Utilisation de la stimulation transcrânienne à courant continu (tDCS) dans la dépression
Historique
L’idée du potentiel curatif de l’électricité et du magnétisme n’est pas récente. On retrouve des traces de l’usage de l’électricité dans un but thérapeutique dès l’Antiquité. Un médecin du nom de Scribonus Largus y utilisait déjà la décharge produite par le poisson torpille pour traiter les céphalées et la goutte. C’est néanmoins au cours du XXème siècle que la technique se développe, avec l’étude, dès 1940, de l’effet modulateur d’un courant électrique sur l’activité des neurones , puis de la première application d’un courant électrique de basse intensité chez l’être humain en 1964 . En 1964, des effets antidépresseurs sont observés suite à ces stimulations à basse intensité chez l’homme . Les protocoles utilisés consistaient en l’application d’un courant de 250 uA sur une durée de 8h par séance (12 séances au total) avec une anode située en sus-orbitaire et une cathode située au niveau de la jambe . Deux autres études retrouveront plus tard des résultats similaires, la première en 1966 et la deuxième en 1970, de nouveau chez l’homme . Néanmoins, il faudra attendre 2006 pour que de nouvelles études voient le jour sur les effets antidépresseurs de la tDCS dans la forme que nous connaissons actuellement du fait des avancées en terme de neuroimagerie et de compréhension de la physiopathologie de la dépression .
On peut expliquer ce relatif abandon de la tDCS durant toutes ces années par deux raisons principales. Tout d’abord, certaines études ne parviendront pas à reproduire les résultats obtenus en 1966 et 1970. L’autre raison est, sans nul doute, la découverte puis l’essor des médicaments antidépresseurs dès 1957 avec l’Iproniazide et l’Imipramine, précurseurs respectifs de la famille des inhibiteurs de la monoamine oxydase et celle des tricycliques puis, dans les années 1970, des inhibiteurs sélectifs de recapture de la sérotonine.
Principe d’action de la tDCS
Principe de fonctionnement
La tDCS est une technique dites de neuromodulation. L’action d’un courant continu de faible intensité (1 à 2 mA) sur le scalp d’un sujet va permettre de moduler le potentiel de membrane des neurones sans pour autant générer de potentiel d’action . Le courant en question s’applique par l’emploi de deux électrodes (FIGURE 1), l’une chargée négativement se nommant anode et l’autre chargée positivement se nommant cathode, toutes deux situées sur différentes zones du scalp. L’anode aura une action excitatrice (dans les valeurs d’intensité habituellement utilisées lors d’une séance de tDCS soit 1-2 mA) des neurones en rapprochant le potentiel membranaire de son seuil de dépolarisation alors que la cathode aura, au contraire, une action hyperpolarisante en éloignant le potentiel membranaire de son seuil de dépolarisation.
Une stimulation de quelques secondes est suffisante pour observer cet effet de modulation du potentiel de membrane bien que cet effet soit transitoire (en moyenne cinq minutes) à la fin de la stimulation électrique . En revanche, l’application plus prolongée d’un courant électrique de faible intensité a démontré une modification durable du potentiel membranaire (sous-entendu y compris à l’arrêt de la stimulation) , ce qui est d’une importance primordiale dans l’objectif d’une application thérapeutique de la tDCS. En effet, là où une stimulation de 5 minutes ou moins engendrait une modification de l’excitabilité neuronale d’en moyenne 5 minutes après la fin de la stimulation, une stimulation de neuf minutes est associée à un effet d’environ 30 minutes et une stimulation de 13 minutes est associée à un effet d’environ 90 minutes. Ceci met en exergue le caractère non linéaire de la durée de la modification de l’excitabilité neuronale en fonction de la durée de stimulation, ceci dès les cinq minutes de stimulation dépassées.
Plusieurs mécanismes ont été suspectés comme responsables de l’effet thérapeutique de la tDCS suite à des recherches sur des modèles animaux ou in vitro. Il a été, dans un premier temps, mis en évidence que le phénomène de polarisation à long terme faisait intervenir la synthèse de diverses protéines, notamment c-fos et zif268 . Dès 1968, Gartside mettait en évidence que l’administration à des rats, pendant la stimulation électrique, d’une substance inhibant la synthèse protéique (ici de la puromycine qui provoque un arrêt de la traduction de l’ARN messager par le ribosome) entraînait une atténuation de l’effet de polarisation à long terme de la stimulation électrique du cortex.
De façon plus récente, des études in-vitro ont également souligné l’implication des récepteurs au glutamate de type N-methyl-D-Aspartate (NMDA). L’application de d-cycloserine (une substance agoniste des récepteurs NMDA) provoquait une accentuation des effets de potentialisation à long terme de la tDCS alors que l’application de dextromethorpane (une substance antagoniste des récepteurs NMDA) les prévenait . Plus récemment (2020), une étude a pu mettre en évidence une variation de l’expression des gènes liés à la synthèse de Glutamate et d’Acide Gamma-Aminobutyrique (GABA) dans les zones du cortex soumis à un courant continu selon le type d’électrode utilisé. Ainsi, une stimulation cathodale était significativement associée à une diminution de la concentration de Glutamate ainsi que de l’expression d’une enzyme (Glutamate-Synthesizing Enzyme – GLS) responsable de la synthèse de glutamate. Une stimulation anodale était, quant à elle, responsable de la diminution de la concentration de GABA ainsi qu’un arrêt de l’expression de différentes enzymes impliquées dans la synthèse de GABA (GAD65, GAD67 et A21a) permettant à son action excitatrice de durer dans le temps.
