Utilisation des antifongiques chez le patient non neutropénique en réanimation

Depuis les années 1990, le progrès médical a contribué à améliorer significativement l’espérance de vie des patients sévères, notamment en unités de soins intensifs (USI). [1] Cette amélioration est associée à une hausse des actes invasifs, des traitements immunosuppresseurs et des thérapies antibactériennes à large spectre et a entraîné une augmentation du nombre de patients à risque d’infections fongiques invasives.

Les candidoses invasives, dues à des levures du genre Candida, constituent la première cause d’infections fongiques en milieu hospitalier observées chez l’homme. [5-8] Alors que ces infections étaient principalement identifiées chez les patients immunodéprimés, leur incidence a augmenté de façon importante ces trente dernières années chez les patients non immunodéprimés, [9] et plus particulièrement en USI.[1] Bien qu’il s’agisse d’un événement rare, dont l’incidence est estimée entre 2 à 10 cas pour 1000 patients admis en USI, [10] la mortalité attribuable est considérée comme étant élevée, avec des estimations variant de 30 à 60 % en fonction des situations cliniques, [11-15] faisant de ces germes l’un des pathogènes ayant le taux de mortalité attribuable le plus élevé.

L’absence de spécificité clinique des candidoses invasives et le manque de fiabilité des méthodes biologiques rendent le diagnostic difficile et tardif, ce qui entraîne un retard de l’initiation d’un traitement antifongique adapté et aggrave le pronostic des patients. [17-19] Pour faire face au retard de diagnostic et limiter le risque d’aggravation du pronostic, des stratégies prophylactiques et probabilistes ont été mises en places. [20] L’apparition dans les années 2000 des échinocandines, famille de molécules antifongiques ayant une action fongicide à large spectre et n’entraînant pas d’effets indésirables ni d’interactions médicamenteuses importantes, [21] a modifié les pratiques. Ces molécules sont maintenant recommandées en première intention pour la prise en charge des candidoses invasives en USI par les principaux guides internationaux, et en traitement empirique chez les patients à risque de candidose invasive sans infection documentée.

Exploration de données mycologiques longitudinales

Présentation des données 

Pour cette partie, nous avons privilégié une approche rétrospective à partir des informations disponibles dans les bases de trois systèmes d’information du CHU de Grenoble :

– Le système d’information du laboratoire de mycologie (Synergie software, Technidata, Meylan, France) qui rassemble les examens biologiques réalisés et comprend les données générales des patients et les données des prélèvements biologiques (date de prélèvement, type de prélèvement, résultats et espèces identifiées notamment). Cette base est couplée à l’automate d’hémoculture qui enregistre en continu le temps de positivité des flacons dans le logiciel BD EpiCenterTM (Beckton Dickinson, USA).
– La base de données de la pharmacie hospitalière (Opium) qui centralise les prescriptions réalisées par service et par patient. L’informatisation n’étant pas généralisée à tous les services, il a été nécessaire de compléter avec la lecture des dossiers patients.
– Les dossiers cliniques des patients qui sont enregistrés dans une plateforme commune accessible au sein du CHU de Grenoble (Critalnet) et recensent l’ensemble des éléments associés au parcours de soins des patients.

Les différentes données ont été fusionnées pour chaque patient dans deux bases de données longitudinales distinctes pour aborder deux questions concernant l’impact des pratiques de prescription des traitements antifongiques. La première question traitée concerne l’effet de la consommation sur l’évolution de la pression de sélection des levures dans le service de réanimation médicale. La deuxième question porte sur l’effet du traitement antifongique sur la détection des levures dans les flacons d’hémocultures et sur le choix du type de flacon à privilégier.

