Variabilité phénologique et morphologique à l’échelle locale 

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Un modèle pertinent pour la conservation

La prise en compte des Odonates en biologie de la conservation a débuté à partir des an-nées 80 et n’a cessé d’augmenter depuis (Figure 1.4 ; Bried et Samways (2015)). En effet, les Odonates sont identifiés comme un groupe pertinent pour étudier la qualité des écosystèmes aquatiques et les changements que ces derniers subissent (Gerlach, Samways, & Pryke, 2013 ; Kutcher & Bried, 2014 ; Oertli, 2008). Ils remplissent un certain nombre de critères qui en font un groupe utile pour répondre à bon nombre de problématiques en écologie appliquée à la conservation (Oertli, 2008) :
• ils sont modérément diversifiés ce qui permet à la fois de disposer d’un jeu d’espèces suffisant et d’une bonne connaissance de la taxonomie du groupe et de leur écologie ;
• leurs larves colonisent la majorité des écosystèmes aquatiques continentaux mais les adultes sont également dépendants des habitats terrestres pour accomplir l’ensemble de leur cycle de développement. Cela en fait un groupe phare pour l’étude de l’interface entre habitats aquatiques et terrestres ;
• l’exuvie (i.e. dernière mue larvaire) abandonnée sur les berges ou dans la végétation lors de l’émergence, constitue, en plus des stades larvaires et adultes, un outil d’analyse sup-plémentaire. En effet cet indice de présence permet l’identification de la plupart des es-pèces en France, d’attester de leur reproduction et de leur développement sur le site et ce de manière non invasive ;
• ils sont présents sur l’ensemble du globe hormis dans quelques écosystèmes très ex-trêmes et la plupart des espèces sont sténotopiques et donc spécifiques d’un certain type d’habitat ;
• ils sont considérés comme des espèces « clés de voûte » puisqu’ils assurent les rôles de prédateurs et de proies dans la chaîne trophique ;
• ce sont également des espèces « parapluies » puisqu’en les préservant c’est l’ensemble de la communauté inféodée au milieu aquatique qui l’est aussi ;
• les différents stades de développement se succédant tout au long de leur cycle offrent une large gamme de possibilités tant en termes de méthodologies que de probléma- tiques. Ceci est moins vrai pour les aspects fonctionnels puisque toutes les espèces sont
prédatrices.
Pour ces différentes raison, les Odonates constituent un groupe abordable pour des études quantitatives qui peuvent être menées grâce à la mise en place de méthodes standardisées.
Par ailleurs il faut souligner que les Odonates sont esthétiques, appréciés et connus du grand public. Il est ainsi plus aisé de mobiliser l’attention et le soutien financier nécessaires pour les étudier ce qui en fait un groupe « porte-drapeau ».

Généralités sur le groupe

Les Odonates, du latin « odonata » signifiant « pourvu de dents », constituent un ordre primitif d’insectes prédateurs dont les origines remontent au moins au début du Carbonifère (Woot- ton, 1981). Leur développement est de type hétérométabole (i.e. pas de stade immobile entre la larve et l’adulte) hémimétabole (i.e. la larve et l’adulte vivent dans des milieux différents) puisque les larves sont aquatiques et les adultes aériens (Figure 1.5).
C’est l’un des groupes d’insectes les moins diversifiés puisqu’il compte moins de 6000 espèces décrites réparties en 3 sous-ordres (Schorr, 2018) : les Zygoptères ou « demoiselles » (plus de 2900 espèces), les Anisoptères ou « libellules » (plus de 3000 espèces) et les Anisozygoptères (4 espèces). Le nombre d’espèces restant à décrire est estimé entre 1000 et 1500, et quasi-ment 40 espèces sont décrites chaque année dans le monde depuis les années 70, notam-ment dans les régions néotropicales, orientales et australasiatiques (K.-D. B. Dijkstra, Kipping, & Mézière, 2015 ; Suhling, Suhling, & Richter, 2015). En Europe le nombre d’espèces est désor-mais stable (i.e. 143 espèces recensées ; Kalkman et al. (2018)). L’odonatologie y est en effet pratiquée depuis longtemps, le naturaliste Toussaint de Charpentier a publié la première syn-thèse des libellules d’Europe en 1840. Depuis quelques années, la publication de nombreux guides d’identification des adultes et des exuvies a favorisé un essor de prospection par les naturalistes généralistes. Les Odonates sont également parmi les premiers ordres d’inverté-brés, avec les Rhopalocères, à avoir été inclus dans les outils de saisie en ligne de données naturalistes, ce qui a largement contribué à l’amélioration des connaissances sur cet ordre en Europe.

