La notion de la colonisation
Le terme « colonisation » puise sa sémantique de l’étymon latin « colonia » voulant dire « cultiver ». Cette conception apparue dans la Grèce antique Vers-1800 avant J-C n’a plus aucun lien avec celle de l’esprit actuel. Si dans l’esprit grec, la colonisation signifie exploitation des richesses de terre inhabitée, la colonisation d’aujourd’hui est une pure exploitation de la richesse des autres. Ceci dit, il nous convient de considérer en exemple la réalité de la langue malgache sous la colonisation à Madagascar. Tout d’abord, sur le plan de l’enseignement, l’année 1818 époque de la royauté de Radama I, a vu l’ouverture de la première école élémentaire de Madagascar à Manangareza sous l’installation de la London missionary society. Par après, ont suivie la création d’autres établissements tels que l’école du palais, l’école des jeunes filles, le Normal school pour les jeunes filles à Antananarivo, pour les garçons à Fianarantsoa, le « girls central school » formant les enseignants, le « medical missionary academy » qui célébra la sortie de sa première promotion formée de huit premiers médecins malgaches en 1886.
En dépit de leur pouvoir, ces missionnaires n’ont dédaigné la langue malgache. Les enseignements considéraient la langue locale: les journaux, les ouvrages religieux et les manuels scolaires étaient tous publiés en langue malgache. Ce qui eut d’ailleurs comme conséquence considérable la propagation du dialecte merina dans tout le pays. A partir du 06 août 1896, date de la promulgation de la loi votée par le parlement français (le 20 juin 1896) confirmant l’annexion de Madagascar en tant qu’une colonie française, le statut de la langue malgache fut changé. En effet, la présence d’institution scolaire dont la langue d’enseignement est le français a contribué à la dévalorisation de la langue malgache d’autant plus que des lois sont promulguées contre la primauté de la langue malgache en territoire malgache. La différence entre la colonisation grecque et la colonisation occidentale étant ressortie, nous remarquons que la colonisation occidentale met en scène deux principaux types de personnages: Le colonisé et le colonisateur.
Analogie entre les végétaux et le peuple malgache
Les plantes n’ont jamais cessé de semer une passion ardente voire à la folie dans la nature humaine. Elles sont pour la plupart du temps l’incarnation du beau qui selon E. Kant se conçoit comme « le symbole du bien moral, et que c’est seulement à ce titre qu’il plaît, et qu’il prétend à l’adhésion de tous23 ». A chaque époque, à chaque milieu sa nature végétale ou son jardin. Leur fonction et leur symbolique y sont viscéralement liés. Par ailleurs, outre les symboles spécifiques qu’elles expriment selon les milieux, les plantes transmettent également des symboles conçus universellement. Dans cette perspective nous pouvons esquisser une symbolique des plates convoquées par l’œuvre. La rose évoque la beauté et la fragilité est symbole de l’amour et la virginité. Le lys symbolise la pureté, l’innocence, l’union, elle symbolise également la virginité. Elle a cette spécificité de croître dans les eaux et d’être réservé plutôt à la nature enfantine. L’orchidée, originaire de la Chine, symbolise avant tout la vertu et la fertilité.
Chez les Chinois elle était associée aux fêtes de printemps pour évacuer les influences malfaisantes. Aujourd’hui encore, elle est le symbole de la perfection, de la sagesse, de la pureté spirituelle, de la simplicité, de la ferveur, de l’amour pur, du courage. Les asiatiques vont jusqu’à lui attribuer une valeur alimentaire d’une esthétique spirituelle. L’orchidée est aussi le symbole de la fécondation en ce sens qu’elle représente le sexe idéalisé de la femme ainsi qu’une partie du sexe de l’homme à travers le sens du segment «orchis » qui désigne une partie du sexe mâle. Autrement dit, l’orchidée est le symbole de la perfection de l’androgynie primordiale. Le poète est donc à la quête de ce paradis perdu. L’héliotrope symbolise la lumière et représente l’amour, mais, il est également le symbole de l’amitié et de la confiance. Les feuilles évoquent pour leur part la simplicité. Elles portent le symbole du bonheur et de la prospérité. Les fleurs symbolisent d’une manière appropriée la jeunesse ainsi que l’épanouissement de la nature.
