Cadre de l’étude et problématique
Les ressources en eau : une préoccupation majeure des sociétés et des États africains
Depuis une vingtaine d’années, un intérêt soutenu se manifeste pour l’étude du climat et de sa variabilité, compte tenu des conséquences parfois dramatiques que celle-ci peut entraîner, quelle que soit la région de la planète considérée. Les implications de cette variabilité sur celle des ressources en eau sont particulièrement fortes et touchent, à leur tour, de très nombreux secteurs d’activités. Les États africains, spécifiquement ceux de l’Afrique de l’Ouest et Centrale présentent une sensibilité accrue aux situations extrêmes (inondations, sécheresses) en raison de leur structure économique, sociale et démographique. Ces extrêmes entraînent fréquemment des déplacements massifs de population, une paralysie économique, et dans les situations les plus graves, famines et pertes de nombreuses vies humaines (à l’exemple de la sécheresse de 1983-1984). L’évolution des ressources en eau est par conséquent au cœur des préoccupations des États africains, mais également de la communauté scientifique.
L’évaluation du changement climatique et de ses impacts
Le troisième rapport de l’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change), rendu public au printemps 2001, met clairement en évidence les progrès accomplis au cours de ces dernières décennies par la communauté scientifique internationale en matière d’évolution des phénomènes climatiques. Basés sur l’utilisation de Modèles de Circulation Générale, ces travaux valident également des prévisions de plus en plus affinées sur l’évolution du climat en réponse au forçage d’origine anthropique de l’augmentation des gaz à effet de serre. Ces Modèles de Circulation Générale (MCG), bien qu’imparfaits, sont les seuls outils à notre disposition pour évaluer les impacts du changement climatique sur les ressources en eau. Trois problèmes majeurs relatifs à l’utilisation des MCG peuvent cependant être soulevés. Tout d’abord, leur résolution n’est pas adaptée à celle de la modélisation hydrologique. À l’échelle de 2,5° carrés ou plus, il n’y a pas beaucoup d’applications hydrologiques pratiques, car la grande majorité des bassins versants des réseaux nationaux sont de taille inférieure à 100 000 km². Ensuite, les différences entre les sorties de Modèles de Circulation Générale sont très marquées (IPCC, 2001a). Enfin, les précipitations sont généralement peu réalistes : à partir de plusieurs Modèles de Circulation Générale, Casenave (2004) montre bien ce phénomène pour l’Afrique de l’Ouest et Centrale. Pour augmenter la confiance dans les prévisions, il faut travailler à partir de champs de variations combinés aux observations. Cependant, ce n’est pas parce que certains modèles climatiques concordent dans leurs prévisions, que l’atmosphère répondra comme prévu par ces MCG aux forçages observés.
Un contexte scientifique favorable
Les débats sur le développement durable et l’accès à la ressource en eau ont sensibilisé davantage la communauté scientifique sur les impacts du changement climatique, comme en témoignent les nombreux programmes de recherches internationaux et nationaux mis en œuvre ces dernières années, sur cette problématique. Le lancement fin 2000 des travaux de recherche présentés ici s’inscrit pleinement dans ce contexte scientifique. Cela se traduit par :
— la participation au programme FRIEND-AOC (Flow Regimes from International and Experimental Network and Data – Afrique de l’Ouest et Centrale), projet phare du Programme Hydrologique International de l’UNESCO. Ce programme vise à approfondir les connaissances de la variabilité spatiale et temporelle des régimes hydrologiques ;
— la participation à des projets nationaux, portant plus spécifiquement sur la modélisation hydrologique (ECCO-PNRH).
Ce travail a également bénéficié de la mise en place de partenariats, aboutissant à la mise à disposition des données nécessaires au suivi des impacts du changement climatique : les réanalyses du National Centre for Environmental Prediction (Kalnay et al., 1996) auprès du Centre de Recherche en Climatologie (Dijon, France) ; les données climatiques spatialisées à la résolution du demi degré carré (New et al., 1999) auprès du Climate Research Unit (Norwich, U.K.) ; enfin, les données hydrologiques auprès du Centre Agrhymet (Niamey, Niger) et par le réseau de partenaires africains développé dans le cadre du projet FRIEND-AOC. Les rencontres avec ces différents partenaires ont été autant d’occasions de présenter les résultats et de faire évoluer la méthodologie mise en œuvre.
