Usages de la théorie des communautés de pratique dans la littérature

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Usages de la théorie des communautés de pratique dans la littérature

Notre travail n’est pas le premier à utiliser la théorie des communautés de pratique en didactique des mathématiques et plus largement dans le domaine de l’enseignement. Dans cette section, nous présentons une synthèse de la littérature consultée qui utilise ou traite de cette théorie. Du point de vue méthodologique, nous avons notamment recherché des articles qui contenaient une référence à (Wenger, 1998) dans les revues Recherche en didactique des mathématiques, Educational Studies in Mathematics, Journal of Mathematics Teacher Education et Teachers and Teaching Education. La restriction à cette unique référence tient au fait que, selon l’auteur lui-même mais aussi d’autres auteurs, cet ouvrage constitue une évolution notable des travaux précédents de Wenger28. De plus, les publications citant (Wenger et al. 2002), autre ouvrage de référence concernant les CoP, sont plutôt rares. Pour chaque article, nous avons tout d’abord déterminé l’importance relative de la théorie des CoP dans l’article – en termes de nombre de références faites au travail de Wenger et en termes d’utilisation de la théorie – puis nous avons relevé les concepts explicitement utilisés quand nous en avons trouvés. Dans cette étude, nous avons ainsi consulté, de manière plus ou moins approfondie suivant les cas, plusieurs dizaines d’articles. Nous n’avons pas cherché ici à citer tous les travaux consultés mais seulement ceux qui nous ont paru illustrer le mieux la variété de la littérature consultée quant à l’utilisation de la théorie des communautés de pratique. Dans la même optique, nous avons aussi recherché d’autres publications de manière moins systématique et en avons cité certaines quand cela nous a paru utile.
Vue d’ensemble
La grande majorité des articles se réfère à (Wenger 1998), parfois accompagné d’autres réfé-rences, pour illustrer une perspective sociale de l’apprentissage et une idée, plus ou moins large selon les cas, de communauté liée par une pratique sur lesquelles les auteurs souhaitent s’appuyer (Crespo 2006 ; Bronner et al. 2005 ; Dubois et al. 2008 ; García et al. 2006 ; Trouche 2005) ou pour présenter ce qui nous paraît être des modes possibles de fonctionnement d’une CoP au stade de maturation ou de consolidation (Jaworski 2006). On trouve aussi des auteurs qui s’interrogent davantage sur l’existence ou non d’une CoP au sein de leur expérimentation tels (Sauter et al. 2008) dans un travail qui a aussi pour cadre une formation d’enseignants à la pratique de problèmes pour chercher. Il s’agit fréquemment dans ces articles de repenser le travail des chercheurs en didactique des mathématiques avec les formateurs ou les enseignants de mathématiques afin d’occasionner des changements de pratique. Il se pose alors la question d’éviter la perpétuation de certains aspects de cette pratique qui semblent peu propices aux apprentissages des élèves (Jaworski 2006 ; Jaworski 2003) et les auteurs misent sur l’intégration, plus ou moins explicite, ✭✭ d’experts ✮✮ ou ✭✭ outsiders ✮✮
– souvent des chercheurs – dans la communauté et sur l’incitation à la réflexion des formateurs et des enseignants (Jaworski 2006 ; Huang et Bao 2006). À l’inverse de la majorité des articles, certains auteurs citent Wenger en référence et présentent des expérimentations qui paraissent, plus fortement que les précédents exemples, influencées par son travail ou tout au moins menées dans la perspective qu’il défend, mais sans pour autant s’appuyer explicitement sur les ressorts développés par Wenger. C’est par exemple le cas de (Carroll 2005) dans lequel la centration sur la production d’artefacts peut être vue comme un appui évident sur la dualité participation/réification bien qu’elle ne soit pas présentée comme telle. À l’inverse, certains articles reprennent explicitement des concepts dévelop-pés dans (Wenger 1998) tels les concepts de participation et non participation (Salomon 2006), de frontières et d’identité (Boaler 1999), de participation et de réification (Gates 2006 ; Guin et Trouche 2008), de mode d’appartenance à des communautés (Jaworski 2006 ; Au 2002) mais sans toujours se situer pleinement dans le cadre ou la perspective de Wenger. Par ailleurs, plusieurs utilisations de la théorie se situent dans le cadre de communautés supportées par un dispositif en ligne (Goos et Bennison 2008 ; Guin et Trouche 2008 ; Sauter et al. 2008 ; Farooq et al. 2007 ; Weiss et al. à pa-raître), ce qui explique probablement que les réifications évoquées sont fréquemment des artefacts. On retrouve aussi régulièrement des références au triplet engagement mutuel, entreprise commune négociée par la CoP, répertoire partagé comme caractéristique des CoP (Daele et Charlier 2002)
mais certains aspects importants ne sont parfois pas repris clairement comme, par exemple, la négo-ciation de l’entreprise commune par la CoP (Goos et Bennison 2008 ; Guin et Trouche 2008)29. Les articles consultés concernent assez rarement des communautés d’élèves. (Boaler 1999 ; Salomon
Dans ce dernier travail, signalons que les auteurs exploitent un lien intéressant entre l’artefact vu à la fois comme réification d’une CoP et comme instrument dans des genèses instrumentales. 2006) sont donc des exceptions et c’est davantage la formation, initiale ou continue, des ensei-gnants qui est au coeur des articles. Ceci peut être imputé en grande partie à notre méthodologie puisque deux des revues sélectionnées concernent explicitement la formation des enseignants. Ce-pendant, nous pouvons aussi l’imputer au fait que l’approche de Wenger conduit à repenser de façon conséquente le rôle de l’enseignant dans la classe. À cet égard, (Graven et Lerman 2003) présentent par exemple un review de (Wenger 1998) dans lequel ils s’attachent particulièrement à questionner la place même de l’enseignement qui, à leur yeux, est peu conséquente dans la théorie de Wenger30. Ils discutent ce point en citant notamment la question de Wenger ✭✭ Comment minimiser la place de l’enseignement afin de maximiser l’apprentissage ?31 ✮✮ (Wenger 2005, p. 289, chap. 12, Le design). Les auteurs concluent en particulier que :
