Définition de la violence dans l’écriture
La violence de l’écriture ou dans l’écriture est une stratégie d’expression, elle a comme vocation l’inscription de la violence dans le texte littéraire. Elle s’imprègne de l’écriture moderne dite subversive. C’est-à-dire, elle adopte dans sa représentation un modèle qui se charge de sa transmission. La violence quête a priori une forme d’écriture qui la véhicule, la décrit et la détermine. Selon Roland Barthes, « […] un moyen d’évaluer les œuvres de la modernité […] le bord subversif peut être privilégié parce qu’il est celui de la violence, mais ce n’est pas la violence qui impressionne le plaisir ; la destruction ne l’intéresse pas ; ce qui veut c’est le lieu d’une perte, c’est la faille, la coupure, la déflation, le fading qui saisit le sujet au cœur de la jouissance » Cette citation justifie la subversion : transgression des principes de l’écriture conventionnelle, par la violence qui la produit. D’ailleurs, c’est cette violence à la quelle est soumise l’écriture qui enfreint justement sa cohérence. Ainsi, le rapport unissant la violence et la subversion est celui d’une cause à une conséquence. Bien entendu, c’est le cas au sujet des œuvres qualifiées de modernes. D’après Roland Barthes, elle ne consiste pas en son identification avec le fait de réduire à néant le récit, elle a besoin seulement et plutôt d’un espace où elle n’est pas contrainte de répondre à une linéarité quelconque. Un espace d’évanouissement (fading) où elle laisse libre cours à une présence non cohérente, aléatoire, fragmentée, etc. Cette idée est étayée par Marc Gontard. A ses dires, « Ce sont pour la plupart des « textes de violence », ce qui veut dire que l’écriture n’a pas cette transparence, cette innocence feinte des littératures à message. C’est l’écriture qui, dans ses formes mêmes, prend en charge la violence à transmettre, à susciter, à partager. C’est l’écriture qui, dans ses dispositifs textuels se charge de la seule fonction subversive à la quelle elle puisse prétendre » Selon Marc Gontard, les textes de la violence ne sont pas « lisses ». Leur violence est plutôt à déceler car elle est latente. D’ailleurs, ils vont justement au-delà de la simple représentation thématique de cette dernière. Dans ce cas-là, il se trouve qu’il y a deux indices qui la témoignent. Ce sont la forme et les procédés de son écriture. La violence touche alors le texte et entraine une subversion. Soit au niveau de la structure, soit au niveau de l’écriture même ou les deux à la fois. Dans un premier temps et au sujet de la forme ajoute-t-il, « il devenait impossible d’exprimer une parole révolutionnaire sous une forme conventionnelle et académique »
Le titre
Le titre est le nom donné à une œuvre afin de l’identifier et de la distinguer tout comme sont attribués les noms à des personnes. Ou plutôt « sa carte d’identité » précédente. Le titre est a priori le sujet sur lequel conservent les lecteurs et qui contribuent à sa propagation. Au sujet de sa diffusion justement, Duchet souligne qu’« il résulte de la rencontre d’un énoncé romanesque et d’un énoncé publicitaire ; en lui se croisent nécessairement littérarité et socialité » Pour ce qui est de sa fonction, Charles Grivel la limite à :
1- L’identification de l’œuvre : la désignation.
2- La désignation de son contenu : le résumé.
3- L’allèchement du public visé : l’attirance.
Quant à sa désignation, le titre peut être :
1- Thématique : quand il renseigne sur le ou l’un des sujets du roman
2- Rhématique : quand il indique son genre
3- Mixte : quand il renseigne sur le sujet et le genre.
Nous allons exploiter ces indications pour voir ce que transmet l’instance titulaire présentée en code. Dans une vue générale, le titre djebarien ne contient ni de sous-titre, ni d’indication générique. Il est apparu en 1995 vu « le moment d’apparition du titre […] c’est la date de sortie de l’édition originale » . Sa formulation est faite soit par l’auteur, l’éditeur ou ensemble. Il figure dans cinq emplacements: la première de couverture, le dos de couverture, la page du titre, la page du faux titre et la quatrième de couverture. Le titre de notre corpus est issu d’une suite de syntagmes nominaux. Le premier est (le blanc). Il contient un déterminant (le) et un adjectif (blanc). Le second est (l’Algérie). Il se compose d’un article défini (l’) et un nom(Algérie). Ces derniers sont associés par la préposition (de).
La dédicace :
Elle est une sorte de témoignage d’un respect et d’une reconnaissance éprouvés envers une personne, un groupe social, etc. D’ailleurs, le verbe « dédier » signifie faire hommage de quelque chose à quelqu’un. Genette distingue deux types. « Toutes deux consistent à faire l’hommage d’œuvre à une personne, à un groupe réel ou idéal, ou à quelque entité d’un autre ordre » Quant à ses origines, cette pratique remonte à la Rome antique, elle perpétue deux fonctions disparues de nos jours. L’une est d’ordre économique, l’autre est d’ordre élogieux. A partir du19èmesiècle, elle est devenue à titre privé « une personne, connue ou non du public, à qui une œuvre est dédiée au nom d’une relation personnelle, amicale, familiale ou autre ». Chose qui s’opposait carrément avec les temps anciens dans la mesure exacte où l’auteur bénéficie de nos jours d’une liberté d’expression sans égal. Du moins, il est indépendant du pouvoir tyrannique des princes et de leurs semblables. A propos de son emplacement, elle se trouve exactement dans le recto de la page qui succède celle du titre. En s’appuyant sur ces considérations, nous essayerons d’examiner la dédicace qui se présente comme suit En souvenir de trois amis, disparus :
Mahfoud BOUCEBSI
M’Hamed BOUKHOBZA
Abdelkader ALLOULA
Tout d’abord, nous signalons que le dédicateur cite trois dédicataires. Ces derniers sont supposés être morts. Sinon, kidnappés, car l’auteur les prend pour des « disparus ». Cet adjectif justement signifie « dont la mort est certaine ouprobable », « qui est devenu invisible aux regards ». La lecture dévoile leur mort. Voire plus, leur assassinat qui est évoqué clairement à la fin du récit.80 Précisément, dans une page qu’elle intitule « les écrivains d’Algérie dont la mort a été évoquée », elle les énumère dans le même ordre. En outre, elle met à la fin de chacune des trois phrases séparées, les noms des dédicataires assassinés entre parenthèses ainsi : (assassiné). Allant à donner carrément les dates exactes de leur assassinat.
