Vers la professionnalisation de l’enseignant débutant ?

La complexité de l’étude de l’activité réelle

Lorsqu’il interroge des conducteurs de train sur leur manière de travailler, Clot (2000) met en évidence que l’expérience professionnelle est une chose insaisissable. Le travail effectué semble s’effacer dès lors qu’il est accompli, on ne sait ni le raconter ni en prendre réellement conscience. Il devient alors impossible de l’analyser : une fois achevé, il s’est évaporé dans la conscience du travailleur. On ne peut toucher du doigt ses fonctionnements que quand le travail est défaillant. On analyse alors les mauvais gestes, les erreurs et les déviances, et on entre dans la précision des actions. Mais quand tout fonctionne, l’action même du travail résiste à l’analyse.
Ainsi, l’action est éphémère, il nous faut donc en prendre trace. On peut la prendre en note, éventuellement l’enregistrer en bande audio, mais le support le plus adapté pour avoir une vision complète du travail d’un sujet dans son contexte est la vidéo, même si elle ne cadre qu’une partie de la situation, ce qui est « hors-champ » n’étant pas visible. Mais cette trace vidéo du travail du sujet suffit-elle à saisir tout ce qui fait l’activité réelle ? Ne montre-t-elle pas que la partie réalisée de l’activité ? En effet, comme nous l’avons déjà évoqué, l’activité réelle du professionnel est donc composée non seulement de ce qui a été réalisé (l’action visible), mais aussi de ce qui est prescrit au sujet de cette action, et de l’ensemble de ces actions suspendues, qui représente ce qui n’a pas été réalisé.
Pour comprendre l’action, la dynamique d’un sujet, il nous faut donc avoir accès à trois éléments constituant l’action : ce qui a été prescrit au sujet de cette action, la trace “visible” de l’action et le témoignage du sujet sur l’épisode en question. Ce témoignage devra mettre en exergue les tensions entre l’activité “suspendue” du sujet, l’action “visible” du sujet, et le prescrit de la tâche en question. Clot met en évidence le double rabattement spontané que le sujet effectue sans le savoir, en reliant ce qu’il voit de son travail à la fois au travail prévu et à ses activités suspendues, c’est à dire à ses préoccupations nées du contexte singulier de l’action.
L’ensemble de ces données vont permettre au sujet de se rendre compte de l’écart entre ce qu’il avait prévu et ce qu’il a réellement mis en œuvre, de comprendre pourquoi il s’est éloigné de ce qu’il avait prévu.
Cette prise de conscience par l’acteur sur ce qu’il fait, mais également sur ce qu’il ne fait pas, aboutit à une meilleure compréhension de son fonctionnement dans l’action. La question est : devient-il « réflexif », autrement dit développe-t-il une « capacité à réfléchir sur son action » (Perrenoud, 2019) ?

Vers la professionnalisation de l’enseignant débutant ?