[…] davantage de travail est nécessaire pour traduire la perspective de Wenger (1998) sur l’apprentissage (basée sur le contexte d’apprentissage sur le tas) à l’apprentissage dans des contextes plus formels où les enseignants (ou les facilitateurs, les coordina-teurs, etc.) ont un rôle central pour assurer que des apprentissages réussis s’opèrent effectivement et de plus en sont responsables32 (Graven et Lerman 2003, p. 190).
Nous rejoignons les auteurs sur ce constat et il faut souligner qu’entre autres questions, celle du volontariat des membres d’une CoP – qui est un aspect largement laissé de côté dans les articles consultés – et celle de l’évaluation des apprentissages posent déjà des problèmes conséquents pour l’utilisation de la théorie de Wenger quand il s’agit de l’apprentissage des élèves dans les classes. Ce n’est pas tant qu’il y ait un obstacle absolu à l’utilisation de la théorie de Wenger dans l’en-seignement mais plutôt dans l’enseignement tel qu’il est généralement pratiqué dans les classes aujourd’hui. En effet, nous avons vu que Wenger évoque des moyens pour favoriser l’apprentissage
– ce dont Graven et Lerman ne font pas mention dans leur article – mais le rôle de l’enseignant est à repenser profondément si on veut s’inscrire pleinement dans sa perspective33. Nous n’avons trouvé aucune recherche sur les apprentissages des élèves qui se situe pleinement dans celle-ci. En ce qui concerne la formation des enseignants, le travail de thèse que nous présentons ci-dessous est l’un des travaux de recherche qui s’appuie le plus sur la théorie et la perspective des CoP.
La recherche de Mellony Graven
Le contexte de la recherche menée par Graven (Graven 2005 ; Graven 2004 ; Graven 2002a ; Graven 2002b) est celui d’un changement de curriculum en Afrique du Sud34 et celui de la for-mation d’enseignants de mathématiques qui doivent devenir capables de diffuser les changements de programmes auprès de leurs collègues. D’une part, la plupart des enseignants n’ont pas la for-mation disciplinaire suffisante pour maîtriser l’ensemble des contenus mathématiques35 et, d’autre part, le nouveau curriculum insiste pour que l’on s’appuie sur les connaissances des élèves, ce qui est en déphasage par rapport aux pratiques existantes. Un dispositif de formation continue36 ap-pelé PLESME (Program for Leader Educators in Senior-phase Mathematics) a donc été mis en place sous la coordination de Graven. Il lui fallait notamment résoudre cinq dilemmes dans cette organisation (Graven 2005, pp. 211, 222, 227-228) :
– celui de la durée et de l’échelle du dispositif ;
– celui du site de formation ;
– celui des personnes impliquées dans la formation ;
– celui du focus sur les mathématiques et/ou sur leur enseignement en lien avec la faible for-mation académique des enseignants ;
– celui de l’ethos. Il s’agissait ici de mettre en place un milieu positif en stimulant l’apprentis-sage à long terme des enseignants plutôt que de mettre l’accent sur le besoin d’un changement radical tout en respectant leur sentiment de ✭✭ propriété ✮✮ de leur processus d’apprentissage.
Graven explique qu’elle a découvert la théorie de Wenger au cours de son étude et que ceci lui a permis de trouver le support théorique pour englober notamment les concepts de collégialité, de co-opération, d’accompagnement, de communauté professionnelle, pour se différencier de la tendance vouloir ✭✭ corriger ✮✮ (fix it) les pratiques des enseignants (ibid., p. 224). Sa principale utilisation de la théorie de Wenger consiste en l’analyse du dispositif suivant les quatre composantes d’une théorie sociale de l’apprentissage selon Wenger : le sens, l’identité, la communauté et la pratique. Un des principaux résultats présentés est l’ajout de la confiance37 comme cinquième composante. Elle insiste aussi sur le lien entre la pratique et l’identité qu’elle décrit dans l’importance pour la dizaine d’enseignants de son expérimentation de se sentir ✭✭ propriétaires ✮✮ de leur processus d’apprentissage et d’être considérés comme des professionnels. Elle n’utilise pas les autres concepts de la théorie ou bien alors de manière anecdotique38. C’est le cas, par exemple, du concept de trajec-toire à propos de l’histoire d’un enseignant au cours de l’expérimentation (Graven 2003, p. 32). Dans cet article, l’auteur retrace le parcours d’un enseignant durant l’expérimentation et l’analyse sous l’angle des différentes composantes : sens, identité, communauté, pratique et confiance. C’est aussi le cas avec le concept de réification qui est illustré avec l’histoire de l’élève nommé Karabo :
La réification de ✭✭ Karabo ✮✮, comme preuve de l’importance d’écouter les explications de l’apprenant, s’est produite après un atelier PLESME dans lequel une vidéo d’une classe a été montrée aux enseignants. Dans cette vidéo, un enfant nommé Karabo est arrivé avec une méthode très inhabituelle pour diviser de l’argent. Après que les en-seignants aient vu la vidéo, ils ont dû noter les travaux de différents enfants. Tous les enseignants étaient d’accord sur le fait que Karabo n’avait pas compris le problème et que tout son travail devait être noté comme faux. Le coordinateur a alors relancé la vidéo et a montré comment l’enseignant a demandé à Karabo d’expliquer sa mé-thode et comment, après avoir entendu les explications, il était clair que la méthode de résolution de Karabo était sophistiquée. Dans toutes les données, les enseignants se réfèrent à ✭✭ comme Karabo ✮✮ pour souligner l’importance de partir de ce que pense l’apprenant39 (Graven 2002b, note 5, p. 200).
Dans sa recherche, Graven utilise donc, plus que d’autres publications que nous avons consultées, les outils proposés par Wenger. Cependant, ceux qui concernent le design sont, eux, peu évoqués et ce sont ceux-là que nous souhaitons mettre en avant dans notre étude.

