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Prévalence de la peur de tomber en population gériatrique
Les données de prévalence de la peur de tomber sont variables selon les études, dépendantes de la méthode d’évaluation utilisée, et de la population étudiée.
Dans une étude américaine ayant suivi pendant un an 890 personnes âgées de 65 ans et plus vivant au domicile (Arfken et al., 1994), les chercheurs ont demandé aux patients s’ils avaient très peur de tomber (8% des répondants), modérément peur de tomber (21%) ou pas peur de tomber (71%).
Dans une étude transversale, Murphy et al. (2002) ont interrogé les participants au moyen de deux questions binaires : « avez-vous peur de tomber ? » et « cette peur vous restreint-elle dans vos activités ? ». 43% des participants (1064 adultes âgés de 72 à 98 ans, 79 ans en moyenne, vivant au domicile) rapportent une peur de tomber, et celle-ci entraîne une restriction d’activités chez 19% d’entre eux.
Une méta-analyse (Scheffer et al., 2008) a regroupé 28 études sur la peur de tomber, qui retrouvent des prévalences variant entre 20 et 85%. Plus de 50% des personnes ayant peur de tomber n’ont jamais fait de chute. 2 études évaluant l’incidence ont été inclues, rapportant une incidence de 11-23% (chez les patients ayant développé une peur de tomber sans faire de chute pendant le suivi) à 20-39% (chez les patients ayant développé une peur de tomber dans les suites d’une chute survenue pendant le suivi).
Une étude de prévalence prospective, incluant 635 patients de la consultation multidisciplinaire de chute du CHRU de Lille (Gaxatte et al., 2011), retrouve une prévalence de 79% de la peur de tomber, dans une population de patients chuteurs (89%), dont la moyenne d’âge se situe à 80 ans. Cette étude évalue la peur de tomber selon une question binaire « avez-vous peur de tomber ? ».
Une étude transversale brésilienne (Malini et al., 2015), incluant 742 participants vivant au domicile, retrouve une peur de tomber chez 51,9% des participants. La peur de tomber y est évaluée par la FES-I, avec une peur de tomber si la FES-I est supérieure ou égale à 23. Une étude longitudinale sur la même cohorte de patients (Drummond et al., 2020) au nombre de 393, retrouve une prévalence de la peur de tomber de 33%, peur qui persiste chez 71% des patients au terme des 4 ans de suivi.
Variables associées à la peur de tomber
Variables démographiques et socio-économiques
L’association entre la peur de tomber et le sexe féminin a été montrée dans de nombreux travaux. Ainsi, Arfken et al. (1994) retrouvent une peur de tomber chez 35% des femmes, versus 15% des hommes. Dans leur revue de la littérature, Scheffer et al. (2008) relèvent 9 études sur 28 retrouvant le genre féminin comme facteur de risque d’avoir peur de tomber, alors que seulement 3 études ne mettent pas en évidence d’association statistiquement significative. Gaxatte et al. (2011) rapportent aussi une peur de tomber plus importante chez les femmes avec 2,7 femmes pour un homme ayant peur de tomber (versus 1,6 femmes pour un homme dans le groupe sans peur de tomber). La même tendance est observée dans l’étude de Malini et al. (2015), qui retrouvent une peur de tomber chez 35% des hommes versus 59% des femmes.
La prévalence augmente avec l’avancée en âge. Par exemple, dans l’étude d’Arfken et al. (1994), 21% des femmes entre 66 et 70 ans ont peur de tomber, contre 45% des 81 ans et plus. On observe la même augmentation chez les hommes, passant de 14% chez les 66 à 70 ans, à 21% chez les 81 ans et plus. Des résultats similaires sont observés par Malini et al. (2015), dont l’étude montre une prévalence de la peur de tomber passant de 43% chez les 65-74 ans à 63% chez les 85 ans et plus. Dans la revue de la littérature de Scheffer et al. (2008), 6 études sur 28 retrouvent une association entre avancée en âge et peur de tomber en analyse multivariée.
