Chaque être vivant est confronté au cours de sa vie à de nombreux facteurs environnementaux qui façonnent ses traits d’histoire de vie, comme sa survie ou sa reproduction. Parmi l’ensemble de ces facteurs, les autres organismes vivants occupent à eux seuls une place importante. Ainsi, chaque être vivant vit constamment en interaction avec un ou plusieurs autres êtres vivants, via des relations diverses telles que prédation, compétition, mutualisme ou parasitisme. Ce dernier type d’interaction est largement répandu, puisque “tout être vivant est concerné par le parasitisme, soit en tant qu’hôte, soit en tant que parasite” (Price, 1980 ; Barbault, 1992).
Les insectes parasitoïdes, dont il sera question dans cette thèse, emploient un mode de vie particulier situé à mi-chemin entre prédation et parasitisme. Les parasitoïdes sont des insectes qui effectuent leur développement larvaire aux dépends d’un autre arthropode, généralement un insecte, qui va mourir à l’issue de l’interaction (Godfray, 1994). Loin d’être une exception, ce mode de vie est extrêmement répandu chez les insectes, puisque selon les estimations, il serait partagé par 8 à 25% de l’ensemble des insectes (Godfray, 1994 ; Quicke, 1997). Les parasitoïdes ont été décrits chez six grands ordres d’insectes: Diptères, Lépidoptères, Neuroptères, Coléoptères, Trichoptères et Hyménoptères, mais l’ordre des Hyménoptères représente à lui seul 80% des parasitoïdes (Quicke, 1997). Le terme parasitoïde, employé pour la première fois par Reuter (1913), a été aussi récemment employé pour définir des parasites non-insectes (ciliés, bactériophages…) dont le développement conduit à la mort de leurs hôtes (Gomez-Gutiérrez et al., 2003 ; Forde et al., 2004).
Les parasitoïdes ont adopté une grande variété de styles de vie (Godfray, 1994 ; Quicke, 1997 ; Pennacchio et Strand, 2006). Selon l’espèce de parasitoïde, différents stades de développement de l’hôte (œuf, stades larvaires, stade pupal ou stade adulte) peuvent être attaqués. Certains parasitoïdes vont pondre leurs œufs dans la cavité générale de l’hôte (endoparasitoïdes) tandis que d’autres vont déposer leurs œufs à la surface de l’hôte (ectoparasitoïdes). Ils sont qualifiés de solitaires lorsqu’un seul parasitoïde peut se développer par hôte, ou grégaires si plusieurs parasitoïdes se développent sur un seul hôte. Enfin, les parasitoïdes koïnobiontes permettent à leurs hôtes de poursuivre leur développement après parasitisme, tandis que les parasitoïdes idiobiontes paralysent de manière permanente ou tuent leurs hôtes au moment de l’oviposition, ou attaquent un stade qui ne se développera plus (Askew et Shaw, 1986).
RESISTANCE DE L’HÔTE: L’ENCAPSULEMENT
La réponse immunitaire des insectes est principalement décrite chez la drosophile et quelques lépidoptères modèles, tels que Pseudoplusia includens, Bombyx mori et Manduca sexta. En effet, les données disponibles sur son génome (http://flybase.bio.indiana.edu/), l’existence de nombreux mutants, ainsi que sa facilité d’élevage, font de la drosophile un organisme modèle pour l’étude de différentes fonctions biologiques, dont l’immunité innée. Les chenilles de lépidoptères sont de leur côté des organismes intéressants pour l’étude de l’immunité au niveau physiologique et en terme de transcriptomique et protéomique. Leur taille importante chez de nombreuses espèces facilite l’injection de corps étrangers synthétiques (poils de pinceau, fils de nylon, billes de latex, de Sephadex…) et le suivi de la réaction immunitaire en réponse à ces objets, ainsi que l’extraction “en masse” d’ARN et des protéines impliquées dans l’immunité.
Plusieurs types de réponses immunitaires se distinguent chez les insectes, selon le type de corps étranger à neutraliser.
