Une terre d’Afrique et de la Mer rouge
La République de Djibouti est un pays d’Afrique. Elle est située dans l’hémisphère nord à midistance entre l’Equateur et le Tropique du Cancer, entre 10° 55 ‘ 12°45′ de latitude Nord ; 41° 45′ et 43°25’ de longitude Est, à l’extrême Nord-est de la Corne de l’Afrique. Elle est limitrophe de la Somalie au Sud-est, de l’Érythrée au Nord et de l’Éthiopie à l’Ouest et au Sud. Djibouti est aussi située sur la rive Ouest de la Mer Rouge, avec une façade maritime qui s’étend sur 370 km du Ras Doumeira, au Nord, au village de Loyada, au Sud. Par cette façade relativement longue, le pays donne sur le Détroit de Bab-El-Mandeb comme sur le Golfe d’Aden. La Péninsule arabique et le Golfe arabo-persique ne sont pas loin. Le reste du MoyenOrient non plus. Ce n’est pas sans inscrire Djibouti dans la géopolitique mondiale. La superficie de Djibouti est de 23 200 km² et sa population de 942.333 habitants en 2016 (https://donnees.banquemondiale.org/pays/djibouti).
Sa capitale est Djibouti-ville, une cité portuaire qui abrite plus de deux tiers de la population. Ses autres villes de taille significative sont Tadjourah et Obock au nord, Arta, Ali-Sabieh et Dikhil au sud. Djibouti-ville concentre la vie économique, structurée autour des activités portuaires et commerciales. Au niveau climatique, la République de Djibouti est classée parmi les pays semi-arides chauds. Les températures sont clémentes dans les régions montagneuses, moins sur les basses terres où la température est rarement inférieure à 22°. Sur la côte, l’hygrométrie est élevée. La saison chaude (moyenne supérieure à 35°) s’étend du mois de mai au mois de septembre. Cinq mois durant, soufflent deux vents secs et brûlants : le Sabo du Sud-ouest et le Khamsin du Nord-ouest. Mai et septembre sont deux mois de transition où les vents se renversent, ce qui provoque un calme plat et accroit l’humidité.
De sa situation géographique, Djibouti tient une position géostratégique importante qui la place à l’entrée de la Mer Rouge et au carrefour de grandes routes maritimes, entre le Canal de Suez et l’Extrême-Orient. C’est une source de revenus comme l’indique le passage de l’essentiel du commerce extérieur éthiopien par ses ports. Ou comme en témoignent les loyers versés par les bases militaires occidentales et asiatiques qui se sont implantées dans le pays : bases française, américaine, italienne, japonaise, chinoise, pour ne citer que celles déjà opérationnelles. C’est aussi une source de potentiel de développement : Djibouti peut devenir une place commerciale forte pour un arrière-pays de taille dont l’Éthiopie et d’autres pays enclavés des grands Lacs.
Un peuple de pasteurs
Origines
On le sait aujourd’hui, la Corne de l’Afrique, dont fait partie la République de Djibouti, vit l’homme et la civilisation émerger très tôt, ce qui la fit connaître par d’autres parties du continent et du Monde. Ainsi, les Egyptiens connaissaient cette partie d’Afrique qu’ils désignaient sous le nom de « Pays de Pount ». Plus, des relations s’étaient tissées entre l’Egypte pharaonique et le Pays de Pount. Entre autres auteurs, Oberlé et Hugo (1985) relèvent cette réalité historique dans leur ouvrage intitulé Histoire de Djibouti où ils écrivent notamment (p.20) : « Au cours des troisième et second millénaires avant notre ère, l’Egypte connaissait déjà la région sous le nom de Pays de Pount. Les vaisseaux des marchands égyptiens descendaient dans la mer Erythrée, cherchaient au Pays de Pount l’or, l’encens et la myrrhe. Les annales égyptiennes donnent même des chiffres précis sur les produits que rapporta l’une de ces expéditions envoyée par le pharaon Sahure ». Les Pharaons utilisaient l’encens pour parfumer leurs lieux de culte et la myrrhe pour momifier leurs corps. De fait, le « Pays de Pount » revêtait, aux yeux des Pharaons, une dimension religieuse, comme le suggère l’appellation « Ta Nétjer », elle aussi associée au « Pount » et qui signifie « Terre des Dieux ». Pourquoi « Terre des Dieux » ? Parce que « les Egyptiens considéraient que plusieurs de leurs grandes divinités étaient originaires de là-bas » (Moussa Iyeh, 2014, p.28). D’où leur double désignation (« Pays de Pount » ou « Terre des Dieux ») de la Corne de l’Afrique, usant de l’une ou de l’autre de ces appellations selon le cas. Même si « les textes hiéroglyphiques insistent en général sur le caractère religieux dont jouissaient ces terres lointaines et mystérieuses » (Ibid.). Cette importance de la Corne de l’Afrique pour les Anciens Égyptiens, se vérifie encore avec l’envoi au Pount par la Reine Hatchepsout, XVIIIème Dynastie, d’une expédition qui explora et décrivit le pays, comme en témoigne la représentation qui en fut faite à Deir-El-Bahari, dans la Vallée des Rois, en Haute Egypte. Cette expédition était formée de cinq navires et de plusieurs centaines de personnes parmi lesquelles, outre les membres de l’équipage, des soldats, des porteurs, des scribes et autres artistes. Elle était aussi porteuse de marchandises ainsi que de cadeaux et surtout d’une note de la Reine Hatchepsout au Monarque de Pount. A la tête de cette expédition, un personnage important, Senmout, architecte du temple de Deir-El Bahari (Moussa Iyeh, 2014, p.29). A en juger par la représentation que font d’eux les artistes de l’expédition qui, selon Moussa Iyeh (2014, p.31), « peignent les habitants de la Corne de l’Afrique comme des êtres ressemblant à s’y méprendre aux Egyptiens », les membres de la mission égyptienne ont dû se reconnaître en cette population par bien des aspects tels que «la physionomie, l’habillement et l’environnement ».