La double approche didactique et ergonomique cognitive des pra-tiques

Dans cette section, nous décrivons ce que nous retenons de la double approche didactique et ergonomique cognitive initiée par Aline Robert et Janine Rogalski (Robert 2005b ; Rogalski 2003 ; Robert et Rogalski 2002 ; Robert 2001 ; Robert 1999) pour étudier les pratiques des enseignants sous l’hypothèse que ✭✭ l’enseignement dispensé par l’enseignant intervient largement, et de manière différenciée, sur l’apprentissage des élèves ✮✮ (Robert 2001, p. 59). En particulier, nous présentons comment cette approche propose de ne pas se limiter au seul cadre de la classe et d’étudier la pratique des enseignants par le biais de cinq composantes de la pratique. Nous présentons aussi les concepts de tâche et d’activité qui permettent notamment d’aborder les apprentissages potentiels des élèves.

L’enseignant comme personne exerçant un métier

L’approche des deux auteurs postule que ✭✭ les pratiques des enseignants sont complexes42, stables et cohérentes, et qu’elles résultent de recompositions singulières (personnelles) à partir des connaissances, représentations, expériences, et de l’histoire individuelle en fonction de l’apparte-nance à une profession ✮✮ (Robert et Rogalski 2002). Pour Robert et Rogalski, l’étude des pratiques enseignantes ne se limite pas au seul cadre de la classe. D’une part, l’enseignant est considéré comme une personne engagée dans une relation didactique avec les élèves et aussi comme personne exerçant un métier (Robert et Rogalski 2002 ; Robert 1999). Il s’agit en effet de prendre en compte le ✭✭ travail de l’enseignant, c’est à dire son métier et son insertion dans le collectif des ensei-gnants ✮✮ (Robert et Rogalski 2002). La définition que Robert et Rogalski donnent de la pratique des enseignants en est un premier témoin : ✭✭ tout ce que l’enseignant met en oeuvre avant, pendant, et après la classe (conceptions activées au moment de la préparation des séances, connaissances diverses, discours mathématique et non mathématique pendant la classe, gestes spécifiques, correc-tions de productions d’élèves etc.) ✮✮ (ibid.). Elles précisent : ✭✭ Nous privilégions les pratiques en classe, qui sont une de nos sources principales d’observables, mais qui ne peuvent être analysées sans tenir compte du reste. Ainsi nous ne reprenons pas à notre compte l’exclusivité du point de vue des pratiques en classe comme le font certains travaux, avec la notion de “pratiques en situation” (Lave, 1996) ✮✮ (ibid.).
De plus, les auteurs entendent approcher à la fois les aspects génériques et individuels des pratiques enseignantes. Elles écrivent :
Nous cherchons à comprendre comment les individus particuliers (enseignants, élèves) peuvent investir les marges de manoeuvre qui leur ✭✭ restent ✮✮, et qui doivent donc être reconnues par nous, par delà les contraintes. Cela nous amène à travailler aussi bien du côté générique – pour délimiter ce qui est commun, que du côté individuel, pour mettre en évidence des variabilités entre enseignants (ibid.).
Pour étudier la réalité complexe des pratiques enseignantes, Robert et Rogalski proposent d’uti-liser différentes composantes de la pratique qui témoignent des choix que nous venons d’évoquer.

Les composantes de la pratique

Les auteurs proposent cinq composantes des pratiques des enseignants qui sont les composantes cognitive, médiative, personnelle, sociale et institutionnelle que nous précisons ci-après. Le décou-page de la réalité obtenu à l’aide de ces composantes permet, en travaillant sur une ✭✭ réalité ✮✮ simplifiée, de rechercher les cohérences dans les pratiques et d’explorer l’espace de liberté (ibid.) des enseignants.
Les deux premières composantes, cognitive et médiative, sont assez directement liées aux ob-servations de séances en classe. Leur combinaison forme ce que les auteurs appellent des ✭✭ logique d’actions ✮✮ de l’enseignant (ibid.).Elles décrivent la composante cognitive de la manière suivante :
Cette composante résulte de l’analyse de ce que l’enseignant planifie pour agir sur les connaissances mathématiques des étudiants. Quels savoirs vont être travaillés ? Quels itinéraires cognitifs a-t-il choisis pour les élèves ? Selon les travaux et les corpus étu-diés, cette analyse s’applique à une séance, ou à une séquence ou même éventuellement se mène sur une durée plus longue (Robert et Rogalski 2002).
Ainsi, la composante cognitive comprend notamment les contenus mathématiques et méta-mathématiques des séances réalisées en classe et l’articulation de ces différents contenus. Concernant la composante médiative, les auteurs écrivent qu’elle regroupe ✭✭ […] les analyses relatives aux modes d’interaction en classe des différents acteurs. Il s’agit de préciser comment l’en-seignant organise dans sa classe les médiations entre les élèves, et entre lui et les élèves. Plusieurs facettes de l’activité de l’enseignant sont en jeu : les discours d’accompagnement, notamment les aides, le moment où elles interviennent, mais aussi les mises au travail des élèves avec leurs moda-lités et les prises en compte des élèves ✮✮ (ibid.). Robert et Rogalski précisent aussi que : ✭✭ Le mot “médiative” est utilisé pour référer aux activités de l’enseignant ayant un rapport avec sa position de médiateur entre le savoir et les élèves ✮✮ (ibid.). La composante médiative est donc le moyen de cerner la façon dont s’y prend l’enseignant pour mettre les élèves en relation avec le contenu mathématique et méta-mathématique qui est repéré par la composante cognitive.
L’enseignant peut être considéré à la fois comme individu pour lui-même ou comme individu au sein d’un contexte social, c’est l’objet de la composante personnelle et de la composante so-ciale/institutionnelle des pratiques. À propos de la composante personnelle, les auteurs écrivent que :
Chaque enseignant est singulier : la troisième composante incontournable des pra-tiques implique donc la personne de l’enseignant, ses conceptions quant aux savoirs,
l’enseignement, à l’apprentissage des mathématiques, sa tolérance en matière de risque, son besoin de confort, les coûts auxquels il est prêt à consentir… […]
Pour avoir accès à cette composante, nous proposons deux entrées : un accès direct, qui consiste à inférer des conceptions sous-jacentes à partir d’invariants apparus sur une variété de séances dans les deux premières composantes, et un autre, indirect, qui consiste à interroger les enseignants, notamment à partir des analyses précédentes, et à partir de séances précises (grâce à des traces, vidéo ou transcription) (ibid.).
Ainsi, la composante personnelle regroupe les spécificités de l’enseignant qui sont susceptibles d’avoir une influence sur sa pratique. Quant à la composante sociale/institutionnelle, parfois scindée en deux composantes, les auteurs écrivent que43 :
[Elle] réfère à la dimension sociale du métier d’enseignant. Chaque enseignant doit en effet d’une part ✭✭ s’approprier ✮✮ l’habitus de la profession, d’autre part, et par là même, devenir légitime aux yeux de tous les acteurs qu’il côtoie (élèves, collègues et direction de l’établissement, représentants de l’institution, parents). Cette composante correspond donc à une logique de la légitimité, de la conformité, elle est plus reliée à des contraintes qu’à des marges de manoeuvres. Ce sont en particulier des études de manuels, de programmes, et des études de milieux professionnels (en particulier issus du champ de la sociologie ou de l’anthropologie) qui nous donnent accès à cette quatrième composante (ibid.).
Les composantes sociales et institutionnelles sont confondues en une unique composante sociale/institutionnelle dans (Robert et Rogalski 2002) et elles sont distinguées l’une de l’autre dans (Robert 2005b). Les idées sous-jacentes sont cependant les mêmes.
La composante institutionnelle regroupe notamment ✭✭ [les] contraintes liées aux mathéma-tiques, aux programmes, aux horaires ✮✮ (Robert 2005b). Quant à la composante sociale, elle re-groupe les contraintes liées ✭✭ aux collègues, à l’établissement, aux élèves avec leurs origines socio-culturelles et leur rapport au savoir, à la classe, aux parents, au métier,… ✮✮ (ibid.).
Il s’agit donc de repérer dans les composants sociales et institutionnelles des contraintes mais aussi des marges de manoeuvre, qu’elles soient locales ou plus globales, qui influencent la pratique des enseignants et qui ne sont pas liées à un enseignant particulier. Les auteurs soulignent que ces deux composantes ont un poids relativement important sur les pratiques des enseignants et elles écrivent que :
Différents travaux menés selon la méthodologie ci-dessus ont permis de montrer que les choix globaux qui se présentent aux enseignants sont fortement conditionnés par les contraintes externes, institutionnelles, ce qui revient à dire que [les composantes] ins-titutionnelle et sociale, l’appartenance à un ✭✭ habitus ✮✮ et à un établissement, laissent peu de marges de manoeuvre, notamment en termes de choix de savoirs globaux (cf. programmes), et de formes de gestion générales (évaluation globale, orientation). Tous les travaux d’inspiration anthropologique menés en France sur les programmes et les manuels de mathématiques vérifient ce fait, ainsi que le travail de Bolon (1996) (Robert et Rogalski 2002).
Les composantes personnelle et sociale/institutionnelle servent donc à rendre compte des contraintes et des marges de manoeuvre qui sont susceptibles d’influencer la pratique des enseignants. En parti-culier, elles doivent permettre de repérer et d’analyser les cohérences des logiques d’action résumées dans les composantes cognitive et médiative.