Contre les micro-organismes tels que les bactéries ou certains champignons, 3 types de réponses immunitaires sont employés: la phagocytose, la nodulation et la synthèse de peptides antimicrobiens (Hoffmann, 1995 ; Lavine et Strand, 2002 ; Hoffmann, 2003) . Au cours de la réaction de phagocytose, des hémocytes vont englober puis digérer les microorganismes, tandis que la nodulation consiste à piéger un grand nombre de microorganismes dans un agrégat multicellulaire, selon un processus assez similaire à celui de l’encapsulement (voir plus loin). Les peptides antimicrobiens possèdent des activités antibactériennes, dirigées spécifiquement contre les bactéries Gram positif ou Gram négatif ou des activités antifongiques. La production de ces peptides s’effectue dans le corps gras et les hémocytes des insectes, sous le contrôle des voies de signalisations Toll et/ou Imd. La voie Toll est connue pour réguler la réponse des hôtes aux bactéries Gram positif et aux champignons, tandis que la réponse des insectes aux bactéries Gram négatif est principalement régulée par la voie Imd (Hoffmann, 2003) .
Contre les macro-organismes tels que les endoparasitoïdes, la réponse immunitaire employée est la réaction d’encapsulement , qui fait appel à des composants cellulaires et humoraux. Par abus de language, on parle parfois de “réponse cellulaire” et de “réponse humorale”, mais cette dichotomie sera évitée dans cet exposé, pour au contraire souligner la coopération entre les différents composantes de l’immunité.
Reconnaissance du corps étranger
Chez les insectes, le système qui permet la reconnaissance des micro-organismes tels que bactéries et champignons est assez bien connu, contrairement à celui qui permet la reconnaissance de macro-organismes tels que les parasitoïdes.
Le système de reconnaissance des micro-organismes se base sur la reconnaissance de motifs moléculaires structuraux conservés (communs à de nombreuses espèces de micro-organismes pathogènes) appelés PAMPs (pour Pathogen-Associated Molecular Patterns) par des récepteurs, appelés PRRs (pour Pathogen-Recognition Receptors) (Janeway, 1989) (Figure 1) Les structures reconnues le plus généralement sont les lipopolysaccharides (LPS) présents à la surface des bactéries Gram négatif, les peptidoglycanes (PGN) et l’acide lipotéichoïque présents à la surface de bactéries Gram positif, et les β-1,3-glucanes présents à la surface des champignons et des levures. De nombreux facteurs, comme les lectines (telles que les immulectines), l’hémoline, les LPS-binding protein, les PGRP (pour Peptidoglycan Recognition Proteins), les βGRP (pour β-1,3-glucanes Recognition Proteins), et les TEP (pour Thioester-containing Protein) ont été décrits comme PRRs potentiels (Gillespie et al., 1997 ; Kanost et al., 2004 ; Nappi et al., 2004a).
Certains de ces PRRs, telles que les immulectines IML-1, IML-2 et IML-3 de Manduca sexta, sont connus pour favoriser l’encapsulement de billes de latex qui en sont recouvertes artificiellement (Yu et Kanost, 2004 ; Yu et al., 2005 ; Ling et Yu, 2006). Cependant, aucune étude n’a à ce jour démontré expérimentalement que les PRRs sont directement impliqués dans la reconnaissance des macro-organismes (Schmidt et al., 2001).
Le “non-soi”
Les insectes parasitoïdes étant par définition phylogénétiquement proches de leurs hôtes, leurs composants de surface sont donc voisins des insectes qu’ils infestent, ce qui rend impossible l’emploi d’équivalents aux PAMPs pour les reconnaître comme non-soi.
Les expériences de transplantations de tissus allogéniques ou xénogéniques ont relevé l’importance de la distance phylogénétique sur la réaction d’encapsulement. Ainsi, les tissus transplantés sont d’autant plus encapsulés qu’ils proviennent d’espèces phylogénétiquement éloignées (Lackie, 1988). De plus, les insectes n’encapsulent généralement pas les tissus transplantés d’un individu de la même espèce (Carton, 1976). Cependant, ces tissus sont encapsulés si leur surface est mécaniquement endommagée ou altérée enzymatiquement (Rizki et Rizki, 1980). Enfin, chez la drosophile, les mutations qui causent l’altération de la membrane basale (membrane recouvrant la cavité générale ainsi que tous les tissus des insectes) conduisent à la formation de “capsule” autour de tissus du soi, qui sont alors considérés comme “tumoraux” (Rizki et Rizki, 1986).
