Verification de la theorie de la perturbation intermediaire dans un contexte de la pratique de l’agriculture sur brûlis

Les forêts naturelles disparaissent à un rythme très élevé dans les pays tropicaux alors qu’ailleurs (essentiellement dans les pays tempérés), elles tendent à se stabiliser, voire progressent (Molino et Sabatier, 2002). Ainsi, les forêts secondaires dominent l’ensemble du monde forestier tropical (UNESCO, 1983). Les forêts secondaires se définissent comme étant des formations végétales qui se développent après des perturbations dont les effets sur la structure et la composition floristique sont perceptibles (Corlett, 1994). Ces forêts secondaires sont souvent décrites comme pauvres en biodiversité (Lowry et al, 1997). Ce qui semble aller à l’encontre des prédictions de la théorie de la perturbation intermédiaire1 (Grime, 1973 ; Connell, 1978 ; Huston, 1979 ; Wilkinson, 1999) qui stipule que la diversité est maximale au niveau de perturbation intermédiaire et minimale ailleurs (faible et forte perturbations). Par conséquent, la diversité est la plus faible au niveau des écosystèmes les plus perturbés (Hart, 1990). L’IDH appliqué aux formations végétales, soutient donc que la richesse spécifique est reliée à l’intensité de la perturbation et qu’elle est maximale à l’intensité de perturbation et au stade de succession intermédiaire. Les perturbations sont parfois même considérées comme les déterminants majeurs de la distribution des espèces à l’échelle régionale (Huston, 1994 ; White et Jentsch 2001). Ainsi, deux prédictions principales découlent de l’IDH appliquée aux écosystèmes forestiers (Randriamalala, 2009) : (1) lors des successions végétales secondaires, la végétation des stades les plus avancés est plus pauvre en espèces que celle de stades intermédiaires et (2) certaines végétations secondaires sont plus riches en espèces que les forêts matures (ou primaires) correspondantes. En effet, il a été démontré que les perturbations telles que les traitements sylvicoles (Plumptre, 1996 ; Sheil, 2001) et les coupes sélectives (Molino et Sabatier, 2001) peuvent augmenter la diversité des arbres. Cependant la plupart des études sur les successions végétales démentent la première prédiction (Awetto, 1981 ; Toky et Ramakrishnan, 1983 ; Stromgaard, 1986 ; Ohtsuka, 1999 ; Aide et al., 2000 ; Pena-Claros, 2003 ; Howorth et Pendry, 2006 ; Van Breugel et al., 2006 ; Toledo et Salick, 2006) et montrent que, généralement, les stades de succession les plus avancés sont les plus riches en espèces et présentent une diversité et une structure proches de celles des forêts primaires. Il faut cependant remarquer que les études sur les successions végétales concernent surtout les stades récents de la succession (moins de 50 ans après l’abandon). La seconde  ne s’observe pas non plus fréquemment dans la nature. Généralement, les forêts primaires sont plus riches en espèces ligneuses que les forêts secondaires correspondantes (Brearley et al., 2004 ; Howorth et Pendry, 2006). Ces observations semblent démentir la validité de l’IDH. La validation de l’IDH dans le cadre des écosystèmes forestiers est associée à des perturbations relativement légères (traitements sylvicoles et coupes sélectives ; Plumptre, 1996 ; Molino et Sabatier, 2001 ; Sheil, 2001), mais l’on ignore si cette théorie écologique reste valide dans le cadre de perturbations plus intenses telles que les défrichements liés à l’agriculture sur brûlis et/ou l’exploitation minière. Ce travail éclaire cette question en répondant aux questions suivantes : Est-ce que l’IDH est valide dans le cadre de perturbations liées aux pratiques de l’agriculture sur brûlis ? Comment évoluent les végétations post-agricoles dans les stades les plus avancés (>30 ans) ? À cet effet, deux hypothèses sont émises à savoir (i) la validité de l’IDH dans le contexte de l’agriculture sur brûlis et (ii) la plus grande diversité de la végétation des stades intermédiaires par rapport aux forêts primaires. Cette étude (1) teste l’IDH dans le cadre des perturbations liées à l’agriculture sur brûlis et (2) analyse les successions secondaires végétales aux stades avancés (>30 ans) dans les forêts denses humides du corridor forestier de Ranomafana-Andringitra. Les deux prédictions de l’IDH, appliquée aux écosystèmes forestiers (diversité maximale aux stades intermédiaires et possibilité d’existence de formations secondaires plus diversifiées que des formations primaires) sont testées dans le cadre de l’agriculture sur brûlis et les implications des résultats de ces tests sur les successions végétales secondaires sont discutées.

