Malgré les débats qu’elle génère, la grande hauteur est redevenue, depuis le début des années 2000, un projet d’actualité dans de nombreuses villes en France. Comme beaucoup de villes en Europe dans le contexte de concurrence interurbaine, Paris, Lyon, Marseille, etc. cherchent dorénavant à construire des bâtiments iconiques et représentatifs de l’innovation et du dynamisme de leur territoire respectif. La construction de tours est alors envisagée et promue par les municipalités alors même que la controverse sur les dimensions environnementales (densification des villes, question énergétique) et les dimensions architecturales (insertion paysagère, question patrimoniale) fait rage.
De nombreux travaux de recherche et innovations voient le jour dans le domaine de l’ingénierie de la construction, des matériaux, du génie climatique, mais aussi dans le domaine de l’architecture où la recherche sur les formes, la mutualisation et la flexibilité des espaces et les procédés de constructions permettent de proposer des tours toujours plus énergétiquement performantes et capables de mélanger des programmes et des usages différents. Cependant, rare sont ceux recensés dans le domaine de l’urbanisme, et la dimension urbaine de ces objets n’est que très peu abordée dans la littérature scientifique.
De plus, alors qu’en Ile-de-France de nombreux projets de tours se présentent aujourd’hui comme des outils d’intensification urbaine associant une mixité et une urbanité améliorées par rapport à leurs ancêtres des années 70 (allant même jusqu’au concept de ville verticale), aucune recherche scientifique n’a aujourd’hui démontré leur capacité de contribution à la ville horizontale existante.
Or justement, s’il est envisageable d’imaginer certaines tours capables d’intensifier un territoire, il semble néanmoins que ce sont la qualité urbaine – l’urbanité – et la capacité d’intégration qui font défaut à de nombreuses tours en France. L’objectif de cette recherche est donc de combler le manque de travaux dans le domaine de l’aménagement et de l’urbanisme concernant la grande hauteur : c’est la capacité des tours à participer de la qualité urbaine, à contribuer à l’urbanité des villes contemporaine qui est, en particulier, ici posée.
Depuis le début de la société urbaine, le statut et le rôle des édifications en hauteur ont grandement évolué. Avant la fin du XIXe siècle, la construction en hauteur était uniquement réservée à l’expression d’un pouvoir public supérieur politique ou religieux, et ceci dans toutes cultures mondiales : ainsi, les pyramides égyptiennes ou mexicaines, les clochers des églises, les minarets, les beffrois, les campaniles, etc. représentaient l’expression des pouvoirs religieux ou politiques (Didelon, 2010), mais on dénombre aussi certaines constructions hautes privées comme à San Gimignano en Italie où, au moyen âge, la hauteur des maisons-tours était proportionnelle à la richesse de leur propriétaire (Chapel, 2007; Pomeroy, 2008).
Au début des années 1900, un tournant s’opère en Amérique du Nord avec la construction, dans les centres villes américains, de bâtiments de grande hauteur qui deviennent pour la première fois habitables (Tilmont & Croizé, 1978). Dédiés aux activités du secteur tertiaire, ces gratte-ciel deviennent alors un symbole de la puissance de grands groupes économiques américains (Helsley & Strange, 2008) (Annexe 1). La première tour de ce nouveau genre se construit à Chicago en 1885 (Didelon, 2010) et marque le début d’une concurrence avec la ville de New-York qui durera jusqu’à la crise économique de 1930 (Peet, 2011). Durant ces années, des records de hauteur sont atteints très rapidement en partie grâce à la rapide progression des techniques de construction, ainsi qu’à l’invention de l’ascenseur et du téléphone rendant possible la communication entre les différents étages (Didelon, 2010).
Dans les années 1950, et après un ralentissement de la construction durant la seconde guerre mondiale, les tours renouent avec le pouvoir politique en jouant un rôle dans l’affrontement idéologique entre les Etats-Unis et le bloc soviétique (Peet, 2011) (Annexe 1). Ces gratte-ciel, objets si symboliques et synonymes de pouvoir économique et de capacité d’innovation des entreprises et parfois des nations, ont dans le même temps une influence certaine dans la concurrence interurbaine qui se joue depuis le début du XXème siècle : en premier dès les années 1900 entre NewYork et Chicago jusqu’à la crise économique de 1930, puis dans les années 1990 lorsque se lance une course à la hauteur à l’échelle mondiale (Peet, 2011) (Annexe 1). Comme une acceptation de l’idéologie capitaliste qu’illustrent à présent les gratte-ciel, les pays s’affrontent alors pour établir des records de hauteur toujours plus impressionnants ; aujourd’hui la tour représente plus que jamais la force et la modernité d’une nation, sa puissance économique et son acceptation des modes de vie mondialisés des villes globales (Didelon, 2010; Firley & Gimbal, 2011).