Le continent africain, terre de contraste en matière de climat, est très fragilisé d’un point de vue environnemental, d’une part par la forte pression anthropique qu’il subit, d’autre part par les problèmes croissants de dégradation des sols. Étant donné la gamme et l’ampleur des contraintes de développement, l’Afrique subit de plein fouet les variations du climat. Ce continent se révèle, ainsi, un objet d’étude approprié pour traiter de la variabilité climatique et de la modélisation des ressources en eau, dans la mesure où son développement économique repose encore très largement sur la maîtrise de l’eau. De plus, les régions d’Afrique de l’Ouest et Centrale subissent depuis plus de trente ans une sécheresse persistante, dont les conséquences socio économiques sont difficiles à résorber, et qui nécessitent, aujourd’hui, une adaptation des populations à un contexte en évolution.
Cette description du cadre physique concerne quatre grandes unités hydrographiques, qui s’inscrivent pleinement dans le cadre du programme FRIEND-AOC (Flow Regimes from International and Experimental Network Data – Afrique de l’Ouest et Centrale) de l’UNESCO : les bassins du Sénégal, de la Gambie, du Sassandra et du Logone-Chari. Ces unités sont celles pour lesquelles une importante masse de données a pu être collectée depuis de nombreuses années, en particulier par l’ORSTOM (aujourd’hui IRD). Ce choix est également motivé par l’opportunité qu’offre le programme FRIEND-AOC de collaborer avec nos partenaires africains pour la mise à jour des données hydrologiques synoptiques, nécessaires au suivi des impacts du changement climatique sur l’environnement et les ressources en eau. Cette information disponible constitue un support privilégié pour travailler sur des bassins de plusieurs milliers de kilomètres carrés, échelle retenue pour ce travail car pertinente au regard de la planification et la gestion des ressources en eau.
Présentation de la zone d’étude
Les bassins versants retenus s’étalent sur 16 pays, et la zone d’étude associée s’étend de la façade Atlantique à 32,25° de longitude est, entre les latitudes 1,25° N et 24,25° N.
Aspects climatiques
Cette zone, située dans le domaine intertropical, couvre une diversité climatique importante, complexifiant d’autant l’analyse des résultats, en particulier, des régimes saisonniers. La plus ou moins grande abondance des précipitations et leur répartition saisonnière constituent les déterminants des unités climatiques.
Unités climatiques
L’individualisation des unités climatiques se fait généralement sur la base du régime des précipitations et de la succession des saisons. Dans les climats tropicaux, les amplitudes thermiques s’accroissent et le total des précipitations diminue au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’équateur. L’alternance entre saison sèche et saison humide est la règle. En raison de la forme massive du continent, l’influence de la latitude est prépondérante dans l’hémisphère nord, où les différentes zones tropicales se succèdent en bandes parallèles à l’équateur. On note cependant la présence des reliefs en Guinée, au Cameroun et au Togo/Bénin qui perturbent localement cette répartition en constituant des barrières à la pénétration des flux de mousson. On distingue trois unités climatiques sur notre zone d’étude (Jeune Afrique, 1993) :
— le climat tropical humide (ou guinéen) est proche du climat équatorial par l’abondance des précipitations, mais s’en distingue par l’existence de deux saisons sèches inégales (août-septembre et décembre-avril). Ce type de climat règne en particulier le long du Golfe de Guinée, de la Sierra Leone au Nigeria. Les précipitations annuelles sont comprises entre 1400-1500 et 4500 mm ;