Certaines études mettent en évidence une différence significative de prévalence de la peur de tomber selon les ethnies. C’est le cas de Kressig et al. (2001), qui montrent, en analyse multivariée, une association entre peur de tomber et ethnie afro-américaine (OR 2,0 ; IC 95% 1,3-2,5). De même, Kumar et al. (2014) montrent une association entre peur de tomber et ethnie minoritaire (OR 2,42 ; IC 95% 1,29-4,52).
Multi-morbidité
Le lien entre multi-morbidité et peur de tomber a été montré dans plusieurs études. Dans l’étude de Murphy et al. (2002), le nombre de pathologies chroniques (parmi infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, cancer, diabète, fracture de hanche ou autre fracture survenue après l’âge de 50 ans, maladie de Parkinson, amputation, arthrite) a été recueilli. Tout autre pathologie survenu dans les deux mois précédents et ayant duré au moins un mois était considérée comme une pathologie chronique. Le fait de présenter 2 pathologies chroniques ou plus était indépendamment associé à la peur de tomber avec un risque relatif de 1,34 (IC 95% 1,08-1,65). La revue de la littérature de Scheffer et al. (2008) fait état de cinq études ayant rapporté une association entre peur de tomber et pathologie chronique.
La polymédication étant aussi un reflet de la multi-morbidité, plusieurs études ont étudié l’association entre le nombre de médicaments consommés par les patients et la peur de tomber. Pour Malini et al. (2015), il existe une association indépendante entre la peur de tomber et la prise régulière de 7 médicaments ou plus. Dans l’étude longitudinale de Drummond et al. (2020), la prise de 7 médicaments ou plus est associée à l’apparition d’une peur de tomber dans les quatre ans de suivi (OR 2,00 ; IC 95% 1,08-3,69) et à la persistance d’une peur déjà existante (OR 1,48 ; IC 95% 1,10-1,98). Merchant et al. (2020) font le même constat, en mettant en évidence une association indépendante entre polymédication et peur de tomber (OR 1,28 ; IC 95% 1,03-1,59).
Il existe plus spécifiquement des données sur l’association entre peur de tomber et IMC, notamment dans l’étude de Kumar et al. (2014) où elle apparait significative en analyse multivariée avec un Odds ratio à 1,06 (IC 95% 1,02-1,09).
Malini et al. (2015) ont aussi étudié l’association entre la peur de tomber et les déficits sensoriels, mettant en évidence une association indépendante entre peur de tomber et déficit auditif avec un Odds ratio de 1,66 (IC 95% 1,10-2,49). Ces résultats sont confirmés par Drummond et al. (2020) qui montrent que le déficit auditif est associé à une peur de tomber persistante (OR 1,36 ; IC 95% 1,09-1,71). En revanche, dans ces deux études, il n’existait pas d’association significative entre peur de tomber et déficit visuel.
Performances physiques
Il existe un lien très fort entre la peur de tomber et les antécédents de chute, comme l’ont montré de nombreuses études. Ainsi, Arfken et al. (1994) montrent que la peur de tomber est associée de manière indépendante au fait d’avoir fait une chute traumatique (OR 6,65 ; IC 95% 2,02-21,97) ou une chute « non mécanique » (sans avoir glissé ou trébuché) (OR 2,71 ; IC 95% 1,29-5,71) au cours de l’année de suivi. Murphy et al. (2002) retrouvent le même résultat avec l’association significative entre peur de tomber et chute traumatique en analyse multivariée (RR 1,36 ; IC 95% 1,11-1,66). Gaxatte et al. (2011) mettent en évidence une association indépendante entre peur de tomber et antécédent de chute avec station au sol d’au moins une heure (OR 4,02 ; IC 95% 1,99-8,11). Dans l’étude de Malini et al. (2015), les antécédents de chute apparaissent aussi comme une variable indépendamment associée à la peur de tomber, et ce d’autant plus que les chutes sont multiples (antécédent d’une ou 2 chutes OR 2,18 ; IC 95% 1,42-3,36 ; antécédent d’au moins 3 chutes OR 2,72 ; IC 95% 1,10-6,70).
