Usage de la teicoplanine en réanimation

Structure et mécanisme d’action

                La teicoplanine est un antibiotique bactéricide de la classe des glycopeptides (incluant la vancomycine), dont les premières utilisations remontent aux années 90. Elle est produite par fermentation d’une souche d’actinomycètes (Actinoplanes teichomyceticus). Elle comporte un noyau de base heptapeptidique aromatique associé à des oses et à une chaîne latérale d’acide gras (Image 1). Cette structure, de poids moléculaire élevé, lui confère une grande liposolubilité et ainsi lui assure une meilleure diffusion tissulaire. Contrairement à la vancomycine, la voie intramusculaire, voire sous cutanée, est utilisable avec une bonne tolérance clinique. La teicoplanine agit, comme la vancomycine, en inhibant la synthèse de la paroi bactérienne. Tout comme la vancomycine, elle se fixe au dipeptide terminal du peptidoglycane par une liaison spécifique à des résidus D-alanyl-D-alanine et inhibe la transglycosylation et la transpeptidation .

Indications et schéma posologique

                   La teicoplanine est indiquée chez les adultes et les enfants dès la naissance dans le traitement des infections compliquées de la peau et des tissus mous, des infections ostéo-articulaires, des pneumopathies communautaires ou nosocomiales, des infections urinaires compliquées, des endocardites infectieuses et des péritonites. Son action contre les staphylocoques résistants à la méticilline et les entérocoques et sa bonne diffusion dans le péritoine en fait un antibiotique de choix dans le traitement probabiliste des péritonites nosocomiales. Il faut d’ailleurs noter que le protocole d’antibiothérapie probabiliste du service de réanimation chirurgicale préconise l’introduction probabiliste de la teicoplanine en 1ère intention dans le traitement des péritonites graves nosocomiales. En effet, 20% des entérocoques identifiés dans les prélèvements péritonéaux des péritonites post-opératoires de notre service sont résistants à l’amoxicilline (exclusivement des Enterococcus faecium, données non publiées). Afin d’obtenir une efficacité rapide au site infectieux, et compte-tenu de la longue demi-vie de la teicoplanine, l’administration d’une dose de charge permet d’atteindre l’équilibre plus rapidement. Plusieurs études se sont ainsi appliquées à montrer l‘importance de la réalisation d’une dose de charge afin d’obtenir une efficacité bactério-clinique rapide, en particulier chez les patients de réanimation et de soins intensifs 9,10. La dose et la durée du traitement doivent être adaptés au site infecté et à la sévérité clinique de l’infection. Pour la plupart des infections de réanimation, le schéma posologique comporte 1 dose de charge de 3 à 5-6 injections espacées de 12 heures chacune, suivie d’une dose d’entretien en 1 injection par 24 heures débutant 12 heures après la dernière injection de dose de charge. Le Tableau 1 résume les indications, les schémas posologiques et les concentrations résiduelles cibles en fonction de l’origine et de la gravité du sepsis.

Usage de la teicoplanine en réanimation

                Les schémas posologiques habituels de la teicoplanine, décrits dans le Vidal et utilisés en pratique courante, ont été déterminés à partir d’études pharmacocinétiques et pharmacodynamiques chez des sujets sains13,14. Or, chez les patients de réanimation, de nombreux facteurs peuvent modifier la pharmacocinétique des antibiotiques, notamment par augmentation du volume de distribution (syndrome inflammatoire, expansion volémique…) et de la fraction libre (hypoalbuminémie). Plusieurs études conduites sur des patients de soins intensifs et de réanimation ont montré la nécessité de majorer les doses initiales de teicoplanine afin d’obtenir une concentration résiduelle d’au moins 15 μg/ml dans le traitement des infections à SARM, permettant une efficacité clinique rapide15,16. Par ailleurs, Nakano et al. ont montré, en 2015, que l’inflammation influait sur la pharmacocinétique de la teicoplanine, et que le SIRS score (Systemic Inflammatory Response Syndrom score) * pouvait refléter ces altérations et aider au choix de la posologie initiale de teicoplanine17. Toutes ces études préconisent, chez les patients de réanimation, d’initier le traitement par teicoplanine avec une dose de charge de 10 à 12 mg/kg/12h pour 3 à 5 injections, puis une dose d’entretien de 12 mg/kg/24h initiée 12 heures après la fin de la dose de charge, adaptée aux concentrations résiduelles. Alors que l’usage de la vancomycine est répandu et bien codifié, il existe peu de recommandations concernant l’utilisation de la teicoplanine en réanimation ; les posologies, la durée de la dose de charge et le moment du premier dosage ne sont pas formalisés. Par exemple, la SFAR recommande l’administration de teicoplanine à la dose initiale de 6 mg/kg/12h pendant 24h puis 6 mg/kg/j, sans plus de précision. Devant le recours croissant à la teicoplanine, l’absence de consensus concernant la dose de charge optimale et au regard des études déjà réalisées en réanimation, nous avons décidé d’évaluer les pratiques cliniques sur l’usage de teicoplanine en réanimation. Nous avons ensuite cherché à déterminer si le schéma posologique utilisé permettait d’atteindre les Cres souhaitées et quels en étaient les facteurs prédictifs.

