Urgence et nihilisme : l’émergence du punk hardcore américain

Questions sur la définition du terme

   D’après la définition des dictionnaires, de français comme d’anglais, le mot « urgence » se dit du « caractère de ce qui est urgent », c’est-à-dire du caractère « de ce qui requiert une action, une décision immédiate 10 », ou se dit de la « nécessité d’agir rapidement » (urgency, l’équivalent anglais : “(1) the quality of needing to be dealt with or happen immediately » ; (2) the feeling or belief that something needs to be dealt immediately11 ” : on trouve peu de différence, s’il y en a, dans la définition du mot anglais équivalent). Dans l’usage du mot dans les différentes sphères de la vie humaine, il s’agit donc tantôt d’exprimer la notion de priorité, comme dans « l’état d’urgence », mesure administrative gouvernementale, ou comme dans la locution adverbiale « en urgence », tantôt plutôt d’indiquer une notion d’accélération, comme dans « procédure d’urgence », termes de droit constitutionnel, ou comme dans « d’urgence », locution adverbiale. Pour certains, telles les conseillères ou conseillers psychologiques, mais pas seulement, ce sentiment d’urgence pourrait s’expliciter comme « une expérience émotionnelle qui semble menacer l’équilibre interne12 », pour d’autres, comme les étudiants en commerce, mettant à profit leur connaissance en psychologie, il s’agira d’élaborer une stratégie de marketing (le « marketing de l’urgence ») qui pourra déclencher une irrésistible pulsion d’achat chez le consommateur asservi par elle, précieuse stratégie développée à partir des derniers acquis de la psychologie scientifique. Quel que soit le cas, l’urgence, ou le sentiment d’urgence, implique donc les notions de priorité ou d’accélération, plus précisément une attente impatiente, une espérance ardente, un désir irrésistible ou la crainte d’un danger imminent, bref la nécessité de faire tout de suite quelque chose ou de faire advenir un événement, une décision, avant toute autre chose possible (« priorité »), ou bien de chercher à raccourcir l’itinéraire menant au but, ou encore d’avancer l’arrivée d’un événement situé dans la ligne temporelle événementielle imaginaire que la conscience se forme à ce moment (« accélération »). Cette notion d’urgence prend une signification bien plus concrète, bien plus sensible et tangible, lorsqu’elle est utilisée pour décrire un phénomène musical, et cela surtout, comme nous allons bientôt le voir, pour une analyse musicologique du punk rock et d’ailleurs du rock en général, mais dans une moindre mesure ou du moins sous des modalités différentes moins spécifiques. La première question qui semble se poser est en effet, à partir de là, de savoir si l’on peut véritablement donner à cette notion d’urgence-là, du punk et du punk hardcore, une définition spécifique, lui apporter la clarté et la rigueur du concept souhaitables. Une deuxième question serait de chercher à savoir s’il y a un rapport, et si oui lequel, entre, d’un côté, cette notion d’urgence-là, posée en termes de culture, voire de civilisation, de qualité ou climat d’un mode de vie quotidien d’une certaine époque (que ce climat soit par ailleurs dominant ou local, marginal, contestataire, alternatif pour ainsi dire), et, de l’autre, cette impression d’urgence qui se dégage de cette musique-là, impression qu’une observation attentive pourrait assigner à la structure même du morceau enregistré, comme si cette structure-là était pour quelque chose dans cette impression-là d’urgence. Une troisième question, sans doute encore plus délicate à formuler et à traiter, serait donc liée à la possibilité d’envisager que ce sentiment d’urgence soit en rapport, d’une manière ou d’une autre, à un certain sentiment ou état d’esprit qui serait absolument sui generis, et qui ne serait donc désigné que faute de mieux par ce terme d’« urgence». À cela on pourrait objecter qu’il apparaît inconcevable que les conditions sur lesquelles le sentiment d’urgence produit repose dans l’univers punk ne se retrouvent pas ailleurs que dans la seule culture punk de l’époque, qu’elles soient donc l’apanage des seuls participants à la scène punk, des seuls sympathisants de la cause du punk. Et l’on pourrait encore pousser plus loin, en envisageant le cas du punk hardcore. Nous n’irons cependant pas