Effet du traitement antifongique sur la pression de sélection des espèces Candida en USI : analyse de séries temporelles 

En milieu hospitalier, 40 % des infections fongiques sont recensées en USI où elles représentent près de 20 % de l’ensemble des infections, [1, 7] entraînant une augmentation de la consommation en antifongiques dans le temps. Une des possibilités d’étudier l’effet de cette hausse sur la sélection des levures est d’exploiter des séries de mesures de l’évolution des prescriptions d’antifongiques mensuelles, de la distribution des différentes espèces de Candida et de leur sensibilité aux antifongiques évaluée par leurs concentrations minimales inhibitrices (CMI) mesurées par antifongigrammes. Pour exploiter ces séries temporelles, définies par un ensemble d’observations indexées sur le temps à des intervalles réguliers, les méthodes d’analyse de variance supposant que les données observées correspondent à des réalisations indépendantes de variables aléatoires sont souvent utilisées quoique non adaptées. En effet, lorsque des données se suivent dans le temps, il est fort probable que les observations consécutives soient dépendantes les unes des autres. [35] De même, les régressions multi variées, à partir du modèle linéaire généralisé, supposent que les termes d’erreurs aient la même variance dans le temps, soient indépendants les uns des autres et aient une distribution normale, ce qui n’est pas toujours le cas dans les séries temporelles. Enfin, les méthodes standards se basent sur des comparaisons de périodes assez longues, par exemple la comparaison de différentes années, qui ne prennent pas en compte les petites évolutions de consommation d’agent anti-infectieux ou de CMI observées. [36] C’est pourquoi il est plus pertinent d’utiliser des méthodes adaptées à l’analyse de séries temporelles, notamment les modèles ARIMA. [37, 38] Ces modèles s’appuient sur l’information contenue dans les données en utilisant trois processus :

– Autorégressif (AR) qui suppose que la ou les observations précédentes déterminent la valeur de l’observation présente. Autrement dit, le modèle n’est pas déterminé par une valeur de référence, mais chaque point peut-être prédit par la somme pondérée d’un ensemble de points précédents à laquelle s’ajoute un terme aléatoire d’erreur.
– Intégration (I) qui permet de rendre la série stationnaire. En effet, les modèles ARIMA ne fonctionnent que sur des séries temporelles dont la moyenne est constante dans le temps. Si cela n’est pas observé naturellement, il est nécessaire de remplacer la série originale par une série intégrée dans laquelle toute tendance a été supprimée.
– Moyenne mobile (MA) qui suppose que chaque point est fonction des erreurs entachant les points précédents plus sa propre erreur. C’est-à-dire que la valeur de référence de la série n’est pas constante, mais varie d’une observation à l’autre.

La méthode développée par Box et Jenkins [35] explore chacun de ces processus pour définir le meilleur modèle ajustant les séries chronologiques étudiées. De plus, à l’aide d’une fonction de transfert, il est possible de déterminer s’il existe une corrélation dans le temps entre deux séries et de définir quel est le délai le plus significatif associé à cette corrélation. [36, 39] Une première étude réalisée sur le CHU de Grenoble avait établi un lien entre l’augmentation de la consommation d’antifongiques et l’évolution de la résistance des espèces Candida à ces molécules, malgré un faible recul pour la caspofungine. [30] En appliquant ces modèles sur une période plus longue, de dix ans, nous avons pu étudier l’impact de la consommation de cinq molécules : l’amphotéricine B, le voriconazole, le fluconazole, la caspofungine et la micafungine sur quatre espèces Candida : C. albicans, C. glabrata, C. parapsilosis et C. tropicalis .

Impact du traitement antifongique sur le diagnostic des candidémies : analyse de données répétées 

