.ยป Ainsi dโaprรจs les rรฉformateurs, le peuple se doit dโรชtre attentif ร son comportement et ses actions afin dโรชtre en position de rรฉformer leur sociรฉtรฉ. Le fait dโavoir des manquements ร ce niveau indique une mauvaise comprรฉhension des finalitรฉs de la religion.
Ces conseils tรฉmoignent dโun pragmatisme et dโune volontรฉ de passer ร lโaction et non de se contenter uniquement dโune thรฉorie abstraite, dont lโobjectif est avant tout la rรฉforme concrรจte en vue dโapporter le souffle de progrรจs que le monde arabo-musulman a perdu au fil des siรจcles. Dโoรน la nรฉcessitรฉ dโapporter aux nouvelles gรฉnรฉrations une nouvelle grille de comprรฉhension du fonctionnement de leur sociรฉtรฉ (et notamment au niveau politique) et des outils pratiques pour parvenir ร y contribuer ร moyen terme.
Cโest cette mรฉthode quโadoptent les rรฉformateurs pour initier leur rรฉflexion politique, qui ne peut aboutir ร des rรฉsultats concrets sans la participation du peuple, comme le dรฉclarait Muแธฅammad โAbduh : ยซ Et je lanรงais aussi un appel en faveur dโune autre rรฉforme que les gens ignoraient et dont ils ne semblaient mรชme pas comprendre la portรฉe ; cependant cette rรฉforme est ร la base de la vie sociale et les Egyptiens ne sont tombรฉs en dรฉcadence, et nโont รฉtรฉ humiliรฉs par leurs voisins, que parce quโils lโavaient nรฉgligรฉe. Elle consiste ร tracer une ligne de dรฉmarcation bien nette entre les droits quโa le gouvernement sur le peuple, et cโest le droit ร lโobรฉissance, et ceux quโa le peuple vis-ร -vis de son gouvernement, et cโest le droit ร la justice. [โฆ] Le souverain nโest quโun homme comme les autres ; [โฆ] la seule chose qui puisse รฉviter [ses] erreurs et mettre un frein ร ses passions, ce sont les conseils que lui donne la nation en paroles et en actions.
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Table des matiรจres
LISTES DES TRANSCRIPTIONS
INTRODUCTIONย
I. LA QUESTION CENTRALE DE LโIแนขLฤแธคย
1. DES CAUSES RELIGIEUSES DE LA DECADENCE
2. DESPOTISME ET DECADENCE
II. DECONSTRUCTION DU POUVOIR RELIGIEUX
1. VERS UNE LIBERATION DE LA PENSEE ISLAMIQUE
2. UNE THEOLOGIE DU LIBRE-ARBITRE
III. REFORME DE LA PENSEE POLITIQUEย
1. RESTAURATION DU CALIFAT
2. DEBATS SUR LES FORMES DE LโETAT
CONCLUSIONย
BIBLIOGRAPHIEย
SOURCES DE PREMIERE MAINย
SOURCES SECONDAIRESย
RESSOURCES INTERNET
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