Utilisation des bêta-lactamines en médecine vétérinaire

L’usage métaphylactique

      La métaphylaxie, parfois appelée prévention en milieu infecté, consiste à traiter tous les animaux d’un groupe lorsqu’une certaine proportion d’entre eux (généralement 10%) a manifesté des signes cliniques d’infection bactérienne. La métaphylaxie n’est utilisée que dans les grands élevages d’animaux (porcs, volailles ou veaux). Cette méthode d’usage des antibiotiques se justifie à la fois par des raisons pratiques et scientifiques. En effet, en élevage intensif, il est très difficile de réaliser des traitements au cas par cas étant donné le nombre d’animaux présents et c’est également pour cela que l’antibiotique est administré aux animaux par voie orale (en mélange dans la nourriture ou dans l’eau de boisson). De plus, la métaphylaxie se justifie en considérant qu’à partir du moment où un certain nombre d’animaux d’un élevage ont déclaré des signes cliniques d’infection, il ne s’agit que d’une question de temps avant qu’un effectif croissant d’animaux ne tombe malade par contagion. Il est supposé qu’une antibiothérapie précoce sur la totalité des animaux du groupe peut permettre de réduire le nombre d’animaux malades et/ou la mortalité au sein de l’élevage. Nos travaux de thèse porteront sur l’étude de l’efficacité d’une stratégie de traitement en lien avec la métaphylaxie, fondée sur la considération que lors de métaphylaxie l’inoculum bactérien qui infecte les animaux n’ayant pas encore déclaré de signes cliniques est de taille faible.

Les bêta-lactamines autorisées pour l’espèce porcine en France

      En France, cinq bêta-lactamines sont autorisées dans l’espèce porcine : la pénicilline G, l’ampicilline, l’amoxicilline, le ceftiofur (céphalosporine de 3ème génération) et la cefquinome (céphalosporine de 4ème génération). Tous ces antibiotiques peuvent être administrés par voie parentérale mais seules l’ampicilline et l’amoxicilline sont administrables par voie orale. Ils peuvent être administrés seuls ou en association avec d’autres familles d’antibiotiques (polypeptides, sulfamides ou aminoglycosides) (2012). Bien qu’utilisée dans plusieurs pays européens (Belmar-Liberato, Gonzalez-Canga et al. 2011) et en France sur d’autres espèces (bovin, chien et chat), l’association amoxicilline-acide clavulanique n’a pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour l’espèce porcine.

Influence de la taille de l’inoculum bactérien sur l’efficacité des bêta-lactamines

       Pour déclencher certaines infections bactériennes, une dizaine à une centaine de bactéries peuvent être suffisantes (Eagle, Magnuson et al. 1947). Au cours de l’infection, la charge bactérienne se développe au niveau du site infectieux jusqu’à atteindre des densités de l’ordre de 109 à 1010 UFC (Gerber, Craig et al. 1983). Cette augmentation peut se produire soit de manière exponentielle soit plus progressivement, en fonction de l’espèce bactérienne. Cependant, lorsqu’un seuil critique est atteint, l’individu contaminé déclenche des signes cliniques liés à l’infection qui peuvent résulter à la fois de la détection du pathogène et de la mise en place de mécanismes de défense par le système immunitaire et/ou de lésions tissulaires induites par des toxines produites par les bactéries pathogènes. De nombreuses études in vitro et in vivo ont démontré que les bêta-lactamines étaient plus puissantes et efficaces contre de petits inocula bactériens que contre des gros inocula bactériens (Eagle 1949; Firsov, Ruble et al. 1997; Mizunaga, Kamiyama et al. 2005; Udekwu, Parrish et al. 2009). Par exemple, le Dr Harry Eagle a montré en 1947, sur un modèle de syphilis chez le lapin, qu’une dose de pénicilline G de 32000 unités/kg était nécessaire pour guérir 100% des lapins infectés par 2*105 Treponema pallidum alors qu’une dose de 4000 unités/kg était nécessaire pour guérir 100% des lapins infectés par 2*103 Treponema pallidum et qu’une dose de 1000 unités/kg était nécessaire pour guérir 100% des lapins infectés par 2*101 Treponema pallidum (Eagle, Magnuson et al. 1947). Ce phénomène appelé « effet inoculum » est retrouvé chez de nombreuses familles d’antibiotiques (Udekwu, Parrish et al. 2009; Ferran, Toutain et al. 2011).