L’association entre peur de tomber et diminution de la vitesse de marche est aussi très documentée dans la littérature. Par exemple, dans l’étude de Kressig et al. (2001), les patients ayant une vitesse de marche inférieure à 1 m/s avaient davantage peur de tomber (OR 1,5 ; IC 95% 1,3-2,2). De même, dans l’étude de Chamberlin et al. (2005) la vitesse de marche était en moyenne de 0,88 m/s (+/- 0,33) dans le groupe n’ayant pas peur de tomber, alors qu’elle était en moyenne de 1,27 m/s (+/- 0,23) dans le groupe ayant peur de tomber (peur de tomber évaluée par une version modifiée de la FES). Kumar et al. (2014) ont évalué l’association entre la peur de tomber et la vitesse de réalisation du Timed Up and Go (≥ 13,5 secondes), avec un Odds ratio à 2,50 (IC 95% 1,41-4,45). Pour Malini et al. (2015), la peur de tomber est associée à une vitesse de marche diminuée avec un Odds ratio de 1,64 (IC 95% 1,04-2,58). Dans leur étude longitudinale (Drummond et al., 2020), la vitesse de marche diminuée est associée à une peur de tomber persistante (OR 1,36 ; IC 95% 1,05-1,48). Pua et al. (2017) montrent quant à eux un allongement de la vitesse de marche d’en moyenne 0,11 m/s (IC 95% 0,06-0,16) au bout des 6 mois de suivi, chez les patients ayant peur de tomber.
Il existe aussi un lien entre la peur de tomber et des données de force musculaire et d’endurance comme le test de lever de chaise pour lequel Kumar et al. (2014) montrent une association indépendante avec un Odds ratio de 0,48 (IC 95% 0,30-0,77) avec la peur de tomber (évaluée par la short-FES).
Il a été montré dans plusieurs études une association entre la peur de tomber et l’utilisation d’une aide technique de marche. Ainsi, Kressig et al. (2001) rapportent cette association avec un Odds ratio de 1,4 (IC 95% 1,2-1,9), de même que Kumar et al. (2014) avec un Odds ratio de 3,31 (IC 95% 1,81-6,04).
Des études se sont aussi intéressées à l’association entre peur de tomber et fragilité. Une revue systématique de la littérature (de Souza et al., 2022) a ainsi inclus dix études sur le sujet. Les études longitudinales rapportaient des Odds ratios ajustés allant de 1,18 (IC 95% 1,02-1,36) à 9,87 (IC 95% 5,22-18,68). Les études transversales rapportaient des Odds ratios ajustés entre 1,04 (IC 95% 1,02-1,07) et 7,16 (IC 95% 2,34-21,89).
Enfin, on retrouve quelques données dans la littérature sur peur de tomber et sarcopénie, bien que cette association soit encore peu documentée. Yamada et al. (2013) retrouve une prévalence plus élevée de la peur de tomber (évaluée par une question binaire) chez les patients sarcopéniques (67,7% des hommes et 84,1% des femmes) par rapport aux patients non sarcopéniques (25,2% des hommes et 50,0% des femmes). Merchant et al. (2020) montrent une association indépendante entre la sarcopénie et la peur de tomber uniquement quand celle-ci est associée à une restriction d’activité (OR (8,13 ; IC 95% 1,52-43,41).
Variables psychiatriques et cognitives
Un lien fort avec l’anxiété et la dépression a été montré dans de nombreuses études. Ainsi, Kressig et al. (2001) montrent une association significative entre la peur de tomber (évaluée par la FES et l’ABC) et la dépression (évaluée par la CES-D scale) avec un Odds ratio à 1,6 (IC 95% 1,3-2,3). De même, Murphy et al. (2002) montre un risque relatif de 1,27 (IC 95% 1,00-1,60) d’avoir une humeur dépressive (évaluée par la CES-D) quand le sujet âgé a peur de tomber. Dans l’étude de Malini et al. (2015), la dépression (évaluée par la GDS) est associée à la peur de tomber avec un Odds ratio de 1,68 (IC 95% 1,07-2,63), et cette dépression est un facteur de risque de persistance dans le temps de la peur de tomber avec un risque relatif de 1,50 (1,08-2,08) selon Drummond et al. (2020).
