Vers une écologie sensible des rues du Caire: le palimpseste des ambiances d’une ville en transition

L’avenir rétrospectif : la ville sensible à l’épreuve du temps

Palimpseste des ambiances! 

La combinaison entre ces deux termes – l’« ambiance » et le « palimpseste » – est ce qui détermine la particularité de la problématique de cette thèse. Il s’agit d’ouvrir un nouveau regard en nous intéressant à l’« épaississement » du territoire par son ambiance. Nous essayons, dans de ce chapitre, d’introduire la notion de palimpseste dans la rélexion sur les ambiances. Le chapitre en cours traite l’idée de l’avenir rétrospectif qui éclaire une perspective particulière visant à dessiner le futur urbain de la ville tout en se basant sur son histoire sensible. Ce chapitre se compose de trois parties. Dans la première partie, nous expliquons comment le couplage des notions « ambiance-palimpseste » introduit un nouveau regard qui intègre le temps comme élément du processus de conception architecturale et urbaine. Dans la deuxième partie, il s’agit de présenter un état des lieux du travail des auteurs qui ont introduit la notion de palimpseste pour nommer et qualiier le territoire et les villes contemporaines. Malgré la grande diffusion de la notion de palimpseste dans le domaine de l’urbanisme, nous nous intéressons davantage à deux auteurs : André Corboz et Sébastien Marot. Nous montrons, lors de la troisième partie, la différence et la similarité entre « ville-palimpseste » et « ambiance-palimpseste ». Sur Cette base théorique, nous avançons nos hypothèses.

Positionnement d’une approche rétrospective du sensible dans la pensée architecturale et urbaine 

Avant d’entrer dans les détails, nous voudrions commencer par la déinition de ces deux notions. L’étymologie du mot « palimpseste », révèle une double racine, l’une grecque, qui est « palimpsêstos», et l’autre latine, « palimpsestus ». Le palimpseste est déini dans le nouveau Petit Robert (Rey-debove, et al., 2010, p. 1786) comme « parchemin manuscrit dont on a effacé la première écriture pour pouvoir écrire un nouveau texte ». Un palimpseste est ainsi un support d’écriture bidimensionnel qui s’approfondit en une matrice à trois dimensions par la superposition des textes les uns sur les autres par un double processus de rature et de réécriture. L’idée du palimpseste renvoie à une stratiication temporelle par des couches et des strates d’écriture différentes qui se superposent dans le temps.

Tel le palimpseste, le paysage de la ville évolue. En effet, le paysage dans lequel nous vivons aujourd’hui est le produit des opérations successives, des projets urbains, des transformations faites par les habitants et qui s’accumulent dans le temps. Donc le terme « palimpseste» donne à voir la matérialité du temps en incarnant l’épaisseur temporelle dans laquelle un paysage s’est construit. Il montre comment le paysage englobe toutes les strates accumulées des paysages antérieurs en ajoutant la dimension temporelle des espaces. La mise en évidence de l’épaisseur temporelle d’un paysage est faite par la présence des traces laissées par toutes les interventions urbaines du passé dans le présent. Ces traces du passé modiient en quelque sorte le vécu des espaces aujourd’hui.

Nous nous intéressons – dans un deuxième temps – à la notion d’« ambiance », au sens des qualités sensibles des lieux. Il s’agit dans l’approche sur les ambiances de lutter contre l’hégémonie de l’oeil dans la pensée architecturale et urbaine et celle de l’aménagement. L’introduction de cette notion a pour objectif d’intégrer toutes les modalités sensorielles qui composent l’ensemble de la réalité de l’expérience quotidienne vécue des villes. Elle vise à établir une égalité des sens. En effet, la problématique de réduire ou de résumer la production architecturale au visuel date de très loin dans l’histoire de l’architecture – depuis la Renaissance comme l’indique Jean-François Augoyard :

« Depuis la Renaissance, à l’instar des autres savoirs raisonnés, l’architecture est sous l’emprise majeure du visuel. L’oeil est devenu le sens des sens, non seulement pour fonder le dessein dans le dessin, mais aussi pour connoter fondamentalement le langage de l’analyse et diriger la rhétorique de la conception architecturale ». (Augoyard, 2004, p. 21) .