jusqu’à dire que la culture punk et punk hardcore serait soi-disant le miroir fidèle d’une culture plus vaste, et finalement celle de la société tout entière elle-même, mais nous dirons plutôt que la musique punk et punk hardcore constituent en quelque sorte une expression particulière, la plus poussée, typique de l’esprit du temps, le résultat d’une sorte de dialectique qui s’articulait entre différents éléments, divers facteurs, musicaux, politiques, historiques et socioculturels. Nous nous proposons de partir du constat de ce fait inesquivable que la culture, comme la musique, partagent, dans une large mesure, même si c’est parfois de manière altérée, voire profondément transformée, les conditions temporelles d’une communauté nationale, voire multinationale, sur lesquelles repose sa culture dominante et donc aussi la musique que le système culturel établi a produite, avec toutes ses conventions. À partir de ce constat nous proposons de faire l’hypothèse, puis d’en examiner les conséquences, de l’existence d’une certaine dialectique entre ces deux dimensions, à savoir la sphère culturelle générale et le milieu punk, puis punk hardcore particulier. Cela nous semble bien préférable à la tentative de mener on ne sait quelle argumentation fondée sur l’opposition rigide et exagérée du punk au reste de la société comme son ennemi hétérogène, ce qui risquerait de durcir et de formaliser encore davantage cette notion polémique d’opposition, déjà trop fermement ancrée dans la discussion courante sur le punk et le punk rock. Nous sommes donc d’avis que l’on devrait plutôt s’interroger sur les raisons pour lesquelles on s’appuie si souvent sur ce stéréotype inflexible, établi sur une mise en opposition binaire de deux instances qui restent au fond plus ou moins hypothétiques, ou, en d’autres termes, sur un « acquis » considéré comme ferme et définitif de l’existence d’une « riposte à la culture de l’Autre », pour reprendre l’expression de Claude Chastagner13, lorsqu’il discute de l’essence de la contre-culture des années 1960 . On peut s’interroger sur le fait de savoir s’il convient bien d’expliquer le punk, dans l’exubérance de sa grande période, en recherchant sa source, selon Simon Critchley, seulement dans la libération qu’il aurait accomplie par opposition au « nonsens terrible de la période hippie », ce qui relèverait en fait de la même logique selon laquelle raisonnait la génération hippie, nous / les autres.

Au-delà du cliché “harder, louder, and faster”

      Quand les musiciens entendent des sons qu’ils ne savent pas faire, ils sont totalement perdus… alors vous perdez… l’orientation… on a un tout petit réservoir limité de sons qu’on peut nommer, et c’est lamentable. La citation ci-dessous, qui comporte également le terme « urgent », montre bien les limites de toute tentative de transmettre par des mots un certain vécu de l’auditeur : Black Flag is one of the greatest hardcore punk bands around. When they play in San Francisco, loyal fans come from as far away as Reno to see them. They play with a fierce intensity that few other bands can match. Their music is fast, loud, hard, raw, and savage. Their songs are about urgent feelings that any punk can relate to. Il s’agit d’un extrait de texte de fanzine consacré à Black Flag, qui sert d’introduction à une interview des membres du groupe, donnée et publiée en novembre 1981, c’est-t-dire entre leur contribution au film susdit de Spheeris et leur premier LP31 . L’auteur enthousiaste, Tim Tonooka, y déclare que les chansons du groupe, l’un des plus grands, dit-il — donc l’un des meilleurs représentants du punk hardcore jusque-là — parlent de « sentiments urgents auxquels tout punk peut s’identifier ». En indiquant que leur musique est “fast, loud, hard, raw, and savage”, avant même de parler des « sentiments urgents » de leurs chansons, il donne l’impression de faire une différence entre la dimension « musique pure », abstraction faite des paroles, et la dimension « chanson », où musique et paroles font corps, et cela à propos du même morceau. Contrairement à « leurs chansons », dont les paroles auraient pour mission d’exprimer et décrire quelque chose de substantiellement associé à d’« urgents sentiments », sans qu’il soit pourtant précisé en quoi ils consistent, « leur musique » est décrite, elle, comme