— dans le climat tropical sec (ou soudanien), la saison sèche s’allonge au fur et à mesure que l’on s’approche du tropique. La sécheresse est accentuée par l’harmattan, vent chaud qui souffle du nord-est vers l’Atlantique. La saison humide, appelée hivernage, se situe entre mai-juin et septembre-octobre. Les précipitations annuelles vont de 700-800 mm à 1400-1500 mm, de la forêt tropicale sèche au sud au sahel au nord. Ce climat couvre la majeure partie de notre zone d’étude, globalement entre les latitudes 10° N et 15° N ;
— le climat sahélien marque la transition vers le climat désertique. Les pluies sont de plus en plus rares (de 700-800 à 250-300 mm/an) et ne tombent que pendant trois à cinq mois (juin à octobre, avec un maximum centré sur juillet/août). Surtout, les pluies sont très irrégulières dans le temps et dans l’espace. Ce type de climat apparaît sur la partie septentrionale de notre zone d’étude, du Sénégal au Soudan.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : DESCRIPTION DU MILIEU ET PRÉSENTATION DES DONNÉES DE L’ÉTUDE
1. Présentation de la zone d’étude
1.1. Aspects climatiques
1.1.1. Unités climatiques
1.1.2. Précipitations
1.1.2.1. À l’échelle interannuelle
1.1.2.2. À l’échelle saisonnière
1.1.3. Autres paramètres climatiques
1.2. Aspects géomorphologiques
1.2.1. Relief
1.2.2. Géologie
1.2.3. Sols
1.2.4. Végétation
1.3. Régimes hydrologiques
1.4. Aspects socio-économiques
1.5. Choix des sous-bassins
2. Constitution de la banque de données
2.1. Choix de l’échelle spatio-temporelle
2.2. Données hydrologiques
2.2.1. Sources
2.2.2. Critique et comblement des lacunes
2.2.2.1 Élimination des données douteuses
2.2.2.2. Méthodes de reconstitution
2.2.2.2.1. Valeurs journalières
2.2.2.2.2. Valeurs mensuelles
2.2.2.2.3. Cas particuliers : les étiages
2.2.2.3. Données hydrologiques du bassin versant de la Gambie
2.2.2.4. Données hydrologiques du bassin versant du Sénégal
2.2.2.5. Données hydrologiques du bassin versant du Sassandra
2.2.2.6. Données hydrologiques du bassin versant du Logone-Chari
2.3. Constitution des grilles de données spatialisées
2.3.1. Construction des grilles de pluies
2.3.1.1. Données du CRU (Climatic Research Unit)
2.3.1.2. Données de l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement)
2.3.2. Construction des grilles d’évapotranspiration
2.3.2.1. ETP Penman (PEN)
2.3.2.2. ETP Penman-Monteith (FAO)
2.3.2.3. ETP Thom et Oliver (TO)
2.3.3. Construction des grilles » sols »
2.3.3.1. Données FAO
2.3.3.2. Données Saxton
2.3.3.3. Données CRU
2.4. Synthèse sur la disponibilité des données
3. Conclusions : vulnérabilité de l’Afrique de l’Ouest et Centrale face aux variations climatiques
CHAPITRE 2 : CARACTÉRISATION DE LA VARIABILITÉ HYDROCLIMATIQUE EN AFRIQUE DE L’OUEST ET CENTRALE
1. La circulation atmosphérique tropicale
1.1. Éléments majeurs de la circulation atmosphérique au-dessus des régions étudiées
1.1.1. Les alizés
1.1.2. La mousson
1.1.3. La Zone de Convergence InterTropicale
1.2. Circulation atmosphérique et conditions hydroclimatiques
2. Analyse climatique diagnostique de la variabilité hydroclimatique de l’Afrique de l’Ouest et Centrale
2.1. Les réanalyses de données atmosphériques
2.1.1. Présentation des données de réanalyses
2.1.2. Diagnostic de la fiabilité des données de réanalyses NCEP/NCAR
2.1.2.1. Période homogène en Afrique Tropicale : 1968-1998
2.1.2.2. Paramètres atmosphériques les plus fiables