Tâche, activité et apprentissage des élèves

L’approche de Robert et Rogalski n’est pas uniquement centrée sur la pratique des enseignants, elle s’intéresse aussi aux apprentissages des élèves. Les auteurs écrivent en effet qu’elles veulent:
✭✭ analyser et comprendre les pratiques des enseignants à la fois du point de vue de ce qu’elles peuvent engendrer en termes d’apprentissages des élèves, et du point de vue de leur fonction-nement ✮✮ (ibid.). Pour mener cette étude, les auteurs utilisent les concepts de tâche et d’activité. Rogalski décrit la notion de tâche de la façon suivante :
La tâche est ce qui est à faire ; le ✭✭ but qu’il s’agit d’atteindre sous certaines condi-tions ✮✮, selon la définition reprise par Leplat (Leplat et Hoc, 1983 ; Leplat, 1997), qui a développé la notion proposée par Leontiev (1975), élève de Vygotsky. Ainsi, ✭✭ faire acquérir les notions de mesure des longueurs, surfaces, volumes au CM ✮✮, ou ✭✭ ap-prendre à lire aux enfants du CP ✮✮ sont des buts à atteindre sous certaines conditions […] Une telle définition ne préjuge ni du niveau auquel la tâche est décrite, ni de l’es-pace de liberté du sujet (Rogalski 2003, p. 349).
Par ailleurs, elle distingue plusieurs types de tâches :
Du côté du prescripteur, on différencie
– la tâche prescrite : ce sont les buts et les conditions explicités dans les textes pres-criptifs
– la tâche attendue : c’est le contenu réel des attentes du prescripteur44. Du côté du réalisateur de la tâche, on distingue
– la tâche redéfinie : c’est la représentation de la tâche que se donne le sujet
– la tâche effective : c’est celle à laquelle il répond effectivement, et qui peut différer de celle qu’il pense s’être fixée. (Rogalski 2003, p. 350).
Quant à l’activité, l’auteur la définit en écrivant que :
[c’est] ce que développe un sujet lors de la réalisation de la tâche : non seulement ses actes extériorisés, mais aussi les inférences, les hypothèses qu’il fait, les décisions qu’il prend, la manière dont il gère son temps, mais aussi son état personnel – sa fatigue, son stress, le plaisir pris à l’interaction avec les élèves dans telle situation de classe, etc. Une part de l’activité est directement finalisée par la réalisation de la tâche (à la fois comme résultat, opus operatum, et comme processus, modus operandi), mais l’activité dépasse les actions sur ✭✭ ce qui est à faire ✮✮ (ibid., pp. 349-350).
L’activité recouvre à la fois des actions observables, ce que fait le sujet mais aussi ce qu’il dit, ce qu’il pense, a pensé pour le faire, va penser après l’avoir fait. Quand l’enseignant prescrit une tâche à l’élève dans une classe, cette tâche prescrite, qui peut être différente de la tâche attendue par l’enseignant, est interprétée par l’élève qui s’en fait alors une représentation – c’est la tâche redéfinie. L’activité de l’élève, ou tout au moins ce qui est repérable de cette activité, permet alors de définir la tâche effective c’est à dire celle à laquelle il a finalement répondu. Nous pouvons préciser maintenant la façon dont les auteurs prennent en compte les apprentissages des élèves. Elles écrivent :
Ces activités des élèves, notamment lorsqu’elles sont mathématiques, sont elles-mêmes vecteurs d’apprentissage potentiel : c’est notre point d’accès aux apprentissages visés, même s’il existe bien d’autres déterminants de ces apprentissages. Nous faisons de plus comme si les élèves (ou suffisamment d’élèves) entraient dans le jeu de l’apprentissage, en s’impliquant dans ce qui est proposé par l’enseignant en classe, ce qui peut exclure du champ de ces analyses certaines classes très difficiles. Certes ces activités ne sont pas toutes observables, puisqu’elles mettent en jeu les pensées de l’élève, mais nous avons des outils en didactique des mathématiques pour analyser, en fonction des ap-prentissages potentiels, les traces qui peuvent en être relevées et qui constituent notre matériau initial (activités potentielles, attendues par l’enseignant) : les analyses du contenu en jeu dans une séance, des tâches prescrites aux élèves, du déroulement (avec notamment les tâches demandées effectivement aux élèves, compte tenu des modalités de travail adoptées et des discours de l’enseignant) nous permettent de reconstituer les activités proposées aux élèves, ce que nous résumons par ✭✭ itinéraires cognitifs ✮✮ (Robert et Rogalski 2002).