si elle ne signifiait pas, n’impliquait pas, du moins aussi directement et nécessairement, « l’urgent ». En effet, les trois premiers adjectifs, sur les cinq employés par l’auteur pour caractériser la musique de Black Flag — qu’il considère comme LA musique punk hardcore par excellence — sont bien ceux que l’on emploie habituellement pour définir cette musique, que ce soit académiquement ou journalistiquement : “Hardcore, to use what by now has become a cliché, was harder, louder, and faster than its direct ancestor, early punk music.” ; « Au début des années 1980, les débuts du “concours Faster, Harder, Louder” ont eu lieu ici. » Dans cette expression banale, un cliché, le punk hardcore est considéré comme une variante du punk rock dans laquelle certaines tendances auraient seulement été plus poussées, radicalisées. En fait l’emploi de tels adjectifs n’aboutit à rien d’autre qu’à stéréotyper sans éclairer sur le sens, par manque d’une précision qui ne pourrait être obtenue qu’au moyen d’une contextualisation détaillée. La spécificité de ce sentiment d’urgence-là, pour pouvoir être cernée par le langage, ne requiert-elle pas une évocation de type littéraire ? Bref, le contraire d’un slogan, qui ne sert qu’à indiquer grossièrement, sans pouvoir évoquer ni suggérer. En eux-mêmes, en effet, ces qualificatifs, “hard”, “loud”, “fast”, et même “raw”, “savage”, pourraient être aussi bien employés pour décrire d’autres types de musique rock, le speed metal ou le black metal, entre autres, surtout pour leur première période, et cela vaut même plus généralement pour tout le rock and roll dans les années 1950. La valeur distinctive de ces termes est donc faible, et ils caractérisent et singularisent fort peu. Si on ne les spécifie pas davantage contextuellement, par contraste, ils ne disent pas grand-chose. Cela revient à dire que pour qu’une notion réellement nouvelle puisse émerger comme telle il est nécessaire d’y comparer les notions voisines déjà d’usage, pour noter par contra-distinction, les similitudes et les différences, synchroniquement, puis ensuite d’en suivre le parcours, l’origine, le développement, et l’évolution, diachroniquement. Mais par ailleurs, si l’auteur de l’article susdit — et il parle en cela comme les autres — n’est pas parvenu à proposer d’autres qualificatifs que ceux-ci, si vagues, c’est qu’il aura eu l’intention de décrire la « totalité » de la musique de Black Flag, c’est-à-dire celle que le groupe avait réalisée jusqu’à ce moment-là. Car la caractérisation d’un genre ou d’un style de musique, ou de la musique d’un groupe, est censée reposer sur une étude générale de tous les matériaux et éléments qu’on peut recueillir, quelles que soient les qualités ou la fréquence de ceux-ci. En revanche, un seul examen d’ordre statistique, ne relevant que la fréquence d’apparition de tel ou tel facteur, ne pourra caractériser l’importance qualitative en valeur expressive de celui-ci, mais seulement sa quantité, sa fréquence d’apparitions. Ainsi il ne pourra pas permettre de caractériser de façon essentielle ce type de musique, puisque la question de la valeur — qui peut tenir au moment, à la situation, etc. — n’est pas déterminée par la fréquence. Par conséquent, ce sont la situation, le contexte qui sont déterminants. À titre d’exemple, le son fort et saturé du rock dit « extrême » n’a pas la même qualité, ni la même valeur, selon qu’il s’agit de hard rock, de metal, ou de punk. Ainsi, parfois, un trait qui n’est trouvé que dans certains morceaux peut néanmoins refléter une tendance plus générale. Car, tout d’abord, l’application d’un certain matériau musical est choisie et décidée en fonction de toute une diversité de valeurs artistiques, de facteurs esthétiques, qui sont opérants durant la période où apparaît une composition ou un album recueillant plusieurs compositions. La longueur de cette période d’application est d’ailleurs elle-même variable. Ensuite, c’est la qualité musicale du matériau, qui ne sera peut-être correctement dégagée, estimée, et interprétée que plus tard, par une approche historique, et ce n’est pas la quantification de la fréquence statistique de celui-ci, qui fait l’importance réelle, la valeur réelle de ce matériau, valeur qui n’est pas mathématisable. C’est cela qui décide où est l’essentiel et où l’accessoire.