Diminution de la perméabilité de la membrane externe

      Chez les bactéries à Gram négatif, les bêta-lactamines doivent traverser, en plus du peptidoglycane qui est relativement perméable aux bêta-lactamines, la membrane externe bactérienne afin de pouvoir cibler les PLP situées au niveau périplasmique. Pour traverser cette membrane, les bêta-lactamines ont deux possibilités : passer à travers des canaux membranaires spécifiques (porines) ou diffuser à travers la bicouche phospho-lipidique. En fonction de leur degré d’hydrophobicité, les bêta-lactamines ont plus ou moins de facilité à diffuser à travers la membrane. Ainsi, certaines céphalosporines hydrophobes comme la céfazoline, le ceftezole ou la céphaloridine diffusent facilement à travers la membrane externe des bactéries à Gram négatif alors que des composés hydrophiles comme la pénicilline G ou la céfalotine diffusent très mal au travers de celle-ci (Sawai, Matsuba et al. 1979). En ce qui concerne le passage à travers les canaux protéiques de la membrane externe comme les porines, de nombreuses études ont montré que plusieurs classes d’antibiotiques comme les bêta-lactamines, les fluoroquinolones ou les phénicolés utilisaient préférentiellement ce système de transport passif pour atteindre leur cible au sein de la bactérie (Domenech-Sanchez, Martinez-Martinez et al. 2003) (Figure 8). Les bactéries à Gram négatif utilisent les porines pour s’approvisionner en nutriments et pour rejeter dans le milieu extracellulaire les déchets métaboliques. La diminution de l’expression de certaines porines, utilisées par les béta-lactamines, au niveau de la membrane externe bactérienne, entraîne une diminution de l’accumulation de celles-ci au niveau du périplasme. Ceci peut entrainer des confusions en termes de diagnostic sur le phénotypage de la bactérie pathogène. En effet, une diminution de l’expression des porines OmpC et OmpF couplée à la sécrétion de la pénicillinase TEM-1 confère à E.coli le phénotype BLSE alors que celle-ci n’en sécrète aucune (Beceiro, Maharjan et al.). Longtemps considéré comme un mécanisme de résistance « secondaire », la diminution de la perméabilité de la membrane externe chez les bactéries pathogènes à Gram négatif (Pseudomonas aeruginosa, E.coli, Klebsiella pneumoniae, Acinetobacter baumannii) est aujourd’hui de plus en plus considérée comme un mécanisme majeur, notamment dans l’acquisition de la résistance aux carbapénèmes (Dahmen, Mansour et al. ; Fernandez Cuenca, Sanchez Mdel et al. ; Santella, Pollini et al. ; Chia, Siu et al. 2009), bêta-lactamines réservées à l’usage hospitalier et utilisées en dernière intention dans le cadre de traitement d’infections dues à des bactéries pathogènes multirésistantes.

Les autres facteurs influençant le niveau de résistance des bactéries de la flore digestive

