Vers un nouveau rapport à l’automobile plus économique et écologique ?

La prépondérance automobile remise en question 

La voiture comme mode de transport principal des Français : les choix modaux et leurs déterminants

La mobilité des Français a beaucoup augmenté au cours des cinquante dernières années. La voiture s’est rapidement imposée comme le mode de déplacement principal des ménages. Différents facteurs socio-économiques ont favorisé son essor, participant ainsi au phénomène de dépendance automobile.

La mobilité : définitions

La mobilité est définie par Edgar Quinet (1998) comme le nombre de déplacements effectués sur une journée. Dans l’Enquête National des Transports et Déplacements (CGDD, SOeS, 2010) un déplacement correspond au « mouvement d’une personne d’un lieu de départ vers un lieu d’arrivée. Il se caractérise par un motif et un seul. » (page 87). On distingue la mobilité locale et la mobilité régulière. Ainsi, d’après les définitions employées par l’Enquête Nationale Transport et Déplacement (ENTD), la mobilité locale correspond aux déplacements des personnes de 6 ans ou plus, faits à l’occasion d’activités situées dans un rayon de 80 km autour du domicile et sur le territoire national. La période de temps observée est de 24 heures. La mobilité régulière quant à elle correspond aux déplacements des personnes de 6 ans ou plus, entre le domicile et le lieu de travail, d’études ou de garde. Enfin, les déplacements longue distance se définissent comme les déplacements des personnes de 6 ans ou plus, réalisés à l’occasion d’activités situées dans un rayon de plus de 80 km à vol d’oiseau autour du domicile. La destination est située soit sur le territoire national, soit à l’étranger. La mobilité des personnes correspond à la demande de transport des personnes et se mesure en voyageurs-kilomètres (transport d’un voyageur sur un kilomètre). Pour un même déplacement, plusieurs modes de transport peuvent être disponibles. On parle alors de multimodalité : deux villes peuvent être reliées entre elles, soit par une autoroute, soit par une ligne de chemin de fer. L’intermodalité quant à elle correspond à la combinaison de plusieurs modes de transport au cours d’un même déplacement.

La mobilité des personnes : évolutions générales 

Depuis 1980, la demande de transport n’a cessé de croître, passant de 550 milliards de voyageurs-kilomètres en 1980 à 985 milliards de voyageurs-kilomètres en 2012. Cependant, cette croissance semble se ralentir depuis le début des années 2000, comme le montre l’inflexion de la courbe d’évolution du transport intérieur de voyageurs. Ainsi, si le taux de croissance annuel des déplacements a été de 2,1% en moyenne entre 1980 et 1999, il n’est plus que de 1% en moyenne depuis 2000. On observe donc un point d’inflexion dans la croissance des déplacements des ménages depuis le début des années 2000. D’après l’Enquête Nationale Transport et Déplacement (CDGG, SOeS, 2010), le nombre de déplacements quotidiens par personne en semaine est passé de 3,34 en 1982 à 3,15 en 2008. Au niveau individuel, la mobilité quotidienne en terme de besoin de mobilité au sens du motif est donc restée assez stable entre 1982 et 2008. Par conséquent, ce sont donc les kilomètres parcourus qui ont subi une inflexion.

La mobilité : modes et motifs de déplacement

La mobilité est un besoin intermédiaire nécessaire à la satisfaction d’un autre besoin: se rendre sur son lieu de travail ou encore faire ses courses. Ainsi, il est possible de distinguer différents motifs de déplacement dont les fréquences, ainsi que les modes associés sont observés à travers différentes enquêtes comme l’ENTD ou encore Les comptes des Transports (CGDD/SOeS, juillet 2013).

Les motifs de déplacements 

Les motifs de déplacements correspondent aux raisons du déplacement. Ils peuvent être professionnels ou privés. On distingue généralement les motifs suivants : déplacement vers le lieu de travail ou d’études, pour accompagnement, achat, démarches administratives ou soins, ou encore loisirs et visites. La répartition de ces motifs de déplacement est mesurée dans l’ENTD. Ainsi, entre 1981 et 2008, la répartition des motifs de déplacement a peu évolué comme le montre la figure 2. Les Français se déplacent principalement pour se rendre sur leur lieu de travail ou de loisirs, ainsi que pour faire des achats. Entre 1981 et 2008, on observe essentiellement une baisse des déplacements vers les lieux de travail et d’étude au profit des déplacements pour loisirs et achat. Les politiques successives de réduction du temps de travail constituent la principale raison de cette évolution.

