Une tranquilité bouleversée L’arrivée de personnes en grand nombre

La genèse des crématoriums

Les origines de la crémation

Le mot crémation vient du latin « cremare » qui signifie brûler. Ensuite le terme s’est transformé pour donner « cramer » (qui est d’ailleurs réapparu dans le langage familier), puis « crémer » au VIIéme siècle.
« La crémation est l’action de sublimer un corps en le soumettant à une forte chaleur. Plus simplement, il est le terme adéquat pour désigner l’action de brûler un corps humain. »
Les premières traces de crémation remontent au néolithique, vers 6.000 avant Jésus Christ. En Asie, où elle est encore largement pratiquée, elle apparut dès -4000. Selon les archéologues, les incinérations étaient pratiquées dans un but religieux : elles étaient profitables aux vivants car elle les préservait des âmes des morts.
« Les traces les plus anciennes de la crémation en Europe datent du IIIe millénaire avant notre ère. La plus ancienne urne cinéraire connue à ce jour a été découverte en Alsace (vers 2000 ans avant J.C.) ; elle provient d’un tumulus de la forêt de Haguenau.
Certains peuples croyaient à la vie de l’âme en dehors de son corps et choisissaient la crémation afin de libérer plus vite l’âme de son enveloppe corporelle. Ainsi, Stonehenge fit office de crématorium pour les celtes durant deux siècles, il y a 4 300 ans.
Présente également dans les rites étrusques, elle ne se répandit en Gaulle qu’à partir de 100 avant J.C. sous des peuples voisins, notamment les Germains et les Romains.
En 789, Charlemagne crée le Capitulaire De partibus Saxoniae, une législation d’exception qui prévoit la peine de mort pour de nombreuses infractions, en particulier pour toute manifestation de paganisme, comme la crémation.
Cette pratique prend alors une valeur extrêmement symbolique. Mise en place au XIème siècle par Frédéric II de Lorraine pour se débarrasser des infidèles, la peine du feu est adoptée par l’église deux siècles plus tard. Ainsi durant tout le moyen-âge, le bûcher devient l’instrument de destruction du vice et entraîne le condamné vers la damnation éternelle.
La première période de séparation de l’Église et de l’État (1795-1802) fait réapparaître la crémation dans le débat public. Pendant tout le XIXème siècle, les hommes réfléchissent à l’incinération. La croissance démographique et les connaissances en matière d’hygiène font qu’ils s’interrogent sur une élimination sûre et hygiénique des cadavres.
C’est à partir de ce moment que l’on peut parler de « crémation moderne ». En effet, c’est après la Commune de Paris que se développent la Médecine, de l’hygiéniste et de la liberté d’opinion.
La Loi sur la liberté des funérailles est votée malgré tout en France, en 1887.
La première incinération « légale » en France eu lieu en 1889, dans l’unique crématorium de France : celui du père Lachaise. Cette même année, le premier édifice du genre assura 49 crémations.
En 1963, l’Eglise Catholique lève l’interdiction pour ses fidèles, en préconisant néanmoins l’inhumation.
En 2006, 28% des français font ce choix et 139 crématoriums parsèment le territoire.
Aujourd’hui, c’est 167 établissements qui assurent la demande croissante, alors que 50% des français prévoient de se faire crématiser.

Les chiffres de la crémation

En Europe

La récente augmentation de la pratique crématiste en Europe, depuis les années 80 mérite qu’on s’y intéresse. Même si l’évocation du mot « crématorium » peut encore avoir des connotations historiques universelles, la crémation n’en n’est pas moins un fait socio-anthropologique actuel, complexe, et spécifique à chaque pays et culture du vieux continent.
Au niveau international, on remarque une réelle différence entre les pays du nord et ceux du sud de l’Europe. Moins de 15% des italiens, espagnols et portugais pratiquent la crémation, alors que plus de 70% des suédois, des danois ou des anglais ont recours à ce choix.
Mais ces différences ne sont pas seulement d’ordre géographique, comme le montre la Pologne, qui ne pratique quasiment pas la crémation, alors que son voisin tchèque la pratique à plus de 80% .Le cas de la France est également éloquent, avec un taux deux fois moindre que son voisin belge.
Cette différence marquée s’explique entre autres par la présence plus ou moins forte de la religion dans la société.
Arnaud Esquerré de l’EHESS (École des Hautes Etudes en Sciences Sociales) a élaboré un classement des différents pays d’Europe, selon leur taux de crémation :
Plus de 70% de crémations : en tête la Suisse avec 82%, suivie de la République tchèque, le pays le plus déchristianisé du vieux continent, puis deux pays scandinaves, le Danemark et la Suède, enfin le Royaume-Uni.
– De 30% à 70% de crémations : les Pays-Bas, l’Allemagne, la Norvège, la Belgique, la Hongrie et depuis cette année, la France.
– De 15 à 30% : l’Autriche et la Finlande.
– Moins de 15% : l’Italie, l’Espagne, l’Irlande et la Pologne

