UNE RIZICULTURE AVANT TOUT VIVRIERE
Un peuplement tardif (1900 – 1953)
Au début du 19ème siècle la population cambodgienne est faible relativement à l’abondance des terres disponibles dans le pays. Les terres de plaines, les plus propices à la riziculture, sont exploitées, ce qui permet d’assurer la sécurité alimentaire du pays alors que les plateaux restes en grande partie inculte. Seule une modeste colonisation paysanne existait avant 1920 pratiquée par des paysans de la plaine qui, après abattis-brûlis, installaient de petits champs de cultures annuelles de vente sur les bords du plateaux. Ainsi, jusqu’en 1920, le plateau de Chamkar Leu, connu comme étant une zone de paludisme, reste vide. Les terres rouges portent une forêt dense semi-caducifoliée tandis que les terres brunes sont recouvertes d’une forêt plus claire, facile à défricher. Les terres noires de la cuvette de Speu sont recouvertes de buissons et prairies difficiles à mettre en valeur car gorgée d’eau. Ce sont les sociétés françaises hévéicoles à qui le royaume du Cambodge concède de larges surfaces qui vont être à l’origine de la mise en valeur et du peuplement de ces terres vierges.
En permettant l’ouverture du territoire et l’aménagement de nombreux axes de communication, l’hévéaculture est le principal moteur de l’expansion agricole sur les plateaux de terre rouge. Dans un premier temps, ces sociétés, qui ont le monopôle de l’hévéaculture, importent une main d’oeuvre tonkinoise déjà formées pour les travaux de défrichement, de plantation et de saignée. Les Khmers participent réellement au système hévéicole en travaillant comme journalier dans les plantations à partir du début des années 40 et se stabilisent progressivement en petits villages créés par les plantations. Ces salariés n’ont pas le droit d’exploiter la terre à coté des plantations. Pour nourrir leurs employés, les sociétés hévéicoles mettent en place des parcelles de cultures vivrières (maïs), autour des plantations Le réel démarrage de l’agriculture familiale a eu lieu vers1945. Il a pu se faire grâce au fait qu’il restait sur la zone, des terres non concédées ou encore une grande part de terres concédées mais non exploitées.
Les paysans sont venues des zones de berges ou des zones de plaines alentours attirés par le bon potentiel agricole des terres rouges et ont commencés à défricher de part et d’autres de la nationale 71. La formation de gros villages comme Svay Teab, Bos Khnaor, Taong date de 1952, où, pour des problèmes d’insécurité, les petits villages se regroupent. Les plantations industrielles louent leur terre non plantée en hévéa pour une somme symbolique (300 riels/an) aux agriculteurs. Les plus pauvres travaillent souvent comme ouvriers agricoles dans les plantations d’hévéa. De gros commerçants louent ou possèdent également des terres de plateau qu’ils exploitent en faire valoir direct ou louent. Enfin, des exploitations agricoles de 2-3 ha à 10-12 ha partagés entre rizières et champ sont installées sur les terres non concédées.
L’indépendance (1953-1970)
Le roi Sihanouk obtient l’indépendance en 1953 sans heurt. Ce nouvel état change peu de chose. Les techniques agricoles n’évoluent guère. La mécanisation introduite en 1963 ne concerne pas l’agriculture paysanne, les rendements rizicoles n’atteignent pas plus de 1,5 tonnes/ha alors que l’utilisation d’engrais, de variétés sélectionnées ainsi que la maîtrise de l’eau permettraient d’obtenir quatre fois plus. La révolution verte ne se diffuse pas pour plusieurs raisons : l’Etat cambodgien ne dispose pas des moyens pour mettre en place le réseau hydraulique et le système de crédit nécessaire à l’introduction de variété sélectionnées. De plus, l’intensification n’est pas encore nécessaire, le foncier n’étant pas encore entièrement exploité. Par contre, une différenciation socio-économique se met en place entre exploitations agricoles. Le développement d’exploitations agricoles de plus de 10 ha se fait au détriment de la petite paysannerie endettée. L’endettement est en grande partie provoqué par le versement d’une rente foncière et par une période de travail obligatoire pour les agriculteurs qui ne peuvent pas payer les nombreuses taxes imposées par l’Etat. Pour y faire face et passer les périodes difficiles, les petits agriculteurs ont souvent recours au crédit usuraire.
Cet endettement est accentué par de 7 nouveaux besoins sociaux (associés à la période de colonisation : scolarisation, nouveaux biens de consommation). A partir de 1958, le monopole des sociétés françaises sur hévéaculture est aboli, on assiste alors au développement de plantations privées cambodgiennes soutenues par l’Etat (distribution de concessions à des fonctionnaires ou à de riches commerçants), puis plus tard, de plantations villageoises (PILLOT,2004). Ainsi sur le plateau de Chamkar Leu, en 1966, 16 990 ha sont plantés en hévéa (TICHIT, 1969). Une banque agricole publique, l’Office Royal de Coopération, est créée en 1956 pour soutenir le secteur agricole notamment par l’organisation du crédit. Un des objectifs de l’OROC est de limiter les pratiques usurières des fonctionnaires ainsi que des commerçants chinois3. Mais l’infrastructure trop lourde rend impossible cet objectif de remplacement du commerçant par une coopérative, surtout que la mise en place de celle-ci ne repose sur aucune structure paysanne préexistante.