L’intégrité de la membrane basale semble être l’un des facteurs les plus important dans la reconnaissance du non-soi (Rizki et Rizki, 1986 ; Lackie, 1988 ; Pech et al., 1995). Salt (1970) avait d’ailleurs suggéré que tout ce qui est “quelque chose d’autre qu’une membrane basale (de l’espèce) intacte est reconnu comme non-soi”. Les hémocytes sont donc sensibles à tout changement de cette matrice, essentiellement constituée de laminine, de collagène IV, et de protéoglycanes non caractérisés (Fessler et al., 1994). Une étude de Pech et al. (1995), par exemple, montre que les hémocytes n’adhèrent pas à une matrice artificielle dont les constituants sont ceux majoritairement présents dans la membrane basale. En résumé, la reconnaissance du non-soi chez les insectes apparaît plutôt comme la reconnaissance de “l’absence de molécules du soi”. Selon Schmidt et al. (2001), l’absence d’adhésion des hémocytes à une membrane basale intacte pourrait être due à la présence de molécules qui inhibent l’adhésion hémocytaire, tels que des glycoconjuguants de glycoprotéines et de glycolipides. Le soi altéré pourrait être ainsi reconnu par des lectines solubles agissant comme des opsonines, ou par des lectines-récepteurs de surface localisés sur les hémocytes.
L’injection de différents types de billes de chromatographie dans la cavité générale de différentes espèces d’insectes a permis de mieux définir les caractéristiques de surface reconnues comme non-soi. (Lackie, 1983, 1986 ; Lavine et Strand, 2001a). Lavine et Strand (2001a) ont testé la réaction d’encapsulement de la chenille Pseudoplusia includens vis à vis de 19 types différents de billes. Leurs résultats ont montré que les billes portant certains groupements fonctionnels, tels que des groupements sulfoniques, diéthylaminoéthyles et amines quaternaires, sont plus encapsulées que celles porteuses d’autres groupes fonctionnels. La charge électrique globale influence également l’encapsulement d’un corps étranger puisque les billes porteuses de charges positives ou neutres sont plus encapsulées que les billes chargées négativement, aussi bien chez Pseudoplusia includens (Lavine et Strand, 2001a) que chez le criquet Schistocerca gregaria ou la blatte Periplaneta americana (Lackie, 1983, 1986).
Enfin, l’étude de Lavine et Strand (2001a) montre que certaines billes sont reconnues directement par les hémocytes, tandis que d’autres ne sont reconnues par les hémocytes que si elles sont opsonisées par des molécules humorales non caractérisées, originaires du plasma de l’hôte. Ce dernier résultat indique l’importance de la coopération entre facteurs cellulaires et humoraux lors de l’encapsulement.
|
Table des matières
Introduction générale
Exposé bibliographique
I RESISTANCE DE L’HOTE: L’ENCAPSULEMENT
I.1 Reconnaissance du corps étranger
I.1.1 Le “non-soi”
I.1.2 Acteurs de la reconnaissance du “non-soi”
I.2 Déclenchement de la réponse immunitaire
I.2.1 Prolifération cellulaire
I.2.2 Activation de la cascade pro-phénoloxydase
I.3 Formation de la capsule mélanisée
I.3.1 Initiation et Recrutement
I.3.2 Terminaison
I.4 Mort du parasitoïde
II STRATEGIES DE VIRULENCE DES PARASITOÏDES
II.1 Facteurs de virulence
II.1.1 Polydnavirus (PDVs)
II.1.2 Particules d’allure virale (VLPs)
II.2 Stratégies d’immunoevasion locale
II.2.1 Développement dans les tissus de l’hôte
II.2.2 Protection conférée par les molécules à la surface des œufs
Sommaire
II.2.3 Protection conférée par la surface des larves
II.3 Stratégies d’immunosuppression systémique
II.3.1 Altération de la réponse cellulaire
II.3.2 Altération de l’activité phénoloxydase et/ou de la mélanisation
II.4 Succession de stratégies
III VARIATIONS DE L’ISSUE DE L’INTERACTION HOTE – PARASITOÏDE
III.1 Variations du succès d’un parasitoïde sur une espèce hôte
III.1.1 Causes proximales
III.1.2 Causes ultimes
III.2 Variations du succès d’un parasitoïde d’une espèce hôte à l’autre
IV CONCLUSION DE LA SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
Modèle biologique
I BIOLOGIE DES ESPECES ETUDIEES
I.1 Espèce hôte: Drosophila yakuba Burla (1954)
I.2 Espèce parasitoïde: Leptopilina boulardi Barbotin, Carton et Kelner-Pillault, (1979)
II SOUCHES UTILISEES DANS L’ETUDE
II.1 Drosophiles
II.2 Parasitoïdes
III MATRICE D’INTERACTION ET TERMES EMPLOYES
III.1 Matrice d’interaction
III.2 Termes spécifiques à l’étude
Sommaire
CHAPITRE 1 : Variation de comportement de sélection dʹhôte au sein de lʹespèce L. boulardi
PRESENTATION DE L’ETUDE
ARTICLE 1 : DO PARASITOID PREFERENCES FOR DIFFERENT
HOST SPECIES MATCH VIRULENCE ?