Avant de qualifier l’enseignant débutant de professionnel, il convient de définir ce qu’est un professionnel. P. Perrenoud (2019) propose tout d’abord de distinguer métier et profession. Contrairement au métier, associé au seul rôle d’exécutant, l’activité d’un professionnel exige une démarche de résolution de problème continue. Le professionnel ne peut pas appliquer de recettes toutes faites puisqu’il est à la fois concepteur et exécutant : « il identifie le problème, le pose, imagine et met en œuvre une solution, assure le suivi ». En ce sens, seuls quelques métiers, gouvernés par l’autonomie qui est elle-même fondée sur la confiance dans les compétences et l’éthique, sont des professions. Pour ce sociologue et anthropologue, cette « autonomie et responsabilité du professionnel ne vont pas sans une forte capacité à réfléchir dans et sur son action ». Apprendre à devenir un praticien réflexif lors de la formation initiale et continue est pour l’auteur une des clés de la professionnalisation du métier d’enseignant.
Du point de vue de la prescription académique, la compétence 14 du Référentiel des Compétences Communes à tous les Professeurs et Personnel de l’Éducation (2013) évoque l’engagement dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel.
Par ailleurs, en accord avec les dires de l’auteur, il est demandé à l’enseignant de « réfléchir sur sa pratique – seul et entre pairs – et réinvestir les résultats de sa réflexion dans l’action ». Ainsi, après avoir pris conscience de son activité réelle, le sujet pourra échanger avec ses collègues afin de comprendre comment atteindre une plus grande efficacité. Il peut aussi mobiliser des connaissances scientifiques et théoriques : deux types de sources de connaissance qu’on peut respectivement nommer concepts quotidiens et concepts scientifiques (Clot, 2000).
Réunir connaissances théoriques et apprentissages de terrain : des concepts scientifiques et quotidiens aux concepts pragmatiques Y. Clot (2000), en reprenant les recherches du pédagogue et psychologue L. Vygotsky, explique que dans le cadre de la formation professionnelle, deux concepts s’opposent. Les concepts quotidiens sont les idées fondées sur l’expérience singulière de l’acteur, ils sont donc propres à chaque sujet. Leur efficacité permet un meilleur rendement au travail, mais la généralisation à l’ensemble des sujets est impraticable, car elle repose sur l’histoire propre et le caractère du sujet. C’est ce qu’on apprend « par soi-même » ou via les pairs, dans sa pratique.
Les concepts scientifiques pour leur part valent en général dans le système théorique. Ce sont des connaissances génériques qui ne sont pas incarnées dans le réel du travail. Ce sont les connaissances scientifiques institutionnalisées et enseignées dans le cadre des études et des formations théoriques. Ils s’adaptent difficilement au réel et ne sont valables que dans l’espace restreint de leur champ d’action. De même, les concepts quotidiens ne se valident que dans leslimites de leur pratique. Ces deux concepts peinent donc à interagir, car ils évoluent chacundans leur « bulle ».
Deux chercheuses, J. Becker et C. Leroy (2010) proposent un nouveau concept, rassemblant les concepts quotidiens et les concepts scientifiques : les concepts pragmatiques. Il s’agit de faire dialoguer les connaissances issues de la théorie et celles émergeant de la pratique, soit les connaissances empiriques. Au départ, les concepts scientifiques sont seulement connus du professionnel, mais ne sont pas appliqués dans son activité puis au fur et à mesure de sa pratique, il les intègre afin d’améliorer son travail. De leur côté, les concepts quotidiens peuvent être échangés entre collègues, ce qui permet de tester de nouvelles stratégies ou de s’inspirer de nouvelles pratiques en vue d’aboutir à un progrès dans le travail.
Pour y parvenir, on doit passer par la verbalisation de son action. C’est dans la partie non visible de l’activité, c’est-à-dire dans l’activité cognitive et affective de l’acteur, qu’un tel transfert de concepts est possible. La verbalisation de l’action n’est donc pas une simple mise en mot, il s’agit d’une activité langagière à part entière, durant laquelle le sujet redécouvre son activité et la transforme. Vygotsky illustre cela en écrivant dans Pensée et langage : “le langage n’exprime pas la pensée, il la réalise”.

Développer son style professionnel

Au cours des échanges au sein d’un collectif de professionnels, des « gestes professionnels » communs entre collègues se développent : c’est le genre professionnel (Clot et al. 2000). Ce dernier permet au sujet de savoir comment agir en définissant collectivement les adaptations pratiquées autour d’une tâche prescrite. Cela représente également une marque d’appartenance à un corps de métier. Le style, quant à lui, correspond à une personnalisation du genre professionnel afin de mieux se l’approprier. L’acteur va développer ses stratégies et ses techniques personnelles pour répondre à la complexité du réel et réussir au mieux son travail. Pour cela, il va devoir opérer un double affranchissement : un affranchissement vis-à vis de l’histoire personnelle, c’est-à-dire qu’il devra s’approprier le genre pour construire sa propre expérience, ainsi qu’un affranchissement vis-à-vis de la mémoire impersonnelle, c’est à-dire qu’il devra définir une variante du genre qui sera intégrée par le groupe.
Au travail, chaque personne a sa propre expérience, son propre vécu, ses préoccupations, ses motivations… Tout cela détermine le style de chaque sujet. C’est notamment de cette façon que l’expérience professionnelle se construit. Or, d’après Y. Clot (2000) l’expérience ne devrait pas se définir par ce que l’individu sait faire, mais plutôt par « sa façon originale de changer ses façons de concevoir et de faire » (Clot, 2000, p.57).

L’enseignement de l’EPS dans le cadre de l’action située

Dans le cadre de cette étude, nous constatons donc que le travail ne peut être conçu comme la simple exécution d’une prescription. L’activité réelle du travail est en partie visible, en partie prescrite et en partie incarnée. Mais dans le cas du travail de l’enseignant, son activité est également inextricablement liée au contexte d’enseignement. Pour englober ce dernier aspect dans notre analyse, nous placerons cette étude dans le cadre de l’action située. En effet cette approche théorique met en exergue le caractère fortement contextuel et incarné de l’activité humaine, et se révèle particulièrement pertinente pour l’étude de l’enseignement d’EPS.

