Caractéristiques de la cohorte: données démographiques et épidémiologiques
300 MHR ont étés réalisées entre Mai 2012 et Mai 2016 (262 à Lille et 38 à Marseille). 26 examens ont été réalisés dans un contexte de suivi sans qu’il n’existe de symptômes nouveaux et n’ont donc pas été inclus. Trois patients ont été exclus car leurs dossiers n’étaient pas accessibles. Au total, 271 patients ont été inclus : 50 nourrissons (0-23 mois), 146 enfants (2-10 ans) et 75 adolescents (11-19 ans). L’ensemble des caractéristiques démographiques et des antécédents de nos patients est présenté dans le tableau 3. Il n’y avait pas de différence significative concernant le sexe (p=0,971) ni l’âge (p=0,591).
Données manométriques
Au total, 26 MHR étaient interprétées comme normales. 245 (90.4%) étaient anormales. Le trouble moteur œsophagien le plus fréquemment retrouvé était une hypomotricité œsophagienne chez 102 patients, suivi par des défauts de la relaxation de la JOG chez 19 patients et les anomalies majeures du péristaltisme chez 19 patients également puis l’achalasie chez 16 patients. Les troubles de la relaxation de la JOG comprennent l’achalasie de type 1, 2 ou 3 dont les plus fréquents étaient les types 1 et 2 ainsi que les défauts de relaxation de la JOG non classables en type 1, 2 ou 3 dont l’achalasie d’expression incomplète ou l’obstruction mécanique (achalasie post Nissen). Aucun patient ne présentait un profil manométrique en faveur d’un œsophage hyper contractile de type marteau piqueur
Discussion
Notre étude a montré que, parmi les différents signes cliniques étudiés, seul le retentissement pondéral était significativement prédictif d’une manométrie anormale dans notre population pédiatrique. A notre connaissance, cette étude inclut la plus grande cohorte d’enfants ayant eu une MHR. Il s’agit également de la première étude évaluant la valeur prédictive d’un signe clinique en faveur d’un trouble moteur œsophagien. En effet, les autres études évaluant la MHR chez l’enfant présentaient des effectifs allant de 35 à 137 patients pour la plus importante d’entre elles (14) (12). De plus, ces études évaluaient les aspects techniques de la réalisation et l’interprétation de l’examen (22) (21) (11) ou dans des pathologies spécifiques, en particulier l’achalasie (25) et l’atrésie œsophagienne (26). Notre population était hétérogène puisque les patients étaient inclus quelle que soit l’indication de la réalisation de la MHR. Les signes cliniques étudiés étaient validés par un groupe d’experts et semblables aux autres études réalisées antérieurement sur le sujet chez l’enfant (9) (11) (12). Dans notre étude, nous avons utilisé la Classification de Chicago pour l’interprétation des examens. Cependant celle-ci a été validée à partir de données recueillies chez des adultes sains (12) et pourrait ne pas être directement applicable chez l’enfant. Toutefois, sa fiabilité en pédiatrie a été démontrée (27). Singendonk et al. soulignent l’importance de l’interprétation de l’expert qui ne doit pas se fier seulement au diagnostic fait par le logiciel mais également interpréter lui-même le tracé manométrique. Dans notre étude, cela a été respecté compte tenu d’une interprétation par un professionnel expert des MHR. Nous n’avons pas cherché à faire des ajustements sur l’âge ou la longueur œsophagienne car il n’y a pas à l’heure actuelle de données validées adaptées chez l’enfant. Il n’existe pas de normes pédiatriques (28), cependant des tracés normaux ont pu être obtenus chez des nourrissons présentant des malaises graves (29) ce qui est en faveur du fait que des valeurs manométriques normales (selon les normes adultes) peuvent exister chez des nourrissons et par extrapolation, chez les enfants. Dans notre étude, les MHR étaient anormales dans la majorité des cas (90% dans notre étude) ce qui est conforme aux données de la littérature avec des anomalies présentes dans 55 à 80 % des cas sur des cohortes de plus petits effectifs (30) (12). Les rares manométries normales (26/271) reflètent la fréquence élevée des troubles moteurs œsophagiens chez l’enfant contrairement à ce qui est rapporté dans certaines études (9). Dans notre cohorte, 37,6 % des patients (n=102) présentaient un trouble moteur œsophagiende type hypomotricité (avec ou sans hypotonie du SIO) ce qui est concordant avec une étude récente réalisée sur 137 enfants aux Etats-Unis (12). Il est également le trouble moteur œsophagien le plus fréquemment rencontré chez l’adulte (31). Cette entité peut correspondre, selon une définition chez l’adulte, à une hypomotricité du corps de l’œsophage, à une hypotonie du SIO, ou aux deux associées (23). Sa signification clinique n’est cependant pas clairement connue (13). Bien qu’il existe peu de cas rapportés de progression vers des anomalies péristaltiques majeures (32), ces modifications peuvent être persistantes même après un suivi à long terme (33). Cette entité est à notre connaissance peu connue en pédiatrie. Chez l’adulte, ce profil manométrique est très fréquent chez les patients souffrant de RGO et est souvent rencontré dans la sclérodermie systémique, le diabète et l’hypothyroïdie (31). Dans la sclérodermie systémique, elle est secondaire à l’atteinte des fibres musculaires lisses et est à l’origine d’un risque augmenté d’EBO et d’adénocarcinome œsophagien (34) (35). Bien qu’il soit difficile d’extrapoler ces données à la pédiatrie nous pouvons supposer qu’un suivi clinique, manométrique et endoscopique serait à envisager dans ce contexte. Cependant, ce profil n’est pas spécifique et peut également être observé dans le cadre d’un simple RGO (9). Dans notre étude, la présence