Ronald Reagan et le punk hardcore

    Dans un extrait de son interview rétrospective citée précédemment, Canzonieri évoque, en mentionnant “the early 80s political climate” la situation politique américaine de l’époque, tant globale que locale, situation à laquelle, selon lui, peut être attribuée une certaine radicalisation (“more dark and paranoid [sic]”) du sentiment d’urgence et de « perte d’espoir43 ». Dans le discours du punk, et sur le punk, la situation particulière de la société américaine des années 1980 est décrite le plus souvent comme étant bien représentée par les huit ans de présidence de Ronald Reagan : du 20 janvier 1981 au 20 janvier 1989. Élu président des États-Unis à la fin de 1980, l’ancien gouverneur californien (1967-1975) du Parti républicain a établi, sur le plan économique, une doctrine qui s’oppose à l’intervention de l’État. Ces “Reaganomics”, cette économie qui était caractérisée en particulier par un déchaînement vigoureux des forces du marché, par l’abolition des réglementations de l’État et une privatisation radicale des services publics (qui avait déjà commencé sous la présidence de Jimmy Carter), ainsi que par la baisse drastique de l’impôt sur le revenu (qui correspondait en fait au « Zeitgeist » qui s’était déjà manifesté au niveau des États dans les “tax revolt” et les référendums tels que la “Proposition 13” de la Californie en 1978), a eu pour effet de libérer l’individu de ses responsabilités dans la solidarité sociale et elle a encouragé les gens à rechercher au maximum leur avantage et leur profit personnel, sans aucun scrupule44 . En outre, cette prise de positions en faveur d’un développement économique égoïste s’accompagnait d’un fondamentalisme religieux, notamment d’une exégèse littérale de la Bible et d’une éthique morale stricte, sans oublier un militantisme anti-communiste et patriotique. Pour reprendre l’expression de Dewar MacLeod, la gouvernance de Reagan a offert comme « l’ennemi public numéro un », qui plus est, « avec un visage », et par là comme « une cible évidente et commode » pour les punks qui vomissaient le conformisme de la classe moyenne des régions suburbaines, et la politique conservatrice en général : Ronald Reagan’s victory in the 1980 presidential election may have done more than any other event to revitalize punk and ensure its longevity—non only because punks opposed his conservative politics, but because here was an enemy with a face. Whereas earlier Hollywood punk had aimed its critique at hippies (be they music business executives, laid-back California folkies, or liberal politicians), now hardcore punk named Reagan as public enemy number one. C’est ainsi que l’influence du 40e président des États-Unis sur l’émergence et le développement du punk hardcore américain a été remarquée, reformulée par bon nombre de commentateurs venant de différents horizons littéraires. Dans les écrits de Michael Azerard, entre autres, est évoquée la relation étroite qu’a entretenue l’émergence de groupes influents — dont la majorité peut être qualifiée de punk hardcore —, groupes sous la houlette desquels se développait la scène rock underground américaine à partir de 1981 (c’est-à-dire l’année où a commencé officiellement le premier mandat de Reagan) jusqu’à 1991, avec le président Reagan et avec l’image de la société américaine dominante qu’il défendait. Cette relation étroite se nourrissait du mécontentement qui était sans cesse ravivé par tout problème qui surgissait de son existence même : And [in 1981] Ronald Reagan, the figurehead for so much of the discontent in America’s underground culture, began his first term as president. The breakthrough realization that you didn’t have to be a blow-dried guitar god to be a valid rock musician ran deep; it was liberating on many levels, especially from what many perceived as the selfishness, greed, and arrogance of Reagan’s America. Le passage suivant, qui décrit avec esprit quelques aspects particuliers de plusieurs des plus grandes