Articulation des cadres de la double approche et des communau-tés de pratique

Nous présentons maintenant en quatre points notre articulation des cadres théoriques de la double approche didactique et ergonomique des pratiques de Robert et Rogalski (2002) et des communautés de pratique de Wenger (1998). Nous traitons successivement des contours et de la stabilité de la pratique des enseignants, de l’évolution de ces pratiques, des modes de travail avec les enseignants et des positions respectives des acteurs dans la recherche et enfin, plus brièvement, d’autres aspects plus méthodologiques.

Les contours et la stabilité de la pratique

Chaque théorie donne sa propre définition de la pratique. Pour autant, celles-ci restent compa-tibles entre elles et pointent clairement que la pratique des enseignants dépasse le seul cadre de la classe. Parmi leurs différences, nous notons que la pratique, notamment dans sa composante per-sonnelle, est davantage vue comme vivant ✭✭ sous des contraintes ✮✮ dans la théorie de Robert et Rogalski alors qu’elle participe aussi à la construction de l’identité pour Wenger. Cependant, Ro-bert et Rogalski n’excluent pas non plus un effet de la pratique sur la composante personnelle, les deux cadres théoriques sont donc compatibles à cet égard. Pour les différents auteurs, il est clair que la pratique est soumise à des contraintes, qu’elle a une cohérence et qu’elle est complexe. Le caractère de stabilité des pratiques nécessite un éclaircissement particulier car l’approche de Wen-ger semble entrer en conflit avec celle de Robert et Rogalski sur ce point. Wenger réfute en effet toute hypothèse de stabilité alors même que Robert et Rogalski en font une hypothèse au même titre que celles de la cohérence et de la complexité. Pour Wenger, là où on cherche à comprendre et à rationnaliser des observations, c’est bien la cohérence et la façon de l’exploiter que l’on recherche. Quand à Robert et Rogalski, elles écrivent que : ✭✭ […] stabilité ne veut pas dire reproduction, cela dénote le fait qu’il existe des choix analogues pour gérer des situations comparables, en amont de la classe et pendant la classe, ce qui ne préjuge pas du détail des déroulements correspondants, toujours singuliers ✮✮ (Robert et Rogalski 2002). Du fait de son caractère plus exceptionnel, l’hypo-thèse de stabilité a donc une portée plus limitée que celle de cohérence et de complexité. Les auteurs considèrent qu’il y a des éléments de stabilité et non que la pratique est stable en elle-même. Ceci permet donc de lever l’incompatibilité apparente entre les deux cadres théoriques. Les pratiques ne sont pas stables en elles-mêmes, elles le sont dans des contextes particuliers qui sont plus ou moins récurents, c’est ce qui explique pour nous l’impression de stabilité ou d’instabilité. Autrement dit, la stabilité et l’instabilité sont construites par le chercheur et elles sont avant tout des conséquences des hypothèses de cohérence et de complexité des pratiques.