Le lien entre peur de tomber et fonctions cognitives est plus hétérogène. D’une part, l’étude de Drummond et al. (2020) met en évidence une association entre peur de tomber persistante (évaluée par la FES-I) et troubles cognitifs (évalués par le MMSE) avec un Odds ratio de 1,58 (IC 95% 1,15-2,18). Une autre étude (Noh et al., 2019) montre que la peur intense de tomber (évaluée par une échelle verbale simple) est associée à une augmentation du risque de déclin cognitif (défini par une perte d’au moins 3 points de MMSE en 3 ans) avec un Odds ratio de 1,45 (IC 95% 1,08-1,95). D’autre part, l’étude de Uemura et al. (2014) rapporte une prévalence significativement différente de la peur de tomber (évaluée par une échelle verbale simple) entre 3 groupes de patients : sans trouble cognitif (43,6% de peur de tomber), troubles cognitifs modérés (50,6%) et troubles cognitifs sévères (40,6%). En analyse multivariée, les chercheurs mettent en évidence une association entre troubles cognitifs sévères et une moindre peur de tomber (OR 0,63 ; IC 95% 0,53-0,76).
Conséquences de la peur de tomber
Une étude prospective australienne (Cumming et al., 2000) a suivi 570 personnes âgées pendant un an afin d’étudier les conséquences de la peur de tomber (évaluée par une question binaire et par la FES). Cette étude montre que la peur de tomber, quand elle est évaluée par une question binaire, est associée à une entrée en institution au cours de l’année de suivi, chez les patients n’ayant pas fait de chute dans l’année ayant précédé l’étude.
Concernant l’ADL, cette même étude (Cumming et al., 2000) met en évidence, en analyse multivariée, une différence significative de déclin fonctionnel entre les patients ayant peur de tomber (-0,69 point en un an) et ceux n’ayant pas peur de tomber (-0,04 point en un an). L’étude de Malini et al. (2015) met aussi en évidence une association entre ADL diminué (≤ 5 points) et la peur de tomber, mais son caractère transversal ne permet pas de conclure sur le sens du lien de causalité.
La peur de tomber a aussi un impact sur la qualité de vie. En effet, dans l’étude de Cumming et al. (2000), le score SF-36, et particulièrement les parties sur les fonctions physiques et les douleurs, tend à décroître plus rapidement au cours de l’année de suivi chez les patients ayant une FES inférieure ou égale à 75, par rapport aux patients ayant une FES à 100.
Évaluation de la peur de tomber
La peur de tomber était évaluée de deux façons.
D’une part, les patients répondaient, avec l’aide d’une infirmière, au questionnaire de la FES-I (voir en annexe). Les patients n’ayant pas rempli toutes les lignes du questionnaire ont pu obtenir un score inférieur au score minimal théoriquement possible de 16 points.
D’autre part, au moyen d’une réglette similaire à celle utilisée pour l’échelle visuelle analogique de la douleur, les patients plaçaient le curseur correspondant à leur peur de tomber sur un axe allant de « pas de peur » à « peur extrême ». Au verso, l’examinateur retrouvait une graduation allant de 0 (pas de peur) à 10 (peur extrême), ce qui lui permettait de coter numériquement la peur de tomber.
Recueil des autres variables
Les comorbidités des patients ont été évaluées selon le score de Charlson (Quan et al., 2011). Le nombre de médicaments présents sur l’ordonnance, l’indice de masse corporelle et l’albuminémie ont également été recueillis.
Concernant les performances physiques des patients, les antécédents de chutes et de chutes répétées ont été recueillis. La vitesse de marche, la force de préhension, le Timed Up and Go ont été mesurés, permettant ainsi d’évaluer la sarcopénie sévère (définie par une force de préhension inférieure à 27 kg pour les hommes ou inférieure à 16 kg pour les femmes, associée à une vitesse de marche inférieure ou égale à 0,8 m/s ou à un TUG supérieur ou égal à 20 secondes (Cruz-Jentoft et al., 2019)). La capacité à se relever du sol a également été évaluée.
Les fonctions cognitives des patients ont été évaluées au moyen du Mini Mental Status Examination (Folstein et al., 1975) et de la Batterie Rapide d’Efficience Frontale (Dubois et al., 2000).
Enfin, l’autonomie fonctionnelle des patients a été évaluée au moyen des échelles d’autonomie ADL (Activities of Daily Living) (Katz et al., 1963) et IADL (Instrumental Activities of Daily Living) (Lawton et al., 1969).