Comme beaucoup de pays européens, la France, quant à elle n’a jusqu’à aujourd’hui pas pris part à cette course à la hauteur (Taillandier & Namias, 2009). Malgré un débat dans les années 30, et alors que les gratte-ciel fleurissent aux Etats-Unis à la même période, la France décide de ne pas massivement construire de tour. En revanche, les premières idéologies et logiques hygiénistes commencent à se faire connaître et deviendront, par la suite, la base des solutions pour le logement de l’après-guerre (Brunet, 2010; Peet, 2011) : Auguste Perret, Le Corbusier et Louis Bonnier deviennent alors de fervents partisans des tours « comme instruments de desserrement urbain » (Taillandier, 2009b, p. 389).
Pour le cas parisien, ce sont les rapports Thirion, puis Lévêque et Lafay qui relancent en 1950 le débat de la hauteur dans une recherche de modernisation et de maintien économique de Paris dans son contexte français. La création d’un centre d’affaire parisien est alors proposé intramuros afin d’éviter « l’éclatement de Paris » (Rapport d’André Thirion, 1950 ) : il adopte les immeubles hauts comme solution architecturale. Ce premier jet rejeté, il est finalement décidé, dans un second rapport, de le déplacer à La Défense. Parallèlement à cela, et toujours dans la logique de modernisation de Paris et pour proposer une solution aux problèmes du logement et d’insalubrité, il est finalement décidé de monter le plafond des hauteurs à 37 mètres (au lieu des 31 m habituels) dans certains quartiers périphériques de Paris (Castex & Rouyer, 2003, p. 27). Ce sont les débats d’après-guerre sur la rénovation urbaine qui réactualisent la question de la hauteur à Paris et permettent ainsi d’envisager la construction de tours pour les logements sociaux dans la banlieue parisienne (Annexe 1). Contrairement aux gratte-ciel nord-américains, conçus et développés par des acteurs privés et de manière isolée, les tours françaises émergent de politiques urbaines et sont construites par quartier (dans des ensembles) dans l’application des principes d’architecture moderniste.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : GRANDE HAUTEUR ET VILLES CONTEMPORAINES : ENJEUX ET DÉBATS
Introduction
Chapitre 1 : La grande hauteur en France et dans la métropole parisienne
1. Historique de la grande hauteur dans le monde et en France
2. Le retour des tours à Paris
3. De la tour à la ville verticale : définitions et concepts
Synthèse
Chapitre 2 : Les enjeux de la ville contemporaine
1. Ville durable – Ville intense : les idéaux actuels
2. Urbanité et qualité urbaine : indispensables de la ville intense
3. Les enjeux de la ville contemporaine mondialisée
Synthèse
Chapitre 3 : Tours mixtes et villes verticales dans la ville contemporaine : enjeux et débats
1. Les tours et le développement durable
2. Les contraintes particulières de la grande hauteur multifonctionnelle en France
3. Enjeu d’urbanité et articulation public/privé renouvelée
Synthèse
Conclusions et synthèse de la Partie I
PARTIE II : PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODE
Introduction
Chapitre 4 : Problématique et hypothèses
1. Comment une tour peut-elle contribuer à l’urbanité de la ville contemporaine ?
2. Récapitulatif des hypothèses et questions de recherche
3. Méthodologie générale
Synthèse
Chapitre 5 : Partie théorique – Caractériser la contribution d’une tour à l’urbanité de la ville
1. Mutation des espaces publics et nouvelles urbanités : le cas particulier des tours mixtes
2. Proposition : une grille de caractérisation de l’urbanité d’un lieu
3. Changement d’échelle : proposition d’une grille de lecture caractérisant l’urbanité d’une tour
Synthèse
Chapitre 6 : Partie empirique – Analyse du cas francilien
1. Objectifs
2. Choix des terrains
3. Méthode d’enquête qualitative (approche territoriale)
Synthèse
Conclusions et synthèse de la Partie II
CONCLUSION
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