Contexte scientifique
Depuis le début de l’ère industrielle la consommation d’énergie fossile liée aux activités humaines a entraîné l’augmentation du dioxyde de carbone anthropique dans l’atmosphère à un rythme soutenu. La teneur en CO2 atmosphérique, principal gaz à effet de serre, était de 280 ppm en 1860, alors qu’elle atteint 370 ppm en 2002. L’impact des activités anthropiques sur cette augmentation est désormais établi; la concentration actuelle de CO2 n’a jamais été dépassée au cours des 420000 dernières années (Falkowski, 2000). Cette accroissement du CO2 atmosphérique s’est accompagné d’une hausse sensible de la température moyenne du globe. Depuis la fin du 19ème siècle, la température moyenne a augmenté de 0.6 ± 0.2°C. Les années 1990 se caractérisent comme la décennie la plus chaude du dernier millénaire, avec un record de température en 1998 .
Sous l’égide du Programme International Geosphère-Biosphère (IGPB), la communauté scientifique s’efforce de comprendre les mécanismes de contrôle de la teneur en CO2 atmosphérique et de ses conséquences sur le réchauffement global. La modélisation des scénarii possibles des conséquences de l’effet de serre devient un enjeu critique, qui doit aider les politiques dans leur gestion des activités humaines. Selon le rapport 2001 du comité intergouvernemental sur le changement climatique (IPCC, Intergovernmental Panel on Climate Change) les rejets anthropiques de CO2 s’élèvent à 6.3 ± 0.4 Gt C an-1 et l’accroissement dans l’atmosphère à 3.2 ± 0.1 Gt C an-1. Le différentiel se traduit par un flux net de l’atmosphère vers le système terrestre d’une part (1.4 ± 0.7 Gt C an-1) et vers le système océanique d’autre part (1.7 ± 0.5 Gt C an-1). L’océan s’avère donc être un puits de C important puisqu’il absorbe près d’un tiers des émissions de CO2 anthropiques.
L’océan est en effet le plus grand réservoir de carbone à faible temps de résidence, en opposition avec les roches de la lithosphère, et contient 50 fois plus de carbone inorganique dissous que l’atmosphère. L’océan accumule du CO2 par échange avec l’atmosphère par l’intermédiaire de deux processus clés: la pompe de solubilité et la pompe biologique. La première dépend de la circulation générale thermohaline et des variations saisonnières de température. En effet, la solubilité du CO2 augmente quand la température décroît; les eaux froides saturées en CO2 plongent aux hautes latitudes sous l’effet de leur densité et entrent dans la circulation profonde. Le carbone est ainsi séquestré dans les masses d’eau profondes pour une échelle de temps de l’ordre d’une dizaine de millier d’années mais à terme, la circulation générale («conveyor belt», Broecker, 1991) ré-exposera ces masses d’eau à la surface, où le CO2 sera à nouveau dégazé .
L’efficacité de cette pompe de solubilité est de surcroît menacée par le réchauffement de la planète. Une augmentation de la température se traduirait par une augmentation de la stratification de la couche de surface et par un affaiblissement de l’intensité des subductions d’eaux froides. Certains modèles montrent que la circulation thermohaline décline déjà depuis quelques décennies. Ces modèles prévoient qu’une augmentation de 1 % par an de la teneur en CO2 atmosphérique entraînerait un arrêt de la circulation thermohaline d’ici 100 ans, or le rythme actuel d’augmentation est de + 0.4 % par an.
Le second mécanisme de pompage du CO2 atmosphérique s’effectue au travers de la biologie. Bien que représentant moins de 1% de la biomasse végétale de la planète, le phytoplancton marin est responsable de la moitié de la fixation biologique de carbone à l’échelle globale. Le CO2 est réduit par la photosynthèse et converti en matière particulaire. L’essentiel de la matière produite est ingérée par les échelons trophiques supérieurs et reminéralisée, néanmoins une petite fraction (0.04- 0.3 %, Emerson et Hedges, 1988; Westbroeck et al., 1993) échappe à la prédation et sédimente sous forme de carbone organique. En milieu côtier, la faible profondeur de la colonne d’eau limite les processus de reminéralisation et la fraction du C organique exportée vers le sédiment peut atteindre 10 % (Berger et al., 1989). Le gradient de CO2 maintenu par la pompe biologique entre la couche de surface et les masses d’eau profondes entraîne un flux net de l’atmosphère vers l’océan. En l’absence de ce mécanisme, dans l’hypothèse d’un océan abiotique, on estime que les concentrations en CO2 atmosphérique seraient de l’ordre de 200 ppm supérieures (Sarmiento et Toggweiler, 1984; Siegenthaler et Sarmiento, 1993; Maier-Reimer et al., 1996).