PROBLÉMATIQUES, OBJECTIFS et HYPOTHÈSES

Théorie de la perturbation intermédiaire (IDH) : théorie écologique généralement admise, mais peu testée

Afin d’expliquer le maintien de la diversité floristique dans les forêts tropicales et l’absence des phénomènes tels que la monodominance et l’extinction d’espèces dans les diverses formations végétales, la notion de la perturbation intermédiaire a été introduite (Intermediate Disturbance Hypothesis ou IDH ; Connell, 1978 ; Kessler, 2000 ; Molino et Sabatier 2001 ; Sheil et Burleim, 2003 ; Ikeda, 2003 ; Crandrall et al., 2003 ; Li et al., 2004). Cette théorie stipule que la diversité est maximale au niveau de perturbation intermédiaire et minimale ailleurs (faible et forte perturbations). Par conséquent, l’IDH soutient que la richesse spécifique est reliée à l’intensité de la perturbation et qu’elle est maximale à l’intensité de perturbation et au stade de succession intermédiaire (Figure 1). La perturbation peut être définie comme tout événement discret dans le temps et dans l’espace provoquant une réduction de la biomasse ou une mortalité des entités fondamentales du système, par exemple les arbres du peuplement forestier ou bien les espèces représentatives de l’écosystème en question (Cordonnier, 2004). Les mesures de l’intensité de perturbations se font de façon indirecte, car il n’y pas d’indicateurs simples de perturbation des forêts (Sheil et Bursleim, 2003). Ces mesures des perturbations peuvent se rapporter à (i) leurs natures (un défrichement, suivi de déblayage, dans le cadre d’exploitations minières est une perturbation plus intense que des coupes sélectives dans le cadre d’écrémage de forêt), (ii) leurs fréquences (des perturbations récurrentes sont plus intenses que celles qui ne se produisent qu’une seule fois), (iii) aux superficies concernées, (iv) à la durée écoulée après perturbation (plus cette durée est longue, moins l’écosystème forestier est perturbé). L’IDH soutient aussi que des perturbations, provoquant par exemple des chablis et des trouées, s’exercent de façon permanente dans les forêts primaires et empêchent la compétition interspécifique d’aller au bout de ses conséquences : l’extinction des plus faibles et la dominance des plus compétitives, ce qui permet le maintien de la diversité floristique (Sheil et Bursleim, 2003). Deux prédictions principales découlent de l’IDH appliquée aux écosystèmes forestiers (Randriamalala, 2009): (1) lors des successions végétales secondaires, la végétation des stades les plus avancés est plus pauvre en espèces que celle de stades intermédiaires et (2) certaines végétations secondaires sont plus riches en espèces que les forêts matures (ou primaires) correspondantes. Peu d’études ont essayé de vérifier ces conséquences de l’IDH et peu de données sont disponibles pour les tester.

Successions végétales secondaires dans un contexte de la pratique de l’agriculture sur brûlis : Une application intéressante et inédite de l’IDH

À Madagascar, les travaux sur les successions végétales consécutives à la pratique de la culture sur brûlis sont nombreux (Rasolofoharinoro et al., 1997 ; Brand et Pfund, 1998 ; Grouzis et al., 1999 ; Pfund, 2000 ; Randriamalala et al., 2007, 2012 ; Styger et al., 2007 ; Klanderud et al., 2009 ; Delang et Li, 2013). Cependant, ils couvrent généralement une période assez courte (<30 ans) et ne permettent pas de tester efficacement l’IDH. Les rares études qui portent sur des périodes plus longues (50-150 ans ; Brown et Guverich, 2004) font état d’une différence entre forêts primaires et secondaire en terme de composition floristique et de diversité, mais ne permettent pas de trancher sur la validité ou non de l’IDH. De plus, la validation de l’IDH dans le cadre des écosystèmes forestiers est associée à des perturbations relativement légères (traitements sylvicoles et coupes sélectives ; Plumptre, 1996 ; Molino et Sabatier, 2001 ; Sheil, 2001), mais l’on ignore si cette théorie écologique reste valide dans le cadre de perturbations plus intenses telles que défrichements liés à l’agriculture sur brûlis et/ou l’exploitation minière. Cette étude teste la validité de l’IDH dans le contexte de la pratique de l’agriculture sur brûlis dans les forêts humides de la partie Est des Hautes Terres malagasy. Aussi, deux questions se posent-elles : (1) Est-ce que l’IDH est valide dans le cadre de perturbations liées aux pratiques de l’agriculture sur brûlis ? (2) Comment évoluent les végétations post agricoles dans les stades les plus avancés (>30 ans) ?

MILIEU D’ÉTUDE

Localisation

Le site d’étude (carte 1) se situe dans la région nord-ouest du corridor forestier Ranomafana-Andringitra. Il est localisé dans et autour du terroir villageois d’Ambendrana dans le fokontany d’Iambara et d’Amindrabe. En outre, Iambara (Ambendrana) et Amindrabe font partie des dix fonkontany constituant la commune rurale d’Androy, dans la sous-préfecture de Fianarantsoa II, région de la Haute Matsiatra. Le village d’Ambendrana se trouve à environ 7 km au Sud-Est d’Androy (chef-lieu de commune). Amindrabe se localise à environ 5 km au Sud-Est d’Ambendrana.