Synthèse des connaissances sur les 3 espèces cibles

Ces trois anisoptères sont principalement inféodés aux cours d’eau et font ainsi partie des communautés d’Odonates représentant moins de 2 % de la diversité présente dans les rivières européennes (Schmidt-Kloiber, Graf, Lorenz, & Moog, 2006). Les libellules associées aux mi-lieux lotiques sont effectivement moins diversifiées que celles associées aux milieux lentiques. Elles ont également été moins étudiées que les espèces de milieux stagnants (Figure 1.7) bien que les cours d’eau soient soumis à de fortes pressions.
Ceci est d’autant plus vrai que les contextes climatique, économique et social actuels tendent à augmenter ces pressions. En effet, la volonté de diminuer la part du nucléaire dans la pro-duction d’énergie nécessite de se tourner vers les énergies renouvelables ce qui tend à re-dynamiser la production d’hydro-électricité. La fragmentation et la modification hydrologique des cours d’eau risquent donc de s’intensifier même si dans la loi, les contraintes réglemen-taires sont aujourd’hui supposées prévenir une partie de ces impacts délétères et maintenir la continuité écologique.
Ces trois espèces font partie de l’odonatofaune européenne emblématique puisqu’elles sont endémiques du sud-ouest de l’Europe. Macromia splendens a ainsi particulièrement éveillé la curiosité d’odonatologues au point qu’elle a été spécifiquement recherchée comme le relatent Morton (1925) et Lieftinck (1965).

Taxonomie et brève description

Oxygastra curtisii a longtemps fait partie de la famille des Corduliidae (Figure 1.8) mais est actuellement classée « Incertae sedis » (i.e. sans famille) suite à de récentes études phylo-génétiques (K.-D. B. Dijkstra & Kalkman, 2012 ; Ware, May, & Kjer, 2007). Cette espèce, seule représentante de ce genre dans le monde, a le thorax vert métallique et l’abdomen noir avec une ligne de taches médio-dorsales jaunes (Figure 1.9a). Ses exuvies sont également facile-ment reconnaissables par leur taille relativement petite (19 à 22 mm de long) et l’absence d’épines dorsales sur l’abdomen, remplacées par de petites touffes de poils.
Gomphus graslinii est, comme la majorité des espèces de la famille des Gomphidae (Figure 1.8), noir et jaune avec sur le thorax de fines bandes anté-humérales jaunes. L’abdomen est marqué d’une ligne longitudinale médiodorsale sur toute sa longueur. Les cercoïdes des mâles sont pourvus de fortes dents latérales et une forme de verre à pied jaune se dessine en face dorsale du 9ème segment de l’abdomen (Figure 1.9b).
Macromia splendens est la seule représentante européenne de la famille des Macromiidae (Figure 1.8). C’est une des plus grandes espèces en Europe (49 à 55 mm pour l’abdomen des mâles). Elle a le thorax vert métallique marqué de deux bandes jaunes et l’abdomen noir et jaune (Figure 1.9c). Elle se distingue également par ses deux taches jaunes sur le dessus du front. Son exuvie est très caractéristique puisqu’elle est de très grande taille (jusqu’à 33 mm de long), pourvue d’une petite corne sur le front, munie d’un abdomen arrondi et de grandes pattes lui donnant une allure d’araignée (Figure 1.9d). Cette espèce mythique pour les odona-tologues reste malgré tout très discrète.