L’hypothèse du fer
On a longtemps considéré que seule la quantité disponible d’azote (N) et de phosphore (P) pouvait s’avérer limitante pour la production primaire océanique. Or de vastes étendues océaniques dans le Pacifique Equatorial et Sub-Arctique ainsi que dans l’Océan Austral sont répertoriées comme des zones HNLC (High Nutrient Low Chlorophyll) ou la biomasse reste faible malgré des stocks importants de sels nutritifs. Martin et Fitzwater (1988) ont été les premiers à émettre l’hypothèse d’une limitation de la croissance phytoplanctonique par le fer dans ces régions pour expliquer la présence de ces stocks d’N et de P jamais épuisés. En effet ces zones se trouvent éloignées des sources continentales de fer et reçoivent de surcroît de faibles quantités de poussières atmosphériques. Les données obtenues grâce aux carottes de glace ont montré que les teneurs en CO2 atmosphérique et en poussières étaient anti-corrélées sur les 180 000 dernières années: quand la quantité de poussières atmosphériques augmente, la concentration en CO2 diminue. Martin a élargi son hypothèse en affirmant que l’adjonction délibérée de fer dans certaines zones océaniques pourrait augmenter de façon significative la productivité primaire et ainsi la séquestration de CO2 dans l’océan profond. Il caricature à moitié sa démarche en lançant la célèbre phrase «Give me half a tanker of iron and I will give you the next ice age». L’hypothèse de la limitation de la croissance phytoplanctonique par le fer est maintenant généralement admise par la communauté scientifique et a même donné lieu à des expériences de fertilisation in situ à petite échelle: IronEx (Pacifique Equatorial), SOIREE (Océan Austral, secteur pacifique), EISENEX (Océan Austral, secteur atlantique). La médiatisation de ces recherches a conduit à une multiplication des brevets concernant les processus de fertilisation de l’océan par des sociétés privées, pour qui ce nouvel Eldorado représente un «permis de polluer» qui pourrait s’avérer extrêmement rentable dans un avenir proche.
Cette évolution fait l’objet de critiques sévères de la part des scientifiques (Banse, 1991a, 199b, Chisholm, 2000, 2001; Falkowski, 1998, 2000). Le manque de connaissance du fonctionnement fin du cycle du carbone et de l’impact de fer sur la composition spécifique du phytoplancton sont des raisons suffisantes pour appliquer le principe de précaution. Chisholm (2000) démontre que la fertilisation des océans ne permettrait au mieux qu’un gain de temps. Le carbone est en effet intégré à deux grands cycles: l’un à échelle de temps géologique, de l’ordre du million d’années, l’autre à échelle de temps biologique, beaucoup plus rapide. Le CO2 est intégré au cycle long quand il est séquestré dans les roches de la lithosphère, puis relargué lors des dégazages volcaniques ou lors de l’érosion des roches. En revanche, le CO2 transite par un cycle court lorsqu’il est réduit par la photosynthèse en matière particulaire, puis reminéralisé. Une petite fraction échappe à l’oxydation par la respiration et est à nouveau intégré au cycle long par sédimentation et constitution des combustibles fossiles. Depuis 200 ans, l’homme réinjecte du C au cycle court en brûlant les énergies fossiles issues du cycle géologique. Les puits biologiques que sont la végétation terrestre et marine n’ont pas la capacité de s’adapter rapidement à cette augmentation ni d’absorber les surplus émis. Pour que les expériences de séquestration réussissent leur but ultime qui est de contrôler la variabilité du climat induite par l’homme, il sera nécessaire de trouver des procédés permettant de restituer du C au cycle long à échelle de temps géologique (Chisholm, 2000).
Cycle du silicium – Etat de l’art
Le silicium (Si) est un élément majeur dans la géochimie terrestre et dans la biochimie de certains organismes. La lithosphère terrestre est constituée à 27 % (en poids) de Si et les aspects principaux de sa géochimie incluent le comportement des minéraux silicatés et de leurs produits d‘érosion. La nature et l’origine des minéraux silicatés dans l’océan ont été l’objet d’attentions depuis la publication de Sillén (1961) sur le contrôle possible de la composition de l’eau de mer par les réactions de ces minéraux avec la phase dissoute. Le cycle biogéochimique du silicium présente un intérêt majeur, de par son impact sur les concentrations globales de CO2 au travers des processus combinés d’érosion des roches silicatées et de transfert de CO2 de l’atmosphère vers la lithosphère (Wollast et Mackenzie, 1983). L’érosion des minéraux de la croûte terrestre peut entraîner la production de silicium dissous et particulaire .
