Qu’entend-t-on par famille populaire ?
A juste titre, Louis Maurin – directeur de l’Observatoire des inégalités et journaliste au magazine alternative économique – s’interroge sur la chose suivante : « On ne cesse de parler des classes aisées, moyennes ou populaires mais où sont les limites entre ces catégories. »
D’où nos interrogations : qu’est-ce qu’une classe sociale et plus particulièrement qu’appelle-t-on classe populaire ? Au sein d’une société, il existerait des groupes appelés « classes sociales » qui seraient homogènes par leur statut social, leur mode de vie, leurs conditions matérielles, leur comportement, leurs intérêts, leurs actions ou encore leurs visions du monde.
La classe populaire (du latin populus, le peuple) est une classe dite « défavorisée » qui connaîtrait des désavantages du point de vue social et économique.
Le Larousse définie le terme populaire ainsi : « Qui est relatif au peuple, en tant que milieu social : quartiers populaires ».
Pour Louis Maurin, il faut distinguer les personnes défavorisées des personnes appartenant à la catégorie populaire. Sont considérées comme personnes défavorisées, toute personne seule vivant avec moins de 729 euros par mois, un couple sans enfant dont les revenus se situent en dessous de 1423 euros et un couple ayant deux enfants avec 1921 euros mensuels.
Ceux qui appartiennent à la catégorie populaire perçoivent au plus 1183 euros pour une personne seule, 2251 euros pour un couple sans enfant et 3100 euros pour un couple avec deux enfants. Le sociologue Louis Chauvel nous donne également d’autres pistes de réponses. En effet, selon lui les classes populaires représentent 60% de la population regroupant 20% « situé hors de l’emploi stable et valorisé » et 40% constituant une « classe populaire salariée stable. »
Et certains sociologues l’affirment : « ce n’est pas forcément la pauvreté qui caractérise les couches populaires. » Mais davantage un sentiment d’appartenance à une classe sociale en particulière mais aussi une situation par rapport à l’emploi. En 2002, le professeur d’Université Schwartz donne une définition « relationnelle » des classes populaires : « ensemble de groupes sociaux caractérisés par une position matériellement et culturellement dominée dans l’espace social et partageant des chances de vie et des conditions de vie marquée par un espace des possibles relativement restreint ».
Définir la notion de « famille populaire » s’avère donc être complexe. Les entretiens que j’ai pu mener le montre : les réponses sont parfois manquantes ou encore parfois très incomplètes en la définissant comme uniquement le « milieu ouvrier » par exemple. Voici les réponses que j’ai pu avoir. Pour Julie : un milieu populaire, c’est un milieu « où l’on retrouve des difficultés sociales, économiques, … » Pour Mohamed, il s’agit d’un « milieu regroupant les élèves défavorisés (dont les p arents sont issu de classes socioprofessionnelles telles que ouvriers qualifiés et non qualifiés). Pour Manon, c’est « un milieu défavorisé avec des familles avec peu de revenus ». Pour Jean-Philippe, cette classe se résume à une classe d’ouvriers et de salariés. Pour Imane, c’est « un milieu d’individus issus d’une classe sociale moyenne » et au cours d’une conversation elle m’a expliquée que cela dépendait également de la ville ou du quartier où l’on vivait.
Pour Sandy, la classe populaire « c’est le milieu où il fait bon vivre et où les personnes feront tout ce qui est en leur pouvoir pour s’entraider. » Et enfin, pour mon dernier témoignage (anonyme), appartenir au milieu populaire c’est « faire parti du peuple donc pas forcément tourné vers l’éducation ou les longues études, avec des ambitions moins élevées que les milieux favorisés ». Ainsi, les réponses divergent même si on retrouve quelques points en commun.
Il convient dès à présent de s’intéresser aux facteurs éventuels jouant un rôle dans la réussite des élèves issus de milieux défavorisés. L’objectif est de s’intéresser notamment à un profil type de ces individus.