Les modes de déplacements

De manière générale, les transports de voyageurs s’effectuent selon différents modes. Le mode de transport principal est « le mode le plus lourd » parmi ceux utilisés au cours du déplacement (CGDD, SOeS, 2010, page 68). L’évolution de la part de chacun de ces modes montre une prépondérance de la voiture particulière depuis 1980. En effet, elle est employée pour environ 80% des transports de voyageurs (mesurés en voyageurs-kilomètres). On observe cependant une légère décroissance de sa contribution depuis le début des années 2000 (figure 3). Ainsi, si le transport en véhicule particulier a connu une croissance positive chaque année entre 1980 et 2003 (+2,25% en moyenne), celle-ci est désormais négative (-0,33% en moyenne).

Les transports en commun (TC) par voie ferroviaire quant à eux ont contribué au transport de voyageurs à hauteur de 10,24% en moyenne. Cependant, leur taux de croissance a été très faible (0,46% en moyenne entre 1990 et 2000), voir négatif dans les années 90 (-2,2% en 1991, – 6,37% en 1993 et -6,5% en 1995). En revanche, depuis le début des années 2000, le taux de croissance annuel de la part du transport en commun par voieferroviaire augmente de 2,65% en moyenne. Enfin, la part du transport aérien est très faible (1,47% en moyenne) et son taux de croissance annuel est négatif (-1,41% en moyenne) depuis 2000. L’ENTD fournit également l’évolution de la répartition des modes de déplacements utilisés par les ménages français pour leurs déplacements quotidiens (figure 4). On observe une augmentation de la voiture particulière entre 1981 et 1994 qui se stabilise entre 1994 et 2008, tandis que la baisse de la part des deux-roues et de la marche à pied se stabilise également, la voiture restant prépondérante.

Le transport par voiture particulière a beaucoup augmenté à partir des années 50 (Vacher, 1997). Il convient donc de comprendre les raisons de cet essor en analysant les déterminants des choix de modes de transport.

Les déterminants des choix modaux : un calcul coûts/bénéfices intégrant d’autres dimensions que la rationalité économique

Dans un souci de compréhension des comportements de mobilité en général et de mobilité automobile en particulier, nous adoptons une démarche compréhensive et nous basons pour cela sur l’approche sociologique de leurs déterminants. En outre, les choix sont également régis par une certaine rationalité économique, c’est pourquoi nous nous intéressons aux déterminants économiques de la mobilité.