Nous avons vu précédemment que le diagnostic des candidoses invasives est imparfait et souvent tardif. Dans le cas des candidémies, le diagnostic de référence est défini par l’observation d’un ou plusieurs flacons d’hémoculture positifs. [10, 40] Cependant leur sensibilité est faible, elle est estimée à 75 % dans le meilleur des cas. [41] En routine, trois flacons peuvent être utilisés : deux flacons non sélectifs des levures, contenant des résines qui agglomèrent les agents anti-infectieux, dont les antifongiques, et un flacon sélectif des levures qui ne contient pas de résines adsorbantes. Des études in vitro ont montré que les performances de ces flacons sélectifs diminuent lorsqu’un traitement antifongique a été initié, [41, 42] mais il n’y a pas eu d’étude permettant de confirmer ces observations en situation clinique. De plus, le choix du type de flacon d’hémoculture le plus approprié pour la détection et le suivi des candidémies n’est pas clair. La question reste posée de savoir si l’ajout d’un flacon sélectif des levures, entraînant un surcoût de sang prélevé, de matériel et de temps d’analyse, présente une réelle valeur ajoutée pour le diagnostic. Pour répondre à ces questions, nous avons collecté les données nécessaires pour évaluer le taux de positivité, le temps de positivité et la concordance de l’ensemble des flacons d’hémocultures des patients candidémiques du CHU de Grenoble sur 4 ans. Les données recueillies étaient longitudinales et présentaient une structure particulière : chaque patient pouvait avoir plusieurs jours de prélèvement, et chaque jour plusieurs flacons (avec ou sans résine) pouvaient être prélevés. Il s’agit d’une structure hiérarchique définie par un emboîtement de différents niveaux : le niveau flacon emboîté dans le niveau jour de prélèvement et le niveau jour emboîté dans le niveau patient. Il s’agit également de mesures répétées, un patient pouvant être prélevé plusieurs jours de suite et avec plusieurs flacons chaque jour.

L’analyse de ces données par une méthode de régression logistique standard, implique que les observations d’un même patient sont indépendantes les unes des autres. Cela entraîne une sous-estimation de la variance liée à l’absence de prise en compte de l’effet groupe et à une inflation artificielle du nombre d’observations indépendantes aux niveaux les plus élevés (patient et jour de prélèvement). Cette approche conduit à une erreur de type I, c’est-à-dire au risque de conclure à un lien significatif entre un facteur d’exposition et la variable d’intérêt, alors que ce lien n’existe pas en réalité. [43, 44] L’utilisation de modèles hiérarchiques permet d’analyser simultanément les variations interindividuelles au niveau flacon, ainsi qu’intragroupes (niveaux jour de prélèvement et patient).[45] Ces modèles sont adaptés pour étudier l’impact de l’administration d’un traitement antifongique sur la détection des levures dans les flacons d’hémocultures chez des patients ayant une candidose invasive. Nous avons présenté les résultats de cette étude sous forme d’un article en cours de soumission.

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Table des matières

Introduction
Première partie : État des lieux sur le traitement probabiliste des candidoses invasives
Publication N 1 : Empiric/pre-emptive anti-Candida therapy in non-neutropenic ICU
patients
Deuxième partie : Exploration de données mycologiques longitudinales
I. Présentation des données
II. Effet du traitement antifongique sur la pression de sélection des espèces Candida en USI : analyse de séries temporelles
Publication N 2 : Impact of Antifungal Prescription on relative distribution and
susceptibility of Candida spp – Trends Over 10 Years
Supplément électronique de la publication 2
III. Impact du traitement antifongique sur le diagnostic des candidémies : analyse de
données répétées
Publication N 3 : Impact of systemic antifungal therapy on the detection of Candida spp.
in blood cultures containing resins or selective media, in the clinical setting of
candidemia
Supplément électronique de la publication 3
Troisième partie : Approche causale à partir de bases de données cliniques de haute qualité
I. Approche causale sur les données observationnelles
II. Impact de la désescalade précoce sur le pronostic des patients
Publication N°4 : Antifungal de-escalation was not associated with adverse outcome in critically ill patients treated for invasive candidiasis – Post-hoc analyses of the
AmarCAND2 study data
Supplément électronique de la publication 4
III. Analyse causale sur données longitudinales
Publication N 5:What’s new to quantify causal effects from longitudinal cohort studies. A
brief introduction to marginal structural models for intensivists
Supplément électronique de la publication 5
IV. Impact du traitement précoce sur le pronostic des patients
Publication N°6 : Failure of Empirical Systemic Antifungal Therapy in Mechanicallyventilated Critically Ill Patients
Supplément électronique de la publication 6
Conclusion

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