Présentation des dolabélides
Les aplysies, mollusques sans coquille dont les principales familles sont les Aplysiomorpha, Nudibranchia et Sacoglossa, ont déjà fourni un grand nombre de molécules biologiquement actives. En 1965, dans le cadre de la recherche de nouveaux agents antitumoraux, un vaste programme d’évaluation systématique des organismes marins a permis d’isoler les dolastatines, peptides ou cyclopeptides, issus d’une aplysie, Dolabella auricularia, présente dans l’océan indien (Schéma 1).
Il s’agit de molécules possédant des propriétés antinéoplasiques intéressantes, notamment la dolastatine 10 dont le mode d’action (elle empêche la polymérisation de la tubuline) ainsi que la cytotoxicité sont comparables à ceux de la colchicine .
En 1995, une nouvelle famille de macrolides a pu être isolée à partir de Dolabella auricularia provenant des eaux japonaises. Il s’agit des dolabélides dont les deux principaux représentants ont été identifiés comme étant des macrolactones à 22 chaînons, les dolabélides A et B.2 Puis en 1997, ont été isolés les dolabélides C et D, macrolides à 24 chaînons (Schéma 2). La structure de ces macrolides a été déterminée par RMN et dégradation chimique, et la configuration absolue des centres asymétriques a été attribuée d’après les différences de déplacements chimiques des deux esters de Mosher. Il s’agit de macrolactones possédant une activité cytotoxique in vitro contre les cellules HeLaS3 avec des IC50 de 6.3, 1.3, 1.9 et 1.5 µg/mL respectivement. Peu de choses sont encore connues sur les dolabélides, mais leur structure de macrocycle polyhydroxylé peut permettre d’espérer non seulement une activité antitumorale intéressante mais également une activité antibiotique. En effet, ce squelette est proche de ceux des érythromycine, tylosine et autres antibiotiques qui font l’objet de nombreuses recherches en raison d’une demande sans cesse croissante en ce type de molécules (Schéma 3).
Quelques approches de synthèse des dolabélides
La structure intéressante des dolabélides, possédant 11 centres stéréogéniques dont huit sont des groupements hydroxyles ou acétyles, leur activité biologique ainsi que leur biodisponibilité limitée (99 mg de dolabélide C peuvent être isolés à partir de 138 kg – poids humide – de Dolabella auricularia) ont conduit plusieurs groupes à s’intéresser à la synthèse des dolabélides. A ce jour, une seule synthèse totale a été publiée.
Synthèse totale du dolabélide D par Leighton et al
Récemment, le groupe de Leighton a terminé la première synthèse d’un membre de la famille des dolabélides. Cette synthèse totale du dolabélide D repose sur le découpage en deux synthons, le fragment C1-C14 LE1 et le fragment C15-C30 LE2 correctement fonctionnalisés en vue d’un assemblage par estérification (C1-OH23), suivie d’une macrocyclisation par métathèse cyclisante (C14-C15) (Schéma 4).
Synthèse du fragment C15-C30 LE2
La synthèse du fragment LE26 est basée sur une application de la méthodologie mise au point par Leighton et al pour construire des motifs 1,5-diols syn. Une réaction asymétrique d’alcoolyse de silane permet de synthétiser des silanes chiraux (Schéma 5). Un transfert stéréospécifique de chiralité du silicium au carbone par une réaction tandem de silylformylation-allylsilylation catalysée par un complexe de rhodium suivi d’une protodésilylation conduit ensuite au 1,5-diol syn correspondant.
L’auteur suggère que l’aldéhyde intermédiaire subit une réaction d’allylsilylation non catalysée. L’atome de silicium joue le rôle d’acide de Lewis et complexe l’aldéhyde, une allylsilylation intramoléculaire conduit alors au composé recherché. Cette réaction est rendue stéréospécifique par le fait que seul le groupement allyle est transférable.
Cette séquence a été optimisée et appliquée à l’alcool LE3 et au tert-butyl ciscrotylsilane en présence d’un catalyseur au cuivre modifié par le (R,R)-2,4 bisdiphenylphosphinopentane (BDPP) (Schéma 6). Le silane LE4, obtenu sous forme d’un mélange 4:1 de deux diastéréoisomères, subit alors une réaction tandem de silylformylation/crotylsilylation catalysée par un complexe de rhodium suivie d’un traitement avec du méthyllithium. On obtient un mélange 4:1 de deux diastéréoisomères favorisant le 1,5-diol syn LE5. En une étape sont ainsi formés deux liaisons carbonecarbone, deux centres stéréogènes et le motif vinylsilane qui sera utilisé dans la suite de la synthèse. La protection sélective de l’alcool le moins encombré en éther triéthylsilylé conduit ensuite, après séparation des diastéréoisomères, au vinylsilane LE6.