Développer une pratique réflexive chez les enseignants

Nous avons montré que le travail ne pouvait être considéré comme l’exécution d’un plan. En ce sens, P. Perrenoud (2019, p.11) propose de voir le travail comme une activité de résolution de problème. C’est donc une activité complexe, et pour en accroître l’efficacité, on cherche à développer l’autonomie de l’acteur, plutôt que d’en retravailler la part prescrite. P. Perrenoud expose ainsi la nécessité de développer une pratique réflexive dans le métier d’enseignant.
Développer une pratique réflexive, c’est développer le « savoir analyser », en parallèle de l’acquisition de savoirs didactiques. Savoir analyser implique une interprétation de son environnement, de ses obstacles, de l’activité des tiers – donc une vision propre à l’acteur, construite en contexte et en lien avec sa vie intérieure. Autrement dit, il s’agit de développer un savoir-être, une compétence transversale et évolutive que l’enseignant saura mobiliser face à toute situation. Former les enseignants débutants à une pratique réflexive leur permettrait d’autoalimenter leur progression, par le regard sur leur propre pratique, dans le but de « former des gens capables d’évoluer » (Perrenoud, 2019).
Pour les former au mieux, il faut donc apprendre aux enseignants débutants à développer une posture réflexive. Une posture est une structure préconstruite, un schème du penser-dire faire qu’un sujet convoque en fonction d’une situation. La posture réflexive est présentée par P. Perrenoud comme « un paradigme intégrateur et ouvert » (p.14) car ni le « sur quoi », c’est à-dire le contenu, les thèmes de réflexion, ni le « vers quoi », c’est-à-dire le but de la réflexion, ne sont définis. Cette posture doit pouvoir accueillir tous les éléments particuliers du contexte d’enseignement en vue d’adapter au mieux son travail d’enseignant. La posture doit devenir permanente, comme une forme d’identité professionnelle, « un habitus » pédagogique de l’enseignant.
La nécessité énoncée par P. Perrenoud de développer une pratique réflexive chez les enseignants débutants réaffirme la nécessité du choix d’un cadre d’étude prenant en comptetous les aspects de l’action, dans notre aspiration à apprendre de notre expérienceprofessionnelle dans l’enseignement de l’EPS.

L’action située pour analyser l’enseignement de l’EPS

Pour développer les enjeux spécifiques du cadre de l’action située pour l’enseignement de l’EPS, nous nous appuierons sur l’article collectif de Ria et al., Action ou cognition située : enjeux spécifiques et intérêts pour l’enseignement de (2006). Ces chercheurs démontrent l’intérêt de l’approche de l’action située par rapport à celle du cognitivisme dans le cadre de l’enseignement de l’EPS et encouragent les enseignants à avoir une activité moins prescriptive, où l’on prend l’activité des élèves comme une énigme à résoudre en vue de leur apprentissage.
Le collectif de chercheur expose un consensus selon lequel l’action située (ou « cognition située ») caractérise l’action par opposition à l’exécution d’un plan. Mais il existe courants divergents au sein de l’action située. Face à cela, ils proposent quatre idées clés à retenir pour l’analyse l’enseignement de l’EPS dans le cadre de l’action située, par opposition à la théorie cognitiviste, majoritairement répandue dans la formation des jeunes enseignants.
1/ La cognition prend racine dans le corps et ne peut être dissociée de l’engagement corporel, moteur, et affectif de l’acteur. Dans une vision cognitiviste, la cognition se fait en « vase clos »,indépendamment du contexte et de la vie de l’acteur.
2/ L’action et la situation se caractérisent mutuellement et en permanence. Dans une vision cognitiviste, la situation et l’action sont deux éléments indépendants.
3/ Il n’y a pas de hiérarchie entre la cognition et l’action, l’une n’est pas à l’origine de l’autre : l’action répond à une interprétation et à une réinterprétation constante de la situation.
La partie prescriptive d’une tâche, construite en amont, est une ressource pour l’action au même titre que le contexte. Dans une vision cognitiviste, il existe un rapport hiérarchique : la cognition commande l’action à travers le corps qui est un organisme effecteur : il exécute l’action comme un programme prédéterminé.
4/ La cognition est socialement et culturellement située, et est influencée par le contexte de la situation. En d’autres termes, elle se place dans un référentiel d’acquis sociaux et culturels.
Dans une vision cognitiviste, la cognition est au contraire vue comme une démarche individualiste.
La conclusion de cet article fait écho à P. Perrenoud sur la question de la posture réflexive : pour eux, l’enseignant doit chercher à être « plus proscriptif que prescriptif », c’est à-dire à enseigner en délimitant des espaces de possibles pour que les élèves y développent leurs apprentissages plutôt qu’enseigner en guidant les élèves vers des réponses prédéfinies à travers des activités orientées. Comme pour P. Perrenoud, ils poussent également à voir l’activité des élèves comme une énigme à résoudre.
L’activité de l’enseignant en EPS est donc incarnée, co-déterminée par la situation dans laquelle il se trouve dans un processus continu et a une signification sociale et culturelle. Ces éléments sont partie intégrante de sa pratique et en sont des points d’analyse. Pour apprendre de notre pratique, il nous faudra donc prendre en compte l’ensemble de ces éléments.