Dans un premier temps, il s’agira d’aborder les facteurs internes à l’individu et à son environnement familial mais aussi de questionner la notion de « réussite ».
Une réussite liée à l’individu lui-même et à son environnement familial ?
Il convient premièrement de mener une réflexion autour de la notion de réussite : comment définir celle-ci ? Puis, de s’interroger sur les facteurs internes à l’individu et au milieu social qui contribuent à sa réussite.
Qu’entend-t-on par réussite ?
Selon le Larousse, une réussite est un succès, un résultat favorable – la réussite d’une entreprise, la réussite à un examen, la réussite sociale.
Premièrement, il convient de distinguer réussite scolaire et réussite éducative. La réussite scolaire est limitée à l’école alors que la réussite éducative est une notion beaucoup plus vaste. Ce concept concerne à la fois l’instruction, la socialisation et la qualification. La réalisation de son plein potentiel et l’atteinte de buts personnels fixés par l’étudiant sont aussi des dimensions importantes de ce concept. Ainsi, l’idée d’épanouissement personnel est jointe à la notion de réussite éducative. J’ai pu percevoir l’importance d’une réussite éducative grâce à mon expérience au PRE (Programme de Réussite Educative).
Dans le cadre du PRE, j’ai pu suivre Lucie et sa famille pendant plusieurs mois. Lucie était une élève de CM2 (elle est aujourd’hui en 6 e) qui était dyslexique. Elle a un frère et une sœur. Elle est extrêmement réservée.
Au fil de l’année, je me suis rendue compte que Lucie n’avait pas de réelles difficultés scolaires et étaient même très douées en mathématiques mais qu’elle avait davantage un manque de confiance en elle qui impactait sur sa vie scolaire. En effet, Lucie ne s’épanouissait pas à l’école –malgré des résultats corrects-, elle n’arrivait pas à se sociabiliser. Elle était extrêmement sensible et parfois se renfermait sur elle-même lors des interventions allant parfois jusqu’aux pleurs. Il s’agissait donc d’établ ir un climat de confiance entre elle et moi. Avec sa mère, nous avons fait un réel travail sur la confiance en elle. Il a fallu par exemple inciter la maman à féliciter sa fille (car ce n’était pas quelque chose de naturel pour elle). J’avais mis notamment en place un classeur nommé « apprendre à féliciter » où la maman devait écrire quelque chose de positif à chaque fois que Lucie faisait quelque chose de remarquable. Lorsque Lucie recevait son bulletin,j’incitais sa mère à la féliciter.
Au fil de l’année, Lucie s’est alors peu à peu ouverte et l’un des évènements qui m’a le plus marqué est lorsque Lucie a lu devant un public une partie d’un conte élaboré avec le PRE – chose qui n’était pas du tout envisageable auparavant. Lucie a obtenu de très bons résultats et a pu intégrer une 6 e dans un collège normal (avec la présence d’une AVS) ce qui a été réjouissant car Lucie a su trouver quelques moyens pour palier à sa dyslexie (pour apprendre une leçon, je lui ai appris par exemple à passer par un schéma, ce q ui l’aidait dans ses apprentissages).Cette expérience m’a permis de comprendre l’enjeu d’une réussite éducative et non uniquement scolaire.
Notons qu’il existe une journée nationale de la réussite éducative qui se déroule le 15 mai notamment en Sorbonne. Elle a pour objectif de réunir tous les acteurs qui travaillent chaque jour dans les territoires à la mise en place des politiques de réussite éducative. Elle vise donc à favoriser la cohérence et la synergie entre ces différents acteurs en offr ant un temps de réflexion et de mise en avant des pratiques souhaitables.
L’académie de la Moselle s’est elle aussi interrogée sur l’idée de réussite scolaire : « Qu’est-ce qu’un individu en situation de réussite scolaire ? Est-ce celui qui se sent bien dans la Maison-Ecole ? (qui ne s’ennuie pas, y trouve sa place, comprend et accepte les règles de vie du lieu). Est-ce plutôt celui qui y travaille bien ? (qui comprend ce qui se dit, apprécie ce qui se fait, collabore avec enthousiasme et compétence). Est -ce surtout celui qui s’y déplace bien ? (qui accède aux étages supérieurs sans retard).