d’une hypomotricité était associée à un RGO chez 49,5% des patients (Cf. tableau 1 des données supplémentaires). Ce qui est concordant avec les données de la littérature (36) (1). Gyawali et al. (International GERD Consensus Working Group) ont décrit chez l’adulte les troubles moteurs associés au RGO pathologique comme une combinaison d’une dysfonction de la JOG et d’un trouble de la motricité du corps de l’œsophage (37). La place de la MHR en ce qui concerne l’exploration du RGO a été précisée dans une recommandation récente des sociétés Américaines (NASPGHAN) et Européenne (ESPGHAN) de gastro-pédiatrie. Elle est utile dans l’évaluation des signes extra-œsophagiens afin d’exclure un trouble moteur œsophagien dont les symptômes sont souvent similaires. En revanche, il n’existe pas de critère objectif pour soutenir son utilisation dans le diagnostic de RGO (17). Notre étude a démontré que l’existence d’un retentissement pondéral était associée significativement à une MHR anormale. C’est à notre connaissance la première fois que cette association est rapportée. Jain et al. ont rapporté des résultats similaires, dans une étude réalisée chez 154 adultes en 2017 avec une majorité de troubles mineurs de la motricité (33%) suivis des troubles majeurs (31%) et des manométries normales (30%). Cette étude ne mettait pas en évidence de corrélation entre les symptômes cliniques et le résultat de la manométrie (13). Chez l’enfant, une étude plus ancienne ne mettait pas non plus en évidence de corrélation entre les symptômes cliniques et les anomalies de la manométrie œsophagienne (36). Dans notre étude, aucun antécédent n’a été identifié comme associé de manière significative à une MHR anormale. Cependant, certaines pathologies sont connues pour être associées à des troubles moteurs : l’atrésie de l’œsophage (38) (39) (40) (26), les antécédents de hernie diaphragmatique opérée (41), l’œsophagite (42) et les atteintes neurologiques centrales (43). Nous ne pouvons cependant pas exclure l’existence de cette association même si elle n’est pas identifiée de manière significative dans notre étude. En effet le faible nombre de patients par catégories (AO : n=11, HD : n=5 ; Oesophagite n=5) pourrait expliquer ces résultats. Bien que la MHR soit un examen décrit comme invasif et douloureux par certains auteurs (9), dans notre cohorte, elle a été réalisée dans de bonnes conditions dans 91 % des cas et une interprétation a pu être réalisée dans 100%. Dans une étude de 2010, Goldani et al. rapportent un seul échec de réalisation de la MHR sur une cohorte de 31 enfants âgés de 6 mois à 15 ans (44). Ce point étant mal évalué dans la littérature, il semblerait intéressant d’étudier l’impact des difficultés de réalisation notamment en pédiatrie sur l’interprétation des tracés. Une des questions non résolues dans notre travail est l’absence d’identification d’œsophagite à éosinophiles. En effet, elle est une entité dont la prévalence actuelle serait d’environ 0.5 à 1 pour 1000 (45) soit 10 à 100 fois plus importante que la prévalence de l’achalasie (1/100 000 à 10/100 000 (46) (10) (1)). Dans la littérature, devant une dysphagie persistante de l’enfant cette étiologie domine largement (9). Cependant dans notre cohorte, nous ne retrouvons pas de diagnostic d’œsophagite à éosinophiles. Il est vraisemblable que cela soit lié au fait que les patients ayant eu une EOGD avec biopsies pour dysphagie, et chez lesquels une œsophagite à éosinophiles était diagnostiquée, n’ont pas été inclus dans notre travail. Dans notre étude, seulement 93 patients avaient bénéficié d’une EOGD avant la manométrie ce qui est surprenant dans nos pratiques actuelles et peut possiblement avoir méconnu certains diagnostics d’œsophagite à éosinophiles. Dans notre étude seulement 115 patients avaient bénéficié d’examens complémentaires (EOGD ou TODG) avant la MHR. Or, selon les recommandations, les examens à réaliser en première intention en cas de troubles digestifs hauts chez l’enfant sont : l’EOGD avec biopsies et selon les cas la pH-métrie et/ou le TOGD. En effet, devant des symptômes digestifs hauts et notamment devant une dysphagie, il est nécessaire d’éliminer une anomalie malformative ou organique de l’œsophage (œsophagite ou sténose œsophagienne) par la réalisation d’une EOGD. La manométrie œsophagienne doit être réalisée dans un deuxième temps afin de rechercher des troubles moteurs œsophagiens (47). Les limites de notre étude sont liées à son caractère rétrospectif ainsi qu’à l’absence d’EOGD systématique. Une étude prospective à plus grande échelle pourrait être intéressante afin de rechercher une association clinico-manométrique qui aiderait le clinicien à mieux définir la place de la MHR dans la pratique courante en pédiatrie en réalisant un score de prédiction clinique.
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Table des matières
I/ Introduction
II/ Matériels et méthodes
1. Patients
2. Signes cliniques évalués
3. Protocole de réalisation de la MHR
4. Interprétation et classes diagnostiques
5. Méthode statistique
6. Ethique et réglementation
III/ Résultats
1. Caractéristiques de la cohorte: données démographiques et épidémiologiques
2. Signes cliniques/ Indications de réalisation
3. Données manométriques
4. Valeurs prédictives, sensibilité et spécificité des signes cliniques et des antécédents sur le résultat de la MHR
5. Répartition des troubles manométriques chez les patients ayant un retentissement pondéral
6. Faisabilité
7. Examens complémentaires
IV/ Discussion
V/ Conclusion
VI/ Références
VII/ Données supplémentaires
VIII/ Annexes
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