Problématique

Dans ma pratique de l’enseignement de l’EPS, je fais invariablement l’expérience de l’inconsistance des connaissances scientifiques dans les situations réelles (Clot, 1999). J’ai beau avoir quelques connaissances pédagogiques et didactiques, la réalité de mes préoccupations lors des séances en est éloignée. J’ai appris durant ma formation à l’ESPE qu’en athlétisme, pour chercher à produire une performance optimale, les élèves devaient disposer de leurs résultats, et se mettre dans un projet de progression pour développer des stratégies adaptées à leur but en développant une conscience de leur activité. Lors de mes séances, je dois donc me focaliser sur l’observation de leurs comportements de course et sur l’adaptation didactique des situations. Pourtant, je suis davantage préoccupée par l’organisation matérielle des tâches, la gestion du groupe, et le pilotage de la tâche. Ces préoccupations sont omniprésentes et empêchent un réel travail sur l’apprentissage des élèves, alors même que j’ai conscience que mon enseignement doit s’y orienter.
Il s’agit donc avec cette étude d’analyser mon activité enseignante en contexte à travers le paradigme de l’action située, et de comprendre sur quoi se fondent mes préoccupations et comment les gérer. Notre démarche s’articulera autour de deux axes :
– la prise en compte dans ma situation de mes préoccupations de gestion de groupe et de pilotage de la tâche pour qu’elles ne soient pas envahissantes et qu’elles laissent la place à une préoccupation sur l’apprentissage des élèves.
– la réflexion sur le sens des apprentissages des élèves en EPS et sur les manières de les y conduire.
Ainsi nous nous interrogerons sur comment je pourrais gérer mon groupe tout en guidant chaque élève dans une démarche de progression, c’est-à-dire sur les leviers permettant de gérer le dilemme entre le collectif et le suivi individuel, pour que chacun puisse apprendre de la situation tout en étant ensemble.

METHODOLOGIE

Dans cette partie de l’étude, nous exposerons la mise en place du dispositif de recueil de données que nous avons retenu, à savoir la méthode d’auto-confrontation. Nous présenterons également la séquence support des analyses, une séquence de course longue dans une classe de CE1. Par la suite nous présenterons les résultats de l’étude selon la méthode choisie.

