Le milieu côtier se caractérise par une profondeur faible qui n’éxcède pas 200 mètres. La lumière disponible dans la colonne d’eau et pour le compartiment benthique peut y être importante et les interactions entre le compartiment pélagique et benthique y sont nombreuses (Soetaert et al., 2000). Cette zone est également soumise à d’importants apports de matière organique et de nutriments d’origine terrestre. Bien qu’elles ne couvrent qu’environ 7% de la surface totale des océans (Menard and Smith, 1966), les zones côtières joueraient un rôle important dans les cycles biogéochimiques (Gattuso et al., 1998; Gazeau et al., 2004) et supporteraient entre 18 et 33% de la production primaire océanique mondiale (Wollast, 1991).
La production primaire serait assurée par le compartiment benthique et le compartiment pélagique dans les zones où la profondeur est inférieure à 50 mètres (Charpy-Roubaud and Sournia, 1990). La production primaire est issue en grande partie du phytoplancton de la colonne d’eau (Tableau 0.1). Les macroalgues benthiques, largement distribuées, participent également à la production primaire de la zone. En revanche, malgré une surface importante, les microalgues benthiques ne participent que très peu à la production primaire nette totale. Enfin, malgré la distribution restreinte des phanérogames marines, elles sont parmi les plus importants producteurs primaires des milieux côtiers avec une production primaire nette par unité de surface plus forte que celle des macroalgues, souvent considérées comme très productives (Valiela, 1995). La production des phanérogames marines serait très variable spatialement et temporellement (Mateo et al., 2006).
Les communautés de phanérogames marines
Les phanérogames marines (14 genres, 60 espèces den Hartog and Kuo, 2006) sont des espèces ingénieures (sensu Dayton, 1975) qui, en modifiant le biotope, permettent le développement d’autres espèces associées. Ces plantes sont les seules angiospermes adaptées à la vie marine en conditions d’immersion permanente. Elles possèdent, comme toutes les plantes, une partie épigée (les feuilles) et une partie endogée (le rhizome et les racines, Figure 0.1) dont les biomasses sont égales en moyenne (Duarte and Chiscano, 1999). Les racines et rhizomes permettent la fixation de la plante dans le sédiment et limitent l’érosion du sédiment comme cela a pu être montré lors de tempêtes (Koch et al., 2006). Les feuilles jouent également un rôle important en diminuant le courant à proximité du fond, favorisant ainsi la sédimentation et limitant la remise en suspension (Ward et al., 1984). Bien que les racines et le rhizome assurent l’assimilation de sels nutritifs dans le sédiment, les feuilles peuvent aussi puiser les sels nutritifs dans la colonne d’eau (Romero et al., 2006). Les phanérogames marines sont distribuées sur l’ensemble des côtes mondiales à l’exception des régions polaires (Figure 0.2). Elles se répartissent de la zone intertidale jusqu’à plus de 90 mètres de profondeur, la profondeur moyenne étant généralement inférieure à 20 mètres (Hemminga and Duarte, 2000). Leur expansion au sein des zones côtières est le résultat à la fois de la croissance clonale, de la reproduction sexuée et de nombreux paramètres environnmentaux (lumière, hydrodynamisme, propriété du sédiment entres autres) qui affectent leur développement. En effet, les populations de phanérogames marines peuvent produire des propagules en quantité variable selon les conditions environnementales rencontrées (Robertson and Mann, 1984) dont la portée dépend des limites de dispersion de chaque espèce (Spalding et al., 2003). L’étude de la distribution des espèces de phanérogames marines à l’échelle mondiale a permis de définir 6 biorégions chacune caratérisée par un assemblage d’espèces particulier (Short et al., 2007). Zostera marina et Zostera noltii sont deux des quatre espèces présentes sur la côte Est de l’Atlantique Nord .
Les zostères (Zostera marina et Zostera noltii) se développent dans les sédiments sableux et sablo-vaseux des zones intertidales et infralittorales. Ces deux espèces sont présentes sur toutes les côtes françaises de la Manche et de l’Atlantique. Les feuilles ont des tailles moyennes de quelques dizaines de centimètres de long (exceptionnelement jusqu’à deux mètres) pour Zostera marina établie entre le bas de la zone médiolittorale et le haut de l’infralittoral, et d’une dizaine de centimètre seulement pour Zostera noltii qui vit dans le médiolittoral. En milieu tempéré, la croissance de Zostera marina et Zostera noltii suit un cycle saisonnier unimodal (Duarte, 1989). Ces deux espèces présentent une biomasse faible en hiver et maximale à la fin de l’été. La croissance des pousses végétatives débute au mois d’avril, la chute des feuilles entraine une diminution de la biomasse à partir du mois d’octobre. Les pousses reproductives se développent de mars à novembre. Toutefois, la reproduction sexuée reste limitée voire inexistante (Moore and Short, 2006). Les zostères (Zostera marina et Zostera noltii) forment une structure tridimentionnelle complexe aussi bien dans le sédiment qu’au niveau du fond qui génère une multiplicité de microhabitats abritant une biodiversité importante (aussi bien animale que végétale), généralement absente en dehors des herbiers (Heck et al., 1995; Orth et al., 1984). Dans ces milieux, Zostera marina ou Zostera noltii dominent mais d’autres producteurs primaires benthiques tels que les microalgues et les macroalgues peuvent être présents (McRoy and McMillan, 1977). Ces algues benthiques peuvent se trouver dans le sédiment, fixées au substrat ou bien fixées sur la plante marine ; dans ce dernier cas on parle d’algues épiphytes.