     Malgré l’absence totale d’utilisation d’antibiotiques chez certaines personnes au cours de leur vie, des entérobactéries résistantes ont été retrouvées dans le tube digestif de certains hommes ainsi que dans l’environnement (Salyers and Amabile-Cuevas 1997; Boerlin, Wissing et al. 2001). Des études semblables réalisées sur des fèces d’animaux sauvages, qui a priori n’ont jamais été traités avec des antibiotiques, ont montré la présence de gènes codant pour des BLSE de type CTX-M, TEM et SHV (Costa, Poeta et al. 2006). De plus, il a été mis en évidence, chez le porc, que l’arrêt de l’utilisation d’antibiotiques n’entraînait pas la disparition des souches résistantes du tube digestif (Langlois, Dawson et al. 1988; Bunner, Norby et al. 2007). Ces exemples montrent que dans l’environnement, des facteurs autres que les antibiotiques contribuent à la distribution et au maintien des gènes codants pour les mécanismes de résistance au sein la flore digestive des animaux (Summers 2002; Andersson 2003; Andersson and Hughes 2011). L’antibiothérapie n’est donc pas le seul facteur contribuant à l’émergence et au maintien de bactéries résistantes au niveau du microbiote intestinal. Chez l’espèce porcine, plusieurs études ont étudié l’impact de différents facteurs sur le niveau de résistance de la flore digestive. Des études ont ainsi montré que des stress thermiques froids ou chauds, conduisaient à une excrétion plus importante de bactéries résistantes dans la flore fécale (Moro, Beran et al. 1998; Moro, Beran et al. 2000). Une étude a également montré que le stress provoqué par un transport de longue durée ainsi qu’une longue période d’attente avant l’abattage conduisait à une augmentation du nombre de bactéries résistantes excrétées dans les fèces (Molitoris, Fagerberg et al. 1987). Les conditions d’hébergement, d’hygiène et l’âge des animaux pourraient aussi influencer le développement et le maintien de bactéries résistantes au sein la flore commensale digestive du porc (Langlois, Dawson et al. 1988; Dewulf, Catry et al. 2007). Ces études montrent donc que l’antibiothérapie n’est donc pas le seul facteur influençant le maintien des mécanismes de résistance au sein des bactéries et qu’il est nécessaire de prendre en compte des facteurs tels que le stress subit par les animaux ou les conditions d’hébergement dans la résolution du problème. Cependant, l’utilisation des antibiotiques demeure tout de même le facteur prépondérant dans l’émergence et le maintien de bactéries résistantes au sein des flores commensales humaines et animales.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 – ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1.1. UTILISATION DES ANTIBIOTIQUES EN ELEVAGE PORCIN
1.1.1. Modalités d’utilisation des antibiotiques chez les animaux de rente
1.1.2. Consommation d’antibiotiques en élevage porcin
1.2. LES BETA-LACTAMINES
1.2.1. Présentation générale des bêta-lactamines
1.2.2. Les différentes familles de bêta-lactamines
1.2.3. Utilisation des bêta-lactamines en élevage porcin
1.2.4. Paramètres pharmacologiques permettant de prédire l’efficacité des bêtalactamines
1.2.5. Influence de la taille de l’inoculum bactérien sur l’efficacité des bêta-lactamines
1.3. MECANISMES DE RESISTANCE AUX BETA-LACTAMINES
1.3.1. Production de bêta-lactamases
1.3.2. Diminution de la perméabilité de la membrane externe
1.3.3. Pompes à efflux
1.3.4. Modification des PLP
1.4. EXPOSITION DE LA FLORE COMMENSALE DIGESTIVE AUX ANTIBIOTIQUES
1.4.1. La flore commensale digestive : un écosystème complexe et de grande taille
1.4.2. Composition de la flore commensale digestive du porc
1.4.3. Emergence de bactéries dans la flore digestive chez l’animal et conséquences en termes de santé publique
