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Couplage C‒C à partir du CO2
Le CO2 est une molécule inerte d’un point de vie thermodynamique et cinétique cependant, elle n’est pas complètement dénuée de réactivité. Cette petite molécule possède un carbone électrophile et peut ainsi réagir avec un nucléophile pour former un anion carboxylate.
Le seul exemple de l’utilisation industrielle du CO2 pour une formation d’une nouvelle liaison C–C est la synthèse de Kolbe-Schmitt. Ce procédé, connu depuis 1860, permet la synthèse de l’acide salicylique par carboxylation du phénol sous une pression de 100 bar de CO2 à 125 °C, en présence d’une base (Schéma I-1).[6] Cette réaction génère annuellement près de 60 000 tonnes d’acide salicylique.
Différents types de nucléophiles ont une réactivité adéquate pour réagir avec le CO2. Tout d’abord, le CO2 peut réagir avec des nucléophiles insaturés (alcènes, alcynes, systèmes conjugués, etc.) pour y greffer une fonction acide (Schéma I-2, éq. 1).[8] A cette fin, un catalyseur métallique est nécessaire. La difficulté de ses réactions réside dans la décoordination du carboxylate du centre métallique et la régénération du catalyseur. Pour cela, une quantité stœchiométrique d’une espèce oxophile réductrice (Red = ZnR2, AlR3, etc.) peut être rajoutée.[9] En présence d’un donneur d’hydrure, l’hydrocarboxylation permet de réduire une insaturation et de former un dérivé carboxylique (Schéma I-2, éq. 2).[10] Dans le cas de l’utilisation du dihydrogène, le CO2 peut être réduit en CO, avec l’aide d’un catalyseur convenable (Schéma I-3). Ainsi, une stratégie d’activation du CO2 est sa réduction in situ en CO. Etant plus réactif, le CO suivra ensuite un chemin réactionnel pour former des acides carboxyliques.[11]
Avec des catalyseurs organométalliques appropriés, l’activation des liaisons C–H d’hétérocycles aromatiques[12] ou d’alcynes[13] permet l’insertion du CO2 et la formation d’acides carboxyliques, sans réduction de l’insaturation (Schéma I-2, éq. 3). Certains halogénures d’aryles peuvent, par addition oxydante sur un centre métallique, générer un composé [M]–aryle, capable d’incorporer le CO2 (Schéma I-2, éq. 4).[9a]
Finalement, le CO2 peut aussi réagir successivement avec une espèce nucléophile organométallique et une espèce électrophile (Schéma I-2, éq. 5). L’addition du nucléophile organométallique sur le CO2 génère le carboxylate qui dans une deuxième étape réagit avec un électrophile pour produire un acide carboxylique (R1 = H) ou un ester (R1 = alkyle) (Schéma I-4).[14] Selon la force du nucléophile, un catalyseur métallique peut être nécessaire.
La réactivité du CO2 vis-à-vis des nucléophiles forts tels que les organomagnésiens ou les organolithiens a été abondamment explorée.[15] Cependant, ces réactifs nécessitent des conditions strictement inertes et sont peu tolérants vis-à-vis de nombreux groupements fonctionnels. Dans le but de dépasser ces limites, des nucléophiles plus doux, tels que les organoboranes,[16] les organostannanes[17] ou les organozinciques[18] ont été employés et leur couplage avec le CO2 a permis la synthèse d’acides carboxyliques, avec une bonne tolérance aux groupements fonctionnels (alcène, alcool, éther, ester, halogène, nitrile, nitroso…). L’utilisation de ses nucléophiles nécessite un catalyseur métallique. La réaction de couplage direct entre les nucléophiles évoqués et l’électrophile étant plus compétitive, la réaction de synthèse des esters, en une étape, à partir du CO2 reste peu réalisée (Schéma I-5).
Sur l’ensemble des nucléophiles organométalliques/organométalloïde carbonés, les organosilanes sont les moins toxiques, les plus stables et les plus faciles à synthétiser et à utiliser (Introduction générale, P.7). La faible différence d’électronégativité entre le silicium et le carbone induit une liaison C‒Si faiblement polarisée et par conséquence, une plus faible nucléophilie.[19] Ainsi, l’utilisation des organosilanes est compatible avec la présence de l’électrophile dans le milieu ainsi qu’avec la présence de groupements fonctionnels. Les couplages d’organosilanes exigent cependant, souvent une activation externe, afin d’accroître la polarisation de la liaison C‒Si.[20] Ainsi, le couplage d’un organosilane avec le CO2 nécessite l’activation soit du CO2, soit de l’organosilane, étant donné l’inertie relative de ces deux réactifs.