Méthodes de mesure du métabolisme de la communauté benthique
Contexte général et résumé
Pour établir des bilans de matière journaliers à l’échelle de la communauté des herbiers intertidaux, il est nécessaire de mesurer le métabolisme benthique à la fois à l’émersion et à l’immersion. Le dioxyde de carbone (CO2) et l’oxygène (O2) sont deux composés chimiques utilisés ou produits au cours de la photosynthèse (autotrophes) et de la respiration (ensemble des autotrophes et des hétérotrophes) (Equation (1.1)) .
C6H12O6 + 6O2 ⇆ 6CO2 + 6H2O (1.1)
Les variations de leur concentration respective au cours du temps sont donc souvent utilisées dans l’étude du métabolisme des communautés. Le CO2 est la seule forme gazeuse de carbone inorganique. Ainsi, à l’émersion la variation de la concentration en CO2 dans l’air peut être attribuée seule à la production primaire ou à la respiration. Migné et al. (2002) ont proposé un système permettant de mesurer in situ la variation de la pression partielle de CO2 (pCO2) à l’intérieur d’une chambre benthique (Figure 1.1). Afin d’isoler une partie de la communauté, le système est composé d’une embase enfoncée dans le sédiment (10 cm de profondeur) sur laquelle est fixé soit un dôme translucide soit un dôme opaque. Le premier permet de mesurer la production nette de la communauté (NCP, bilan de la production primaire et de la respiration) alors que le second permet de mesurer la respiration de la communauté (CR). La production brute de la communauté (GCP) est ensuite calculée à partir de la production nette et de la respiration de la communauté (GCP = |NCP|+|CR|). La concentration en CO2 est mesurée en continu à l’aide d’un analyseur de gaz à infra rouge (IRGA) et enregistrée toutes les 15 secondes. Le temps d’incubation varie entre quelques minutes et une heure en fonction du temps de réponse et du type de communauté étudiée. Le flux de CO2 est ensuite calculé à partir de la variation de la pression partielle en CO2, du temps d’incubation, du volume de la chambre et de la surface de sédiment isolée par celle-ci. De nombreuses études ont été menées à partir de ce système, tout d’abord sur les sédiments sablo-vaseux (Hubas and Davoult, 2006; Migné et al., 2004; Spilmont et al., 2005, par exemple) puis en milieu rocheux (Golléty et al., 2008) et sur des herbiers intertidaux (Ouisse et al., 2010; Silva et al., 2005). La mesure de la variation de la concentration en carbone inorganique dissous (DIC, calculée à partir du pH et de l’alcalinité) ou en oxygène dissous est la méthode la plus utilisée pour étudier le métabolisme des communautés au cours de l’immersion (Oviatt et al., 1986; Plus et al., 2001, par exemple). Les concentrations en DIC ou en O2 peuvent être mesurées simultanément afin de calculer le quotient photosynthétique (CP Q) et le quotient respiratoire (CRQ) de la communauté.
Afin de mesurer avec la même méthode les flux de matière à l’émersion et à l’immersion, une méthode alternative basée sur la mesure en continu de la variation de la concentration en CO2 dans l’eau a été proposée récemment, transposant ainsi la technique utilisée dans l’air (Silva et al., 2005, 2008). Cette technique consiste à mesurer, à l’aide d’un échangeur eau-air, la concentration en CO2 dans l’air (cf méthode émersion) instantanément en équilibre avec la concentration en CO2 dans l’eau (Figure 1.2).