Mise en place de la méthode d’auto-confrontation dans le cadre de l’étude

Mise en œuvre de la méthode

Pour recueillir des traces les plus réalistes de notre activité d’enseignant en intervention avec nos élèves, la première étape consiste à filmer une séance d’EPS dans son intégralité. J’ai choisi de filmer la troisième séance de ma séquence, une séance dont l’objectif est d’introduire la notion d’allure de course, et de stabiliser sa performance en course longue avant une phase d’entraînement. Une ATSEM* de l’école est venue exceptionnellement avec notre classe pour nous filmer, avec mon appareil photo personnel. La séance se passe en extérieur, dans la cour qui est assez vaste pour proposer différents espaces : un cercle tracé au centre de la cour, un petit terrain délimité à un autre bout de la cour, ainsi que le point de départ de la course. La vidéo suit le groupe classe à ces trois endroits, ainsi que dans le hall d’entrée de l’école où nousnous rassemblons pour débuter et clore la séance.
Deux jours plus tard, s’est déroulé la deuxième étape : l’entretien d’autoconfrontation entre ma tutrice de mémoire et moi-même. Nous sommes confrontées aux images de ma séquence et l’entretien est également filmé. L’objectif est de passer de l’action visible sur la vidéo à une verbalisation rendant compte le plus fidèlement possible de mon activité réelle (émotions, préoccupations, intentions, interprétations…). L’activité langagière d’échange avec ma tutrice, en mettant en forme ces dimension subjectives de l’action, vise à provoquer chez moi une prise de conscience de ces mécanismes cognitifs. En décrivant mes pensées, mes choix, mes réflexions, mes émotions, je développe une réflexion sur ma pratique.
La troisième étape est le recueil des verbatim depuis la vidéo de l’entretien d’autoconfrontation. Et la quatrième est l’analyse des données recueillies à l’aide des composantes mises en évidence par J. Theureau (Theureau, 1992, cité par Beckers et Leroy, 2010 p.4).

Analyse de l’entretien inspirée du cadre sémio-logique d’analyse des cours d’action de THEUREAU, ainsi que des travaux de recherche de DURAND

Nous avons donc déroulé le dispositif proposé par J. Theureau (1992), selon lequel, au cours de l’entretien d’auto-confrontation, l’enseignant débutant commente son action. Il segmente son action en choisissant de commenter des moments particuliers. Ces moments sont appelés « unités d’action significative ». Il s’en suit l’analyse sémiologique de cette unité d’action, c’est-à-dire son analyse comme un système de signes interprétables. J. Theureau en présente les composantes suivantes : l’unité élémentaire, le representamen, l’engagement, l’actualité potentielle, le référentiel, et l’interprétant (Theureau 1992, 2002). Nous n’avons retenu que quatre d’entre-elles, définies ci-après d’après les travaux de J. Beckers et C. Leroy (2010) :
– Le representamen : il regroupe les informations liées à la perception qui sont prises en considération par l’enseignant : ce qu’il fait, ce que les élèves font, le contexte, le matériel, etc.
– Les préoccupations : elles concernent les intérêts et les inquiétudes de l’enseignant en fonction de son histoire, en lien avec l’extrait commenté.
– Le référentiel : il reprend les concepts pragmatiques qui peuvent orienter son activité compte tenu des informations qu’il a perçues et de ses préoccupations.
– L’Interprétant : ce sont les concepts pragmatiques que l’enseignant est en train de construire sur la base de l’activité à laquelle il fait référence : « L’interprétant rend compte du fait que toute activité s’accompagne d’un apprentissage » (Ria et al., 2004 p 539 ; Theureau, 1992 ;
Vygotsky, 1997, cité par Leroy et Beckers 2010, p 4).
L’analyse conduit également à distinguer deux temps sur lesquels la réflexion de l’acteur porte au cours de son entretien :
– le temps t, correspondant au moment du déroulé de la séance faisant référence à la pensée dans l’action (préoccupations dans l’action, attentes, les perceptions de l’enseignant), et aux concepts pragmatiques qui sous-tendent sa pensée dans l’action.
– le temps t’, correspondant aux réactions de l’acteur au moment de l’entretien : celuici est vécu par l’acteur comme une nouvelle expérience où il se voit « donner cours ».

Résultats

Dans ce chapitre, nous analyserons les moments vidéos copés transcrits en verbatim, selon la méthode présentée précédemment.
Dans les verbatim, F correspond aux interventions de ma formatrice, et PE à moi-même, professeure des écoles débutante. Dans les trois tableaux, les parties relatives au t’ des parties Préoccupations et Référentiel sont grisées, car elles ne peuvent être renseignées au temps t’. La partie Interprétant relative au temps t est grisée car elle ne peut par définition pas être traitée au temps t.