Cette notion opère donc une mutation de la pensée urbaine et de la pratique architecturale. La notion d’ambiance se base sur la déinition « minimale » proposée par Jean-Paul Thibaud. Il la déinit comme « un espace-temps éprouvé en termes sensibles, éprouvé au double sens d’être ressenti et mis à l’épreuve » (Thibaud, 2007, p. 14). Cette insistance sur la déinition de l’ambiance en tant qu’« espace-temps » montre combien la temporalité est l’un des critères pertinents dans la constitution d’une ambiance, car c’est la dimension dans laquelle une ambiance évolue. En effet, l’ambiance d’un lieu peut changer complètement en quelques heures. À cet égard, nous pouvons citer plusieurs exemples : les endroits où se trouvent les marchés temporaires en France, par exemple à l’Estacade à Grenoble. Cet espace a une ambiance particulière le matin jusqu’à 14h00 – pendant les horaires du marché – puis il change complètement d’ambiance le reste de la journée.

De même que le paysage visuel évolue et se transforme dans le temps, l’ambiance d’un lieu est aussi soumise à un changement continu. Nous introduisons la notion de palimpseste dans le domaine du sensible. Une ambiance prend alors la même igure de palimpseste au gré du passage du temps. Dans ce couplage des notions – ambiance et palimpseste -, il s’agit de «courir deux lièvres à la fois » (Corboz, 1983), l’un est de comprendre les expériences sensibles des lieux tels qu’ils sont vécus aujourd’hui, c’est-à-dire de comprendre l’ambiance dans son instantanéité, et l’autre est de voir comment l’ambiance actuelle est le produit d’une stratiication temporelle composée par l’acte d’addition et d’effacement des phénomènes sensibles dans le temps. Cette vision soulève beaucoup de questions : quel est le rôle de l’ambiance dans la constitution du palimpseste territorial ? Quelle nouveauté ce couplage de notions apporte-t-il à l’architecture et à l’aménagement?

L’ambiance est également un vaste domaine qui intègre plusieurs dimensions : formelle, sociale et sensible. Nous nous intéressons davantage à l’expérience quotidienne des espaces pour savoir comment cette dernière est une composition dans le temps. Lors de cette expérience il y a différentes empreintes dans la forme, les pratiques sociales, les phénomènes sensibles qui se manifestent dans l’expérience et qui renvoient à différentes temporalités.

L’épaississement du territoire par le sensible 

La plupart des opérations urbaines se basent sur l’idée d’étendre un territoire ain de satisfaire les demandes croissantes de logements, de centres commerciaux, de bureaux, d’écoles, d’universités, de lieux de culte, bref le besoin permanent de nouveaux espaces. Nous revisitons la question de l’espace public et sa singularité à l’heure où la ville est instrumentalisée par la mondialisation et la globalisation. Nous évoquons ces deux notions pour souligner combien les lux globaux ou encore transnationaux sont en train de recomposer entièrement la sphère du local. Dans cette démarche, nous nous intéressons plus à l’épaississement du territoire qu’à son étendue dans une volonté de produire une croissance différentielle des territoires, et non plus une croissance continue quasi homogène. À cette in, il s’agit de le connaître en construisant une base de données sur ses qualités avec un regard transversal dans son évolution, de le comprendre en décodant son comportement face au temps, et de construire des liens entre ses différentes temporalités : le passé, le présent et le futur.

Nous travaillons donc sur le temps de l’expérience. Mais de quel temps parlons-nous ? En effet, la plus grande partie du travail développé sur les ambiances qui traite la dimension temporelle – à l’exception de certains travaux- s’intéresse à la dimension synchronique du temps de l’expérience, c’est-à-dire au changement d’une ambiance le long d’une journée, d’une semaine, d’un mois, voire d’une saison à l’autre. Dans ce travail sur le palimpseste des ambiances, nous élargissons cette dimension temporelle de l’ambiance à une vaste échelle qui peut couvrir toute l’histoire sensible d’un lieu. Autrement dit, nous travaillerons sur l’échelle diachronique du temps.