villes américaines, telles que L.A., Washington D.C., New York et Seattle, qui ont chacune leur propre contexte historique et des situations et des tendances sociales différentes, qui ont stimulé leurs groupes locaux dans leur type de punk hardcore et de rock underground, se termine sur une expression de Reagan, leur principal adversaire à tous : In D.C. kids rebelled against the bland, stifling atmosphere of official Washington, exacerbated by the conservative inhabitants of the White House; in Minneapolis it was the oppressive winters and the equally oppressive Scandinavian stoicism; in Seattle it was yuppies, rain, and that good ol’ Scandinavian stoicism again; in Los Angeles it was inane California mellowness, the excruciating vapidity of suburbia, and the false glamour being propagated on soundstages all over town; in New York it was those darn yuppies and the overall difficulty of living in what was then America’s hardest city; and throughout the country, anyone with the slightest bit of suss was disgruntled by the pervasive knownothingism Ronald Reagan fobbed off as “Morning in America49.” Steven Blush, quant à lui, va jusqu’à dire : “He [Ronald Reagan] became the galvanizing force of Hardcore – an enemy of the arts, minorities, women, gays, liberals, the homeless, the working man, the inner city, et cetera. All “outsiders” could agree they hated him.”50 Le rôle que Reagan a exercé sur le développement de la scène punk/punk hardcore américaine est notamment bien manifesté par la série des concerts collectifs intitulée « Rock Against Reagan », ainsi que par de nombreuses chansons, comme Reagan’s In de Wasted Youth (1981), Fucked Up Ronnie de D.O.A. (1981), Reagan der Führer de D.I. (1983) et Reagan Gun Club de Social Spit (1986).51 Il ne faut pas oublier le nom d’un groupe new-yorkais important, Reagan Youth, fondé en 1980, en parodie bien évidente et choquante de la „Hitlerjugend“ (“Hitler Youth” en anglais), le mouvement de jeunesse du parti national-socialiste dirigé par Adolf Hitler52. Il faut enfin ajouter à cette liste Reaganomics (1982) des Dirty Rotten Imbeciles, alias D.R.I., que nous analyserons au Chapitre XII, chanson dont l’essence expressive repose sur une structure horizontale que nous nommons elle-même « nihiliste ». Or il est intéressant de remarquer qu’il n’y avait pas de termes vitupérant Reagan chez les deux groupes, Black Flag et Minor Threat, qui dominaient la première scène punk hardcore sud-californienne et celle de Washington D.C, respectivement, ni chez les deux personnages principaux du punk hardcore américain, Greg Ginn et Ian MacKaye, qui dirigeaient chacun ces deux groupes. C’est encore Azerrad qui a bien fait remarquer en passant, dans son chapitre consacré à l’histoire de Black Flag, que les paroles de ce dernier, dont la plupart étaient écrites par Ginn, n’ont jamais comporté “punk unity” ou “bashing Reagan53”. Même si dénigrer le président américain pouvait être utile pour rassembler les différents groupes punk, cela ne signifie pas nécessairement que cela était toujours au programme, et cela fait douter que les motifs de son accusation aient été toujours cohérents ou toujours si bien fondés, et encore moins qu’il y avait une perspective alternative. Ce doute est d’ailleurs exprimé dans les remarques de MacLoad et de Blush, que nous avons citées précédemment (“enemy with a face54” ; “All “outsiders” could agree they hated him55”). Si les paroles de Ginn et de Black Flag étaient introspectives, loin d’être politiquement explicites, cela relève cependant moins d’une indifférence à la politique, de leur part, au sens strict du terme « politique », que du fait que l’écriture de leurs paroles se fondait sur une sorte d’individualisation forte, c’est-à-dire sur une mise en valeur et un traitement raffiné des sentiments personnels que généraient les événements extérieurs, quelle que soit leur source. À cet égard, il en va d’ailleurs de même pour MacKaye, à Washington D.C., à propos duquel notre auteur