DISCUSSION

Par cette étude, nous cherchons, en nous interrogeant sur notre activité enseignante, à inciter les élèves à se mettre dans une démarche de progression. Nous nous interrogeons sur la construction de l’expérience professionnelle et sur comment l’améliorer. L’application de la méthode d’auto-confrontation selon Becker et Leroy (2010) m’a-t-elle permis de faire évoluer mes interprétations de la séance d’étude ? Ai-je pu accéder à des compétences pragmatiques telles que décrites par Y. Clot (2000), en tant qu’applications de connaissances scientifiques dans le réel de mon travail ? Ce travail m’a-t-il permis de revoir les conditions dans lesquelles les élèves adoptent une démarche de progression ?
Nous verrons que l’étude de chacun des trois moments analysés a nourri une réflexion autour de ma pratique. Grâce au premier moment, j’ai fait évoluer mes représentations sur les postures d’enseignement et les postures d’étayage, ce qui m’a permis de revoir l’organisation de ma séance. Le deuxième moment m’a permis de gagner en connaissances didactiques, et de prendre conscience de la co-détermination entre l’action et la situation. Le troisième moment a été l’occasion de réaliser l’écart entre ma situation et l’objectif de mise en projet que je m’étais formulé, et de reconsidérer la suite de ma séquence.

Premier extrait : réflexions sur les postures de SOULÉ et BUCHETON, révision de la situation

L’entretien du premier moment travaillé – l’installation du dispositif pour la phase de course pendant que les élèves patientent – m’a permis de comprendre un de mes dilemmes. Je devais quitter mon groupe pour mettre en place mon dispositif, mais quitter mon groupe signifiait pour moi courir le risque de le perdre. Ce dilemme provoquait chez moi au temps t une émotion d’angoisse et de peur, qui m’empêchait d’intervenir autrement après de mes élèves que dans une posture autoritaire. Or, le dispositif m’a donné la possibilité de verbaliser sur ma préoccupation de gestion du groupe, et de comparer cette préoccupation avec le comportement des élèves au temps t : ils ne débordent pas, sont en posture d’élèves, prêts à travailler. J’ai donc pris conscience que ma préoccupation au moment t, influencée mes émotions, n’avait pas de réel fondement.
L’entretien de ce moment a ouvert la réflexion autour des postures d’enseignement et des postures d’étayage, telles qu’elles sont analysées par D. Bucheton et Y.Soulé (2009). J’aipu analyser ma pratique en conséquence, et faire évoluer mon point de vue.

Préoccupation de pilotage de la tâche et gestion du groupe

L’entretien concerne un moment chargé émotionnellement : je remarque que je suis agacée et angoissée par la situation, et me voir ainsi m’affecte. Pourtant, au temps t’ – celui de l’entretien – je comprends que de telles émotions ne sont pas fondées. Plusieurs éléments m’ont permis de ré-envisager ce moment.
Premièrement, j’ai compris que j’étais prise dans une double préoccupation, l’installation de mon matériel et la tenue de mon groupe, afin que ma séance avance telle que prévue. Cela correspond à l’une des préoccupations centrales proposées par D. Bucheton et Y.
Soulé (2009). Ils décrivent cinq préoccupations centrales dans l’activité des enseignants : la préoccupation de pilotage des tâches, celle de l’atmosphère de la classe, celle du tissage du sens qu’ont les situations, celle de l’étayage et celle de l’apprentissage. Dans le cas de ma situation, je pensais essentiellement au pilotage de ma tâche – c’est à dire la gestion des contraintes de temps et de matériel – à travers l’installation de la piste pour la situation de course. J’angoissais d’avoir à prendre du temps et de l’énergie pour récupérer l’attention de mes élèves après être allée installer mon matériel, car mes élèves étaient inoccupés à ce moment-là.
Or, je constate deux choses lors de l’entretien. D’une part, mon angoisse est perceptible et affecte ma manière d’être auprès des élèves. J’observe chez moi un comportement d’irritation qui m’est désagréable à constater. D’autre part, quand je pars disposer mon matériel, les élèves ne posent pas de problème de comportement : ils sont en attente, et je n’ai pas de mal à récupérer leur attention. J’aperçois alors l’écart entre ma préoccupation et la réalité de la situation. Ce que j’avais interprété au moment t était influencé par mon état émotionnel, et le recul que m’offre le dispositif à ce moment-là me permet de réaliser que je n’ai pas à m’angoisser à ce point de la gestion de classe. Je peux donc m’alléger de cette préoccupation et de la peur qui y est associée.
Pour améliorer cette situation, j’ai cherché avec ma formatrice comment intégrer ma préoccupation de pilotage de la tâche dans l’organisation de la situation, en gérant autrement l’installation du matériel tout en mettant les élèves en activité.