Analyses statistiques
Les caractéristiques des patients sont décrites par les nombres et pourcentages pour les variables binaires, et par les moyennes et écarts-types pour les variables continues.
Pour l’évaluation des performances de l’EVA, deux cas de figure ont été étudiés : d’une part en plaçant le seuil de peur de tomber à 20 sur la FES-I, c’est-à-dire en considérant les « moyennement inquiets » et « très inquiets » comme ayant peur de tomber ; d’autre part en plaçant le seuil de peur de tomber à 28 sur la FES-I, c’est-à-dire en ne considérant que les « très inquiets » comme ayant peur de tomber (Delbaere et al., 2010). Les sensibilités, spécificités, valeurs prédictives positives et négatives ont été calculées en faisant varier les seuils de positivité de l’EVA. Les courbes ROC ont ainsi été obtenues, et l’indice de Youden (sensibilité + spécificité -1) a été calculé pour déterminer le seuil permettant le meilleur compromis entre sensibilité et spécificité. Pour l’analyse des variables associées à la peur de tomber, la comparaison entre les deux groupes a été effectuée par le test exact de Fisher ou le test du Chi-2 pour les variables binaires. Pour les variables continues, après avoir vérifié la répartition normale ou non des variables au moyen du test de Shapiro-Wilk, la comparaison a été effectuée avec le test de Student pour les variables normales, et avec le test de Mann-Whitney pour les variables non normales. Les variables incluses dans le modèle de régression logistique étaient les variables significativement associées à la peur de tomber en analyse univariée ou celles associées avec un p < 0,2, et les variables jugées cliniquement pertinentes. À noter qu’un choix a été fait entre les duos de variables fortement corrélées (p > 0,7). L’analyse multivariée a été effectuée en utilisant la méthode du pas à pas ascendant. Les risques relatifs sont exprimés en Odds ratio (OR), avec un intervalle de confiance à 95%. Les valeurs de p < 0,05 sont considérées comme statistiquement significatives. Cette analyse d’association a été réalisée pour la variable d’intérêt « peur de tomber », dans un premier temps en utilisant comme échelle d’évaluation EVA (avec un seuil à 3), puis dans un deuxième temps en utilisant comme échelle d’évaluation la FES-I (avec un seuil à 28).
Les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel SPSS version 15.0 (SPSS, Inc., Chicago, IL, USA).
Performances de l’EVA
Corrélation entre EVA et FES-I
Notre étude a retrouvé une corrélation entre FES-I et EVA de 0,43.
Dans une étude visant à évaluer le bénéfice de la thérapie cognitivo-comportementale dans la prise en charge de la peur de tomber de patients âgés vivant au domicile (Parry et al., 2016), les auteurs avaient comparé la FES-I à une échelle numérique sur 11 points (de 0 à 10). Ils rapportaient une corrélation entre FES-I et échelle numérique de 0,53, ce qui est un résultat proche du nôtre. Malgré tout, cela reste une corrélation peu importante, conférant une fidélité très moyenne à notre test. Ce résultat peut être expliqué par le fait que l’EVA, en évaluant la peur de tomber de manière ultra-rapide, soit moins précise dans son résultat que la FES-I, en ne prenant pas en compte toutes les dimensions de la peur de tomber. Nous avons vu que la peur de tomber est un concept aux définitions multiples, et il est possible que les patients aient des difficultés à auto-évaluer leur peur de tomber, là où la FES-I donne une orientation conceptuelle bien plus précise. Enfin, il existe probablement un biais de sélection, puisque nous n’avons inclus dans notre étude que des patients ayant renseigné à la fois une FES-I et une EVA. Or, il est possible que ces échelles aient été davantage oubliées dans l’évaluation des patients qui n’avaient pas de peur de tomber manifeste. En somme, l’EVA semble être un outil peu précis pour évaluer la peur de tomber. Cependant, notre étude manque de puissance statistique, ce qui peut biaiser les analyses statistiques et l’interprétation de nos résultats.
Choix des seuils
Dans notre étude, nous avons choisi un seuil de FES-I à 28. En effet, notre population a une peur de tomber plutôt modérée à importante selon la définition de Delbaere et al. (2010), avec une moyenne de FES-I à 30,8 (+/- 9,46).