Distribution géographique

G. graslinii et M. splendens sont des espèces endémiques du sud-ouest de la France et de la péninsule ibérique. O. curtisii a quant à elle une répartition plus large : on la trouve du nord de la Belgique au nord-ouest de l’Italie. La faible étendue du territoire occupé par ces espèces (Figure 1.10) met en évidence la forte responsabilité de la France aux côtés de l’Espagne et du Portugal dans leur conservation d’autant plus que la régression d’Oxygastra curtisii est d’ores et déjà documentée avec son extinction en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas (Cham et al., 2014 ; K.-D. Dijkstra & Lewington, 2015 ; Grand & Boudot, 2006).

Biologie et écologie

Les principales connaissances sur la phénologie, le comportement des adultes ainsi que le cortège odonatologique associé à ces trois espèces ont été synthétisées par Grand et Boudot (2006) et quelques monographies ont également été publiées (Chelmick, 2015b ; Cordero Ri-vera et al., 2012 ; Torralba-Burrial, Ocharan, Outomuro, Azpilicueta Amorin, & Cordero Rivera, 2012a, 2012b). Les émergences démarrent début mai pour O. curtisii et fin mai pour G. graslinii et M. splen-dens. La période de vol, c’est-à-dire de présence des imagos, s’achève à la fin du mois d’août. Les adultes des deux premières espèces se rencontrent fréquemment aux alentours des cours d’eau tandis que ceux de M. splendens sont plus discrets. Les mâles d’O. curtisii et M. splen-dens patrouillent le long des berges pour défendre un territoire alors que ceux de G. graslinii sont moins agressifs (Cordero Rivera, Utzeri, & Santolamazza Carbone, 1999 ; Jourde & La-luque, 2006 ; Leipelt & Suhling, 2001).
Le cortège associé à ces trois espèces inclut plusieurs Gomphidae (Onychogomphus forcipa-tus (Linnaeus, 1758) et O. uncatus (Charpentier, 1840), Gomphus vulgatissimus (Linnaeus, 1758)) et l’Aeshnidae Boyeria irene (Boyer de Fonscolombe, 1838) ou encore des Zygoptères tels que des Calopteryx (C. xanthostoma (Charpentier, 1825) notamment) et les trois Platyc-nemis présents en France, P. latipes Rambur, 1842, P. pennipes (Pallas, 1771), P. acutipennis Selys, 1841.
Quelques auteurs ont exploré des aspects plus précis de leur écologie comme le cycle de déve-loppement (Dommanget, 2001 ; Grand & Boudot, 2006 ; Leipelt & Suhling, 2005), les conditions d’émergence (Doucet, 2009 ; Ternois, Lambert, & Fradin, 2008), voire même la génétique des populations. Chez M. splendens, l’éclosion aurait lieu une vingtaine de jours après la ponte tandis qu’elle se ferait 2 à 10 semaines plus tard chez O. curtisii. Les trois espèces sont se-mivoltines et la phase larvaire nécessiterait 2 à 3 années de développement. Ces 3 espèces émergent à proximité directe de l’eau, souvent tôt le matin, à moins de 1,50 mètre au-dessus du niveau de l’eau et la plupart du temps dans une position verticale. Toutefois, il est fréquent de trouver des exuvies de M. splendens en rétroversion et certaines à plusieurs mètres de hau-teur. Des « grappes » d’exuvies d’O. curtisii agglutinées sur des troncs de Saules ou d’Aulnes sont également fréquentes dans les populations à forte densité. Les études sur la structure génétique des populations ibériques de M. splendens montrent une importante structuration indiquant un flux de gènes faible entre les populations locales. Pour O. curtisii, un flux de gènes plus important est mis en avant (Azpilicueta Amorin, Vila, & Cordero-Rivera, 2010 ; da Silva-Méndez, Lorenzo-Carballa, Cordero-Rivera, & Watts, 2013).