A leur tour, les Grecs, devenus maîtres de l’Egypte suite à la conquête de cette celle-ci par Alexandre Le Grand, s’intéressèrent à la région de la Corne de l’Afrique. Ainsi, les Ptolémée, dynastie qui dirigea l’Egypte trois siècles durant avant Jésus-Christ, entreprirent plusieurs voyages au « Pount » pour y contrer l’influence des Perses, puissance rivale dont le roi Darius fit état dans ses inscriptions du pays de « Koush ». Parmi les voyageurs grecs ayant écrit sur la Corne de l’Afrique, on peut citer Pythagore et son « Livre de la Mer Erythrée ». Mais aussi Dalion, Aristocreon, Bron, Basil, Simonide ou encore Diodore de Sicile et Strabon (Moussa Iyeh, 2014, p.32-33). Sur le Pount, un autre document antique que l’on fait remonter au 1er ou 3ème siècle après JésusChrist et intitulé Le Périple de la Mer Érythrée, a été localisé à la bibliothèque de l’université de Heidelberg en Allemagne. Une copie de ce texte, dont l’auteur, un navigateur originaire d’Alexandrie, n’est pas encore identifié, se trouve au Musée national britannique. C’est en empruntant la Mer Rouge que l’auteur parvint à visiter les villes côtières du Pount. Son texte comprend 7500 mots et décrit le pays de Pount (Mohamed-Abdi, 2014). Il s’intéresse notamment à la vie commerciale et administrative des cités visitées, relatant les échanges commerciaux (exportations et importations) et le mode d’administration (administration autonome ou dépendant d’un pouvoir extérieur à la ville).
Huit siècles plus tard, avec l’expansion de l’Islam, des géographes arabes commencèrent à visiter le Pount dont ils désignèrent les habitants par le terme de Zendjis. Ces visites exploratoires arabes du pays se poursuivirent jusqu’au XVème siècle de notre ère. Parmi ces géographes, citons avec l’historien et anthropologue somalien Mohamed-Abdi Mohamed dit Gandhi (2014): Ibn khordadbeh (IXe–Xe siècle), Istakhri (Xe siècle), Ibn Haukal (Xe siècle), Massoudi (Xe siècle), Al-Muqaddasi (Xe siècle), Al-Biruni (Xe-XIe siècle), Ferdowsi (Xe-XIe siècle), Edrisi (XIe-XIIe siècle), Yaqut Al Hamawi (XIIe-XIIIe siècle), Al-Qazwini (XIIIe siècle), Ibn Saïd (XIIIe siècle), Abul Fida (XIIIe-XIVe siècle), Ibn Wardi (XIVe siècle), Ibn Batouta (XIVe siècle) et El Bakoui (XIVe siècle). Dans une compilation de certaines de ces chroniques datant du Xème siècle et réalisée par Abu Zayd Hassan (Ferrand, 1922), on peut lire sur les Zendjis : « Le Pays des Zendjis est immense. Sa végétation est noire et se compose de dourah qui est leur principal aliment, de la canne à sucre et d’autres plantes. Les rois Zendjis sont constamment en guerre (…). Chez ces noirs, on prononce des Kotbah. Il n’y a aucun autre peuple de prédicateurs aussi éloquents pour prononcer la Kotbah qui est dite dans leur propre langue. Dans ce pays, il y a des gens voués au culte d’Allah. (…) C’est de ce pays des Zendjis qu’on exporte les peaux de panthère, dites panthères du Zendj, tachetées de roux et de blanc, qui sont grandes et fortes». Mais Egyptiens, Grecs, Perses et Arabes n’ont pas été les seuls à s’intéresser à la Corne de l’Afrique. Les Chinois, dont le passé marin et commerçant est connu, ont aussi visité la région et écrit sur elle. Des traces de cette présence chinoise ont été découvertes en Somalie, notamment dans la région de Mogadiscio, des traces parmi lesquelles des restes de céramique et des pièces de monnaie chinoises. Parmi les témoignages écrits chinois, on peut citer le texte intitulé ‘’Chu-Fan-Chi’’ de Chau ju-Kua (Hirth et WW.Rockhil, 1911/1967) qui date du XIIIème siècle. Chau ju-Kua y raconte notamment que le pays « compte quatre cités, les autres localités étant des villages », qu’il « produit de nombreux chameaux et moutons » et que « la population se nourrit de chair, de lait de chameau et de pain cuit ». Il évoque les habitants en ces termes : « Les habitants du pays Chang-li vont tête nue et pieds nus, s’enveloppent d’une pièce de cotonnade mais ne portent pas de veste. Le souverain habite dans une demeure en brique couverte de tuile cuite. Le peuple habite dans des huttes faites de feuilles de palme et couvertes de toit de paille. » Cette description, qui semble plutôt porter sur les citadins rencontrés dans les villes et villages côtiers, et qui aurait probablement noté le port de sandales en peau de bête domestique par les pasteurs nomades si l’observateur avait poussé son exploration vers l’intérieur des terres, donne notamment à voir la sobriété vestimentaire des habitants du Pount.