Résiduelle supérieure ou égale à 10 μg/ml

                  Trente-quatre patients du groupe « résiduelle vraie » (54%) avaient une concentration résiduelle plasmatique de teicoplanine supérieure ou égale à 10 μg/ml. Les 2 groupes ainsi formés (Cres < 10 μg/ml et Cres ≥ 10 μg/ml) étaient comparables sur le plan des caractéristiques épidémiologiques, le score de gravité (IGSII) à l’admission, la gravité du sepsis et la porte d’entrée du sepsis (Tableau 6). A l’analyse univariée, la dose de teicoplanine (en mg/kg de poids réel/12h) et le moment de réalisation du dosage (avant la Xème dose) étaient significativement différents entre les 2 groupes : on retrouvait une posologie plus élevée dans le groupe Cres ≥ 10 μg/ml (6,4 ± 2,2 mg/kg de poids réel/12h vs. 5,4 μg/kg de poids réel/12h dans le groupe Cres < 10 μg/ml ; p=0,04) tandis que le dosage était réalisé plus tard dans le groupe Cres ≥ 10 μg/ml (avant la 5ème ± 1 dose vs. 4ème ± 1 dose dans le groupe Cres < 10 μg/ml ; p=0,03) (Tableau 7).
* Résultats significatifs : Concernant les variables pouvant influer sur le volume de distribution, résumées dans le Tableau 8, seul le recours à une épuration extra rénale différait dans les 2 groupes : 20,6% des patients du groupe Cres ≥ 10 μg/ml bénéficiaient d’une dialyse au moment du traitement par teicoplanine alors que 48,3% des patients du groupe Cres < 10 μg/ml étaient sous dialyse au moment du traitement (p = 0,03). A noter qu’il s’agissait de 2 dialyses intermittentes et 5 dialyses continues dans le groupe Cres ≥ 10 μg/ml, et de 14 dialyses continues dans le groupe Cres < 10 μg/ml. En analyse multivariée, seul le moment du dosage apparaît comme facteur indépendant prédictif d’une résiduelle de teicoplanine supérieure ou égale à 10 μg/ml (Tableau 9).