1.4.4. Impact de l’utilisation des bêta-lactamines sur la flore commensale
1.5. LES MODELES D’ETUDE DE LA FLORE COMMENSALE DIGESTIVE
1.5.1. Paramètres d’intérêt dans les études de l’impact des antibiotiques sur le microbiote intestinal
1.5.2. Les modèles in vitro
1.5.3. Les modèles animaux à flore contrôlée ou gnotobiotique
1.5.4. Les études chez les espèces cibles et les modèles animaux à flore totale
1.5.5. Les études cliniques chez l’Homme
1.6. OBJECTIFS DE LA THESE ET METHODOLOGIE GENERALE
CHAPITRE 2 – ETUDE EXPERIMENTALE
2. EXPLORATION DE LA SELECTIVITE DES ANTIBIOTIQUES VISA-VIS DE BACTERIES PATHOGENES ET COMMENSALES
2.1. INTRODUCTION
2.2. DETERMINATION DES CMI ET REALISATION DE CINETIQUES DE BACTERICIDIE
2.2.1. Problématique et objectifs
2.2.2. Matériels et méthodes
2.2.3. Résultats
2.2.4. Conclusions
2.3. DETERMINATION DES RELATIONS CONCENTRATION-EFFET ET MODELISATION DES EFFETS ANTIBACTERIENS
2.3.1. Objectifs
2.3.2. Matériels et méthodes
2.3.3. Résultats
2.3.4. Conclusion
2.4. IMPACT DE LA TAILLE DE L’INOCULUM BACTERIEN SUR L’ACTIVITE DES ANTIBIOTIQUES
2.4.1. Problématique et objectifs
2.4.2. Matériels et méthodes
2.4.3. Résultats
2.4.4. Conclusion
2.5. DISCUSSION
2.5.1. Détermination de la sensibilité des souches bactériennes à l’amoxicilline et à la cefquinome
2.5.2. Modélisation de l’effet antibactérien
2.5.3. Amélioration de l’indice de sélectivité pour les antibiotiques vétérinaires
2.6. CONCLUSION
2.7. MANUSCRIT 1
CHAPITRE 3 – ETUDE EXPERIMENTALE
3. IMPACT DE LA TAILLE DE LA CHARGE BACTERIENNE ET DE LA PRECOCITE DU TRAITEMENT SUR LA GUERISON CLINIQUE ET MICROBIOLOGIQUE D’UNE INFECTION PULMONAIRE
3.1. INTRODUCTION
3.2. DEVELOPPEMENT D’UN MODELE D’INFECTION PULMONAIRE A P.MULTOCIDA CHEZ LA SOURIS
3.2.1. Problématique et objectifs
3.2.2. Matériels et méthodes
3.2.3. Résultats
3.2.4. Conclusion
3.3. DETERMINATION DES POSOLOGIES ADAPTEES A UNE INFECTION INSTALLEE : ETUDE PHARMACOCINETIQUE ET APPROCHE PK/PD
3.3.1. Problématique et objectifs
3.3.2. Matériels et méthodes
3.3.3. Résultats
3.3.4. Conclusion
3.4. DETERMINATION DES POSOLOGIES ADAPTEES A UNE CHARGE BACTERIENNE FAIBLE (TRAITEMENT PRECOCE)
3.5. COMPARAISON DES POSOLOGIES ANTIBIOTIQUES AJUSTEES A LA TAILLE DE L’INOCULUM
3.5.1. Matériels et méthodes
3.5.2. Résultats
3.5.3. Conclusion
3.6. DISCUSSION
3.7. MANUSCRIT 2
CHAPITRE 4 – ETUDE EXPERIMENTALE
4. IMPACT D’UNE DOSE DE CEFQUINOME ADAPTEE AU TRAITEMENT PRECOCE D’UN PETIT INOCULUM SUR LA GUERISON DE L’INFECTION ET SUR L’EMERGENCE DE RESISTANCES AU SEIN DE LA FLORE FECALE
4.1. INTRODUCTION
4.2. ETUDE DE LA SENSIBILITE AUX ANTIBIOTIQUES DES BACTERIES UTILISEES
4.2.1. Problématique et objectifs
4.2.2. Matériels et méthodes
4.2.3. Résultats
4.3. PHARMACOCINETIQUE DE LA CEFQUINOME CHEZ LE RAT ET DETERMINATION DES SCHEMAS POSOLOGIQUES
4.3.1. Problématique et objectifs
4.3.2. Matériels et méthodes
4.3.3. Résultats
4.3.4. Conclusion
4.4. EVALUATION DE L’EFFICACITE DES DIFFERENTS TYPES DE TRAITEMENT ANTIBIOTIQUES SUR LA GUERISON DES ANIMAUX
4.4.1. Problématique et objectifs
4.4.2. Matériels et méthodes
4.4.3. Résultats
4.4.4. Conclusion
4.5. IMPACT DES DIFFERENTS TYPES DE TRAITEMENT ANTIBIOTIQUE SUR LA FLORE DIGESTIVE DES ANIMAUX
4.5.1. Problématique et objectifs
4.5.2. Matériels et méthodes
4.5.3. Résultats
4.5.4. Conclusion
4.6. DISCUSSION
4.7. ARTICLE 1
CHAPITRE 5 – ETUDE EXPERIMENTALE
5. IMPACT DES DIFFERENTES MODALITES DE TRAITEMENT ANTIBIOTIQUE SUR LA FLORE DIGESTIVE DE PORC
5.1. INTRODUCTION
5.2. MATERIELS ET METHODES
5.2.1. Antibiotique et animaux utilisés
5.2.2. Traitements antibiotiques
5.2.3. Détermination de la résistance au sein de la flore digestive
5.3. RESULTATS
5.4. DISCUSSION
DISCUSSION GENERALE

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