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Table des matières
Introduction
Première partie : Contexte de la recherche
Chapitre I : Contexte sociohistorique
1.1. Une terre d’Afrique et de la Mer rouge
1.2. Un peuple de pasteurs
1-2-1 Origines
1.2.2. Des éleveurs nomades
1.3. Que n’épargne pas la colonisation
1.3.1. Au commencement, des traités
1.3.2. Occupation coloniale
1.3.3. Introduction de l’école européenne
1.4. Un pays devenu indépendant
1.4.1. Le Territoire se fait République
1.4.2. L’école de la République
1.4.3. Hier comme aujourd’hui, l’école est source de changements
1.4.4. La rencontre traditionnel/non-traditionnel n’en reste pas moins complexe
Chapitre II : Une recherche multiréférentielle
2.1. De la multiréférentialité
2.1.1. Une notion née en sciences de l’éducation
2.1.2. Une approche inscrite dans le paradigme de la complexité
2.1.3. Loin de l’illusoire « connaissance sans sujet connaissant »
2.1.4. Par-delà l’empirisme et le pragmatisme simplifiants
2.2. Une démarche en ligne avec Morin et Pascal
2.3. Une approche non sans résonnances avec d’où nous venons
2.4. Autour du couple savoir et pouvoir
2.4.1. Le savoir : un objet multiréférentiel
2.4.2. Vers une analyse configurationnelle des situations éducatives et formatives
2.4.3. Et le concept de sociabilité ?
2.4.4. Le pouvoir : un autre objet multiréférentiel
2.4.5. Savoir et pouvoir : des liens repérables
Deuxième partie : Problématique et approche méthodologique
Chapitre III : Problématique de la recherche
3.1. A l’origine du questionnement, nos données d’expérience
3.2. Nos hypothèses
3.3. Des hypothèses soumises à une démarche exploratoire
3.4. Éléments repérés par la démarche exploratoire par entretiens autour de nos
hypothèses
Chapitre IV : Approche méthodologique
4.1. Choix méthodologique pour une enquête empirique
4.2. Une approche qualitative
4.2.1. Autour de l’observation participante
4.3. Scientificité de notre démarche
4.4. Population cible : pasteurs nomades, pasteurs sédentarisés
4.5. Dispositif de recueil de données par observation
4.5.1. Observer les acteurs en leurs lieux de sociabilité
4.5.2. Grille d’observation
4.6. Comment analyser les données et interpréter les résultats ?
4.6.1. Saisie et organisation des donnés
4.6.2. Analyse avancée des données
4.6.3. Interprétation des résultats
Troisième partie : Résultats et perspectives
Chapitre V : Analyse des données et interprétation des résultats
5.1. Analyse des données
5.1.1. Milieu rural
5.1.2. Milieu urbain
5.1.3. Tous lieux de sociabilité
5.2. Interprétation des résultats
5.2.1. De l’éducation dans la société traditionnelle
5.2.2. En ville, l’autre éducation : l’école
5.2.3. La scolarisation impacte les rapports sociaux traditionnels
5.3. Ce qui ressort de cette recherche empirique
Chapitre VI : Apport, limites et perspectives de la recherche
6.1. Retour sur le cadre théorique
6.2. Limites de la recherche
6.3. Apport de la recherche
6.4. Perspectives de recherche
6.4.1. La vie pastorale sous un climat qui change
6.4.2. Montée de la religiosité
6.4.3. Euphorisant et objet de pratique sociale : le khat
6.4.4. Une catachrèse de lieux de sociabilité
6.4.5. Un sentiment de régression
Conclusion
Bibliographie