américain parvient à fournir davantage d’éléments grâce à son interview, ce qui nous permet d’accéder à ses idées et au principe de l’écriture de ses paroles, et même à sa vision de ce qui l’entourait alors : Countless hardcore bands sang variations on the “Reagan sucks” theme, but MacKaye pointedly avoided taking any potshots at the doddering hawk in the White House. It took far more nerve to call your own people to task than to deplore things like the situation in El Salvador, which MacKaye feels most bands didn’t even understand anyway. “I fuckin’ hated Reagan,” says MacKaye. “I’ve always hated the government. I guess what I felt like was it wasn’t my domain. I didn’t know enough about politics to really sing about them. And I didn’t know enough about the world to really sing about it. But I knew enough about my world to sing about it56.” Ce « décalage » d’avec la contemporanéité témoigne également du fait que les choses que le punk hardcore mettait en cause, ou plus précisément ce contexte politique, social et culturel qui influençait sa musique et ses paroles à ses débuts, avait été formé, avait commencé à affecter les jeunes, bien avant l’ère Reagan. Il en va de même pour le discours du punk britannique : comme le souligne Caroline de Kergariou57, le moment auquel les premiers groupes punk importants — Sex Pistols, Clash, Stranglers, Wire et de nombreux autres — ont commencé leurs activités, et celui où la scène punk s’est formée, se situent bien avant le début du mandat (du 4 mai 1979 au 28 novembre 1990) de Margaret Thatcher, la Première ministre conservatrice, qui est considérée et mentionnée presque automatiquement comme leur « ennemie numéro un ». Pour être précis cependant, le punk britannique émergea durant l’époque où se succédèrent deux Premiers ministres du Parti Travailliste — Harold Wilson (de mars 1974 à avril 1976) et James Callaghan (d’avril 1976 à mai 1979) —, tandis que le premier punk hardcore américain prit son essor durant le mandat unique de Jimmy Carter (de janvier 1977 à janvier 1981), président du Parti Démocrate, et que le début du punk américain — avec Television, Ramones, Blondie, Talking Heads, etc. —remontait lui à l’époque de son prédécesseur républicain, Gerald Ford (d’août 1974 à janvier 1977). Par ailleurs, on a tendance à mettre en avant une collaboration persistante entre le mouvement évangélique et Reagan comme étant un facteur clé dans le « règne » de ce dernier, alors qu’en réalité il ne faudrait pas oublier le rôle de Carter, très fervent croyant baptiste et dont la sœur, Ruth Carter Stapleton, était évangéliste et guérisseuse, de Carter qui s’était autoproclamé chrétien “born-again” (« né de nouveau »). Il avait, comme le souligne Boyer, incarné en premier ce rôle en avouant ouvertement sa foi. Ainsi, une ambiance religieuse plus large avait déjà commencé, dans les années 1970, à façonner la vie et la politique américaines.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : CONCEPTS: URGENCE, NIHILISME ET LINEARITE (ET NONLINEARITE)
CHAPITRE I : L’URGENCE ET LA SOCIÉTÉ AMÉRICAINE
A. Questions sur la définition du terme
B. Une analyse d’exemples d’utilisation du terme dans certains discours en musicologie
1. Sur le hard rock et heavy metal de la fin des années 1960
2. Sur le punk rock des années 1970 : la voix « angoissée »
3. “As if the plug might be pulled at any time”
4. Au-delà du cliché “harder, louder, and faster”
5. Synthèse et perspectives
C. La société américaine de la fin des années 1970 et du début des années 1980
1. “As if there was gonna be no tomorrow”, la rupture redoublée de la culture punk hardcore
2. Ronald Reagan et le punk hardcore
3. Le déclin du “liberalism” (progressisme)
4. Menace nucléaire, peur d’une nouvelle guerre mondiale et conscience apocalyptique
D. Un individualisme radical
1. Une rupture historique « redoublée »
2. Individualisme et D.I.Y. (Do It Yourself) du punk
3. Straight edge et retour à la religion chez les jeunes
CHAPITRE II : “PUNK ROCK NIHILISM”