Ainsi, la métaphore habituelle: Madagascar fleur de lys, a pour mission de rappeler cet état de perfection initiale dégradée par la colonisation, en même temps qu’elle évoque la renaissance de l’Afrique insulaire, après séparation du continent, dans l’océan indien. Au lieu d’être un épanouissement dans la diversité, l’emprise coloniale fait de Madagascar une île de souffrance comme le souligne le passage suivant: « Quelqu’un soudain s’est emparé de la vase où rêve à peine éclose La belle rose du matin, la dédicace à mon bonheur ». (Ant.8) D’autant plus que les richesses que regorge le territoire ne passent guerre inaperçue au regard des étrangers. Le poète prendra conscient de cette réalité: « Ce soir même, ce soir, pas plus tard que ce soir, Ils ont troqué comme le gras d’un jambon du Zoma Tout l’or fabuleux de l’Ankaya, toutes les perles ». (Ant.11) La colonisation à Madagascar a été un objet de conquête très considérable parmi tant d’auteurs conquêtes étrangères. Nous pourrions citer parmi ces conquêtes l’implantation des missionnaires britanniques qui ne se limitait pas seulement au rôle d’éducateur qui leur été dévolu mais faisait des conversions.
C’est ce qui a conduit la reine Ranavalona I à les expulser hors de l’île. Certes, la puissance française en s’installant promettait le développement de la classe sociale malgache à tous les niveaux jointe à l’application des droits de l’homme et du citoyen. Rendant compte du contexte de cette époque Jacques RABEMANANJARA proclamait : « Plus d’un observateur s’est laissé prendre au silence des masses malgaches. Le calme, le sourire auxquels les hommes doux accueillent l’interminable monologue de la France n’équivalaient-ils pas une acceptation heureuse de leur sort ! Voici que la France engage un début de dialogue : elle daigne les autoriser à tâter les urnes ! Avec leur simplicité d’enfants, ils révèlent aussitôt le secret de leurs âmes (…)» Ce qui veut dire que la colonisation avance masqué sous le signe du développement alors qu’en réalité elle n’a fait que piller la richesse du peuple malgache et détruire sa culture. En effet, étant donné la dichotomisation en espèces animale et végétale opérée par l’œuvre, nous pouvons suivre l’évolution de la dégradation par la colonisation. Si avant, en Europe, l’individu noir représentait d’abord le noir (en tant que couleur), par la suite il fut devenu par sa couleur l’archétype de la négativité: « L’ombre, les ténèbres, la nuit, les labyrinthes de la terre, les profondeurs abyssales, noircir la réputation de quelqu’un; et de l’autre côté: Le regard clair de l’innocence, la blanche colombe de la paix, la lumière féerique, paradisiaque. Magnifique enfant blond, que de paix de cette expression…
En Europe, c’est-à-dire dans les pays civilisés, le nègre symbolise le pêcher, le mal, le bourreau c’est l’homme noir, Satan est noir, on parle de ténèbres, quand ont est sale ont est noir que cela s’applique à la saleté physique ou à la saleté morale. Le nègre, soit concrètement soit symboliquement représente le mauvais côté de la personnalité. Il est l’archétype des valeurs inférieurs». De la manière dont RABEMANANJARA identifie le monde occidentale à l’espèce animale et le monde malgache à l’espèce végétale, il prend exactement le contre-pied de cette vision qui avilit le Noir. Nous avons vu effectivement que le monde animal est sous le signe de la prédation et de la méchanceté tandis que le monde végétal se présente sous le signe de la paix, de la beauté et de l’innocence. Parmi cette prédation et cette méchanceté des blancs s’inscrit le problème de la langue.