En France et à Nantes

Alors que pendant près d’un siècle, la France ne fut équipée que de quatre crématoriums, plus de cent cinquante sont sortis de terre en trente ans. Avec ses 167 crématoriums, l’hexagone compte désormais un crématorium pour 407 000 habitants. En 1980, nous étions 0,9% à faire le choix de la crémation, en 2010 nous étions 30%. Cette expansion de la pratique crématiste à partir des années 80 s’explique notamment par l’opposition de l’église, qui était plus puissante à l’époque, mais aussi par le coût élevé de cette infrastructure technique, qui ne fut pas prioritaire depuis la Reconstruction. Car la seconde guerre mondiale a également joué son rôle, en renforçant le sentiment religieux des français et en véhiculant une image néfaste des fours crématoires, à travers le génocide juif.
Il y a encore une trentaine d’années, la crémation était inconnue des français, aujourd’hui, elle représente 35% des obsèques. De plus, l’enquête Ipsos/Services Funéraires – Ville de Paris 2013 a révélé que 57% des personnes âgées de 60 ans et plus, privilégient la crémation pour eux-mêmes, ce qui prévoit la continuité de cette tendance à la hausse.
On note cependant de larges écarts dans cette pratique funéraire selon les régions : les corses ne font que très rarement recours à la crémation alors que les alsaciens la pratique à 32%. Sur la carte ci-contre, on remarque nettement le clivage est-ouest. Les régions limitrophes avec l’Allemagne, la Belgique et la Suisse, étant des pays très crématistes, témoignent d’une plus forte pratique, alors qu’à l’ouest de la France, où le catholicisme est plus présent, les taux de crémations sont moindres.
En 2010, le nombre de crémations à Nantes était de 2292 […]. Elles proviennent essentiellement de Loire-Atlantique (93,5%), en majorité de Nantes (48,8%) puis des communes de l’agglomération nantaise (33,7%).
A l’horizon 2030, le taux de crémation représenterait environ 50% des obsèques de l’agglomération nantaise alors qu’il atteint d’ores et déjà les 30% »
Nantes semble également suivre la tendance nationale, avec une très forte augmentation de la fréquentation du crématorium de Nantes nord (2226 crémations ont eu lieu à Nantes en 2011). Mais ces chiffres sont à mettre en perspective avec ceux des communes plus rurales où l’inhumation est encore très présente. Car la crémation reste une pratique urbaine et représente pour la plupart des agglomérations 50% des obsèques.
La crémation est, comme nous l’avons vu, apparue très subitement dans l’histoire. Si elle est pratiquée à 99% au Japon depuis des millénaires, cela ne fait que quelques décennies qu’elle est réapparue sur le vieux continent, après avoir subi un fort déclin durant le Moyen-age, il y a 1200 ans. Cette apparition soudaine apporte de nombreuses questions et adaptations de nos sociétés contemporaines.
Phénomène européen, elle se développe singulièrement dans les différentes régions, selon plusieurs critères sociologiques, religieux ou historiques. Car en effet l’apparition massive de ce choix dans l’avenir postmortem comporte de nombreux enjeux à prendre désormais en considération.
Pour la France et ses 167 crématoriums, la crémation se pose comme un réel enjeu, du fait du manque de structure significatif et de sa constante augmentation, alors qu’aujourd’hui un français sur deux souhaiterait se faire crématiser.

L’évolution de notre rapport au deuil, à la mort

Le deuil

Au début du XXème siècle, les français passaient le tiers de leur vie en deuil. Le grand deuil par exemple, était une tradition imposée par la société et pouvait durer un an pour les veufs, et jusqu’à deux ans pour les veuves. Cette période de deuil était fortement marquée par des codes vestimentaires prônant la couleur noire. Le demi-deuil, lui, touchait plus de personnes, car il concernait les proches en général, et se traduisait par le port d’un bandeau autour du chapeau, ou du bras, d’une boutonnière noir ou d’une crêpe.
De nos jours, dans certains pays de l’Europe de l’est, en Bulgarie notamment, le deuil d’une famille est communiqué au travers de petites affichettes collées sur les portes d’entrées, d’entrée d’immeuble où habitait la personne, et dans les commerces voisins.
Aujourd’hui, en Europe, le noir est une couleur à la mode, et le deuil n’est plus visible en société. Alors que le «mourir» n’a jamais autant été mis en scène, la mort se fait de plus en plus discrète : très peu mise en scène dans les films, les morts ne reposent plus dans le foyer familial, on ne va plus au cimetière, on ne montre plus de signe de deuil… Autant de signes qui montre une évolution de notre rapport à la mort.