Peut-être est-ce celui qui en profite bien ? (qui choisit de préférence les pièces nobles de la demeure – la bibliothèque plutôt que la cuisine -, qui sélectionne et accumule les bagages utiles pour l’avenir). Ou encore celui qui en sort et s’en sort bien ? (qui s’insère facilement dans la vie active). »
Dans le cadre du PRE, j’ai suivi une famille dont la fille –Ilona – était en CM2. Elle avait des résultats très moyens mais ses parents m’affirmaient qu’elle était pour eux en réussite car même si elle n’avait pas toujours des bonnes notes, elle n’avait jamais redoublée et elle allait aller en 6 e classique. Lors d’une séance, sa mère m’a confié qu’elle et son mari a vait été en SEGPA et que donc, pour eux, qu’Ilona suive une scolarité « classique » même avec des difficultés, c’était une réussite. Il semblerait que la notion de réussite évoque desreprésentations multiples.
De plus, on est en droit de se demander si la réussite ou l’échec scolaire va déterminer la réussite professionnelle. Le sociologue américain Jenks nous explique la chose suivante : « celui qui pense que le milieu familial, les résultats aux tests et les diplômes sont les seules choses qui déterminent le type de travail qu’il peut faire en Amérique se trompe. Au plus, ces caractéristiques expliquent environ la moitié de l’écart entre les statuts professionnels des hommes, à expliquer par des facteurs qui n’ont rien à voir avec le milieu familial, les résultats aux tests ou le niveau scolaire »
De surcroît, le parcours de ses élèves peut parfois être en « dents de scie » mais aussi accompagné d’un stress important et d’un sentiment parfois d’injustice pour pourrait être décourageant. Comme en témoigne à plusieurs reprises Sandy : « Ce qui me motivait à réussir était la chenille que nous faisions pour savoir quelle place nous avions dans le classement. Je ressentais le stress de ne pas être appelé parmi les premiers. En effet, les premiers appelés étaient les premiers de la classe. Le collège s’est passé comme l’école élémentaire, j’étais une élève en réussite, le brevet m’était presque donné. […] [Mais] mon arrivée au lycée fut compliquée, une nouvelle fois j’ai subi la classe qui regroupe par niveau. Cette année là contrairement au CE2 je n’ai pas réussi à suivre. […] Mes efforts […] ne m’ont pas aidé et j’ai été maintenu en seconde. […] Au lycée, nous n’avions pas le même suivi qu’au collège. […] »
Lahire évoque quant à lui l’idée d’une « schizophrénie heureuse » pour ces individus. Cette expression exprime le clivage entre socialisation familiale et les formes scolaires. D’oùnotre interrogation : les élèves issus de milieux populaires sont -ils des schizophrènes heureux ? Il arrive parfois que ces élèves ne parviennent pas à avoir ce statut. En effet, les transformations que représente ou nécessite la réussite scolaire demande des transformations de soi et des changements radicaux que tous ne peuvent pas assumer. Ces élèves ne peuvent pas construire leur propre histoire contre celle de leurs parents. Rochex nous éclaire à ce sujet : « L’expérience scolaire et ses exigences sont identifiés à une injonction de changement radical qui combine bien souvent à une injonction de reniement de soi-même et de ses proches, laquelle donne lieu à de multiples passages à l’acte : provocations, agressions ou tentatives de séduction de tel ou tel enseignant,tentative de suicide, etc. »
Ainsi, définir la notion de « réussite » n’est pas une chose facile car, comme nous avons pu l’évoquer précédemment, elle évoque des représentations multiples. Il convient dès à présent de s’intéresser aux facteurs internes de la réussite des élèves issus des classes populaires. Une réflexion sera menée autour de la question suivante : cette réussite est-elle liée à l’individu lui-même et à son environnement familial ? Dans un premier temps, il convient de s’intéresser au rôle des parents dans cette réussite.