L’approche sociologique 

Tout d’abord, le choix des modes dépend en grande partie du programme de la journée, du nombre d’activités et de lieux fréquentés, la présence d’enfants augmentant significativement le besoin de mobilité. Ainsi, Kaufmann (1997, 2000), Bassand et al. (2001), ou encore Montulet (2005) ont montré que les choix modaux s’adaptent aux logiques d’action de notre vie quotidienne. Ainsi, le choix du mode dépend de l’organisation des activités au cours de la journée. La voiture apparaît alors comme la solution privilégiée pour effectuer l’enchaînement des différentes activités. Ainsi, la voiture peut être privilégiée dès le matin afin de réaliser une activité le soir ou pour enchaîner les activités sans avoir à repasser par le domicile. Mais les modes doux individuels sont également plébiscités pour les déplacements de proximité. A l’inverse, les transports en commun complexifient la réalisation du programme d’activité. En effet, selon Bonnel et al. (2003), les contraintes d’horaires et de dessertes associées aux transports en commun réduisent la flexibilité. Par ailleurs, dans sa thèse en sociologie sur les changements de comportements vers une réduction de l’usage de la voiture, Rocci (2007) s’est attachée à décrire de manière très précise les choix modaux en Ile-de-France, ainsi que leurs déterminants et les représentations associées selon différents profils. A partir d’entretiens auprès de 40 personnes, trois catégories de comportements ont été distinguées : les ‘‘Alternatifs’’ à la voiture, les ‘‘Automobilistes exclusifs’’ et les ‘‘Multimodaux’’. Les premiers font usage de modes alternatifs à la voiture personnelle (marche, vélo, transports en commun), les seconds utilisent la voiture pour quasiment tous leurs déplacements, enfin les derniers utilisent la voiture parmi d’autres modes. Les comportements de chacun de ces profils peuvent être caractérisés par un arbitrage coûts/bénéfices prenant en compte le vécu, le ressenti, la perception des différents modes. Ainsi, la seule prise en compte objective des coûts monétaires des différents modes est bien souvent biaisée, les transports en commun étant perçus comme relativement chers par les non utilisateurs alors que les automobilistes sous-estiment les coûts de la voiture, chacun usant de stratégies pour limiter les coûts perçus. Selon Frenay (1997), les automobilistes ne prennent pas en compte le coût complet de la voiture (coûts fixes et coûts variables) et ne se focalisent que sur son coût d’usage (prix des carburants principalement). Le coût n’est donc pas le déterminant prépondérant dans les choix modaux. Plus précisément, l’analyse du discours des ‘‘Automobilistes’’ montre que les avantages offerts par la voiture amplifient les contraintes perçues des autres modes et atténuent les contraintes liées à la voiture. Ainsi, les transports en commun sont particulièrement perçus négativement par les automobilistes. A l’inverse de la voiture qui leur procure liberté, sécurité et confort, les transports en commun sont associés à la promiscuité, l’agressivité, le stress, l’insécurité ou encore la dépendance. Ce sont autant d’éléments également observés en voiture mais qui sont alors perçus beaucoup moins négativement par les automobilistes, ou tout du moins compensés par les avantages procurés par la voiture. Plus encore, la passion de certains pour celle-ci (pour l’objet ou encore les sensations de conduite) explique à elle seule son usage, les contraintes étant compensées par le plaisir. A l’inverse, les usagers  ‘‘fonctionnels’’ ne perçoivent pas les contraintes de l’automobile de la même manière et ont davantage de mal à les accepter. De même, pour les ‘‘Alternatifs’’, les contraintes associées aux différents modes qu’ils utilisent sont compensées par leurs avantages ou le plaisir qu’ils procurent. Les modes individuels (marche, deux-roues, voiture) sont préférés pour la liberté et la flexibilité, la voiture étant simplement un mode de transport parmi d’autres. Comme les ‘‘Automobilistes’’, les ‘‘Alternatifs’’ acceptent ou dépassent les inconvénients de leur mode, mais la voiture étant davantage perçue comme un moyen de se déplacer, ses contraintes sont donc plus difficilement acceptables et les transports