Les analyses qui en dรฉcoulent ont รฉvaluรฉ le degrรฉ de concordance entre la surface externe de lโรฉmail et la jonction รฉmail-dentine des molaires permanentes pour quelques traits morphologiques, notamment chez les Nรฉandertaliens et les Hommes modernes. Elles concernent le complexe de Carabelli et les cuspides accessoires pour les molaires supรฉrieures, ainsi que les crรชtes du trigonide, le protostylide, les crรชtes du talonide et les cuspides accessoires des molaires infรฉrieures (Skinner, 2002 ; Bailey et al., 2011 ; Skinner et al., 2008a, 2008b, 2009 ; Skinner et Gรผnz, 2010 ; Ortiz et al., 2012 ; Martinรณn-Torres et al., 2014 ; Martรญnez de Pinillos et al., 2014, 2015). En gรฉnรฉral, ces รฉtudes ont permis de confirmer la forte relation entre la morphologie ร la surface externe de lโรฉmail et celle ร la jonction รฉmail-dentine, mais ont aussi soulignรฉ quelques discordances observรฉes plus en dรฉtail entre ces deux surfaces concernant le degrรฉ dโexpression des traits. Souvent pour ces cas, la variation de lโexpression dโun trait ร la jonction รฉmail dentine est plus importante quโร la surface externe de lโรฉmail. Lโun des exemples les plus marquants est la variation des formes affichรฉes par les crรชtes du trigonide (Skinner et al., 2008a ; Bailey et al., 2011 ; Martรญnez de Pinillos et al., 2014).
Proportion des tissus coronaires et รฉpaisseur de lโรฉmail
Lโรฉpaisseur de lโรฉmail est un trait plastique du point de vue de lโรฉvolution et varie largement chez les primates (Molnar et Gantt, 1977 ; Sperber, 1985 ; Beynon et Wood, 1986 ; Grine et Martin, 1988 ; Dumont, 1995 ; Teaford, 2007 ; Lucas et al., 2008a, 2008b). Elle est soumise ร une pression sรฉlective considรฉrable au cours de lโรฉvolution en raison principalement de lโabsence de remodelage de lโรฉmail une fois la dent dรฉveloppรฉe. Lโรฉpaisseur de lโรฉmail est une rรฉponse adaptative aux caractรฉristiques alimentaires chez un taxon et est trรจs souvent en lien avec les propriรฉtรฉs mรฉcaniques (e.g. abrasive, duretรฉ), gรฉomรฉtriques et physico-chimiques (e.g. aciditรฉ) des aliments consommรฉs (e.g. Molnar et Gantt, 1977 ; Dumont, 1995; Yamashita, 1998 ; Lambert et al., 2004 ; King et al., 2005 ; Kelley et Swanson, 2008 ; Vogel et al., 2008 ; Lee et al., 2010 ; McGraw et al., 2012 ; Pampush et al., 2013). Ainsi, lโรฉpaisseur de lโรฉmail est souvent utilisรฉe pour apprรฉhender les habitudes alimentaires chez homininรฉs (Martin, 1985 ; Grine et Martin, 1988 ; Smith et Zilberman, 1994 ; Kono, 2004 ; Grine, 2005 ; Suwa et Kono, 2005, 2008 ; Olejniczak et Grine, 2005 ; Smith et al., 2005, 2006a, 2008, 2009, 2012 ; Smith et al., 2008 ; Olejniczak et al., 2008a, 2008b, 2008c ; Suwa et al., 2009 ; Bayle et al., 2010 ; Benazzi et al., 2011a, 2011b, 2011c ; Zanolli, 2015). Son utilitรฉ concernant lโรฉtablissement des relations phylogรฉnรฉtiques est plus limitรฉe car lโรฉpaisseur de lโรฉmail est un trait reconnu comme homoplasique (Dumont, 1995 ; Begun et Kordos, 1997 ; Schwartz, 2000 ; Smith et al., 2003 ; Olejniczak, 2006). Nรฉanmoins, lโรฉpaisseur de lโรฉmail est trรจs souvent apprรฉhendรฉe pour caractรฉriser les diffรฉrents taxons dโhomininรฉs et sโavรจre utile pour les distinguer.