Principe d’action dans la dépression
Les hypothèses expliquant l’efficacité de la tDCS dans la dépression sont sous-tendues par les études d’imagerie cérébrale tant morphologiques que fonctionnelles, impliquant en particulier le cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL) et ventro médial ainsi que l’amygdale et l’hippocampe . On retrouve tout d’abord une diminution de connectivité fonctionnelle entre les différentes zones précédemment citées chez les patients déprimés . La tDCS a montré être responsable de l’augmentation de la connectivité des régions frontales et fronto-pariétales lors du positionnement de l’anode en regard du cxPFDL.
Certaines études ont également, par le biais d’enregistrement électroencéphalographique, mis en évidence un déséquilibre entre les deux hémisphères cérébraux, plus particulièrement un hypofonctionnement au niveau préfrontal dorsolatéral gauche et un hyperfonctionnement au niveau préfrontal dorsolatéral droite . Un autre mécanisme sous-tendant l’action antidépresseur de la tDCS serait ainsi la modulation de l’activité neuronale du CPFDL, la stimulation anodale ayant une action activatrice au niveau du CPFDL gauche et la cathode, une action inhibitrice au niveau du CPFDL droit.
L’effet positif sur la neuroplasticité évoqué dans le chapitre précédent serait un autre moyen d’action de la tDCS dans la dépression. Il s’agit d’un mécanisme commun à plusieurs modalités de prise en charge de la dépression comme les antidépresseurs médicamenteux, l’ECT et la rTMS. Bien qu’il ait déjà été démontré que l’action de la tDCS ne se limitait pas aux seules zones de cortex situées en regard des électrodes mais atteignait différentes structures sous corticales telles que l’hippocampe et l’amygdale. Une étude récente chez la souris (2021) visant à évaluer l’intérêt de la tDCS dans la réhabilitation post-accident vasculaire cérébrale ischémique est parvenue à mettre en évidence de façon significative une stimulation de la neurogénèse dans l’hippocampe des souris ayant bénéficié de la tDCS.
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Table des matières
Introduction
I. Utilisation de la stimulation transcrânienne à courant continu (tDCS) dans la dépression
A. Historique
B. Principe d’action de la tDCS
1. Principe de fonctionnement
2. Principe d’action dans la dépression
C. Paramètres d’usages de la tDCS dans la dépression
1. Intensité de la stimulation
2. Durée de la stimulation
3. Modalité de stimulation
4. Nombre et intervalle de stimulations
5. Position des électrodes
6. L’influence des médications concomitantes sur l’efficacité de la tDCS
D. Données d’efficacité de la tDCS dans la dépression
E. Place de la tDCS parmi les autres techniques de neurostimulation non-invasives
1. Stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS)
2. Electroconvulsivothérapie (ECT)
3. Efficacité comparée de la tDCS, la rTMS et l’ECT
F. Données sur la tolérance de la tDCS
1. Tolérance générale de la tDCS
2. Tolérance sur le plan cognitif
3. Tolérance de la tDCS dans les populations spécifiques
a) Chez l’enfant et l’adolescent
b) Chez la femme enceinte
c) Chez la personne âgée
d) Patients présentant des comorbidités sévères et/ou chroniques
II. Etude de l’efficacité et de la tolérance de la stimulation transcrânienne à courant continu dans la dépression résistante à une ou deux lignes de traitements
A. Matériels et méthodes
1. Objectifs de l’étude
a) Objectif principal
b) Objectifs secondaires
2. Critères d’évaluation
a) Critère d’évaluation principal
b) Critères d’évaluation secondaires
c) Descriptions des différentes échelles
3. Population d’étude
a) Critère d’inclusion
b) Critères de non-inclusion
4. Description des prises en charge évaluées
a) Description et modalités d’utilisation du dispositif de tDCS
(1) Description du dispositif
(2) Modalités d’utilisation
b) Description de la prise en charge dite « « usuelle » : traitements médicamenteux pouvant être introduits en cours d’étude
c) Traitements non-médicamenteux
5. Déroulement de l’étude
6. Analyse statistique
B. Résultats
1. Description de la population de l’étude
a) Aspects socio-démographiques
b) Aspects cliniques
c) Critère d’évaluation principale
d) Critères d’évaluation secondaires
(1) Taux de réponse à M2 et taux de rémission à M1 et M2 (tDCS)
(2) Variation relative de MADRS entre J0 et M1 entre le bras tDCS et le bras rTMS
(3) Tolérance de la tDCS
III. DISCUSSION
A. Efficacité de la tDCS sur la symptomatologie dépressive
B. Comparaison avec la rTMS
C. Tolérance
D. Place de la tDCS dans l’algorithme de soins et population cible
E. Limites de l’étude
CONCLUSION
IV. ANNEXES