C’est pourquoi, en considérant un seuil de FES-I à 20, la répartition des patients de notre population était très inégale, rendant difficile l’exploitation des données. En effet, seulement 7,7% de nos patients étaient considérés comme peu inquiets.
En privilégiant un seuil de FES-I à 28, nous avions une meilleure répartition de nos patients entre peur de tomber et pas peur de tomber. Ainsi, nous avons fait le choix d’identifier comme ayant peur de tomber seulement les patients définis comme très inquiets.
Ces seuils ayant été déterminés en comparant les scores de FES-I à des paramètres d’équilibre, aux antécédents de chute et aux symptômes dépressifs, les patients définis comme ayant une peur importante de tomber ont un risque important d’avoir des troubles de l’équilibre, des antécédents de chute ou des symptômes dépressifs (Delbaere et al., 2010).
Avec le seuil d’EVA à 3 (seuil qui permet le meilleur compromis entre sensibilité et spécificité selon l’indice de Youden), la sensibilité était de 78% et la spécificité de 55%. L’abaissement du seuil à 2 augmentait la sensibilité à 85%, mais au prix d’un grand nombre de faux positifs (24 patients, soit 23% de la population). L’augmentation du seuil à 7 améliorait la spécificité (98%), mais au prix d’un grand nombre de faux négatifs (49 patients, soit 48% de la population).
La FES-I, dans la population où elle a été étudiée initialement, à savoir une population âgée en moyenne de 10 ans de moins que la nôtre, mais avec environ la même proportion de femmes (près de 75% de la population) (Yardley et al., 2005), est dotée d’une excellente fidélité, ce qui en fait un très bon outil diagnostique de la peur de tomber.
Dans l’étude de Belloni et al. (2020) évaluant les performances d’une question binaire à la FES-I, on retrouvait une meilleure spécificité que notre EVA (86%) mais une moins bonne sensibilité (74%). À noter qu’il s’agissait d’une population bien plus jeune que la nôtre (68 ans en moyenne), et que le seuil de FES-I avait été fixé à 20 points (peur de tomber modérée à sévère).
L’EVA, en ce qui concerne les résultats de notre population, est davantage sensible que spécifique pour distinguer les patients ayant une peur importante de tomber. Ainsi, son utilisation comme outil de dépistage serait à privilégier.
Variables associées à la peur de tomber
Dans la seconde partie de notre étude, nous avons recherché les variables associées à la peur de tomber, d’une part en utilisant les données d’EVA, et d’autre part en utilisant les données de FES-I.
Variables démographiques
Nous avons montré une association significative entre peur de tomber et sexe féminin, que ce soit en évaluant la peur de tomber au moyen de l’EVA ou de la FES-I. Ces résultats concordent avec les données de la littérature (Arfken et al., 1994 ; Scheffer et al., 2008 ; Gaxatte et al.,2011 ; Malini et al., 2015). À noter que, comme nombre d’études sur le sujet, notre population comptait une large majorité de femmes (75%).
Cependant, nous n’avons pas montré d’association entre la peur de tomber et l’âge des patients, ce qui diffère avec les données de la littérature (Arfken et al., 1994 ; Scheffer et al., 2008 ; Malini et al., 2015). Ces résultats s’expliquent probablement par la faible dispersion de l’âge dans notre population, avec un écart-type de 5,43 ans.
Multi-morbidité
Nous avons montré, en analyse multivariée, une association significative entre l’IMC et la peur de tomber quand celle-ci est évaluée par l’EVA. À noter que ce résultat n’est pas retrouvé quand la peur de tomber est évaluée par la FES-I. Cette association a déjà été montrée dans l’étude de Kumar et al. (2014), où la peur de tomber était évaluée par la short-FES.
Nous n’avons pas mis en évidence d’association significative entre la peur de tomber et la multi-morbidité, évaluée au moyen du score de Charlson. Cependant, cette association a déjà été montrée dans la littérature (Murphy et al., 2002 ; Scheffer et al., 2008). Ceci s’explique probablement par le fait que notre population était très peu multi-morbide, avec un score de Charlson moyen à 1,04 +/- 1,23. Nous ne pouvons écarter que le design rétrospectif de notre étude ait pu sous-estimer la multi-morbidité des patients, et certaines variables n’ont pas pu être recueillies, comme les antécédents de dépression.