Le rôle des parents
Dans cette partie, il convient de s’interroger sur les facteurs internes à la réussite d’un élève. A la question « à quoi devez-vous votre réussite ? », sur 8 entretiens, 6 élèves m’ont répondu en premier qu’ils devaient leur réussite à leurs parents.
C’est pourquoi, j’ai choisi d’évoquer ce facteur en premier. Julie nous explique sa réussite ainsi : « Je la dois à mes parents qui m’ont transmis des valeurs, une philosophie de vie, une façon d’être. » Jean-Philippe explique dans le questionnaire que ses parents ont été d’un grand soutien moral et financier. Et il a précisé les choses lors de l’entrevue : « Pendant le début de ma scolarité (maternelle, élémentaire, collège) j’ai pu compter sur mes parents (soutien moral et financier). Ma mère était toujours derrière moi pour me pousser à faire mes devoirs même lorsque je n’avais pas envie. Mes deux parents étaientprésents aux réunions parents/professeurs).
Caroline explique quant à elle qu’elle doit sa réussite à son père qui l’a toujours poussée à réussir car lui n’avait pas eu les moyens et la possibilité de continuer ses études (car son père étant tombé malade, il avait dû faire soutien de famille). Son père lui répétait toujours ce que son propre père lui disait à savoir : « travaille avec ta tête et pas avec tes bras ». Imane l’affirme elle ne doit sa réussite qu’à ses parents qui y ont toujours contribué. Lors de mon entretien plus approfondi avec Sandy, celle-ci explique la chose suivante : « Pour réussir dans la vie, il fallait bien travailler à l’éco le d’après mes parents. […] Il ne m’était pas difficile de réussir grâce au suivi que j’avais en rentrant de l’école. Ma mère a fait ce choix de ne pas travailler pour nous permettre à mon frère et moi d’avoir une personne qui nous attendait quand l’école était terminée. » Mais elle explique également ses difficultés lorsqu’elle a continue ses études dans une filière générale : « Mon arrivée au lycée fut compliquée, une nouvelle fois j’ai subi la classe qui regroupe par niveau. Cette année là, contrairement au CE2, je n’ai pas réussi à suivre. Mes parents ne pouvaient plus m’aider dans mes devoirs puisqu’ils n’avaient pas été en lycée général » Ces différents témoignages remettent en cause l’idée de parents démissionnaires et montrent également – particulièrement celui de Sandy – qu’il ne s’agit pas d’une démission mais davantage que parfois ces parents n’ont pas les « capacités » d’aider leurs enfants.
Il y aurait comme un « engagement » de la part de ses élèves vis-à-vis de leurs parents. Mohamed l’affirme « il m’était inconcevable d’échouer à l’école [vis -à-vis de mes parents]. »
Pour Tristan Poullaouec, il existerait une idée reçue, un stéréotype sur les parents d’enfants de milieux populaires qu’il résume ainsi « tu sais, ces parents-là ne suivent pas leur enfant. […] C’est aussi de la faute de leurs parents qui sont démissionnaires. » Le sociologue remet en cause cette idée en montrant notamment qu’aujourd’hui le bac est un minimum visé par 88% des familles ouvrières contre 15% en 1962 et que la plupart d’entre elles rêvent ensuite d’études supérieures pour leurs enfants. Et ces parents consacreraient au moins 1 heure par jour aux devoirs comme les autres milieux.
Certains ont évoqué également l’idée de don naturel. Ces élèves seraient donc nés avec un don naturel, des prédispositions qui leur permettraient de réussir.