La ville dans cette dimension temporelle prend ainsi une igure dynamique dans le sens où elle convoque un récit de vie, une qualité d’anamnèse qui sert à comprendre et à déchiffrer les traits de sa propre personnalité. Dans cette perspective, l’architecte et l’urbaniste changent leurs méthodes pour voir et analyser le territoire. Ils sont invités à porter le chapeau du médecin ou du psychiatre qui s’appuient essentiellement sur l’anamnèse du patient pour comprendre l’état actuel avant de proposer une intervention. De même le terme « palimpseste » nous propose une façon de voir et d’analyser le territoire en étudiant les états antérieurs des sites et de comprendre ainsi son anamnèse.

Le territoire et la ville comme palimpseste est donc un regard transversal dans le temps, dans lequel nous intégrons l’épaisseur temporelle par laquelle le territoire évolue. Dans cette perspective, il s’agit de creuser l’histoire du site ain de comprendre comment l’état actuel d’un espace est le produit d’une stratiication temporelle. Cette approche va à l’encontre de certaines démarches urbaines contemporaines qui visent à homogénéiser les territoires et leurs expériences sensibles. En effet, les vagues de la mondialisation et de la privatisation des espaces publics produisent des expériences dites mondiales, c’est-à-dire des expériences censées être vécues de façon similaire partout dans le monde. Par exemple, les centres commerciaux et les business parks, les gated communities, sont des exemples d’espaces où l’on cherche à répéter les formes globales entre différents pays, voire entre différents continents. Au sein de ces espaces les différences entre l’Amérique du nord, l’Amérique du sud, le nord de l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Extrême-Orient restent mineures par rapport à leur homogénéisation générale, malgré les différences climatique, sociale, politique, urbaine entre ces régions.