Afin d’installer le groupement méthyle en C25 et de protéger l’alcool en C23 par un groupement tert-butyldiméthylsilyle, le composé LE6 est traité par du n-butyllithium suivi de l’addition de CuBr.Me2S et de DMPU. Cela entraîne une migration 1,4 de type Brook du silicium porté par le carbone sp2 vers l’oxygène. L’espèce vinylcuivrée ainsi formée est finalement alkylée par de l’iodométhane pour conduire à l’oléfine trisubstituée LE7. Ainsi, le groupement tert-butylsilane permet à la fois de former une liaison carbone-carbone et de protéger l’alcool en C23 de manière très efficace.
L’oxydation de Wacker de l’oléfine en C21 a été optimisée pour permettre l’hydrolyse simultanée du groupement protecteur triéthylsilyle sur le groupement hydroxyle en C27. L’alcool correspondant est alors acétylé pour fournir le composé LE8 (Schéma 7).
Une aldolisation dans les conditions de Paterson avec le 5-hexénal fournit ensuite l’aldol LE9 avec une diastéréosélectivité > 10:1. La réduction diastéréosélective anti de la b-hydroxycétone LE9 par la méthode d’Evans, suivie de la protection du diol LE10 en cyclopentylidène acétal et de la déprotection de l’alcool en C23 conduit finalement au fragment LE2. Ainsi la synthèse du fragment LE2 a été accomplie en dix étapes avec un rendement global de 11% depuis l’alcool LE3.
La crotylation de la méthacroléine avec le composé ent-B14 suivie de la protection de l’alcool en C3 sous forme d’éther de para-méthoxybenzyle conduit au composé LE14 (Schéma 8). L’acétal LE15 est alors obtenu par une réaction d’hydroformylation en présence de 2,2-méthoxypropane. Une hydroboration de Still-Barrish fournit ensuite l’alcool LE16. L’aldéhyde LE17 est finalement obtenu en huit étapes avec un rendement global de 26% depuis la méthacroléine .
Les fragments LE13 et LE17 sont couplés par une réaction d’aldolisation diastéréosélective et l’aldol correspondant est obtenu avec une diastéréosélectivité > 10:1 en faveur du composé 1,5-anti (Schéma 9). La protection de l’alcool en C7 conduit alors au composé LE18. Enfin, une séquence de trois étapes de réduction diastéréosélectiveacétylation-déprotection fournit le fragment LE1.
Couplage des fragments C1-C14 LE1 et C15-C30 LE2
L’estérification de l’alcool LE2 avec l’acide LE1 permet d’accéder à l’ester LE19 correspondant (Schéma 10). La méthanolyse de l’éther triéthylsilylé et du cyclopentylidène acétal est suivie de la coupure oxydante de l’éther de para-méthoxybenzyle pour conduire au composé LE20. Finalement, le dolabélide D est obtenu par une réaction de métathèse cyclisante en présence de 25 mol% de catalyseur de Grubbs de seconde génération G2. Malgré une mauvaise sélectivité (E/Z ~1.3:1) et une grande quantité de produits secondaires, les auteurs ont isolé l’isomère E avec un rendement de 31%.
Ainsi la synthèse totale du dolabélide D a été accomplie par le groupe de Leighton en dix-sept étapes pour la plus longue séquence linéaire depuis la méthacroléine avec un rendement global de 1,5%. L’application de leur méthodologie basée sur une réaction asymétrique d’alcoolyse de silane et une réaction tandem de silylformylation-crotylsilylation a permis un accès rapide et efficace au composé LE7 fonctionnalisé. En effet, il ne faut que quatorze étapes linéaires depuis l’alcool LE3 pour accéder au dolabélide D.