Contrairement à plusieurs études (Malini et al., 2015 ; Drummond et al., 2020 ; Merchant et al., 2020), nous n’avons pas mis en évidence d’association entre polymédication et peur de tomber. Cependant, cette association avait été mise en évidence pour un nombre de médicaments de 7 ou plus, ce qui n’est pas le cas de notre population, qui prend en moyenne 5,83 +/- 3,09 médicaments. Les résultats de Malini et al. et de Drummond et al. n’étaient pas significatifs pour les patients prenant moins de moins de 7 médicaments.
Nous n’avons pas montré d’association significative entre peur de tomber et albuminémie. Si le lien entre dénutrition et chutes est bien établi, l’association entre peur de tomber et dénutrition n’est pas documentée à ce jour. De plus, notre population était, dans l’ensemble, peu dénutrie avec une albuminémie en moyenne de 34,12 +/- 4,44.
Performances physiques
Nous avons montré une association significative entre antécédents de chute et peur de tomber en analyse univariée pour les deux modes d’évaluation, mais cette association n’est significative en analyse multivariée que pour la peur de tomber évaluée par la FES-I. Ces résultats concordent avec les nombreuses données de la littérature sur le sujet (Arfken et al., 1994 ; Murphy et al., 2002 ; Scheffer et al., 2008 ; Gaxatte et al., 2011 ; Malini et al., 2015 ; Drummond et al., 2020). On peut souligner que les seuils de FES-I qui nous ont permis de séparer la population en deux groupes ont été définis en partie en utilisant les données d’antécédents de chute des patients (Delbaere et al., 2010), ce qui explique peut-être la discordance des résultats selon le mode d’évaluation utilisé. Nous n’avons pas montré d’association significative entre vitesse de marche et peur de tomber, ni entre le Timed Up and Go et la peur de tomber, bien que ceci ait été montré à de nombreuses reprises dans la littérature (Kressig et al., 2001 ; Chamberlin et al., 2005 ; Kumar et al., 2014 ; Malini et al., 2015 ; Pua et al., 2017 ; Drummond et al., 2020). Il s’agit là probablement d’un manque de puissance, car on observe tout de même une tendance à une diminution de la vitesse de marche et un allongement de la durée du Timed Up and Go dans le groupe ayant peur de tomber, et ce quel que soit le mode d’évaluation.
Concernant la sarcopénie, nous n’avons pas montré d’association entre la peur de tomber et la sarcopénie. Cependant, notre population était très peu sarcopénique, ce qui peut biaiser les analyses statistiques. Dans la littérature, cette association est encore peu documentée (Yamada et al., 2013 ; Merchant et al., 2020).
Nous n’avons pas mis en évidence d’association entre la peur de tomber et la capacité à se relever du sol. Cette association, si elle existe, n’est pas documentée dans la littérature.
Variables cognitives
Nous n’avons pas montré d’association entre la peur de tomber et les performances aux tests MMSE et BREF. Si les données de la littérature sont moins évidentes que pour d’autres variables, il semble exister un lien entre la peur de tomber et les troubles cognitifs (Uemura et al., 2014 ; Noh et al., 2019 ; Drummond et al., 2020). De fait, notre population présentait peu de troubles cognitifs, en particulier quand ceux-ci étaient évalués par le MMSE (en moyenne à 26,26 +/- 3,42), ce qui limitait nos possibilités de mettre en évidence un lien s’il existe.
Il pourrait être intéressant d’étudier spécifiquement le lien entre la peur de tomber et les troubles cognitifs, dans une population aux profils cognitifs plus diversifiés.
Autonomie fonctionnelle
Nous n’avons pas montré d’association entre la peur de tomber et le déclin fonctionnel, mesuré d’une part par l’ADL et d’autre part par l’IADL. Cependant, cette association a déjà été montrée à plusieurs reprises dans la littérature (Cumming et al., 2000 ; Malini et al., 2015). Ceci s’explique probablement par la faible hétérogénéité de notre population en termes d’indépendance fonctionnelle, avec une ADL en moyenne à 5,45 +/- 0,88 et une IADL en moyenne à 5,85 +/- 2,22.