Le statut de « bons élèves » et l’engagement
Le statut de « bons élèves »
La stabilité dans la scolarité et un statut de « bons élèves » est quelque chose de récurrent dans les entretiens que j’ai menés. A titre d’exemple, le témoignage de Mohamed qui affirme avoir eu une scolarité stable en réussite « grâce à [son] obstination et à [son] acharnement. » ou encor celui d’Imane, de Manon ou encore de Julie ou celui de Jean Philippe qu’il précise avoir été en réussite « mais pas sans mal. » Néanmoins, ces propos sont à nuancer : en effet, tous n’ont pas eu une scolarité sta ble et, in fine, ce statut de « bons élèves ». C’est notamment le cas de la personne anonyme, de Caroline ou de Sandy.
Benjamin Castets-Fontaine a réalisé avec son équipe des entretiens auprès de 45 élèves issus de milieux populaires qui ont tous duré 2 heures en moyenne. A partir de ces derniers, ils ont conclu que leur réussite ne se résumait pas à une affaire de famille .
En effet, si pour certains des enquêtés ils affirment avoir été poussés par des parents empêchés de scolarité, manifestant des désirs de réussite pour eux et n’hésitant pas à faire des sacrifices financiers, pour d’autres ils avaient des parents di stants de l’école, les aidant pour les devoirs, ne déployant guère de grandes stratégies dans les choix des établissements scolaires et la plupart du temps ne connaissant guère le système scolaire et ses filière d’excellence.
On retrouve ces deux « profils » dans les entretiens que j’ai menés. Pour Imane, sa famille percevait « très bien » l’école tout comme pour Manon : « les enseignants et l’école étaient très importants pour mes parents. » et à partir du collège elle témoigne que les notes devenaient importantes. Caroline quant à elle l’affirme, « l’école était la chose la plus importante pour mon père. Il fallait écouter les enseignants pour avancer. […]
Mon père s’est acharné à me répéter sans cesse qu’il fallait travailler à l’école. » JeanPhilippe témoigne également dans ce sens : « la réussite scolaire était importante, toujours dans une optique d’assurer un bon avenir. Il fallait écouter et respecter les enseignants. » Et affirme avoir ressenti des pressions de la part de ses parents mais « dans un sens de soutien ». On retrouve cette idée de pression « positive » dans le témoignage de Sandy : « Mes parents m’ont toujours dit :« il faut que tu travailles à l’école pour ne pas finir comme nous. […] Mes parents, surtout ma mère, contrôlaient mes devoirs pour que je donne le meilleur de moi-même. Sans cette pression positive, je n’aurais pas été si « haut » en études. ».
Pour les parents de Julie, l’enseignement était perçu comme un « métier noble » et « l’école était très importante, le savoir, les connaissances aussi ». Pour Mohamed, sa « famille voyait l’école comme la seule manière de s’en sortir dans la vie. » Il a reçu beaucoup de pression de la part de ses parents : « il m’était inconcevable d’échouer à l’école. » Mais le témoignage anonyme se démarche des autres dans le sens où semble y avoir eu une certaine distance entre l’école et la famille. La personne témoigne la chose suivante : « On allait à l’école parce que c’était obligatoire. [Il y avait] très peu de lien entre mes parents et les enseignants. [Cela était] certainement dû à un décalage et une incompréhension des deux camps. » Le fait de parler de « deux camps » est très fort et montre à quel point la distance était importante. Et lorsque cette personne a rencontré des difficultés, elle l’affirme : elle n’a reçu aucune aide de l’école ou de sa famille, mais elle a dû progresser par elle-même affirme-t-elle.
L’engagement et le rapport au savoir
Pour Lahire, la personnalité de l’enfant va être centrale (même si celle -ci se construit avec le vécu de l’enfant) dans sa réussite. Des personnalités semblent être davantage en adéquation avec le monde scolaire que d’autres.
Alice Davaillon et Emmanuelle Nauze-Fichet notent des différences de projection dans l’avenir entre les enfants issus d’un même milieu et qui va contribuer ou non à leur réussite. Les premières différences concerneraient leurs attentes en ce qui concerne leur futur métier : les plus terre à terre vont être amenés à quitter le système éducatif plus tôt ou à emprunter la voie professionnelle.