A. Au-delà de la vulgarisation du terme : son étymologie et quelques points de vue différents
B. Les nihilistes russes
C. Interprétation morale et positivité
D. Le post-punk : un « positivisateur » ?
E. Rétrograde ou indifférent ?
F. Nihilisme existentiel et punk rock
G. La création nihiliste
1. Un espace vidé par une négation radicale : la simplicité comme négativité
2. L’anéantissement, la guitare à la main
3. The Edge (U2), “Punk Rock nihilism”
CHAPITRE III : TEMPORALITE MUSICALE
A. Linéarité et non-linéarité
B. La non-linéarité à l’œuvre, musique classique tonale et musique populaire
1. La consistance de la texture
2. Les proportions de la durée
C. Rock et intemporalité
D. Vers la structure horizontale
E. L’obtention au niveau horizontal d’un sentiment d’urgence dans une chanson punk hardcore (cinq catégories pour l’analyse)
DEUXIEME PARTIE : DE CHUCK BERRY A BLACK FLAG : UNE ANALYSE MUSICALE ET HISTORIQUE DE LA PREMIERE CHANSON ENREGISTREE DU PUNK HARDCORE
CHAPITRE IV : LE PREMIER ENREGISTREMENT DE PANIC/BLACK FLAG
A. Janvier 1978, Media Arts Studio, Hermosa Beach
B. La prédominance de la guitare
C. La formation du groupe et l’influence de l’arena rock
D. L’été 1977, où Dukowski se joignit au groupe
E. L’introduction de Nervous Breakdown et son interprétation historique
1. Le bruit « préparatoire »
2. Le riff de guitare principal, le power chord de Si
3. La chanson Nervous Breakdown comme point de départ
4. Pour une analyse historique comparative
CHAPITRE V : CHUCK BERRY ET LE RYTHME « DE CONFIANCE »
A. L’émergence de la guitare électrique et les « modèles » de Berry
B. Carl Hogan et ses performances avec Louis Jordan
C. Une analyse comparative entre Hogan et Berry
1. Singles notes et ambiguïté binaire/ternaire : Ain’t That Just Like A Woman
2. La fonction du « doubles cordes » : Roll Over Beethoven
– Le renforcement du registre aigu
– Une distinction entre les registres aigu et grave
– Sur le doigté du jeu à doubles cordes
D. L’intro de Johnny B. Goode et l’héritage politico-culturel de la clave son
1. Doubles cordes et clave son dans Roll Over Beethoven et dans Johnny B. Goode
2. L’ajout du bend et l’extension du 3-3-2
E. Polyrythmie et flexibilité rythmique dans le jeu de guitare de T-Bone Walker
1. I Got A Break Baby (1942)
2. Riffette (1942/1945) et T-Bone Boogie (1945)
F. Le style de Chuck Berry : une appropriation à la Berry ?
1. Le cycle du matériau : Johnny B. Goode
2. Roll Over Beethoven et systématisation du matériau
3. Superposition binaire/ternaire
4. La Guitare rythmique de Johnny B. Goode
5. Backbeat et « intemporalité »
6. Le jeu de la contrebasse en tant que facteur temporel dans la chanson
7. Prospérité économique et « confiance musicale »
8. Entre rock and roll et punk rock
CHAPITRE VI : POWER CHORD, LOUIE LOUIE, ET YOU REALLY GOT ME
A. La notion de “power chord”
B. L’aspect corporel du power chord
C. You Really Got Me (1964), des Kinks
D. Louie Louie et l’émergence des « garage bands » au Nord-Ouest des États-Unis
1. Richard Berry : Louie Louie
2. La Louie Louie de Rockin’ Robin Roberts et les Wailers
3. La Louie Louie des Kingsmen
4. L’influence de Louie Louie sur les groupes britanniques : The Who et The Kinks
– I Can’t Explain des Who
– Louie Louie et les Kinks
5. La Louie Louie des Sonics (1966) et le déclin du rock garage
CHAPITRE VII :LA « GRADATION »COMME FORME D’INTRODUCTION ET LA TENDANCE METAL
A. Sur la gradation dans l’introduction d’une chanson rock : analyse comparative entre Black Sabbath et Black Flag
1. Black Sabbath pour Black Flag
2. Paranoid (1970) et sa brièveté
3. La rythmique 3 : 3 : 2
4. Efficacité et facilité de jeu
5. Le « palm mute »
B. Communication Breakdown (1969) de Led Zeppelin
1. Efficacité et économie corporelle dans le doigté guitaristique
2. Analyse comparative avec Paranoid
C. Paranoid et Nervous Breakdown, éléments harmoniques
D. L’influence de Paranoid et de Communication Breakdown sur le punk / le punk hardcore
E. Une comparaison des sons des trois groupes ; le changement dans le rôle des instruments : son rapport à la structure horizontale de la chanson entière