La mort

« Les rites sont dans le temps, ce que la demeure est dans l’espace »
Au XVIIème siècle, la mort était perçue comme un châtiment divin auquel on ne pouvait échapper. Fatalité de la vie, punissant les pêchés de l’homme, la mort était au centre des pensées, comme le montre les nombreuses vanités de cette époque.
Le siècle des Lumières et ses grands progrès en médecine et en thanatologie effaça peu à peu l’idée de la mort comme châtiment divin, en lui donnant des causes scientifiques(maladie, accident, usure…). C’est également la période de naissance de l’hygiènisme, qui entraînera l’éloignement des cimetières du centre des villes.
Le XIXème siècle voit naître l’idée que la médecine peut dorénavant lutter contre la mort, ce qui la pousse dans ses recherches, jusqu’aux grandes trouvailles du XXième siècle, comme le vaccin, le microbe, la péniciline ou encore la stérilisation.
La prévention contre les choses « mauvaises pour la santé » se développe, l’idée de la bonne santé à préserver apparaît. La mort est à présent toujours explicable, on ne « part » plus, on meurt forcément de quelque chose, et de plus en plus souvent à l’hôpital.
« Mourir » est désormais bien plus important socialement, que la « mort ».
Mais à l’heure actuelle en France, alors que notre santé et notre espérance de vie ne se sont jamais aussi bien portées, nous sommes au coeur d’un débat sur l’euthanasie. Toujours désireux de contrôler la mort un peu plus, nous mettons tout en oeuvre pour la repousser, mais cherchons également maintenant à la provoquer.
Cette rapide mutation de notre rapport à la mort ne saurait se dissocier de l’évolution de nos pratiques funéraires ; ainsi, mettre au regard ces deux évolutions sociologiques nous donne quelques clés pour appréhender cette augmentation significative de la crémation dans notre pays.

La gestion des corps morts

C’est là le tragique chez nous, que nous quittions tout doucement le monde des vivants dans une simple boîte. »Friedrich Hölderlin
Si la crémation est bien plus présente dans les moeurs françaises depuis une vingtaine d’années, il en va autrement pour les cendres qui en découlent. Avec le développement massif des crématoriums vient inévitablement la question cruciale des modes de sépulture. La tombe demeurait jusqu’alors l’idéal type, mais n’est à présent plus le modèle unique, ce qui pose la question du culte du tombeau, mais aussi, d’un point de vue plus pragmatique, de sa gestion.
Ainsi les pratiques autour de la crémation sont diverses, du fait de la liberté qu’offre et qu’a offert ce mode de sépulture. A l’issu de la cérémonie, les proches d’un défunt ont donc la possibilité d’inhumer l’urne dans le caveau familial, déposer l’urne dans un colombarium, disperser les cendres dans un lieu symbolique, poser l’urne sur un buffet familial, sur la cheminé (jusqu’à 2008), disperser des cendre dans le jardin du souvenir, abandonner l’urne funéraire ou même diviser les cendres dans plusieurs contenants.
Devant certaines dérives de la gestion des cendres, les politiques français ont voté une loi orientant les pratiques de la crémation (loi du 22 juin 2006), ayant pour but de contrôler la qualification des opérateurs funéraires, d’améliorer la formation professionnels et de simplifier les démarches des familles. Il y a donc bien des réflexions devant de nouvelles problématiques que je qualifierai d’anthropologiques, puisqu’elles touchent directement à la mort. Ceci abouti à la constitution d’un cadre juridique pour les cendres, en leur donnant un statut légal, alors que cela n’a jamais été fait pour le cadavre. Il y a donc ici une intervention du droit dans la construction d’une norme sociale qui peine à s’installer actuellement, d’après Gaëlle Clavandier (Maître de conférences en sociologie Université Lyon).
Le décret de mars 2007 et la loi du 19 décembre 2008 viennent compléter la loi précédente en modifiant les dispositions concernant les cendres des défunts après la crémation. Ainsi, les urnes ne peuvent plus être conservées par les familles au domicile. Le partage des cendres n’est plus permis. L’arrêté du 23 août 2010 vient quant à lui encadrer les procédures de funérailles par la rédaction d’un devis type qui devra être utilisé pour toute cérémonie de crémation.
Les influences mutuelles et réciproques qu’entretiennent la loi et la symbolique montre en quoi le sujet de la gestion des défunts, et plus largement de notre rapport à la mort est dans une période révolutionnaire.
La complexité de la loi reflète le caractère insaisissable d’une nouvelle donnée dans la gestion des corps morts : son déroulement hors du cimetière, dans le domaine privé. Totalement encadrés, les inhumations prévoient l’accompagnement des familles dans la constitution de la sépulture jusqu’à la dernière étape qui est celle de l’enterrement. Mais avec la crémation, les familles se voient confier une partie de la gestion du cadavre, à savoir la décision de la destination des cendres, constituant ou non un lieu de souvenir. Nous avons vu que cette responsabilité cruciale nécessite un cadre juridique afin de guider mais aussi de prévenir des dérives. Mais la décision du lieu de repos reste de toute évidence éminemment complexe pour les familles, que le défunt ait ou non précisé ses volontés posthume. Avec le développement de la crémation, le droit, la philosophie et la morale se voient confier de véritables enjeux anthropologiques avec de réelles questions dans le domaine de la mort, de la mémoire et du souvenir. Car malgré les dispositions juridiques, des questions sous-jacentes persistent encore, comme par exemple le devenir des urnes funéraires remises aux familles avant le passage de la loi ou l’envoi de cendres dans l’espace …
Mais le crématorium soulève également des questions juridiques et sociales concernant des thématiques écologiques et sanitaires, empruntes de notre culture contemporaine dans laquelle il s’insère.