L’équipe du sociologue Jean-Yves Rochex a mené une enquête très intéressante sur le rapport au savoir et à l’école qui est différent entre les élèves qui suivent une scolarité normale voire brillante et les élèves en échec scolaire. Le premier constat de leur enquête est le suivant : l’un des aspects majeurs de la réussite notamment au collège est le sens et la valeur attribués au savoir. En effet, il semblerait que les élèves en difficulté vont donner sens aux apprentissages et aux disciplines scolaires que bien plus tard « pour avoir un bon métier ».
Pour ces élèves, la référence au métier et à l’avenir demeure de l’ordre de l’imagin aire et ils apprennent uniquement par obligation scolaire et non pas par nécessité cognitive. En clair, ils ne donnent pas de sens aux apprentissages ce qui va être déterminant de leurréussite ou échec scolaire.
Les « bons élèves » ont quant à eux construits des raisons d’être à l’école pour ce qu’ils apprennent ici et maintenant. Et c’est alors bien la réussite et le goût pour telle ou telle discipline qui va déterminer leur formation de leur choix. Ainsi, le savoir et la culture vont alors présenter du sens eux-mêmes. Jean-Yves Rochex l’affirme : « A ne justifier la scolarité que par sa fonction de préparation de l’insertion socioprofessionnelle, on court le risque d’enfermer les jeunes d’origine populaire dans un rapport au savoir et à l’école qui ne leur permet guère d’avoir accès au sens et au plaisir d’apprendre et de savoir. Si l’école ne peut faire sens aussi par ce qu’on y apprend, elle risque fort d’accroître la démobilisation et d’exacerber le ressentiment que nourrit déjà la fermeture des perspectives d’avenir sur le marché du travail ».
On retrouve également dans les entretiens, un engagement de ces élèves vis -à-vis de leurs parents mais aussi de leurs enseignants. Mohamed l’affirme : « Il m’était inconcevable d’échouer à l’école [vis-à-vis de mes parents. » Cette idée d’engagement envers autrui se retrouve dans les entretiens menés par Castets-Fontaine notamment dans le témoignage d’une étudiante d’EHC (Ecole des hautes études commerciales), Dominique : « Si on travaille bien, forcément, les parents, les profs attendent toujours […] une m ême réussite.
Oui et surtout par rapport à mes parents, enfin, c’était surtout au niveau de la terminale et après de la prépa où […] je ne pouvais plus décevoir parce que j’avais toujours très bien travaillé. » Et Anna –normalienne d’ULM témoigne avoir reçu un soutien manifeste de ses parents lorsqu’elle a redoublé sa deuxième année : « pour eux, j’étais tellement bonne que je ne pouvais pas faillir.
C’est pour ça aussi qu’eux … ils ont signé le chèque en blanc sans problème ! Parce que y’avait pas de risque […], vraiment si j’avais pas eu la seconde année […] ils auraient été très déçus.»
Un engagement dit « émotionnel » peut également apparaître. En effet, comme nous avons pu l’évoquer précédemment, Hervé Caudron a montré que la réussite des élèves issus de milieux populaires pouvait être liée à un sentiment d’injustice qui les a conduit à fournir plus d’efforts, à se « battre » au sein de leur cursus scolaire. On pourrait même parler pour certains d’une certaine « revanche sociale » comme en témoigne Anna lors d’un entretienmené par Benjamin Castets-Fontaine : « […] J’étais consciente que je venais d’un milieud’ouvriers.