Impliquer les élèves dans l’installation du dispositif de course

La réflexion a donc pu s’ouvrir avec ma formatrice sur les alternatives organisationnelles pour faire évoluer la situation. Il s’agissait de trouver une alternative permettant de disposer le matériel en mettant les élèves en activité, pour gérer conjointement le groupe et le pilotage de la tâche.
Pour réexaminer l’installation de la piste de course, nous évoquons pendant l’entretien la possibilité de laisser des marques sur le sol de la cour avec une bombe de peinture. Les élèves n’auraient alors qu’à disposer un plot sur chaque marque avec leur binôme. Cela permettrait pour les élèves de passer d’un moment d’attente dénué d’apprentissage à une occasion de prendre des repères spatiaux, d’intégrer le dispositif, et de se mettre en relation avec son binôme de travail. De plus, en termes d’apprentissages des compétences du Socle Commun de Connaissances, de Compétences et de Culture (2015), les élèves travaillent des compétences d’organisation des apprentissages (domaine 2) et d’apprentissage de la vie collective et participative (domaine 3).
Cette révision de la situation m’a permis de formuler au temps t’ la préoccupation que le moment d’installation du matériel a devienne vecteur d’apprentissage pour les élèves. J’ai pu relier leur activité à une prise de repères dans l’espace – les plots et la longueur d’un tour de piste – qui leur permettrait de créer plus tard la relation entre l’espace de la piste, leur allure, et le temps de la course. Je me suis donc recentrée sur l’activité des élèves, et ma préoccupation de pilotage de la tâche était assimilée dans la situation. Mon dilemme était résolu : je n’aurais plus peur que mon groupe « explose », et je n’aurais plus à le quitter pour installer le matériel moi-même. Je me rendais disponible pour observer les élèves, et me préoccuper davantage de leurs apprentissages.

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Table des matières

I. CHAMP D’ÉTUDE
Introduction
1. De la compréhension à la construction de l’activité professionnelle de l’enseignant débutant
1.1. Qu’est-ce que le travail ?
1.2. L’activité enseignante en contexte pour étudier le réel du travail de l’enseignant débutant
1.3. La complexité de l’étude de l’activité réelle
1.4. Vers la professionnalisation de l’enseignant débutant ?
1.5. Réunir connaissances théoriques et apprentissages de terrain : des concepts scientifiques et quotidiens aux concepts pragmatiques
1.6. Développer son style professionnel
2. L’enseignement de l’EPS dans le cadre de l’action située
2.1. Développer une pratique réflexive chez les enseignants
2.2. L’action située pour analyser l’enseignement de l’EPS
2.3. Le cours d’action : un programme particulier dans le cadre de l’action située
2.4.Dans le cadre de l’action située, une proposition de grille d’analyse de l’activité des enseignants en EPS
3. Revivre et réfléchir sur sa pratique à travers la méthode d’auto-confrontation
3.1. La méthode d’auto-confrontation, dispositif permettant l’accès au réel de l’activité
4. Problématique
II. MÉTHODOLOGIE
1. Mise en place de la méthode d’auto-confrontation dans le cadre de l’étude
1.1 Mise en œuvre de la méthode
1.2.Analyse de l’entretien inspirée du cadre sémio-logique d’analyse des cours d’action de THEUREAU, et des travaux de recherche de DURAND
2. Contexte d’exercice et recueil des données : la course longue en CE1
2.1. Éléments du contexte
2.2. Le choix de séquence : la course longue
2.3. Organisation des séances
2.4. Précisions sur la séance support d’étude : la troisième séance
3. Résultats
3.1. Premier extrait : Installer la piste et gérer le groupe
3.2. Deuxième extrait : l’organisation sociale de la course
3.3. Troisième extrait : Lyne et la mise en projet
III. DISCUSSION 
1. Premier extrait : Réflexions sur les postures de SOULÉ et BUCHETON, révision de la situation
1.1. Préoccupation de pilotage de la tâche et gestion du groupe
1.2. Impliquer les élèves dans l’installation du dispositif de course
1.3. Connaître sa palette de postures d’étayage
2. Deuxième extrait : comprendre l’intrication entre l’action et la situation
2.1. La réactivation de connaissances enfouies
2.2. Un apport didactique déterminant pour l’analyse de ma situation
2.3. Le principe de co-détermination de l’action et de la situation
3. Troisième extrait : une évolution de ma séquence
3.1. La mise en projet des élèves : un objectif capital
3.2. Un objet comme artefact cognitif : la fiche de résultats des élèves
3.3. Des objectifs au cœur du sens de l’EPS
IV. CONCLUSION 
V. BIBLIOGRAPHIE
VI. ANNEXES

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