|
Table des matières
Chapitre I – Introduction générale
I.1. CONTEXTE SCIENTIFIQUE
I.1.1 L’hypothèse du fer
I.2. CYCLE DU SILICIUM – ETAT DE L’ART
I.2.1 Généralités sur les diatomées
I.2.2. Les processus de silicification
I.2.2.1. Silicification et structure de la paroi cellulaire
I.2.2.2. L’absorption d’acide orthosilicique
I.2.2.3. Rôle du cycle cellulaire dans la silicification
I.2.3. Cycle biogéochimique du silicium en milieu marin
I.2.3.1. Quelques définitions
I.2.3.2. Sources et puits de Si dans le milieu marin
I.2.3.3. Cycle du silicium au sein du compartiment biologique
a. Distribution spatiale des diatomées
b. Rôle de l’acide orthosilicique dans la production nouvelle et la distribution des diatomées
c. Importance des diatomées dans la production exportée
d. La fin du paradoxe de l’opale
e. Découplage Si/C
f. La paleo hypothèse du silicium
I.3. OBJECTIFS DE LA THESE
Chapitre II – Les sites d’étude et les stratégies d’échantillonnage
II.1. LES SITES D’ETUDE ET LES STRATEGIES D’ECHANTILLONNAGE
II.1.1. La Méditerranée
II.1.1.1. La campagne PROSOPE
a. Localisation géographique et circulation générale
b. Objectifs scientifiques et stratégies d’échantillonnage
II.1.1.2. La campagne SOFi
a.Localisation géographique et circulation générale
b. Objectifs scientifiques et stratégie d’échantillonnage
II.1.1.3. La campagne ALMOFRONT II
a. Localisation géographique et circulation générale
b. Objectifs scientifiques et stratégie d’échantillonnage
II.1.2. L’Atlantique Nord-Est
II.1.2.1. La campagne POMME
a. Localisation géographique et circulation générale
b. Objectifs scientifiques et stratégie d’échantillonnage
II.1.3. Le secteur Indien de l’Océan Austral
II.1.3.1. La campagne ANTARES 4
a. Localisation géographique et caractéristiques générales
b. Objectifs scientifiques et stratégie d’échantillonnage
II.2. LES TECHNIQUES DE PRELEVEMENT
II.2.1. L’acquisition des paramètres hydrologiques et optiques
II.2.2. Le prélèvement et la conservation des échantillons
II.2.3. Les méthodes d’incubation dans les mesure de flux
II.2.4. Les pièges à particules
II.2.5. Le carottier
II.3. LES METHODES D’ANALYSE
II.3.1. Les mesures de stocks
II.3.1.1. L’acide orthosilicique (Si(OH)4)
II.3.1.2. La silice particulaire
a. Principe des méthodes de dosage de la silice particulaire
b. Choix des méthodes de dosage
c. Protocoles détaillés
II.3.2.Les mesures de production
II.3.2.1. Mesure de la production de silice (ρSi)
II.3.2.2. Cinétiques d’absorption (KS, Vmax)
II.3.2.3. Expériences de co-limitation
II.3.2. Autres paramètres de base
Chapitre III – Cycle saisonnier du Si en Atlantique Nord-Est
III.1. INTRODUCTION
III.2. RESULTATS
III.2.1. Physique de la zone: structures méso-échelles et caractérisation des masses d’eaux.
III.2.1.1. Localisation des stations en fonction des structures méso-échelles
III.2.1.2. Caractérisation des masses d’eaux, diagramme T-S
III.2.1.3. Couche mélangée et couche euphotique
III.2.2. Distribution des sels nutritifs
III.2.2.1. Distribution spatiale (legs 1)
III.2.2.2. Profils verticaux (legs 2)
III.2.2.3. Stocks intégrés (legs 2)
III.2.3. Distribution de la matière particulaire
III.2.3.1. Silice particulaire (BSi-LSi)
III.2.3.2. Distribution de la fucoxanthine
III.2.3.3. Stocks intégrés
III.2.4. Flux de production
III.2.4.1. Taux d’absorption de Si
III.2.4.2. Flux de production intégrés
III.2.4.3. Structure de taille des communautés
III.2.4.4. Rapports d’absorption ρSi/ρC
III.2.4.5. Cinétiques d’uptake de Si (KS et Vmax)
III.2.5. Flux d’exportation
III.2.6. Expériences d’enrichissement
III.2.6.1. Facteurs limitants
III.2.6.2. Co-limitation Fer/Silicium
III.3. DISCUSSION
III.3.1. Variabilité spatiale et saisonnière
III.3.1.1. Déclenchement de la floraison printanière et impact des structures méso-échelles
III.3.1.2. Variabilité saisonnière de la contribution des diatomées à la production primaire
III.3.2. Facteurs limitants
III.3.2.1. Les macronutriments: Si, N, P
III.3.2.2. L’hypothèse du fer
III.3.3. Bilans de production et d’exportation de Si
III.3.3.1. Bilans de production et comparaison avec d’autres sites de l’Atlantique Nord
III.3.3.2. Bilans d’exportation et comparaison avec d’autres sites de l’Atlantique Nord
III.4. SYNTHESE
Chapitre IV – Conclusion générale
Télécharger le rapport complet