en commun peuvent apparaître comme une solution plus performante et économe. Enfin, les ‘‘Multimodaux’’ cherchent avant tout à éviter les contraintes et à optimiser leur temps. Ils s’adaptent donc en choisissant le mode idéal en fonction de leur programme d’activité, de la distance à parcourir, ou encore de la rapidité du trajet. Le temps apparaît alors comme un déterminant essentiel des choix modaux, le temps passé dans les transports pouvant être ressenti comme perdu ou gagné (Fichelet, 1978 ; Flamm, 2004 ; Kaufmann, 2002 ; Montulet, 2005) selon qu’il est ou non utilisé pour d’autres activités. Ainsi, la conjecture de Zahavi (1980) montre que le temps journalier consacré aux déplacements, c’est-à-dire le budget-temps de transport, est apparemment resté relativement constant, en partie grâce à l’avènement de l’automobile, et à l’augmentation des vitesses en général. Ce constat est cependant aujourd’hui remis en question, notamment par Crozet et Joly (2003, 2006) qui montrent qu’en moyenne, le nombre de déplacements par personne et par jour augmente et le budget-temps qui leur est alloué aussi : aujourd’hui on chercherait donc davantage à gagner du temps. En outre, cette recherche du déplacement optimal nécessite des connaissances et compétences de mobilité. On parle alors de « motilité » (Kaufmann, 2001, 2006), ou encore de « capital mobilité » (Rocci, 2007). Ces compétences de mobilité sont plus ou moins nécessaires selon la localisation géographique. En effet, l’offre de transport n’est pas la même selon que l’on réside en ville ou en milieu rural, ce qui conditionne nécessairement les choix modaux.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : VERS UN NOUVEAU RAPPORT A L’AUTOMOBILE PLUS ECONOMIQUE ET ECOLOGIQUE ?
CHAPITRE 1 – LA PREPONDERANCE AUTOMOBILE REMISE EN QUESTION
1. LA VOITURE COMME MODE DE TRANSPORT PRINCIPAL DES FRANÇAIS : LES CHOIX MODAUX ET LEURS DETERMINANTS
2. LA GENERALISATION DE LA MOTORISATION DES MENAGES : L’EQUIPEMENT AUTOMOBILE ET SES DETERMINANTS
3. LA REMISE EN CAUSE DE LA VOITURE PARTICULIERE ET LES FACTEURS DE RUPTURE
4. LA RATIONALISATION DE L’USAGE AUTOMOBILE ET L’INTERET POUR LES NOUVEAUX SERVICES DE MOBILITE (NSM)
5. CONCLUSION
CHAPITRE 2 – LES NOUVEAUX SERVICES DE MOBILITE AUTOMOBILE : QUELS POTENTIELS ?
1. LES NOUVEAUX SERVICES DE MOBILITE AUTOMOBILE : DEFINITIONS ET STATISTIQUES DESCRIPTIVES
2. LES NOUVEAUX SERVICES DE MOBILITE AUTOMOBILE : PROFILS D’UTILISATEURS
3. LE POTENTIEL DE DIFFUSION DE LA VOITURE PARTAGEE
4. CONCLUSION
CHAPITRE 3 – LES NOUVEAUX SERVICES DE MOBILITE AUTOMOBILE : QUELS IMPACTS ENERGETIQUES ?
1. UN EXEMPLE D’APPLICATION DE L’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE
2. UNE EVALUATION DES CONDITIONS D’ECONOMIES D’ENERGIE PAR UNE METHODOLOGIE D’APPROCHE GLOBALE DE LA MOBILITE
3. DISCUSSION
4. CONCLUSION
CONCLUSION PREMIERE PARTIE
DEUXIEME PARTIE : QUELS CHOIX MODAUX POUR LES MENAGES FRANÇAIS EN 2020 ?
CHAPITRE 4 – MOBILITE ET USAGE AUTOMOBILE : UNE ANALYSE APPROFONDIE DES DETERMINANTS DES CHOIX MODAUX SELON UNE APPROCHE STATISTIQUE
1. LES BESOINS DE MOBILITE
2. LES PROFILS DES USAGERS DES DIFFERENTS MODES DE TRANSPORT
3. ANALYSE DES CORRESPONDANCES MULTIPLES (ACM)
4. CONCLUSION
CHAPITRE 5 – VOITURE PERSONNELLE OU MODES ALTERNATIFS ? PREDIRE DE POTENTIELS TRANSFERTS MODAUX A L’AIDE D’UNE APPROCHE ECONOMETRIQUE
1. REVUE DE LITTERATURE
2. METHODE ET DONNEES
3. RESULTATS
4. PREVISIONS A HORIZON 2020 ET INTERVALLES DE PREDICTIONS BOOTSTRAP
5. DISCUSSION
6. CONCLUSION
CONCLUSION DEUXIEME PARTIE
TROISIEME PARTIE : QUELS NIVEAUX DE MOTORISATION DES MENAGES FRANÇAIS EN 2020 ?
CHAPITRE 6 – MOBILITE ET EQUIPEMENT AUTOMOBILE, UNE ANALYSE GENERATIONNELLE RETROSPECTIVE
1. REVUE DE LITTERATURE
2. ETUDE RETROSPECTIVE
3. CONCLUSION
CHAPITRE 7 – VERS UNE DECROISSANCE DES NIVEAUX DE MOTORISATION DES MENAGES FRANÇAIS ? L’APPORT DE LA MODELISATION EN DONNEES DE PANEL
1. REVUE DE LITTERATURE
2. LA METHODE
3. LES DONNEES
4. LA SPECIFICATION DU MODELE D’EQUIPEMENT AUTOMOBILE
5. LES RESULTATS EMPIRIQUES
6. LES PREDICTIONS A L’HORIZON 2020
7. DISCUSSION
8. CONCLUSION
CONCLUSION TROISIEME PARTIE
CONCLUSION GENERALE
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE

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