Les connaissances précises restent cependant lacunaires pour assurer une gestion conser-vatoire efficace de ces espèces. Ainsi la dispersion des émergents lors de la phase de matu-ration et le comportement et l’écologie des larves (tous stades confondus) sont méconnus, comme souligné par Dupont (2010). La variabilité interannuelle des effectifs de ces Odonates est également inconnue. Certains auteurs font état d’observations de larves mais de manière ponctuelle et sur quelques individus uniquement, donc non généralisables (Chelmick, 2004 ; Cordero Rivera et al., 1999). La prise en compte des exigences écologiques des larves est pour-tant essentielle pour mieux comprendre les facteurs limitant la présence de ces espèces à en-jeux. Seuls Leipelt et Suhling (2001) ont mis en place un protocole standardisé de description du micro-habitat de larves d’Oxygastra curtisii et de Gomphus graslinii (avec respectivement n=60 et n=48). Ces larves de G. graslinii ont principalement été capturées dans des étendues de sables recouvertes de débris végétaux tandis que celles d’O. curtisii ont exclusivement été trouvées accrochées dans les racines des Aulnes.
Les macro-habitats utilisés par ces trois espèces sont similaires et peuvent être décrits comme les moyens et grands cours d’eau de plaine, avec des zones à courant ralenti par des élé-ments du relief ou des obstacles. La présence d’une ripisylve abondante et peu anthropisée semble favorable (Grand & Boudot, 2006 ; Leipelt & Suhling, 2005). Malgré cela, ces Odonates occupent également des habitats de substitution d’origine anthropique, tels que les retenues liées à d’anciennes minoteries, les retenues hydroélectriques, voire des plans d’eau dédiés aux loisirs sur lesquels ces espèces ont parfois été trouvées en très grand nombre (Cordero Rivera, 2000 ; Delpon, 2012 ; Dommanget, 2001 ; Doucet, 2009 ; Jourde & Laluque, 2006). Certains au-teurs ont même émis l’hypothèse que ces retenues pouvaient favoriser ces espèces (Chelmick, 2015b ; Cordero Rivera, 2000 ; Dommanget, 2001 ; Dommanget & Grand, 1996). Cependant, aucun suivi quantitatif n’a permis de mettre en évidence que ces habitats étaient adaptés à l’accueil et au développement de ces espèces sur le long terme.
En ce qui concerne le micro-habitat larvaire, peu d’informations sont disponibles. Si empiri-quement des micro-habitats sont parfois mentionnés (Ferreras-Romero, 1988 ; Leipelt, Jökel, Schrimpf, Schütte, & Suhling, 1999 ; Leipelt & Suhling, 2001, 2005 ; Lieftinck, 1965), c’est sur la base d’observations ponctuelles de terrain. L’existence de réels preferenda n’a jamais été testée sur la base d’une approche quantitative, probablement en raison des difficultés tech-niques d’accès aux larves et aux paramètres de leurs micro-habitats. Seuls Leipelt et Suhling (2001) fournissent des informations chiffrées. O. curtisii se développerait dans les chevelus racinaires, notamment ceux des aulnes, et G. graslinii aurait une préférence pour des sub-strats sableux couverts de litière végétale. Les larves de M. splendens quant à elles, se rencon-treraient dans des zones ombragées ou suffisamment profondes pour être peu lumineuses et sur des substrats vaseux ou sableux parfois recouverts de débris végétaux (Chelmick, 2015b ; Leipelt et al., 1999 ; Leipelt & Suhling, 2005).

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Table des matières

Liste des articles et communications
1 Introduction 
1.1 La conservation de l’entomofaune
Du déclin de la biodiversité à la biologie de la conservation
Les insectes, la majorité négligée
La biodiversité des cours d’eau : menaces et enjeux
1.2 Les Odonates
Un modèle pertinent pour la conservation
Généralités sur le groupe
1.3 Synthèse des connaissances sur les 3 espèces cibles
Taxonomie et brève description
Distribution géographique
Biologie et écologie
Menaces
Statuts de conservation et protection légale
1.4 Les objectifs de la thèse
2 Chapitre 1 : Proposition d’un protocole de suivi standardisé 
3 Chapitre 2 : Variabilité phénologique et morphologique à l’échelle locale 
4 Introduction aux chapitres 3 & 4 : Les ouvrages hydrauliques et les Odonates : quelle cohabitation ? 
5 Chapitre 3 : Les petits ouvrages 
6 Chapitre 4 : Les grands ouvrages hydroélectriques 
7 Conclusion générale et perspectives 
Bibliographie 

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