La mesure prise par le général Gallieni est très explicite à ce niveau. Nul malgache ne pourrait être pourvu d’un emploi public s’il ne parlait et écrivait le français. Les inscriptions très fermes dans la circulaire du 05 octobre 1876 tendant à assurer la suprématie si absolue de la langue et de la culture française déclaraient: « Madagascar est devenue aujourd’hui une terre française (…) vous ne devez jamais perdre de vue que la propagation de la langue française dans notre nouvelle colonie par tous les moyens possibles et l’un des plus puissants éléments d’assimilation que nous ayons à notre disposition et que tous nos efforts doivent être dirigés dans ce but ». Le comble est que par la suite la langue malgache fut classée étrangère au même titre que le russe ou l’espagnol. Le recueil dénonce vigoureusement cette assimilation au-delà même de la timidité de l’affirmation suivante: « L’expansion perd immédiatement sa notion acceptable au moment précis ou l’on s’en sert pour désigner la pression violente qu’un peuple plus fort entend exercer sur un autre 27». C’est en vertu de cette violence injustifiée et qui va à l’encontre de la cohabitation pacifique que le poète évoque la souillure des meubles.
Une souillure s’analyse comme la présence d’un corps étranger sous le signe de l’impureté et non sous le signe de l’alliance. Le recueil reconnaît la vigueur et la cruauté de l’occupation étrangère vis-à-vis de l’innocence. En définitive, s’il faut se rappeler que personnage veut dire en grec « masque », on comprend alors pourquoi RABEMANANJARA assimile les Français à des animaux prédateurs et les Malgaches à des fleurs fragiles. De ce rapport entre la fragilité fleurs et la violence des prédateurs, nous retrouvons la consigne de RIFFATERRE selon laquelle : « La véritable signifiance du texte réside dans la cohérence de ses références de forme à forme et dans le fait que le texte répète ce dont il parle en dépit des variations continues dans la manière de le dire »28. Ainsi, la dénonciation dessinent deux personnages antagonistes: les fleurs avec leur fragilité, leur innocence, leur beauté et leur spiritualité d’un côté, et, les animaux sauvages, avec leur férocité, leur brutalité, leur cupidité de l’autre. De ce point de vue la négritude de RAMBEMANJARA est un engagement vers la suppression de toute forme de violence, de toute forme d’oppression en vers le faible pour faire triompher le droit à l’existence, le droit à la négritude: « S’engager de plus en plus dans sa seule tâche vraiment actuelle, qui est de faire passer la collectivité à la réflexion et à la médiation: ce travail voudrait être un miroir à infrastructure progressive, on pourrait se retrouver le nègre en voie de développement29 ».
Le poète : incarnation des statuts sociaux
N’étant plus reconnu sous le statut d’une littérature à titre d’amusement, de divertissement et de distraction mais sous le statut d’une littérature comme éthique formelle créée objectivement en vue « d’une destination sociale66 ». Née d’une circonstance, Antidote se révèle comme la représentante ou plus, l’incarnation de la situation sociale de la nation. « Inspiré, le poète a à se faire interprète ou à se nourrir de l’ambition de l’être interprète pour la nation. Il devient plus que son porte-parole: il en est la Voix. « Quelle plus noble mission par conséquent que celle-là ?affirme t-il Se savoir non plus seulement le messager, mais le message même de son peuple, son verbe vivant67! » Le poète n’est point le penseur inutile, il se remplit d’une mission sociale, déterminée et solidaire. Ceci dit, nous en pourrions citer que l’attestation de Paul Edouard faisant connaître que « le temps est venu; (…), où tous les poètes ont le droit et le devoir de soutenir qu’ils sont profondément enfoncés dans la vie des autres hommes, dans la vie commune68 ». Se rendant valable à ce geste particulièrement engagé, la fidélité pour un comportement poétique rabemananjarienne s’inscrira à travers le fait d’une confusion, d’une « interférence quasi-charnelle » des vécus réels du poète et de ceux de son peuple. Développant son image de citoyen torturé, incarcéré et condamné injustement dans « le manoir de la tristesse » (Ant.8), RABEMANANJARA projettera pathétiquement. Ces conditions historiques, politiques et psychologiques qui distinguent le pays, les conditions qui ont d’ailleurs été sources de l’éclosion de sa mission d’être un antidote.