CHAPITRE VIII :RAMONES
A. “If they can do it, why can’t we?” (S’ils peuvent le faire, pourquoi pas nous ?)
B. Le début des Ramones : celui du « punk rock »
1. Jacky, Judy et Sheena
C. Une « sensibilité pop »
D. Les Ramones et la vitesse
E. Une comparaison des sons d’une introduction : Listen To My Heart et Nervous Breakdown
CHAPITRE IX : NO FEELINGS : LA DIALECTIQUE MUSICALE À L’ŒUVRE DANS LES ENREGISTREMENTS DES SEX PISTOLS
A. Le contexte
B. L’intro de guitare solo
C. La ligne de basse
1. Hang On To Yourself, entre rockabilly et proto-punk
2. Les lignes de basse de Matlock dans les différentes versions de No Feelings
– L’introduction et la tierce majeure dans la basse
– Le couplet et la basse « active »
– Le refrain
– Session suivante et développement des fills de la basse
D. Le son et la prédominance de la guitare
E. De la perspective horizontale à la perspective verticale
F. Raccourcissement husserlien et urgence en musique
TROISIEME PARTIE :LA CRISTALLISATION DES MATERIAUX MUSICAUX DU PUNK HARDCORE AU DEBUT DES ANNEES 1980
CHAPITRE X : MIDDLE CLASS, BLACK FLAG ET THE CIRCLE JERKS, LE PUNK HARDCORE EN CALIFORNIE DU SUD EN 1979-1980
A. Middle Class, le groupe de l’OC (comté d’Orange)
1. Vitesse et skank beat
2. Out Of Vogue et « refrain fragmentaire »
3. You Belong, une sorte d’allégorie
4. Above Suspicion et sa formule de batterie
B. Black Flag avec Robo à la batterie
1. Compositions abondantes, répétitions dures et concerts rares
2. Les sessions pour leur premier LP
3. Wasted, version d’octobre 1979
C. Entre violence dans l’auditoire et éthique de travail
D. La confusion chronologique régnant autour des enregistrements de Everything Went Black (1983) et de la sortie de Jealous Again (1980)
E. Analyse du morceau Jealous Again (Black Flag)
– Comparaison avec Nervous Breakdown
– Le son de la guitare
– La structure du riff et la prédominance de la guitare
– Un fill de guitare de type Chuck Berry
– La guitare rythmique (refrain)
– Le fill de batterie et ses connexions historiques
F. The Circle Jerks, Red Tape
CHAPITRE XI :LA SCÈNE DE WASHINGTON D.C. ENTRE 1979-1981
A. Bad Brains et la virtuosité punk hardcore
B. Pay To Cum (1979)
1. L’intro de guitare
2. Structure horizontale et forme appel-réponse
C. L’influence des Bad Brains : The Teen Idles et The Untouchables
1. I Drink Milk (1980/1982) des Teen Idles
2. Rat Patrol (1980/1982), des Untouchables
3. La temporalité de Minor Disburbance (1980) et l’éthique de travail de Dischord Records
4. Une maîtrise de soi à l’ère du post-modernisme
D. Le premier EP de Minor Threat (1981)
1. Tempo et durée
2. Structure horizontale
3. « Polarisation » sur les refrains fragmentaires
4. Straight Edge
5. Out Of Step et un autre type de contrôle
CHAPITRE XII : LE PREMIER ALBUM DE D.R.I : FLEXIBILITÉ TEMPORELLE ET IRRÉGULARITÉ SECTIONNELLE
A. Le blast beat et sa nouvelle temporalité
B. Les quatre morceaux de plus d’une minute
1. Sad To Be
2. I Don’t Need Society
3. No Sense et War Crime
C. Les morceaux d’entre une minute et trois quarts de minute
1. Commuter Man et Blockhead
2. Dennis’s Problem et Yes Ma’am
3. Busted et Who Am I
D. Les morceaux entre trois quarts de minute et trente secondes
1. Money Stinks
2. Reaganomics
3. Balance of Terror
4. Capitalist Suck
5. Misery Loves Company
6. Closet Punk
E. Les morceaux de moins de trente secondes
1. My Fate To Hate
2. Plastique
3. F.R.D.C
4. Human Waste
5. Why
6. Draft Me
F. Synthèse
CONCLUSION
A. Un vécu en urgence
B. L’urgence en musique et son historicité
C. Un nihilisme musical
D. Spécifiquement américain
E. Coup d’œil sur le punk hardcore dans d’autres régions du monde et sur ses variantes dans les années 1980
BIBLIOGRAPHIE
A. Ouvrages et articles
B. Sources journalistiques, interviews et articles web (blog)
C. Principaux livrets et notices de disques et de coffrets
D. Filmographie
E. Discographie

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