La littérature présente divers exemples d’accès aux dérivés d’acides carboxyliques à partir du CO2 et d’organosilanes. Pour ces réactions, deux modes d’activations sont rapportés : d’une part, l’activation de l’organosilane par un anion fluorure, d’autre part, l’activation du CO2 par un acide de Lewis.
État de l’art sur les réactions de couplage des organosilanes avec le CO2
Couplage d’organosilanes avec le CO2 en présence d’ions fluorures
Couplage d’organosilanes aliphatiques avec le CO2 en présence d’une source d’ions fluorures
Diverses réactions de synthèse d’acides carboxyliques aliphatiques à partir d’alkylsilanes et du CO2 en présence d’une source d’anions fluorures sont décrites dans la littérature. Le premier exemple, datant de 1991, est la synthèse d’acides cyanocyclopropanoïques par couplage du CO2 avec des cyclopropanes silylés activés par des anions fluorures (Schéma I-6, éq. 6).[21] Cette réaction a été possible grâce au rôle activateur du groupement nitrile. En effet, étant électroattracteur par effet inducteur, le nitrile stabilise la charge négative sur le cyclopropane. Un autre exemple de couplage de chaîne alkyle préactivée avec le CO2 en présence d’anions fluorures est la synthèse d’acides carboxyliques à partir du CO2 et des perfluoro(triméthyl)silanes. Ces nucléophiles ont pu être utilisés à deux reprises : le premier exemple date de 2002 et décrit la synthèse d’acide trifluoroacétique et d’acide pentafluoropropionique, avec des rendements quantitatifs, à partir des perfluoro(triméthyl)silanes correspondants et du CO2 (Schéma I-6, éq. 7)[22] ; le deuxième, développé quelques années plus tard par l’équipe de Yagupolskii est le couplage du 2- (hétéroaryl)tétrafluoroéthyl(triméthyl)silane et du 2-(hétéroaryl)-1-chlorotrifluoroéthyl(triméthyl)silane avec le CO2 (15 bar) et la synthèse des deux acides carboxyliques correspondants (Schéma I-6, éq. 8).[23] Malgré ces quelques exemples prometteurs, ce type de réaction est encore peu exploré.
Plus récemment, l’équipe de Sato a développé trois réactions de couplage de carbones sp3 provenant d’organosilanes avec le CO2 pour la synthèse de carboxylates, par activation de la liaison C‒Si par des anions fluorures. Sa stratégie est différente des exemples précédents et emploie des alkylsilanes portant un groupement activateur en position α qui facilite la rupture de la liaison C‒ Si. Tout d’abord, en 2012, cette équipe a mis au point la réaction de couplage du benzyl(triéthyl)silane avec le CO2 en présence d’une source de fluorures (CsF) (Schéma I-7, éq. 9).[24] En 2014, elle a montré que divers α-siloxysilanes subissent une carboxylation par CO2 via un réarrangement de Brook (Schéma I-7, éq. 10).[25] Seize esters ont donc été synthétisés avec des rendements atteignant 97 %. L’étape clé de cette réaction est la formation d’un anion vrai en α du siloxane, capable de réagit avec le CO2 électrophile. Dans la même année, sur le même principe d’utilisation des alkylsilanes activés en α, la même équipe a finalement mis au point la carboxylation d’α-N-sulfonamidesilanes chiraux par conservation de la stéréochimie, permettant d’obtenir des amino acides dans des rendements variant de 78 à 85 % (Schéma I-7, éq. 11).[26]
Couplage d’organosilanes insaturés avec le CO2 en présence d’ions fluorures
Dans la littérature, quelques transformations d’organosilanes insaturés en acides carboxyliques ou en esters, suite à leur réaction avec CO2 sont rapportées. Mais tout comme le cas des alkylsilanes, les réactions ne sont favorables que dans le cas d’une force motrice externe ou de réactifs spécifiques préactivés. De façon surprenante, le seul exemple de carboxylation de simples arylsilanes par le CO2 date de 1985, quand Effenberger et Spiegler ont rapporté que le 2-nitro et le 2-chloro(triméthyl)silane forment 76 % du dérivé d’acide benzoïque correspondant, lors de leur réaction, à 80 °C, sous une pression de 50 bar de CO2 et en présence d’un équivalent de fluorure (KF ou CsF) (Schéma I-8, éq. 12).[27]