Evaluation des pratiques cliniques

                         Sur notre période d’étude, seuls 60,9% des patients ayant reçu de la teicoplanine au cours de leur séjour en réanimation ont eu un dosage de Cres, ce qui signifie que 39,1% des patients ayant reçu de la teicoplanine au cours de notre période d’étude n’ont eu aucun monitorage de Cres. Plus d’un tiers des patients sous teicoplanine n’ont donc eu aucun suivi de l’efficacité ou de la toxicité du traitement, alors qu’un dosage simple et rapide est disponible. De plus, il faut noter que la SFAR recommande, chaque fois que cela est possible, de réaliser les dosages plasmatiques des traitements antibiotiques afin d’en monitorer l’effet18. En effet, les modifications pharmacodynamiques chez les patients de réanimation induisent des variations individuelles importantes et non prévisibles des concentrations plasmatiques des traitements et donc de leur l’efficacité et de leur toxicité. N’ayant pas analysé individuellement les prescriptions des patients sans monitorage de Cres, nous ne savons pas s’il s’agissait de traitements probabilistes interrompus avant dosage de Cres (avec des dosages qui peuvent être non prescrits ou déprescrits après adaptation du traitement antibiotique), ou bien de traitements adaptés sans monitorage d’efficacité. Quoiqu’il en soit, la réalisation du dosage de Cres de teicoplanine doit être systématique dès l’initiation du traitement, cela permettant de s’assurer de l’efficacité du traitement (y compris probabiliste et permettant de déterminer la durée de traitement adapté), mais également de rechercher une potentielle toxicité de la teicoplanine (apparaissant pour des résiduelles supérieures à 50 à 60 μg/ml). Concernant les 60,9% de patients ayant eu un dosage de teicoplanine, 86,3% ont été réalisés en « résiduelle vraie ». Parmi ces dosages correctement réalisés, 19% ont du être refait en raison d’une première résiduelle mal prescrite (trop tôt dans le schéma posologique, ou alors n’ayant pas été prélevé dans les 6 heures précédant l’injection suivante). Malgré des modalités de monitorage du traitement bien codifiées, celles-ci semblent méconnues par certains praticiens exerçant en réanimation, possiblement du fait d’une utilisation moins répandue de la teicoplanine. Ces dosages non correctement réalisés représentent un coût supplémentaire dans la prise en charge, en raison de la nécessité de refaire le dosage. Il représente par ailleurs une possible perte d’efficacité du traitement. Comme le soulignent de nombreuses études, il est en effet nécessaire d’obtenir rapidement une Cres dans les valeurs cibles afin d’obtenir une efficacité clinique rapide9,10,11,12. Il faut en outre souligner la dangerosité d’une modifications des posologies basées sur un dosage mal réalisé, et donc faux, pouvant être à l’origine d’une perte d’efficacité du traitement ou bien à l’inverse de sur-risque de toxicité médicamenteuse. De plus, 13,7% des dosages avaient été mal réalisés et n’ont pas été reprélevés. La plupart correspondaient à des traitements probabilistes, possiblement arrêtés avant nouveau dosage en raison d’une adaptation aux germes, ou à des traitements adaptés secondairement arrêtés (décès du patient, nouvelle infection avec d’autres germes). Pour l’un de ces dosages en revanche, il s’agissait d’un traitement adapté poursuivi pendant plusieurs jours sans monitorage de son efficacité. Pour ces patients dont le dosage n’avait pas été refait, cela signifie que l’efficacité du traitement est restée inconnue. Bien qu’il s’agisse de traitement probabiliste dans la plupart cas, un traitement efficace est requis dans les premiers jours de traitement, cela influant sur la durée totale de traitement, mais surtout sur la morbi-mortalité en réanimation. En effet, une antibiothérapie non adaptée ou mal conduite dès les premières heures d’un sepsis grave est un facteur important de mauvais pronostic, avec une augmentation de la mortalité. Concernant le schéma posologique, seuls 71% des patients inclus avaient un schéma posologique correct, témoignant peut-être d’une méconnaissance du schéma thérapeutique, ou d’un oubli de modification de prescription. Pour les schémas posologiques incorrects, il s’agissait aussi bien de dose de charge trop courte, voire absente, que de poursuite du traitement en deux injections par jour sans modification de dose. Nous n’avons pas analysé les adaptations posologiques consécutives aux dosages de Cres, mais pour certains de ces schémas mal réalisés, la poursuite du traitement en deux injections par jour pourrait correspondre à des Cres trop basses par rapport aux valeurs cibles, pouvant justifier la poursuite des injections par 12 heures afin d’obtenir une efficacité rapide. Il faut également noter que le schéma posologique et de monitorage de la teicoplanine proposé par le Vidal (à savoir 1 dose de charge de 3 à 5-6 injections espacées de 12 heures chacune, suivie d’une dose d’entretien en 1 injection par 24 heures débutant 12 heures après la dernière injection de dose de charge ; dosage de Cres entre les jours 3 à 5) est assez vague. Définir un schéma d’utilisation de la teicoplanine plus clair et plus strict pourrait aider les prescripteurs à mieux retenir ce schéma ainsi qu’à clarifier les modalités de monitorage. Cette méconnaissance du schéma posologique et de la nécessité de réaliser systématiquement un dosage de Cres pourrait être améliorée par des actions de formation des équipes médicales. Une des propositions serait la réalisation d’un livret d’antibiothérapie regroupant les posologies initiales des principaux antibiotiques utilisées en réanimation, leurs schémas thérapeutiques et leurs modalités de monitorage avec l’interprétation des résultats ainsi que des proposition de modification posologique. Par exemple, pour la teicoplanine : réaliser une dose de charge de 6 mg/kg/12h pendant 72h avec dosage de Cres à la fin de la dose de charge ; si Cres dans la cible, arrêt de la dose de charge et poursuite du traitement à 6 mg/kg/24h ; si Cres inférieure à la cible, poursuite de la dose de charge pendant 5 jours et nouveau dosage de Cres ; si toujours insuffisant, poursuite du traitement /12h et majoration des doses ; etc… Une autre proposition pourrait être d’améliorer les préconfigurés de prescription de la teicoplanine sur ICCA avec un rappel des posologies et la mention du monitorage systématique à J3. Les oublis de modification de prescription pourraient sans doute être réduits par l’anticipation des prescriptions permise par ICCA, permettant de prescrire, dès l’initiation du traitement, une date de fin de traitement, ainsi que de faire débuter une nouvelle prescription par anticipation.

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Table des matières

Introduction 
a- Structure et mécanisme d’action
b- Pharmacocinétique
c- Pharmacodynamie
d- Indication et schéma posologiques
e- Usage de la teicoplanine en réanimation
Matériel et Méthodes 
a- Schéma de l’étude
b – Analyses statistiques
Résultats 
a- Données descriptives
b- Données analytiques
1- Résiduelle supérieure ou égale à 10 μg/l
2- Résiduelle supérieure ou égale à 15 μg/l
Discussion 
a- Evaluation des pratiques cliniques
b- Ciblage des entérocoques
c- Ciblage du SARM
Conclusion

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