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Table des matières
CHAPITRE I – INTRODUCTION
I. PRESENTATION DES DOLABELIDES
II. QUELQUES APPROCHES DE SYNTHESE DES DOLABELIDES
II.1. SYNTHESE TOTALE DU DOLABELIDE D PAR LEIGHTON ET AL
a. Synthèse du fragment C15-C30 LE2
b. Synthèse du fragment C1-C14 LE1
c. Couplage des fragments C1-C14 LE1 et C15-C30 LE2
II.2. SYNTHESE DES FRAGMENTS C1-C13, C15-C24 ET C25-C30 DES DOLABELIDES PAR GENET ET AL
a. Synthèse des fragments C15-C24 GE3 et C25-C30 GE4
b. Synthèse d’un précurseur du fragment C1-C13 GE1
II.3. SYNTHESE DU FRAGMENT C1-C13 DU DOLABELIDE B PAR KECK ET AL
a. Synthèse du fragment C1-C7 KE3
b. Synthèse d’un précurseur du fragment C1-C13 KE1
c. Synthèse d’un précurseur du fragment C1-C15 KE1’
III. TRAVAUX MENES PRECEDEMMENT AU LABORATOIRE
III.1. SYNTHESE DE 1,3-DIOLS SYN PAR ADDITION CONJUGUEE SUR DES SULFONES VINYLIQUES
a. Synthèse des b-hydroxysulfones
b. Condensation des b-hydroxysulfones sur un composé carbonylé
III.2. SYNTHESE DE MOTIFS 1,3-DIOL SYN FONCTIONNALISES EN a PAR UNE DOUBLE LIAISON
III.3. SYNTHESE DE 1,3-DIOLS SYN PAR ADDITION CONJUGUEE SUR DES CARBAMATES SULFONES VINYLIQUES – APPLICATION A LA SYNTHESE DU FRAGMENT C16-C24 DU DOLABELIDE C
a. Etude d’un modèle
b. Application à la synthèse du fragment C16-C24 PR18
IV. RETROSYNTHESE
V. PRESENTATION DU TRAVAIL
CHAPITRE II – SYNTHESE DE LA PARTIE HAUTE C1-C15
I. RETROSYNTHESE
II. SYNTHESE DU FRAGMENT C1-C6
III. SYNTHESE DU FRAGMENT C7-C13
III.1. MISE EN PLACE DU MOTIF 1,3-DIOL SYN PAR ADDITION CONJUGUEE INTRAMOLECULAIRE
a. Résultats expérimentaux
b. Mécanisme
c. Sélectivité
III.2. SYNTHESE DU FRAGMENT C7-C15
a. Rétrosynthèse envisagée
b. Synthèse de l’aldéhyde 16
c. Synthèse du fragment C7-C15 19
III.3. OPTIMISATION DE LA SYNTHESE DU FRAGMENT C7-C15
a. Nouvelle voie de synthèse envisagée
b. Synthèse de l’alcool homoallylique 24
c. Métathèse croisée avec l’acrylate de méthyle
III.4. SYNTHESE DU FRAGMENT C7-C14
a. Dédoublement cinétique de Jacobsen
b. Métathèse croisée avec l’acrylate de méthyle
IV. COUPLAGE ENTRE LES FRAGMENTS C1-C6 ET C7-C14
IV.1. SELECTIVITE DE LA REACTION D’ALDOLISATION
a. Contrôle par l’aldéhyde
b. Contrôle par l’énolate – induction 1,5-anti
c. Cas de double diastéréodifférenciation
IV.2. PREMIERS ESSAIS D’ALDOLISATION
a. Avec un énolate de bore
b. Réaction de Mukaiyama
IV.3. OPTIMISATION ET APPLICATION A NOTRE SYNTHESE
a. Aldolisation de Mukaiyama
b. Désoxygénation de Barton-McCombie
V. MISE EN PLACE DE L’IODURE VINYLIQUE EN C14-C15
V.1. PASSAGE PAR UNE TRIPLE LIAISON TERMINALE
a. Utilisation du réactif d’Ohira-Bestmann
b. Carbométallation de Negishi
c. Silylcupration de l’alcyne
V.2. PASSAGE PAR UN ALCENE TERMINAL
a. Synthèse de l’alcène terminal
b. Métathèse croisée et synthèse du fragment C1-C15
VI. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
CHAPITRE III – VERS LA SYNTHESE DE LA PARTIE BASSE C16-C30
I. OPTIMISATION DE LA PREMIERE SYNTHESE DU FRAGMENT C16-C24
I.1. STRATEGIE ENVISAGEE ET PREMIERS ESSAIS
a. Rétrosynthèse
b. Synthèse de l’aldéhyde PR21
c. Homoaldolisation de Hoppe
d. Application à la synthèse du fragment C16-C24
I.2. OPTIMISATION DE LA SYNTHESE DU FRAGMENT C16-C24
a. Nouvelle synthèse du fragment C16-C21
b. Optimisation de la réaction de Hoppe
II. DEUXIEME SYNTHESE DU FRAGMENT C16-C24
II.1. RETROSYNTHESE ENVISAGEE
II.2. SYNTHESE DU FRAGMENT C16-C21
a. Hydrogénation asymétrique de Noyori
b. Synthèse du fragment C16-C21
c. Autre synthèse du fragment C16-C21
II.3. SYNTHESE DU FRAGMENT C16-C24
a. Réaction de crotylation asymétrique
b. Application à la synthèse du fragment C16-C24
III. TROISIEME SYNTHESE DU FRAGMENT C16-C24
III.1. RETROSYNTHESE DU FRAGMENT C16-C30
III.2. COUPLAGE ENTRE L’ALDEHYDE 78 ET L’ETHYLCETONE 87
a. Réactions d’aldolisation utilisant des auxiliaires chiraux
b. Aldolisation diastéréosélective développée par Paterson
c. Application à la synthèse d’un précurseur du fragment C16-C24
III.3. SYNTHESE DU FRAGMENT C16-C24
a. Réduction du groupement carbonyle par LiBH4
b. Réduction du groupement carbonyle par NaBH4
c. Installation de la double liaison en C24
IV. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
CHAPITRE IV – CONCLUSION
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