Dans ce contexte, les objectifs de ce chapitre sont de comparer les résultats obtenus au cours de l’immersion à partir de la mesure de trois paramètres (DIC, O2 et CO2) mesurés simultanément sur un même herbier afin de présenter les limites de chaque méthode. Les mesures ont été réalisées sur la communauté de Zostera noltii, en février, avril, juillet et novembre afin de prendre en compte l’influence de la variation de biomasse et de température sur le métabolisme des communautés benthiques (Touchette and Burkholder, 2000). En utilisant en parallèle les mesures d’oxygène et de carbone inorganique dissous (DIC, somme des concentrations en CO2, HCO− 3 et CO2− 3 ), les quotients respiratoires et photosynthétiques de la communauté (CRQ et CP Q) montrent une variation saisonnière importante et un écart net par rapport à la valeur prise souvent pour référence (quotient égal à 1). Le CRQ varie entre 0, 7 et 1, 7 et indique l’existence de nombreux processus sous-jacents qui n’utilisent pas l’oxygène comme accepteur terminal d’électrons (Jorgensen, 1977). Le CP Q varie entre 0, 2 et 0, 9. Ces valeurs faibles pourraient s’expliquer par l’existence de processus tels que la photorespiration chez certains producteurs primaires de la communauté (Heber et al., 1996). La variation de la concentration en O2 et en DIC sont deux paramètres complémentaires qui doivent être mesurés simultanément afin de pouvoir discuter des variations annuelles ou journalières du CRQ et du CP Q. De plus, ces résultats illustrent la dérive qui peut être introduite en prenant un rapport constant lors de la conversion des flux d’oxygène en flux de carbone à l’échelle de la communauté.
Le métabolisme de la communauté est grandement sous-estimé lorsqu’il est calculé à partir de la mesure des flux de CO2 qui représentent moins de 6% des flux de DIC. Cette sous-estimation est due principalement au fait que les différentes formes de carbone inorganique sont en équilibre dynamique (Equation (1.2)).
CO2 + H2O ⇆ H2CO−3
H2CO−3 ⇆ HCO−3 + H+
HCO−3 ⇆ CO2−3 + H+
La production ou l’utilisation d’une des formes de carbone provoque immédiatement une variation du pH et de la concentration de toutes les autres formes de carbone inorganique dissous (Figure 1.3). De plus l’estimation de la concentration en CO2 peut varier en fonction de la différence de pression et de température entre la chambre benthique et l’équilibrateur, ajoutant ainsi une incertitude supplémentaire non négligeable (Takahashi et al., 1993). La seule mesure de la concentration en CO2 dans l’eau ne permet donc pas d’estimer les flux de carbone au sein de la communauté. Cette étude comparée montre que le pH en continu et l’alcalinité en début et en fin d’incubation sont donc deux paramètres indispensables pour estimer le métabolisme des communautés au cours de l’immersion. La mesure en parallèle de la concentration en oxygène est également un paramètre qui peut donner beaucoup d’information sur le fonctionnement des communautés benthiques.
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Table des matières
Introduction
PARTIE I : Variations temporelles du métabolisme et de la biomasse des producteurs primaires benthiques
CHAPITRE 1: MÉTHODES DE MESURE DU MÉTABOLISME DE LA COMMUNAUTÉ BENTHIQUE
1.1 Contexte général et résumé
1.2 Article 1 : Benthic community metabolism assessment through simultaneous in situ measurements of changes in dissolved inorganic carbon, CO2 and O2 concentration
CHAPITRE 2: VARIATION DU MÉTABOLISME BENTHIQUE AU COURS DU CYCLE DE MARÉE
2.1 Contexte général et résumé
2.2 Article 2 : Tidal scale variability of carbon fluxes at community level in Zostera marina and Zostera noltii beds
CHAPITRE 3: VARIATIONS SAISONNIÈRES DU MÉTABOLISME BENTHIQUE À L’ÉMERSION ET DE LA BIOMASSE DES PRODUCTEURS PRIMAIRES
3.1 Contexte général et résumé
3.2 Article 3 : Seasonal variations of community production, respiration and biomass of different primary producers in an intertidal Zostera noltii bed (Western English Channel, France)
3.3 Variation saisonnière de la biomasse des producteurs primaires et du métabolisme à l’émersion de l’herbier à Zostera marina
PARTIE II : Vers un bilan temporel et spatialisé des flux de carbone
CHAPITRE 4: BILAN DES FLUX DE CARBONE
4.1 Introduction
4.2 Construction du modèle
4.3 Bilan des flux de carbone
4.4 Discussion
4.5 Synthèse et perspectives
PARTIE III : Devenir de la production benthique dans le réseau trophique
CHAPITRE 5: ECOLOGIE TROPHIQUE AU SEIN D’HERBIERS INTERTIDAUX
5.1 Isotopes stables : principe de mesure et utilisation en écologie trophique
5.2 Contexte général et résumé
5.3 Article 4 : Food web stability in intertidal Zostera marina and Zostera noltii communities over the seasonal primary producer biomass variations : stable isotopes evidence
Conclusion
Synthèse et perspectives
Bibliographie
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