En 2013, l’équipe de Kondo a développé la carboxylation des alcynes silylés dans des conditions douces et les acides carboxyliques correspondants ont été obtenus, en 3 h à température ambiante, avec des rendements atteignant 98 % (Schéma I-8, éq. 13). Cet exemple est le premier à profiter de la tolérance des organosilanes aux groupements fonctionnels et démontre une compatibilité avec une fonction éther, ester, alcool, halogénure, nitrile ou encore nitroso sur le groupement aromatique.[28] Deux ans plus tard, le groupe de Yamada a combiné l’activation de l’addition d’un anion fluorure avec un catalyseur d’argent pour synthétiser des lactones à partir de dérivés de triméthyl(2-méthylenebut-3-ynyl)silane (Schéma I-8, éq. 14).[29] Suite à la carboxylation de l’allylsilane, une cyclisation sur la triple liaison permet d’obtenir la furanone ou la pyrone. Finalement, la réaction qui a précédé ces travaux de thèse est la réaction mise au point au laboratoire d’accueil, par Dr. Xavier Frogneux, de synthèses d’esters picoliniques en une étape à partir des 2-(triméthylsilyl)pyridine, du CO2 et d’un électrophile en présence d’un équivalent du TBAT comme la source d’anions fluorures (Schéma I-8, éq. 15).[30]
La comparaison des pKa des aromatiques permet de quantifier la force de leur liaison avec le groupement silylé. A titre d’exemple, le pKa du benzène (44,7) est bien plus élevé que celui du nitrobenzène (36,2), de la pyridine (41,0) ou du benzyle utilisé par l’équipe de Sato (30,0)
Couplage d’organosilanes avec le CO2 en présence d’un acide de Lewis
Il a déjà été établi que des aromatiques peuvent être carboxylés par le CO2 avec l’aide d’un acide de Lewis.[31] En effet, le CO2 appauvri par la coordination d’un acide de Lewis, substitue le centre aromatique suivant un mécanisme de substitution électrophile aromatique (SEAr). Les rendements demeurent cependant faibles. L’équipe de Hattori a suggéré l’utilisation d’un additif silylé pour promouvoir la réaction de carboxylation d’aryles et d’hétéroayles avec le CO2 via un intermédiaire silylé augmentant ainsi les rendements (Schéma I-9, éq. 16).[32] Cette stratégie connait cependant des limitations puisqu’elle nécessite des pressions élevées de CO2 et par conséquence, un matériel adéquat (un système d’autoclave) et s’est avérée peu sélective produisant ainsi plusieurs produits de couplage pour les aromatiques asymétriques.
Réflexions et résultats préliminaires
Les réactions de valorisation du CO2 utilisant les organosilanes décrites dans la littérature sont donc souvent restreintes à l’utilisation de réactifs silylés préactivés très spécifiques ou nécessite une pression de CO2 élevée. Ces travaux de thèse ont porté sur la recherche d’une synthèse d’alkyles benzoates, en une étape, par carboxylation de simples arylsilanes, dans des conditions douces (une faible température et 1 bar de CO2). Les organosilanes présentent, à cet égard, plusieurs avantages (Introduction générale, P.7) mais leur utilisation est un défi. En effet, leur faible nucléophilie permet la présence d’un électrophile dans le milieu mais exige une activation supplémentaire, soit par des anions fluorures soit par des anions alcoolates.[33] Nous souhaitions donc mettre en place la formation d’une liaison C‒C à partir du CO2 où l’atome de carbone se lierait à un groupement aryle provenant d’un arylsilane et l’atome d’oxygène se fixerait à un groupement alkyle provenant d’un halogénoalcane électrophile, formant ainsi un ester (Schéma I-10, éq. 17).
L’activation d’un organosilane tétracoordiné par un anion fluorure et la formation de l’organosilicate pentavalent comme intermédiaire réactif pour l’insertion du CO2 a largement été explorée au laboratoire. Elle a montré son efficacité dans le cas de la réaction de synthèse des esters picoliniques à partir de la 2-(triméthylsilyl)pyridine, du CO2 et d’un électrophile (Schéma I-11).[30] La réaction de couplage entre le (triméthyl)phénylsilane (1), le CO2 et le 1-iodopropane, dans les mêmes conditions que pour la 2-(triméthylsilyl)pyridine, ne montre cependant, aucune trace du benzoate d’alkyle (3).
Afin de comprendre les raisons de cette absence de réactivité, l’étape limitante du chemin réactionnel proposé doit être identifiée. La réaction de couplage du (triméthyl)phénylsilane (1a) avec le CO2 et le 1-iodopropane en présence d’une source de fluorures pourrait procéder selon le Schéma I-12. Tout d’abord, l’addition nucléophile de l’anion fluorure sur le silicium permet la formation de l’organosilicate pentavalent activé, qui libèrera l’anion aromatique. Ce dernier réagit ensuite le CO2 formant ainsi, le carboxylate qui, à son tour, réagit avec l’électrophile pour générer le benzoate d’alkyle 3.