Intérêts et perspectives
Plusieurs études ont étudié l’impact d’une prise en charge spécifique de la peur de tomber. La méta-analyse de Kendrick et al. (2014) a inclus trente études ayant étudié l’impact de l’exercice physique (via des travaux d’équilibre, de force et de résistance) et retrouve, en somme, peu de preuves de l’efficacité de programmes d’activité physique sur la réduction de la peur de tomber à moyen et long terme. Un abord psychothérapique semble plus efficace, comme le montre l’étude de Tennstedt et al. (1998) dont l’essai randomisé contrôlé mettait en évidence une augmentation du niveau d’activité dès la fin du programme chez les patients ayant reçu l’intervention (qui consistait en des séances d’éducation thérapeutique en groupe autour du risque de chute, de la perception du sujet de ce risque, etc.), et une augmentation des activités sociales et de la mobilité un an après la fin du programme. De même, l’essai randomisé contrôlé de Parry et al. (2016) montrait une diminution significative de la FES-I et de la HAD (échelle évaluant l’anxiété et la dépression) à un an dans le bras ayant reçu une thérapie cognitive et comportementale pour réduire la peur de tomber.
Ainsi, s’intéresser davantage à la peur de tomber de nos patients âgés nous permettrait d’adapter nos prises en charge rééducatives. Pour cela, il est utile de mettre à disposition du clinicien des outils de dépistage et de diagnostic simples. L’EVA pourrait être utilisée comme un outil de dépistage, dont les résultats seraient ensuite à confirmer par une échelle standardisée comme la FES-I. Ces résultats seraient à prendre en compte dans les programmes de rééducation. En effet, chez les patients ayant peur de tomber, une prise en charge uniquement physique de kinésithérapie ne semble pas suffire à augmenter le niveau d’activité global des patients à long terme.
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Table des matières
Table des matières
Abréviations
1/ Introduction
1.1/ Définir la peur de tomber
1.2/ Évaluer la peur de tomber
1.2.1/ Échelles simples
1.2.2/ Fall Efficacy Scale
1.2.3/ Activities-Specific Balance Confidence Scale
1.2.4/ Survey of Activities and Fear of Falling in the Elderly
1.3/ Prévalence de la peur de tomber en population gériatrique
1.4/ Variables associées à la peur de tomber
1.4.1/ Variables démographiques et socio-économiques
1.4.2/ Multi-morbidité
1.4.3/ Performances physiques
1.4.4/ Variables psychiatriques et cognitives
1.4.5/ Conséquences de la peur de tomber
1.5/ Hypothèses et objectifs de l’étude
2/ Matériel et méthode
2.1/ Population d’étude
2.2/ Évaluation de la peur de tomber
2.3/ Recueil des autres variables
2.4/ Analyses statistiques
2.5/ Considérations éthiques
3/ Résultats
3.1/ Caractéristiques des patients
3.1.1/ Résultats obtenus sur la FES-I et sur l’EVA
3.1.2/ Statistiques descriptives
3.2/ Comparaison de l’EVA à la FES-I
3.2.1/ Corrélation entre FES-I et EVA
3.2.2/ En considérant un seuil de peur de tomber à 20 sur la FES-I
3.2.3/ En considérant un seuil de peur de tomber à 28 sur la FES-I
3.3/ Variables associées à la peur de tomber
3.3.1/ Variables associées à la peur de tomber quand celle-ci est évaluée par l’EVA
3.3.2/ Variables associées à la peur de tomber quand celle-ci est évaluée par la FES
4/ Discussion
4.1/ Performances de l’EVA
4.1.1/ Corrélation entre EVA et FES-I
4.1.2/ Choix des seuils
4.2/ Variables associées à la peur de tomber
4.2.1/ Variables démographiques
4.2.2/ Multi-morbidité
4.2.3/ Performances physiques
4.2.4/ Variables cognitives
4.2.5/ Autonomie fonctionnelle
4.3/ Intérêts et perspectives
4.4/ Limites de l’étude
5/ Conclusion
Annexe : FES-I selon Yardley (2005)
Bibliographie
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