Géologie et sols 

Géologie

La région de la Haute Matsiatra est caractérisée par le système de Vohibory qui s’allonge du nord au sud, et appartient au socle cristallin métamorphisé du système de graphite qui date du précambrien. C’est un ensemble complexe de roches sédimentaires métamorphisées. Ce système est constitué de roches silico-alumineuses, gneiss, migmatites et micaschistes et est caractérisé par la présence de graphite abondant (Bourgeat et Petit, 1969 ; Bésairie, 1973 ; MAEP/UPDR, 2003).

Sols

Dans le site d’étude, trois types de sol ont été rencontrés :
• Les sols hydromorphes : caractérisent les bas-fonds et sont généralement aménageable en rizière (Anonyme, 2003).
• Les sols alluvionnaires ou atsanga sont constitués par des apports d’ordre alluvial et colluvial. Ces types de sol sont rencontrés dans la partie Ouest du terroir d’Ambendrana du fait de la faiblesse de la pente et des cours d’eau dans cette zone. Ces sols constituent des alluvions couvrant la superficie des sols nus (Blanc-Pamard et Ralaivita, 2004).
• Les sols ferrallitiques qui sont des sols rouges, tavy mena ou jaunes sur rouges, mavo ambony mena. Ce dernier est formé de la superposition des deux couches de sol : couche à caractère ferrallitique de couleur rouge surmontée d’une couche à caractère limoneux de couleur orange. Selon Bourgeat et Petit (1969), dans cette région, il y a trois types de sol ferrallitique : les sols ferrallitiques modaux, sur le sommet plan, épais et développant les horizons A, B et C ; les sols ferrallitiques pénévolués rencontrés sur les très fortes pentes des plus hauts sommets, et les sols ferrallitiques rajeunis sur les versants moins pentus des collines, au profil A/C.

Selon Randriamalala et al. (2009), les recrûs post-agricoles se trouvent sur les dernierstypes de sols qui sont pauvres en bases échangeables et en phosphore assimilable.

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Table des matières

INTRODUCTION
I. MATERIELS ET METHODES
I. 1. PROBLÉMATIQUES, OBJECTIFS et HYPOTHÈSES
I. 1. 1. Théorie de la perturbation intermédiaire (IDH) : théorie écologique généralement admise, mais peu testée
I. 1. 2. Successions végétales secondaires dans un contexte de la pratique de l’agriculture sur brûlis : Une application intéressante et inédite de l’IDH
I. 1. 3. Hypothèses de recherches
I. 2. MILIEU D’ÉTUDE
I. 2. 1. Localisation
I. 2. 2. Climat
I. 2. 3. Géologie et sols
I. 2. 3. 1. Géologie
I. 2. 3. 2. Sols
I. 2. 4. Végétation et flore
I. 2. 5. Faune
I. 2. 6. Cadre socio-culturel et économique
I. 2. 6. 1. Population
I. 2. 6. 2. L’agriculture
I. 2. 6. 3. L’élevage
I. 2. 6. 4. La pêche
I. 2. 6. 5. L’exploitation de la ressource forestière
I. 2. 7. Corridor forestier de Ranomafana-Andringitra
I. 3. ÉCHANTILLONNAGE DES PARCELLES D’ÉTUDE
I. 4. ENQUÊTES SUR LES HISTORIQUES DES PARCELLES ET SUR LES PRATIQUES AGRICOLES
I. 5. ÉTUDE DE LA VÉGÉTATION
I. 5. 1. Relevés floristiques et paramètres de diversité et de structure
I. 5. 1. 1. Recherche de l’aire minimale
I. 5. 1. 2. Inventaire floristique
I. 5. 2. Indices de diversité et de structure Richesse spécifique « S »
a) Indice de Régularité des ligneux « R »
b) Autres indices de diversité
c) Indice de structure
I. 5. 3. Analyses statistiques sur les données issues des relevés floristiques
II. RÉSULTATS
II. 1. Histoires des parcelles et pratiques agricoles
II. 2. Végétation : paramètres floristiques et phytosociologiques
II. 2. 1. Aire minimale « AM »
II. 2. 2. Richesse spécifique variable
II. 2. 3. Autres indices de diversité : R, %Zoo et %Herb
II. 2. 3. 1. Indice de Régularité des ligneux « R »
II. 2. 3. 2. Proportion d’espèces zoochores « %Zoo »
II. 2. 3. 3. Proportion des espèces herbacées « %Herb »
II. 2. 4. Structure de la végétation des recrûs post-agricoles et forêts matures
II. 2. 4. 1. Structure verticale : Hauteur maximale « H max »
II. 2. 4. 2. Structure horizontale
a) La distribution de la surface terrière « G »
b) La densité des espèces ligneuses « D »
c) La densité des lianes « d »
d) Les proportions d’individus issus des rejets de souche « % Rs »
II. 3. Composition floristique
III. DISCUSSION
III. 1. Méthodologie de la recherche
III. 2. Données sur les historiques des parcelles : peu précises, mais globalement fiables
III. 3. IDH partiellement vérifiée
III. 4. Successions végétales secondaires
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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