L’isotopie de la mort
L’isotopie est un concept qui a été introduit dans la linguistique par le Lituanien Algirades-Julien Greimas. D’après lui, elle est un « Ensemble redondant de catégories sémantiques qui rend possible la lecture uniforme du récit, telle qu’elle résulte des lectures partielles des énoncés et de la résolution de leurs ambigüités qui est guidée par la recherche de la lecture unique ». Par cette appellation, il fait référence à des mots qui se répètent dans un récit et qui ont la même signification. Il considère que ces mots-ci garantissent « une lecture uniforme », c’est-à-dire, ils donnent les mêmes possibilités d’interprétation. Par conséquent, ils mènent à une compréhension unique d’un texte qui est à l’origine équivoque. Effectivement, après tout un travail de classification et de catégorisation des thèmes qui sont non seulement redondants, mais ils jouent un rôle dans le développement du texte.Marc Gontard l’éclaircie davantage en admettant qu’une isotopie est « […] comme une série connotative, c’est-à-dire, comme la redondance généralisée, à partir d’un mot-thème, d’une suite de connotations dont la simple concaténation produit un discours figuré de type paradigmatique ». Ce que cette citation apporte à la première est le fait que la redondance ne reprend pas intégralement le sens du mot-thème. Elle le redit mais avec des mots de sens connotés. Voilà justement le complément qu’il rajoute : la catégorie isotopique reprend des lexèmes identiques comme des lexèmes figurés. Nous allons tout d’abord voir quelques occurrences101 de la mort dont nous avons conclu une importante présence rien que par l’analyse du paratexte. Il s’avère que le récit également poursuit le même acheminement comme nous le verrons.
1. « Il est mort, Ferradj[…] condamnés à mort […] il est mort […] n’eut ni le temps de croire à cette mort torve […] Il est mort »
2. « je veux évoquer celle qui s’exalte jour après jour, à pas feutrés à peine audibles : la mort qu’on attend […] Une telle mort glisse, comme une plie luisante »
3. « celle qui survient avec fracas et dans le sang dégorgé, elle bouscule, elle viole notre durée, elle nous laisse pantelants »
4. « j’ai parlé si longtemps de cette mort qu’on pourrait dire normale […] l’accéléré final de cette mort blanche- mort d’un enfant même, mort d’un amant, celle du corps le plus proche »
5. « Mort sans souffrances ! »
6. « avant le désastre d’octobre avec ses six cents morts […] La mort, comme l’ombre de mon ombre, me rejoint. Elle finira bien par m’avoir, ou alors c’est moi qui l’aurai ! » Nous tenons tout d’abord à noter que Le Blanc de l’Algérie regorge d’extraits semblables dans la mesure où il est très rare de trouver une page où « mort » n’est pas inscrit. En effet, cette dernière est répétée avec ses dérivés 246 fois. Ce nombre est quand même important pour justifier notre choix.
|
Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : approches théoriques et définitions
Introduction
1. Qu’est-ce que la violence ?
2. Qu’est-ce que l’écriture?
3. Définition de l’écriture de la violence
4. Définition de la violence dans l’écriture
Synthèse
Chapitre II : le paratexte : révélateur d’une brutalité
Introduction
1. Le titre
2. La dédicace
3. Les épigraphes
4. Les intertitres
Synthèse
Chapitre III : Vers une écriture de la violence : poétique du langage de l’horreur
Introduction
1. L’isotopie de la mort
a) La mort-passage
b) La mort-violence
2. La couleur de la violence
a) Le blanc : un contraste
b) Le noir : une histoire
3. Les sonorités de la terreur
a) Les assonances
b) Les allitérations
4. La stylistique de l’angoisse
a) Comparaisons et métaphores
b) Epithrochasmes et métaphores
c) Répétitions et redondances
Synthèse
Chapitre VI : De la violence dans l’écriture : une structure en morceaux
Introduction
1. Le temps
a) Le moment de la narration: un temps éclaté
b) La vitesse et l’ordre: un rythme décomposé
2. L’espace
a) L’espace réferentiel : un air asphyxié
b) L’espace textuel : un silence éloquent
3. Le personnage narrateur
a) L’être: une intériorité tourmentée
b) Le faire: une extériorité inaboutie
4. L’éclatement des genres
a) Du roman
L’autobiographie/L’autofiction
b) De la poésie: un vers libre
c) De l’essai
Synthèse
Conclusion générale
Bibliographie
Télécharger le rapport complet