C’est dans le cadre d’une pareille démarche à vocation où le comportement et les motivations les plus sensibles et les plus profondes du poète reposent sur la même essence de la pensée et de la constante volonté de son pays que J.P.Sartre précisera: « Par un bonheur exceptionnel, c’est en s’abandonnant en transe, en se roulant par terre comme un possédé en proie à soi-même, en chantant ses colères, ses regrets, ses détestations, en exhibant ses plaies, sa vie déchirée entre la civilisation et le vieux fond noir, bref en se montrant le plus lyrique que le poète noir atteint le plus sûrement, à la grande poésie collective: en ne parlant que de soi, il parle pour tous les nègres69. » Il y va de suite que, décrivant la situation qui le caractérise, le poète fera comprendre exclusivement la position que prend Madagascar au sein de la société coloniale. Le recueil exposera à l’occasion sa situation d’abattement et son croupissement sur son sort accablant: « Je mâche et remâche dans ma bouche amère L’os tendre et brisé de mon innocence » (Ant.36) Le pronom « je », n’étant pas accompagné d’un autre pronom « tu », « nous », affirme une dimension solitaire dans cet état où il explique la monotonie de la souffrance qu’il subit injustement. Toutefois, le désespoir de sa psychologie se révèle non seulement dans la cassure de sa tendre innocence, mais aussi dans la perdition de ses jeunes rêves, ses rêves de première saison: « Une âme triste à en mourir Où sont les rêves du printemps ?
Et cette âme triste à en mourir. (Ant.39) Les situations des faits qu’offre le poète à titre d’être solitaire en état d’innocence mêlée d’une profonde tristesse, s’assimilera sans réserve à la personnalité ainsi qu’à l’archétype de Madagascar mis à découverte à travers « la seule petite fille en pleure, qui s’accoude, face abîmée en rêves, Chaque soir, à la fenêtre du Sud. (…) » (Ant.16-17) Liant son sort à celui de son île (sœur), le poète tend à faire transparaître entre autre par son âme innocente, pure et candide l’image de son peuple qui a vu l’anéantissement de leur rêve à avoir été crédule aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité que les colonisateurs ont proclamé durant l’époque. (Les Occidentaux ont beau vanté ces principes avant d’en être les seules véritables traîtres et criminels). D’où le parallélisme entre le poète et l’île.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : POINT DE VUE DU POÈTE SUR LA COLONISATION
1.1. LE POETE ET L’HISTOIRE SOCIALE DE SON EPOQUE
1.1.1. PRISE DE CONSCIENCE DU POETE DES CONDITIONS HISTORIQUES DE SON PAYS
1.1.1.1. La notion de la colonisation
1.1.1.2. Etudes des personnages
1.1.1.3. Analogie entre les végétaux et le peuple malgache
1.1.2. UNIVERS SOCIAL
1.1.2.1. La colonisation: Destin mortel
1.1.2.2. Le personnage de Madagascar
1.2. SITUATION DE L’ŒUVRE
1.2.1. DÉNONCIATION LITTÉRAIRE
1.2.2. DEFIS LITTERAIRE
DEUXIÈME PARTIE : RAPPORT DE L’ŒUVRE AVEC LA SOCIÉTÉ
2.1. INTERACTION ENTRE LE POETE ET LA SOCIETE
2.1.1. LE POETE : INCARNATION DES STATUTS SOCIAUX
2.1.2. VISION GLORIEUSE DE L’INCANTATION POETIQUE
2.2. HUMANISME SOCIAL DE LA LITTERATURE
2.2.1. REJET DES SYSTEMES IDEOLOGIQUES NUISIBLES A LA SOCIETE
2.2.2. ADAPTATION DES VALEURS DE LA LITTERATURE AU MONDE ACTUEL
2.2.2.1. Appropriation des valeurs de la littérature au monde actuel
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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