Favoriser des évolutions de pratique

Nous avons vu plus haut que plusieurs recherches ont montré le manque d’efficacité ou de légi-timité de la plupart des dispositifs traditionnels de formation49. Ce constat amène à reconsidérer les manières de travailler avec les enseignants50. Les propositions récentes qui émanent de la recherche sont très nombreuses et nous n’évoquerons que (Robert 2005b ; Jaworski 2006 ; Jaworski 2003) qui s’approchent le plus sensiblement de notre recherche.
la frontière entre la formation des enseignants et la recherche sur leurs pratiques, (Jaworski 2006 ; Jaworski 2003) propose de fonctionner selon un ✭✭ mode ✮✮ (Jaworski 2003, p. 250) qui laisse beaucoup de place aux interactions entre chercheurs et enseignants. Nos perspectives de travail se rapprochent de celles de Jaworski – dont nous évoquons quelques éléments à la section suivante – mais elles en diffèrent par l’importance que nous donnons à la perspective de Wenger51. Le cadre de la double approche, quant à lui, n’a pas de regard théorique spécifique sur les moyens de favoriser des changements de pratique et des apprentissages, même si les études qu’il permet débouchent de manière récente sur des formations (Robert 2005b ; Roditi 2005). Dans le cadre d’une formation de formateurs, (Robert 2005b) propose notamment de ✭✭ travailler les pratiques effectives, à la fois comme moyen de formation et comme objectif de formation ✮✮ (ibid.), elle note aussi l’importance du collectif, le fait de ne pas se limiter au ✭✭ terrain ✮✮ et elle évoque la nécessité de ce que Wen-ger appelle un ✭✭ répertoire partagé ✮✮ (ibid., pp. 165-166). Enfin, elle parle de la ✭✭ nécessité du temps long ✮✮ (ibid., p. 166) comme d’une ✭✭ hypothèse forte ✮✮ pour la formation. Notre recherche et notre volonté d’articuler les cadres théoriques de la double approche didactique et ergonomique des pratiques et des communautés de pratique s’inscrivent sensiblement dans cette dynamique mais en diffèrent aussi fortement. En effet, pour A. Robert, il s’agit alors ✭✭ d’élaborer des scénarios de formation, à partir de choix de contenus explicites et en organisant une suite cohérente d’activi-tés adéquates ✮✮ (ibid., p. 166). Nous situant dans la perspective de Wenger, nous ne pourrons pas parler de scénario de formation mais seulement de design pour une formation. En particulier, les contenus ne pourront pas être explicités a priori au-delà du domaine. De même, nous ne pourrons parler d’une suite cohérente d’activités dans le sens d’une programmation ou d’une progression mais nous nous limiterons, au moins dans le design initial, à parler d’éléments d’un design qui est appelé potentiellement à évoluer selon l’activité de la CoP d’enseignants.
Les deux cadres de la double approche et des communautés de pratique ont pour point commun
la préoccupation d’être ✭✭ au plus près ✮✮ de la pratique effective des enseignants, ce qui constitue un élément de forte compatibilité entre eux52. Dans le premier, il s’agit ✭✭ [de] se placer à l’intérieur des contraintes externes auxquelles est soumis l’enseignant, et [de] respecter les cohérences (équi-libres) singulières, en s’y adaptant, faute de quoi on devrait proposer une nouvelle cohérence… ✮✮ (Robert et Rogalski 2002). Quant à elle, la théorie de Wenger met en évidence que l’apprentissage est une composante intrinsèque de la pratique, et il y a aussi une inscription de l’apprentissage dans les pratiques effectives des enseignants et dans la durée qui est compatible avec la double approche. Les deux cadres théoriques ont aussi pour caractéristique commune de prendre en compte la part personnelle de l’individu par rapport à sa pratique, c’est la notion de composante personnelle pour C’est un point qu’ils partagent aussi avec le cadre de (Jaworski 2006 ; Jaworski 2003).
Robert et Rogalski et c’est la notion d’identité pour Wenger.
Enfin, le cadre des communautés de pratique nous donne des indications, certes générales, que le cadre de la double approche ne donne pas, notamment sur les moyens de favoriser l’apprentis-sage dans une communauté d’enseignants. Pour articuler les deux cadres, il s’agira, par exemple, d’apprécier la dimension local/global d’un design en fonction des composantes sociale et institu-tionnelle afin qu’il puisse permettre de favoriser des évolutions des pratiques enseignantes. D’autre part, et de manière non négligeable, le cadre de Wenger prend pleinement en charge le volontariat des membres qui s’engagent dans une CoP, ce qui nous permet d’espérer une bonne ✭✭ reproductibi-lité ✮✮, notamment hors du cadre de la recherche, des résultats obtenus. Quand il s’agit de favoriser des évolutions de pratique des enseignants, les cadres de la double approche et des communautés de pratique sont donc à notre avis parfaitement compatibles.

Insider, outsider, courtage et accompagnement

(Robert 2005b ; Jaworski 2006) évoquent la nécessité d’introduire du nouveau dans une com-munauté d’enseignants. Le chercheur en didactique des mathématiques semble bien placé mais les choses ne sont pas si simples. Généralement, le chercheur n’est pas l’enseignant dont il souhaite étu-dier la pratique ou bien il ne pratique pas l’enseignement dans des conditions similaires53. Jaworski (2006 ; 2003) l’évoque en distinguant les positions d’insider pour les enseignants et d’outsider pour les chercheurs qui travaillent sur les pratiques enseignantes, ces positions n’étant pas toujours exclusives54. Insider signifie ici ✭✭ à l’intérieur de la pratique ✮✮ et ousider ✭✭ à l’extérieur ✮✮. À sa manière, (Desgagné et al. 2001) l’évoque aussi à propos de la recherche collaborative dans laquelle il s’agit de ✭✭ faire de la recherche “avec” plutôt que “sur” les praticiens ✮✮. Comment le chercheur ou le formateur peut-il alors faire partie d’une communauté d’enseignants et en particulier d’une CoP ? Dans une formation traditionnelle, même évoluée comme dans (Robert 2005b), le chercheur est souvent celui qui organise et impose, toute proportions gardées, le contenu et les modalités de la formation. Pour Wenger, ce type de fonctionnement n’est pas envisageable et il propose notamment les rôles de coordinateur et de courtier pour favoriser l’apprentissage au sein d’une CoP. Ces notions permettent de prendre en compte, théoriquement et pratiquement, le rôle spécifique du chercheur– ou même du formateur d’enseignants – comme membre d’une CoP d’enseignants. Les concepts de courtier et d’objet frontière permettent de saisir le fait que les réifications de l’enseignant ou des communautés d’enseignants et celles des chercheurs sont intrinsèquement différentes et que, à l’interface des différentes communautés, ce ne sont que des objets frontières qui sont manipulés et non les réifications elles-mêmes. Ils permettent à la fois de rationaliser en partie les incompréhen-sions entre communautés de pratique mais aussi de donner au chercheur des moyens d’action au sein d’une CoP d’enseignants.
Des propositions de Wenger pour favoriser l’apprentissage, nous retenons qu’il s’agit d’accom-pagner la CoP et non de la diriger. Entre autres choses, ceci permet de rationaliser l’accompagne-ment du travail des enseignants dans une CoP mais aussi, pourquoi pas, dans le cadre d’une formation traditionnelle. Il s’agit donc de bien penser les objets frontières afin de permettre la négociation de sens, c’est à dire la participation et la réification dans la communauté d’enseignants55.

Aspects méthodologiques

Nous avons vu que la théorie de Wenger fournit des outils utiles pour favoriser et analyser l’activité d’une communauté d’enseignants de mathématiques. En substance, son auteur propose essentiellement de s’appuyer sur des anecdotes pour les interpréter comme des traces de l’impact de l’activité de la CoP sur les pratiques observées en classe. Cette méthodologie est très générale et la double approche fournie donc des outils complémentaires spécifiques de la didactique des mathé-matiques, notamment avec les concepts de composantes, de tâche et d’activité. Ces derniers peuvent être mobilisés dans l’étude des pratiques de classe, des rencontres informelles ou non avec les en-seignants, etc., pour étudier les pratiques des enseignants de mathématiques, pour rechercher leur cohérence et trouver des liens avec l’activité de la CoP. Les deux cadres sont donc aussi compatibles sur le plan méthodologique.