Le crédit est alors réservé aux paysans pouvant fournir des garanties autres que la terre, le foncier, encore abondant, ayant peu de valeur. Le développement de l’hévéacultures familiale concerne cette catégorie d’agriculteurs. Les petits paysans qui n’ont pas accès au crédit n’ont pas les moyens de mettre en place une parcelle d’hévéa. Néanmoins, dans les années 60, une large majorité des exploitations agricoles sont de type familial. Cependant il apparaît qu’entre les années 50 et les années 60 des familles non agricoles (commerçants, fonctionnaires) acquièrent de plus en plus de foncier. Cette évolution s’explique par l’endettement des paysans qui se trouvent obligés de céder leurs terres lorsqu’ils ne peuvent rembourser leurs dettes. Cette tendance s’accentue à la fin des années 60 avec l’augmentation de la pression démographique et le foncier devient alors une source de conflit, avec l’apparition de paysans sans terre.
Les débordements de la guerre du Vietnam (1969-1974) et la période de l’Angkar (1975-1979) A partir de 1969, la guerre américaine au Vietnam s’étend au Cambodge dans la zone Est et Nord où l’armée américaine tente de contrôler par des bombardements massifs les infiltrations communistes dans le Sud Vietnam utilisant la Piste Ho Chi Minh qui passe au Laos et au Cambodge. Aux pertes humaines que cela engendre (au total, entre 300 000 et 600 000 pour tout le pays selon les sources, principalement des civils tués dans les bombardements) s’ajoutent les dommages sur les cultures et le cheptel. Les bombardements des villages (zones souvent arborées où peuvent de cacher les rebelles) obligent les paysans à se disperser dans les rizières, en laissant souvent à l’abandon leurs terres de plateaux (district de Stueng Trang).
Dans ce contexte, l’agriculture commerciale des terres rouges s’effondre. Les échanges intérieurs et extérieurs sont quasiment nuls. Une partie de la population rurale fuit vers les villes, à Phnom Penh en particulier. Les zones agricoles passent progressivement aux mains des rebelles, les Khmers Rouges. Ceux-ci basent leur propagande sur le fait que l’Etat exploite la classe paysanne pour pousser les agriculteurs à vendre leur terre (la terre du peuple khmer) aux plus riches. Pour acquérir le soutien des paysans les plus pauvres, les Khmers Rouges leurs redistribuent les terres de ceux qui ont fui vers les villes.. En 1970, un coup d’état contre la monarchie fait basculer le Cambodge dans la guerre civile, la République khmère est proclamée, dirigée par le Général Lon Nol.
|
Table des matières
INTRODUCTION
1.UN ECOSYSTEME DIVERSIFIE
1.1 LE MILIEU NATUREL
1.1.1 UN CLIMAT DE MOUSSON A DEUX SAISONS BIEN MARQUEES
1.1.2 MORPHOLOGIE, HYDROLOGIE ET PEDOLOGIE
1.2 UNE MISE EN VALEUR AGRICOLE FONCTION DE LA MORPHO-PEDOLOGIE
1.2.1 LES TERRES DE BAS FONDS ET DE PLAINE DOMINEES PAR LA RIZICULTURE
1.2.2 LES TERRES ROUGES ET BRUNES DES PLATEAUX ET DE LEURS MARGES
2 UNE DYNAMIQUE AGRAIRE INTERROMPUE
2.1 UN PEUPLEMENT TARDIF (1900 – 1953)
2.2 L’INDEPENDANCE (1953-1970)
2.3 LES DEBORDEMENTS DE LA GUERRE DU VIETNAM (1969-1974) ET LA PERIODE DE L’ANGKAR (1975-1979)
2.4 REFORME AGRAIRE ET LIBERALISATION ECONOMIQUE
2.5 UN FONCIER SATURE PAR LES MIGRATIONS
2.6 UNE DIFFERENCIATION SOCIO-ECONOMIQUE CROISSANTE
2.7 DE NOUVEAUX SYSTEMES DE PRODUCTION
2.8 PROPOSITION D’UNE TYPOLOGIE DES EXPLOITATIONS AGRICOLES
3 LE SYSTEME AGRAIRE ACTUEL
3.1 LES DIFFERENTS SOUS SYSTEMES PRODUCTIFS
3.1.1 UNE RIZICULTURE AVANT TOUT VIVRIERE
3.1.2 LES CULTURES ANNUELLES DES TERRES ROUGES
3.1.3 LE DEVELOPPEMENT DES CULTURES PERENNES
3.1.4 LES SYSTEMES D’ELEVAGE
3.2 L’ACCES AU MOYEN DE PRODUCTION
3.2.1 LE FONCIER
3.2.2 LA MAIN D’OEUVRE
3.2.3 L’ACCES AU CREDIT
3.2.4 L’ACCES AU SAVOIR TECHNIQUE
3.3 LES DIFFERENTES EXPLOITATIONS ET LEURS SYSTEMES DE PRODUCTION
CONCLUSION
Télécharger le rapport complet