PRINCIPAUX RESULTATS
CHAPITRE 2 : Variation de stratégie de virulence au sein de lʹespèce L. boulardi et spécificité parasitaire
PRESENTATION DE L’ETUDE
Variation intraspécifique de virulence sur une espèce hôte
Variation de succès d’une espèce hôte à l’autre
I ARTICLE 2: VIRULENCE STRATEGIES USED BY THE
PARASITOID WASP LEPTOPILINA BOULARDI AGAINST ITS
DROSOPHILA HOSTS
II EFFETS DES COMPOSES CONTENUS DANS LA GLANDE
IMPAIRE DE L. BOULARDI SUR L’ACTIVITE PHENOLOXYDASE
DE D. YAKUBA
II.1 Objectif/Principe
II.2 Matériel et méthodes
II.2.1 Obtention d’hémolymphe de larves de D. yakuba
II.2.2 Préparation des extraits de glande impaire
Sommaire
II.2.3 Dosage de l’activité de l’enzyme phénoloxydase
II.3 Résultats
II.4 Discussion / Perspectives
II.4.1 Rôle des facteurs contenus dans la glande impaire dans l’inhibition transitoire de l’encapsulement
II.4.2 Spécificité d’inhibition
II.4.3 Nature des facteurs de virulence et variation intraspécifique
III NATURE DES FACTEURS DE VIRULENCE CONTENUS DANS LES GLANDES IMPAIRES DES FEMELLES DE LA LIGNEE ISY
III.1 Objectif/Principe
III.2 Matériel et méthode
III.2.1 Comparaison des profils protéiques en condition native
III.2.2 Comparaison des profils protéiques en condition dénaturante
III.2.3 Analyse en condition dénaturante des bandes majeures observées en condition native
III.2.4 Identification des protéines des bandes protéiques majeures
III.2.5 Recherche de la présence d’une serpine dans les glandes de femelles ISy et ISm
III.3 Résultats
III.3.1 Comparaison des profils protéiques en condition native
III.3.2 Comparaison des profils protéiques en condition dénaturante
III.3.3 Analyse en condition dénaturante des bandes majeures observées en condition native
III.3.4 Identification des protéines des bandes protéiques majeures
III.3.5 Recherche de la présence d’une serpine dans les glandes de femelles ISy et ISm
III.4 Discussion / Perspectives
Sommaire
CHAPITRE 3 : Variation de résistance au parasitoïde L. boulardi chez lʹhôte D. yakuba
PRESENTATION DE L’ETUDE
Comment expliquer les variations de résistance dans une espèce hôte ?
La résistance dans les modèles hôte/parasitoïdes
I. Bases génétiques
II. Bases physiologiques
Qu’en est-il dans le modèle L. boulardi / D. yakuba ?
I ARTICLE 3: GENETIC INTERACTIONS BETWEEN A
PARASITOID WASP AND ITS DROSOPHILA HOSTS
II RECHERCHE DES BASES PHYSIOLOGIQUES DE LA
RESISTANCE A L. BOULARDI CHEZ D. YAKUBA
II.1 Objectif/Principe
II.2 Matériel et méthodes
II.2.1 Comparaison de la capacité à encapsuler un corps étranger “neutre”
II.2.2 Hémogrammes
II.2.3 Mesure de l’activité PO
II.3 Résultats
II.3.1 Comparaison de la capacité à encapsuler un corps étranger “neutre”
II.3.2 Hémogrammes
II.3.3 Mesure de l’activité PO
II.4 Discussion / Perspectives
II.4.1 Comparaison de l’immunocompétence des lignées R1 et R2
II.4.2 Comparaison de la sensibilité des cibles des facteurs
parasitaires dans les lignées R1 et R2
Sommaire
CONCLUSION
Télécharger le rapport complet