De l’ergonomie des EIAH à celle des ressources

Après avoir présenté les deux cadres théoriques principaux de notre étude, nous présentons ici des concepts empruntés au champ de l’évaluation de l’ergonomie des environnement informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH) que nous voulons utiliser plus largement pour évaluer l’ergo-nomie des ressources proposées aux enseignants (Georget à paraître ; Georget 2006). Nous basons notre présentation sur (Tricot et al. 2003) qui présente une synthèse de trois concepts utilisés dans l’évaluation des EIAH et de leurs inter-relations, l’utilité, l’utilisabilité et l’acceptabilité56. Cette synthèse semble se situer dans une perspective constructiviste de l’apprentissage mais rien cepen-dant ne semble s’opposer à leur utilisation dans une perspective sociale. Nous mettons aussi en exergue la dimension adaptabilité que les auteurs présentent comme l’un des critères d’évaluation de l’utilisabilité.

Utilité, utilisabilité et adaptabilité, acceptabilité propos de l’utilité, Tricot écrit que :

L’évaluation de l’utilité relève du domaine général de la pédagogie, des didactiques, et plus généralement de l’évaluation telle qu’elle est habituellement conçue en ensei-gnement et en formation. Il s’agit d’évaluer s’il y a bien adéquation entre l’objectif d’apprentissage défini par l’enseignant (ou le concepteur) et l’atteinte de cet objectif (ibid., p. 393).
L’évaluation de l’utilité d’un EIAH, et plus largement d’une ressource, consiste donc à évaluer son adéquation par rapport aux souhaits des auteurs ou au cahier des charges. En proposant des ressources à des enseignants, nous nous positionnons en tant qu’auteur. En tant que membre d’une CoP, il s’agit aussi de mettre régulièrement en discussion cette utilité en rapport avec l’entreprise commune afin que les membres de la CoP puissent donner leur avis, proposer des modifications ou des ressources nouvelles.
Tricot décrit ensuite l’utilisabilité d’un EIAH ainsi :
impulser (Robert 2005b) dans une formation de formateurs, ce qui renforce notre conviction de compatibilité entre les deux approches.
Pour une discussion sur les différentes définitions de l’utilisabilité et sur son intérêt dans le cadre des EIAH, on pourra consulter (Delozanne 2006).
[elle] désigne la possibilité d’utiliser l’EIAH : sa maniabilité. L’utilisabilité d’un EIAH se joue au niveau de son interface (sa cohérence, sa lisibilité, la façon dont elle repré-sente les actions possibles, etc.), de sa navigation (la cohérence, la simplicité, l’exhaus-tivité des déplacements possibles, etc.) et de sa cohérence avec l’objectif et le scénario didactiques. Elle est aussi fonction de l’adéquation entre les objectifs du concepteur et ceux de l’utilisateur (Tricot et al. 2003, p. 393). En nous plaçant dans la perspective de Wenger, il est plus difficile de parler de ✭✭ scénario didac-tique ✮✮, car c’est la CoP elle-même qui organise son activité et celle-ci est difficilement prévisible. Cependant, l’intérêt du concept demeure et il s’agit d’évaluer les possibilités de manipuler l’ou-til ou la ressource par des individus. Concernant une ressource à destination des enseignants, on peut par exemple considérer le temps nécessaire pour que l’enseignant la consulte et puisse éva-luer son intérêt pour sa pratique. L’évaluation de l’utilisabilité comprend aussi un critère qui nous semble particulièrement important pour l’étude des ressources à destination des enseignants, celui de l’adaptabilité. Dans le contexte des sites Web, il peut se définir ainsi : ✭✭ l’adaptabilité d’un système concerne sa capacité à réagir selon le contexte, et selon les besoins et préférences des uti-lisateurs. Deux sous-critères participent au critère Adaptabilité : Flexibilité et Prise en compte de l’expérience de l’utilisateur ✮✮ (Bastien et al. 1998). Les auteurs précisent que :
Le critère Flexibilité concerne les moyens mis à la disposition des utilisateurs pour per-sonnaliser l’interface afin de rendre compte de leurs stratégies ou habitudes de travail et des exigences de la tâche. Le critère Flexibilité correspond aussi aux différentes pos-sibilités qu’ont les utilisateurs pour atteindre un objectif donné. Il s’agit, en d’autres termes, de la capacité de l’interface à s’adapter à des actions variées des utilisateurs. […] Le critère Prise en compte de l’expérience de l’utilisateur concerne les moyens mis en oeuvre pour respecter le niveau d’expérience de l’utilisateur (ibid.).
En lien avec l’hypothèse de cohérence des pratiques, il faut permettre à l’enseignant d’utiliser les ressources et donc de les adapter à sa propre pratique et de les personnaliser. L’usage des tech-nologies informatiques pour proposer des ressources semble bien adapté à cela. Par exemple, il est possible de ne faire apparaître qu’une ressource réduite dans un premier temps, de proposer des développements dans un second temps, de permettre la création d’un document composite à partir d’autres pré-existants. Encore faut-il qu’un artefact facilite cette composition. De plus, un ensei-gnant, dès lors qu’il utilisera plusieurs fois une ressource pourra souhaiter, par exemple, marquer les problèmes déjà faits, ajouter diverses remarques ou notes le concernant, ajouter le ou les énoncés du problème qu’il a utilisés dans sa classe, ajouter ses propres problèmes, partager certaines de ses notes avec d’autres enseignants, etc. L’enseignant peut-il savoir si tel ou tel problème est fréquem-ment choisi par les autres ? Peut-il s’informer facilement des modifications ou ajouts apportés par tel ou tel ? Peut-il les ajouter à son propre espace de travail afin de les utiliser aisément ? L’ensei-gnant peut-il créer aisément des documents imprimés pour lui57 et pour ses élèves ? Pour résumer, la ressource peut-elle s’adapter à l’enseignant et à sa pratique, peut-elle s’intégrer aisément dans sa pratique ?
Enfin, Tricot définit l’acceptabilité :
Ce peuvent être des fiches pour se faciliter la tâche pendant la séance, des mémos, les solutions du problèmes sous forme synthétique, des pistes pour mener sa séance et qu’il risque d’oublier dans l’action, etc.
Nous définissons l’acceptabilité d’un EIAH comme la valeur de la représentation men-tale (attitudes, opinions, etc. plus ou moins positives) à propos d’un EIAH, de son utilité et de son utilisabilité. Cette représentation mentale peut être individuelle ou col-lective. La valeur de cette représentation conditionnerait la décision d’utilisation de l’EIAH. L’acceptabilité peut être sensible à des facteurs très divers comme la culture et les valeurs des utilisateurs, leurs affects, leur motivation, l’organisation sociales et les pratiques dans lesquelles s’insère plus ou moins bien l’EIAH (Tricot et al. 2003, p. 393).
L’évaluation de l’acceptabilité consiste en quelque sorte à étudier si un individu utilisateur trouve un intérêt dans un EIAH ou une ressource du point de vue de son utilité et de son utili-sabilité. En particulier, la légitimité sociale des auteurs des artefacts peut contribuer à l’influencer.