Lโaccรจs ร lโรฉpaisseur de lโรฉmail sur la globalitรฉ dโune couronne a longtemps รฉtรฉ limitรฉe dans un premier temps ร des รฉtudes radiographiques (e. g. Zilberman et al., 1991 ; Zilberman et Smith, 1992 ; Molnar et al., 1993) . Ces รฉtudes ont montrรฉ, dโune part, que les molaires des Nรฉandertaliens, notamment infรฉrieures, se caractรฉrisent par un taurodontisme frรฉquent, avec une cavitรฉ pulpaire dilatรฉe dans la couronne comparรฉe aux Hommes modernes, ainsi quโun รฉmail plus fin que celui des Hommes modernes pour les molaires (Smith, 1989 ; Sperber, 1985 ; Zilberman, 1989 ; Zilberman et al., 1991, 1992 ; Zilberman and Smith, 1992). Toutefois, la technique de la radiographie ne permet pas de relever prรฉcisรฉment lโรฉpaisseur de lโรฉmail (figure 4). Dโautres รฉtudes ont mesurรฉ lโรฉpaisseur de lโรฉmail ร partir dโune section sito-spรฉcifique en 2D prรฉfรฉrentiellement le long des cuspides mรฉsiales (e.g. Smith et Zilberman, 1994 ; Kono, 2004 ; Grine, 2005 ; Kono et Suwa, 2005 ; Olejniczak et Grine, 2005 ; Smith et al., 2005, 2006a, 2009, 2012 ; Olejniczak et al., 2008a). Ces sections peuvent รชtre naturelles (lorsque la dent est cassรฉe), physiques (technique qui endommage le fossile et donc limite considรฉrablement la quantitรฉ dโรฉchantillon), ou encore virtuelles (au moyen des techniques dโimagerie employant les rayons-X) . Cette derniรจre technique, non destructrice, a permis de lโexploitation dโun plus grand nombre de spรฉcimens et de taxons, ainsi quโun plus grand nombre de types de dents permanentes. Les rรฉsultats ont montrรฉ que toutes les dents permanentes des Nรฉandertaliens ont un รฉmail 2D plus fin (en moyenne et relatif) que celui des Hommes modernes rรฉcents en raison dโune diffรฉrence de proportion des tissus dentaires (Olejniczak et al., 2008a ; Smith et al., 2012). Ce trait chez les Nรฉandertaliens est considรฉrรฉ comme dรฉrivรฉ.
Odontogenรจse
Dรฉveloppement macroscopique, microstructure dentaire et morphologie coronaireย
Les homininรฉs, tout comme les autres primates, sont diphyodonte (possรจdent deux dentures successives). La denture dรฉciduale se compose de vingt dents et la denture permanente en prรฉsente trente-deux. Les dents sont hรฉtรฉrodontes (dents diffรฉrentes les unes des autres) et plexodontes (complexitรฉ morphologique relativement รฉlevรฉe des dents) (Hillson, 1996 ; Lautrou, 1997). Les diffรฉrences dans la forme et la taille des dents sโexpriment de maniรจre graduelle le long dโune hรฉmiarcade, traduisant une organisation de type mรฉtamรฉrique (organisation en segments ou mรฉtamรจres). La denture permanente des homininรฉs inclut quatre types de dent bien distincte morphologiquement les uns des autres : lโincisive, la canine, la prรฉmolaire et la molaire. Elle se compose, par hรฉmi-arcade, de deux incisives, dโune canine, de deux prรฉmolaires et de trois molaires. Les diffรฉrences morphologiques entre les types de dent traduisent une fonction diffรฉrente en lien principalement avec lโalimentation, laquelle chez lโHomme moderne est de type omnivore (Hillson, 1996 ; Lautrou, 1997).