2.1.2.3. Cas des précipitations
2.1.2.4. Résolution temporelle et échelle spatiale
2.2. Mousson ouest africaine et hydrologie de surface
2.2.1. Définitions des outils diagnostiques
2.2.1.1. Détermination des structures de variabilité
2.2.1.2. Les analyses composites
2.2.2. Hydrologie et champs météorologiques
2.2.2.1. Géopotentiel à 1000 hPa
2.2.2.2. Vitesse verticale à 400 hPa
2.2.2.3. Eau précipitable
2.2.2.4. Vitesses des vents à 925 hPa (composantes zonales et méridiennes)
2.2.2.5. Flux de grande longueur d’onde
2.2.2.6. Analyses des composites
2.3. Dynamique atmosphérique en relation avec les anomalies hydrologiques
3. Approches statistiques et analyses des séries pluviométriques et hydrologiques
3.1. Méthodologie mise en œuvre
3.1.1. Utilisation d’indices pluviométriques
3.1.2. Tests statistiques de détection de rupture
3.1.2.1. Test de Pettitt
3.1.2.2. Statistique U de Buishand
3.1.2.3. Procédure bayésienne de Lee et Heghinian (1977)
3.1.2.4. Procédure de Segmentation de Hubert
3.1.3. Calcul des variations moyennes
3.1.4. Tests de permutation
3.2. Caractérisation d’une variabilité des pluies annuelles
3.2.1. Calcul des indices
3.2.2. Examen de l’homogénéité des séries
3.2.3. Test de permutation
3.2.4. Conclusions sur la variabilité des pluies annuelles entre 1970 et 2000
3.3. Caractérisation d’une variabilité des écoulements annuels
3.3.1. Examen de l’homogénéité des séries
3.3.2. Test de permutation
3.3.3. Conclusions sur la variabilité des écoulements annuels entre 1970 et 2000
4. Conclusions : modifications de la dynamique de la mousson ouest-africaine et persistance de la sécheresse
CHAPITRE 3 : LA MODÉLISATION PLUIE-DÉBIT : ÉVALUATION D’UN OUTIL POUR ÉTUDIER L’IMPACT DU CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR LES RESSOURCES EN EAU
1. Choix d’un type de modélisation : avantages et limites
2. Présentation des modèles
2.1. Le modèle GR2M
2.2. Le modèle WBM (Water Balance Model)
2.3. Principe d’application des modèles
3. Protocole d’identification et d’analyse des paramètres
3.1. Fonction objectif ou critère d’optimisation
3.2. Coefficients d’appréciation du bilan volumique
3.3. Méthodes numériques d’optimisation
3.3.1. Principe de la méthode de Rosenbrock (1960)
3.3.2. Principe de la méthode de Nelder et Mead (1964)
4. Phase de calage
4.1. Analyse de l’influence du point de départ
4.1.1. Analyse des paramètres calés
4.1.2. Analyse des performances : comportement de la fonction critère
4.2. Identification des options optimales de modélisation
4.2.1. Meilleure combinaison de données d’entrée
4.2.2. Meilleure « période » de calage/validation
4.3. Analyse de la sensibilité des modèles aux paramètres
4.3.1. Calage/validation des modèles GR2M et WBM
4.3.2. Sensibilité des modèles aux paramètres en terme de performance de la fonction objectif
4.3.3. Sensibilité des modèles aux paramètres en terme de bilans volumiques
4.3.4. Conclusions sur la sensibilité des modèles aux paramètres
4.4. Analyse de la sensibilité des modèles aux données d’entrée
4.4.1. Sensibilité des modèles aux erreurs relatives de précipitations
4.4.2. Sensibilité des modèles aux erreurs relatives d’ETP
4.4.3. Sensibilité des modèles aux erreurs relatives de WHC
4.4.4. Conclusions sur la sensibilité des modèles aux données d’entrée
5. Protocole de calage pour tous les bassins étudiés
5.1. Description du protocole
5.2. Présentation des résultats
5.2.1. Calage-validation du modèle GR2M
5.2.2. Calage-validation du modèle WBM
5.3 Comparaison des modèles GR2M et WBM
6. Conclusions : performance et robustesse des modèles hydrologiques étudiés
CONCLUSION