Sub-sensible: un diagnostic sensible à l’épaisseur temporelle

Sébastien Marot souligne le mélange postmoderne dans les routines et les méthodes de l’urbanisme de convention ou de composition entre problem-solving et contextualisme. À cette in, il développe deux notions, « sub-urbanisme » et « sur-urbanisme » (Marot, 2011), qui orientent la relation entre deux entités relativement distinctes : le programme et le site. Marot déinit ces deux termes dans son article intitulé sub-urbanisme et sur-urbanisme: « Pour dire les choses en deux mots : le sub-urbanisme vise à extraire ou inventer le programme à partir du site, tandis que le deuxième se propose d’aller du programme vers le site, c’est-à-dire de produire le site à partir d’un programme» (Marot, 2011, p. 301). La vision bottom-up venant du site même, de son histoire, de sa mémoire collective, est nommée « sub-urbanisme ». Marot vise à intégrer ce terme dans le futur dictionnaire universel en urbanisme du XXIe siècle. Il critique la rigidité des approches actuelles en urbanisme, dirigées par une vision top-down qui vise à imposer un programme sur le site.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. L’avenir rétrospectif : la ville sensible à l’épreuve du temps
Je me souviens
Palimpseste des ambiances!
1.1 Positionnement d’une approche rétrospective du sensible dans la pensée architecturale et urbaine
1.1.1 L’épaississement du territoire par le sensible
1.1.2 Sub-sensible: un diagnostic sensible à l’épaisseur temporelle
1.1.3 L’avenir rétrospectif
1.2 Rélexions sur la perception du temps
1.2.1 Le sceptre du temps de la ville : à la recherche d’une notion
1.2.2 Le palimpseste et la ville : héros et légendes
1.2.3 Un nouveau regard vers la ville: quatre gestes heuristiques
1.3 Hypothèse : l’ambiance comme enregistreur du temps long
1.3.1 Vision opératoire du palimpseste dans le sensible
1.3.2 Le présent épais comme produit d’une conjugaison temporelle
1.3.2.1 Le sensible comme interface temporelle
1.3.2.2 L’existence des modalités de palimpsestes
1.3.3 La trace sensible : la réapparition du passé
1.4 Conclusion
2. Construire, analyser, représenter la mémoire sensible des lieux
2.1 Le Caire : iguration d’une ville palimpseste
2.1.1 Le Caire antique
2.1.2 Le Caire traditionnel
2.1.3 Le Caire moderne
2.1.4 Le Caire Contemporain
2.1.5 Le Caire : une ville en transition
2.2 Délimiter le parti pris de recherche
2.2.1 Délimiter l’épaisseur temporelle
2.2.2 Délimiter l’étendue spatiale de la ville
2.2.3 Délimiter les champs d’ambiance
2.2.4 Délimiter la variation sociale
2.2.5 Quatre terrains d’étude et quatre figures d’ambiance
2.2.5.1 Le Caire Fatimide
2.2.5.2 Choubrah
2.2.5.3 Héliopolis
2.2.5.4 La ville d’al-Réhab
2.3 Construire un corpus de base sur la mémoire sensible du Caire
2.3.1 La mémoire vivante et le recueil de la parole habitante
2.3.1.1 Le « je » : observation lottante
2.3.1.2 Des entretiens semi-directifs avec les savants de la ville
2.3.1.3 La méthode des « parcours commentés »
2.3.2 La mémoire archivée
2.3.3 Un retour sur site
2.4 Analyser un corpus de base sur la mémoire sensible
2.4.1 Analyser l’ambiance du temps présent
2.4.2 Tracer les phénomènes sensibles dans le temps
2.4.3 Développer un regard croisé
2.5 Les coupes temporelles comme mémoire sédimentée des lieux
2.5.1 Dessiner un palimpseste
2.5.2 Spatialiser et temporaliser les phénomènes d’ambiance
2.5.3 Le regard flâneur : un voyage senso-temporel dans l’espace
2.6 Conclusion
3. Le Caire, la mémoire, le sensible
Je marche
Introduire Le Caire par le sensible
3.1 Le Caire : une ville en morceaux spatio-temporels
3.2 Le bruit récurrent / ubiquité
3.2.1 La campagne sonore « al-wânâs »
3.2.2 Les marqueurs sonores
3.2.2.1 L’appel à la prière
3.2.3 Les crieurs de rue
3.2.3.1 Les vendeurs ambulants « Ba’a Moutagwleen »
3.2.3.2 La dispute « al-râdh »
3.2.3.3 Les crieurs de microbus « les Tebba’a »
3.2.3.4 Les crieurs de parking « les saïs ou mennadi al-sayarat »
3.2.3.5 Le réveilleur public « le messaharaty»
3.2.4 Le coup du canon
3.2.5 La musique diffusée au sein de la rue
3.2.6 Les artisanats et le son de la fabrication au sein de la rue
3.3 Gestion du regard
3.3.1 La porte miniature « Al-Khôkhâ »
3.3.2 Les tunnels thermiques « les chicanes »
3.3.3 Les murs et les portes parlants « Al-nâgwâ âlâ âl-hawa’êt wâ al-godrâne »
3.3.4 Une succession visuelle
3.4 Les gestes corporels
3.4.1 La tête porteuse
3.4.2 Le corps paresseux « Lazy body »
3.4.3 Cache-œil « Eye Patch »
3.4.4 Les anges noirs ou le corps mystique
3.5 Dispositifs d’ambiance variée
3.5.1 L’absence de la nature
3.5.2 Une communauté cohésive
3.5.3 Les dispositifs de mobilité
3.5.4 Éruption olfactive
3.6 L’ambiance du Caire entre rupture mémorielle et continuité temporelle
3.6.1 Le miel noir
3.6.2 Tournant de l’oubli
3.6.3 L’ambiance est-elle persistante ?
3.6.4 La ville et les espaces se vengent
3.7 Conclusion
4. Le palimpseste de l’oubli : la transformation d’une banlieue luxueuse en un quartier populaire: le cas de Choubrah
Le Caire populaire
4.1 Choubrah : introduire un quartier populaire
4.1.1 Le cadre spatio-temporel de Choubrah
4.1.2 La structure temporelle de Choubrah
4.1.3 La morphologie urbaine de Choubrah
4.1.4 Le parti pris et les parcours commentés
4.1.5 Protocole de fabrication d’une coupe clinique
4.2 L’analyse de l’expérience sensible en épaisseur
4.2.1 Les traits généraux de l’ambiance de Choubrah
4.2.1.1 Une contradiction sensible
4.2.1.2 Absence de la nature
4.2.1.3 Le grouillement
4.2.1.4 Le « nous »
4.2.1.5 L’observabilité
4.2.1.6 Éruption olfactive
4.2.1.7 Présence policière
4.2.2 Les traces sensibles à l’échelle urbaine
4.2.2.1 Les noms
4.2.2.2 Un palais et une allée
4.2.2.3 Les vergers « le boustaine »
4.2.2.4 L’urbanité villageoise
4.2.2.5 Mutation urbaine
CONCLUSION

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