La croissance des dents humaines prรฉsente un modรจle de type brachyodonte, c’est-ร -dire que la dent possรจde une croissance limitรฉe dans le temps, avec apparition rapide des racines au cours de son dรฉveloppement (en opposition aux croissances illimitรฉs ou prolongรฉs prรฉsentes chez dโautres espรจces de mammifรจres). De part ce type de croissance, la dent humaine se compose dโune couronne et dโune ou plusieurs racines. La dรฉlimitation anatomique entre la couronne et la racine est le collet et correspond au plan cervical. La calcification dโune dent dรฉbute au niveau du sommet des cuspides et se poursuit en direction basale. La couronne se dรฉveloppe en premier, puis la racine. Le premier dรฉpรดt de dentine au niveau du sommet de la cuspide active le dรฉpรดt dโรฉmail . La dent se compose majoritairement de dentine, tandis que lโรฉmail correspond ร une fine couche externe de quelques millimรจtres rรฉpartie uniformรฉment et uniquement sur la couronne. Lโรฉmail et la dentine sont deux tissus, qui, une fois minรฉralisรฉes, ne se renouvellent jamais au cours de la vie du spรฉcimen. La duretรฉ de lโรฉmail est comprise entre 5 et 8 sur lโรฉchelle de Mohs (1 pour le talc et 10 pour le diamant), ce qui en fait le tissu le plus dur du corps (Swindler, 2002).
La microstructure de lโรฉmail se compose de plusieurs stries de croissance, rรฉvรฉlant les modalitรฉs de formation de lโรฉmail (figure 5.2 et 5.3) (Massler et Schour, 1946 ; Boyde, 1964 ; Osborn, 1973 ; Dean, 1987 ; Ramirez Rozzi, 1992, 1997 ; Smith, 2006 ; Smith et al., 2010). Les prismes de lโรฉmail sont des lignes parallรจles les unes aux autres et se dรฉploient depuis la jonction รฉmail-dentine en direction de la surface externe de lโรฉmail . Ils correspondent ร lโaxe oรน se dรฉploie les cellules sรฉcrรฉtrices dโรฉmail, les amรฉloblastes. Perpendiculairement ร ce prisme se trouve des striations transversales, dont la disposition est rรฉpรฉtitive et rรฉguliรจre. Des รฉtudes expรฉrimentales suggรจrent que ses striations se forment successivement ร un rythme circadien (journalier, en lien avec le rythme biologique naturel du spรฉcimen). Des stries plus marquรฉes que les autres sont visibles environ toutes les six ร dix striations transversales chez lโHomme moderne : les stries de Retzius. Elles reprรฉsentent les pas successifs du front de formation de la matrice de lโรฉmail et correspondent ร un changement dโorientation des cristaux dโรฉmail. Cette disposition des stries internes permet de diviser la couronne en deux parties. La premiรจre partie comprend les stries qui ne sortent pas ร la surface externe de lโรฉmail : cโest la partie appositionnelle . Cette partie dรฉlimite les couches de lโรฉmail en apposition. La seconde partie inclut les stries qui rentrent en contact avec la surface externe de la couronne : cโest la partie imbricationnelle . Cette partie dรฉlimite les couches de lโรฉmail en imbrication. Les stries de Retzius qui atteignent la surface externe de lโรฉmail sโappelle des pรฉrikymaties. Les modalitรฉs de formation de la dentine sont similaires. Lโรฉquivalent pour la dentine des stries de Retzius est les lignes dโAndresen . Le dรฉveloppement de la dent peut รชtre perturbรฉ par des troubles du mรฉtabolisme (e.g. infection, famine), ce qui affecte le taux de sรฉcrรฉtion cellulaire. Lโune de ses anomalies, lโhypoplasie, est un dรฉficit dans la formation de lโรฉmail et de la dentine qui se rรฉvรจle sous la forme de sillons, de puits ou de bandes, visibles notamment ร la surface externe de lโรฉmail. Elle affecte directement lโรฉpaisseur du tissu (Kreshover, 1940 ; Hillson et Bond, 1997).
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Table des matiรจres
Introduction
Matรฉriel et mรฉthode
Schรฉma de lโรฉtude
Critรจres dโinclusions
Donnรฉes recueillies
Analyse statistique
Rรฉsultats
Discussion
Conclusion
Biblioographie
Tableaux
Annexes