Dans le but d’identifier l’étape limitante du chemin réactionnel proposé, des calculs mécanistiques ont été menés. La première étape, à savoir le transfert de l’anion fluorure de SiMe3F2‒ (mimant la réactivité de Ph3SiF2‒ utilisé expérimentalement) à 1a, exige d’atteindre un premier état de transition (TS1) à 23,8 kcal.mol-1, pouvant représenter une barrière difficilement franchissable. Afin de réduire cet écart énergétique, 1a est remplacé par le (triéthoxy)phénylsilane (1e) dont les groupements éthoxys appauvrissent le centre silylé, facilitant ainsi l’addition nucléophile de l’anion fluorure. Cependant, bien que l’énergie du TS1 diminue jusqu’à 9,26 kcal.mol-1 par rapport aux réactifs, expérimentalement, aucune trace de 3 n’est observée lorsque 1a est remplacé par 1e (Schéma I-11).
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Table des matières
Introduction générale
1. Chimie verte et ses principes
2. Réactions de couplage : un défi pour la chimie verte
3. Les organosilanes : des nucléophiles de choix
4. Avantages de l’utilisation du CO2 et du SO2
5. Présentation du projet : nouvelles réactions de couplages des organosilanes pour la synthèse d’esters à partir du CO2 et de sulfones à par
6. Références
Partie I – Valorisation du CO2 par couplage C‒C avec des organosilanes
Chapitre 1 : Couplage C‒C entre un organosilane et le CO2, études préliminaires et preuve de concept
1.1. Introduction
1.2. Couplage C‒C à partir du CO2
1.3. État de l’art sur les réactions de couplage des organosilanes avec le CO2
1.4. Réflexions et résultats préliminaires
1.5. Complexe CuI‒Aryl : un intermédiaire réactif pour le couplage d’arylsilanes avec le CO2
1.6. Conclusion et perspectives
1.7. Références
Chapitre 2 : étude expérimentale et théorique de la réaction de transmétallation entre un arylsilane ou un arylsilicate et un complexe de typ
2.1. Introduction
2.2. Etude de la transmétallation entre un phénylsilane et un complexe de cuivre(I) dans la littérature
2.3. Présentation du projet et choix des réactifs utilisés pour cette étude
2.4. Etude expérimentale et théorique de la transmétallation entre un phénylsilane et un complexe de type (IPr)CuX
2.5. Etude expérimentale et théorique de la transmétallation entre un organosilicate pentavalent et (IPr)CuX
2.6. Conclusion et perspectives
2.7. Références
Chapitre 3 : synthèse d’arylesters à partir d’aryl(trifluoro)silanes, du CO2 et d’iodoalcanes, catalysée par (IPr)CuF
3.1. Introduction
3.2. Régénération de (IPr)CuF dans le mélange réactionnel
3.3. Synthèse et réactivités des (trifluoro)organosilanes
3.4. Synthèse d’esters à partir d’arylsilanes et du CO2
3.5. Mécanisme de la réaction de couplage d’un aryl(trifluoro)silane avec le CO2 et un électrophile, catalysée par (IPr)CuF en présence de fl
3.6. D’autres essais catalytiques
3.7. Conclusion et perspectives
3.8. Références
Partie II – Accès direct aux sulfones à partir du SO2 et d’organosilanes
Chapitre 1 : synthèse des sulfones à partir du SO2
1.1. Caractéristiques et applications des composés sulfonyles
1.2. Stratégies de synthèse des sulfones
1.3. État de l’art de la synthèse des sulfones et des sulfonamides directement à partir du SO2
1.4. Présentation du projet
1.5. Références
Chapitre 2 : accès direct aux sulfones à partir d’un nucléophile silylé, du SO2 et d’un électrophile halogéné
2.1. Introduction de la stratégie générale
2.2. Synthèse d’arylsulfones à partir d’arylsilanes et du SO2
2.3. Rationalisation théorique des résultats expérimentaux
2.4. Synthèse de phénylsulfones par insertion du SO2 entre un phénylsilane et un halogénoalcane
2.5. Synthèse des sulfonamides à partir du SO2
2.6. Conclusion et perspectives
2.7. Références
Chapitre 3 : couplage de Hiyama sulfonylant
3.1. Chronologie de la mise en place du couplage d’Hiyama et ses variantes
3.2. Conditions optimisées pour le couplage d’Hiyama sulfonylant
3.3. Propositions d’éléments de mécanisme
3.4. Conclusion et perspectives
3.5. Références
Conclusion et perspectives
1. Conclusion et perspectives de la partie I
2. Conclusion et perspectives de la partie II
Partie expérimentale
1. Considérations générales
2. Partie expérimentale de la partie I : valorisation du CO2 par couplage C‒C avec des organosilanes
3. Partie expérimentale de la partie II : accès direct aux sulfones à partir du SO2 et d’un organosilane
4. Références
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