Une légitimité environnementale ?

« Les cadavres incinérés sont constitués de 75 % d’eau, 20 à 25 % de calcium et 0 à 5 % de divers (prothèses, bijoux, amalgames dentaires). La crémation humaine s’opère à 900° environ et les éléments sont vaporisés et/ou réduits en cendres. En fin de crémation, les imbrûlés (prothèses, bibles, bijoux) sont retirés. La plupart des métaux sont fondus (or) ou transformés en gaz (mercure). »1
Selon un sondage de la fin des années 90, 27% des personnes ayant choisi la crémation l’auraient fait pour des raisons écologiques. Longtemps accusée de polluer les sols et nappes phréatiques, l’inhumation trouve avec l’arrivée de la crémation, une ombre derrière laquelle se cacher. Car si enterrer les cadavres est susceptible de polluer notre eau ou nos sols, il a récemment été avéré que les incinérer pollue notre air, avec des impacts sur notre santé. Ce que le sénat négligea en 2001 devient aujourd’hui l’objet d’une nouvelle loi pour 2018 : l’émanation de mercure dans l’air.
La sensibilité croissante aux causes environnementales a poussé la Suisse et la Suède, avant la France, à relever des problèmes liés à la combustion du mercure (entre autres) et prendre certaines dispositions concernant l’équipement technique des crématoriums.
« Il n’y a pas de réglementation européenne sur ce sujet, et les normes nationales sont assez disparates, tant dans les seuils d’émission retenus que dans la nature des polluants contrôlés (voir tableau ci-après). La sévérité des normes est a priori sans impact sur les pratiques puisqu’on observera que l’Espagne et l’Italie ont les taux les plus faibles, alors que les normes sont très lâches pour la première et très strictes pour la seconde. »

 

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Table des matières

INTRODUCTION
I/ UN EDIFICE AU STATUT EQUIVOQUE
1- La génèse des crématoriums
1.a – Les origines de la crémation
1.b – Les chiffres de la crémation
En Europe
En France et à Nantes
2- Entre enjeux pragmatiques et anthropologiques
2.a –La surcharge et le manque de structures
2.b – L’évolution de notre rapport au deuil, à la mort
2.c – La gestion des corps morts
2.d – La légitimité environnementale
II/ LA CONTROVERSE DE SAINT-JEAN-DE-BOISEAU
1- Travail de terrain
1.a – Saint-Jean-de-Boiseau
1.b – Terrain choisi
2- L’affaire «crématorium»
2.a –Chronologie
2.b – Les acteurs
3- L’opposition au crématorium
3.a – Une tranquilité bouleversée L’arrivée de personnes en grand nombre
Le chamboulement du bourg
La sécurité des enfants
3.b – Not in my backyard
Le malaise
La pollution
La protection d’un espace boisé protégé
Des nymbys?
4- Des stratégies de communication controversées
4.a – La découverte du projet
4.b – Le point de vue du Maire
4.c – Les projets de crématorium doivent-ils bénéficier d’un soin particulier ?
5 – Une évolution des politiques pour une meilleure acceptation ?
5.a – Une gestion régionale ?
5.b – Quel contexte pour nos crématorium ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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