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Table des matières

1 Introduction générale et problématique 
2 Cadrage théorique 
2.1 Les communautés de pratique
2.1.1 Introduction générale
2.1.2 Principaux concepts de la théorie des communautés de pratique
2.1.3 Usages de la théorie des communautés de pratique dans la littérature
2.1.4 Conclusion
2.2 La double approche didactique et ergonomique cognitive des pratiques
2.2.1 L’enseignant comme personne exerçant un métier
2.2.2 Les composantes de la pratique
2.2.3 Tâche, activité et apprentissage des élèves
2.2.4 Discussion et conclusion
2.3 Articulation double approche – CoP
2.3.1 Les contours et la stabilité de la pratique
2.3.2 Favoriser des évolutions de pratique
2.3.3 Insider, outsider, courtage et accompagnement
2.3.4 Aspects méthodologiques
2.4 De l’ergonomie des EIAH à celle des ressources
2.4.1 Utilité, utilisabilité et adaptabilité, acceptabilité
2.4.2 Discussion
2.5 Conclusion et retour sur la problématique
3 Méthodologie 
3.1 Une communauté de pratique intentionnelle : éléments méthodologiques
3.1.1 Sept principes pour l’émergence et la coordination d’une CoP
3.1.2 Éléments de design pour les stades d’incubation et de fusion
3.1.3 Conclusion
3.2 Méthodologie d’analyse de la valeur de la CoP : recueil, traitement et analyse des données
3.2.1 Le site Web et les problèmes proposés
3.2.2 Les comptes-rendus
3.2.3 Les questionnaires et les entretiens
3.3 Les séances observées
3.3.1 Les modalités d’observation et d’enregistrement
3.3.2 Les narrations de séance
3.3.3 Analyse des narrations de séance
3.4 Les réunions
3.4.1 Analyse qualitative
3.4.2 Analyse quantitative
3.5 Conclusion
4 Activités de recherche et de preuve entre pairs 
4.1 Éléments de caractérisation des activités de recherche dans la sphère scolaire
4.1.1 Potentiels d’une activité de recherche et de preuve entre pairs
4.1.2 Conclusion
4.2 Sur la transposition des activités de recherche du mathématicien dans la sphère scolaire
4.2.1 Introduction
4.2.2 MATh.en.JEANS
4.2.3 Le modèle des SiRC
4.2.4 Le débat scientifique en situation de cours
4.2.5 Modèle des ARM
4.2.6 Les problèmes ouverts
4.2.7 Synthèse sur les expérimentations d’activités RPP
4.2.8 Conclusion
4.3 Activités RPP et instructions officielles du cycle 3
4.3.1 Analyse du contenu des I.O
4.3.2 Analyse ergonomique par inspection des I.O
4.3.3 Conclusion
4.4 Les activités RPP dans la littérature professionnelle
4.4.1 Golf selon ERMEL
4.4.2 Un extrait du spécial Grand N ✭✭ Points de départ ✮✮
4.4.3 Conclusion
4.5 Les activités mathématiques proposées dans la CoP
4.5.1 Objectifs et critères
4.5.2 Les problèmes proposés
4.5.3 Deux exemples : Golf et Cordes
4.5.4 Conclusion sur les activités proposées dans la CoP
4.6 Conclusion
5 Déroulement de l’expérimentation et analyse de la CoP 
5.1 Chronologie et déroulement général
5.1.1 Année I : 2002-2003
5.1.2 Année II : 2003-2004
5.1.3 Année III : 2004-2005
5.1.4 Année IV : 2005-2006
5.1.5 Conclusion
5.2 Analyse de l’activité de la CoP
5.2.1 Les problèmes mis en oeuvre
5.2.2 Le site Web
5.2.3 Les comptes-rendus
5.3 Analyses des réunions
5.3.1 Considérations générales
5.3.2 Analyse qualitative des réunions
5.3.3 Analyse quantitative des réunions R4-II à R9-III
5.3.4 Conclusion de l’analyse des réunions
5.4 La coordination de la CoP
5.5 Conclusion
6 Trajectoires au sein de la CoP 
6.1 La pratique dans la classe
6.1.1 La pratique observée de Mme S
6.1.2 Analyses qualitatives des séances de Mme S
6.1.3 Analyse quantitative des séances de Mme S
6.1.4 Conclusion sur les pratiques observées
6.2 Trajectoires des enseignants
6.2.1 Profils des enseignants
6.2.2 Effets persistants de l’activité de la CoP sur la pratique de classe
6.2.3 Bilan de l’expérimentation par les enseignants
6.2.4 Des profils aux trajectoires
6.3 Conclusion
7 Résultats et perspectives de recherche 
7.1 Les activités de recherche et de preuve entre pairs
7.1.1 Définition, potentiels et légitimité des activités RPP
7.1.2 Les expérimentations antérieures
7.1.3 Les ressources destinées aux enseignants
7.2 La théorie des CoP et l’expérimentation
7.2.1 Théorie des CoP, didactique des mathématiques et ergonomie
7.2.2 Émergence, coordination et analyse d’une CoP
7.3 Retour sur la pratique, les ressources, les formations
7.3.1 Une pratique complexe, des évolutions
7.3.2 Les ressources
7.3.3 Communauté de pratique émergente et formations ✭✭ traditionnelles ✮✮
Bibliographie

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