Cela m’a quand même toujours un peu humiliée, et peut-être que c’était ma façon à moi de prendre une revanche sociale. […] Puisque je ne pouvais pas me targuer d’avoir des parents qui sortent au théâtre … Au moins, je pouvais être fière de moi. Par rapport à eux, oui. »
Certains témoignages que j’ai menés montrent à plusieurs reprises ce sentiment d’injustice notamment celui de Sandy « L’école n’a pas toujours été juste, je me rappelle avoir été punie en grande section pour avoir aidé un élève qui avait des difficultés. [ …]
Pendant les années de faculté, j’ai ressenti de l’injustice. Je n’avais pas les moyens financiers pour partir en Erasmus, une fille de ma promotion les avait. Cette fille en ayant moins de moyenne que moi a pu partir en troisième année en Erasmus et moi j’ai été maintenu en deuxième année comme les places en Erasmus coûtaient chers avec seulement 2 heures de cours par semaine ! » Pour Imane, ce sentiment d’injustice est également présent : « Certaines personnes du même niveau que moi ont été favorisées dans de nombreuses situations » et elle affirme avoir dû fournir plus d’efforts que d’autres élèves d’autres milieux sociaux : « Je suis issue d’une culture différente et sur du long terme, je me suis rendue compte que malheureusement je pouvais être victime de discriminations ».
C’est le cas également de Jean-Philippe qui répond timidement : « Je ne sais pas, c’est possible. Par exemple, au niveau de la recherche de stage (en licence) et d’emploi plus tard, c’était plus difficile sans personne déjà dans l e milieu. […] Je n’ai reçu aucun appui pour un premier essor. » Pour Mohamed, ce sentiment d’injustice était également présent : « J’avais l’impression que les autres avaient une longueur d’avance sur moi. J’av ais personne pour corriger mes travaux, pour me conseiller, pour m’aider. » Notons également que ce constat est à nuancer car pour certains témoins ne considèrent pas avoir dû fournir plus d’efforts que les autres élèves (notamment Manon et Julie).
Ainsi, l’engagement et le rapport au savoir jouerait un rôle déterminant dans la réussite de ses élèves.
A travers les différents entretiens menés et en prenant appui sur des recherches, nous avons pu déterminer différents facteurs liés à l’individu lui -même et à son environnement familial. Ces facteurs pourraient donc être qualifiés comme « internes » à l’individu. Mais pour autant sont-ils suffisants ? Des facteurs externes n’interviendraient-ils dans la réussite de ces élèves ?
Les éventuels facteurs externes de cette réussite
En effet, des facteurs externes pourraient jouer un rôle important dans la réussite de ces élèves issus de milieux défavorisés. Parmi eux, le rôle de l’enseignant et de sa pédagogie semblent être déterminant. L’orientation jouerait un rôle également considérable. De plus, l’institution a également mis en place différents dispositifs pour répondre aux inégalitésentre les élèves. C’est pourquoi, nous nous intéresserons aux moyens mis en place et à leur efficacité chez ces élèves. Et in fine, nous verrons en quoi ces cas de réussite peuvent être une piste de réflexion pour lutter contre l’échec scolaire.
Le rôle des enseignants, de sa pédagogie et de l’orientation
Le rôle des enseignants et de sa pédagogie
Le sociologue Lahire va mettre en avant dans son chapitre « Echec et réussite » le fait que pour que la réussite soit durable, il faut qu’elle soit consolidée avec un certain acha rnement de la part des enseignants. De récentes études ont tenté à montrer le rôle que pouvait jouer un enseignant dans la réussite ou l’échec scolaire d’un élève.
Dans les différents entretiens menés, il n’est pas rare qu’un ou plusieurs enseignants aient marqué les élèves issus de milieux populaires et en réussite et même qu’ils aient contribué à celle-ci. Pour Mohamed, il s’agissait de son professeur de CM2, M Caboret : « il valorisait mes progrès devant toute la classe. ». Pour Caroline, il y a eu deux professeurs qui l’ont marquée et contribués à sa réussite : son professeur de biologie, M. Burny : « il m’a poussé à remonter la pente et à y arriver. » et M. Stopka, professeur de mathématiques.
Selon elle, tous les deux l’ont aidé à comprendre qu’il fallait travailler plus pour pouvoir y arriver. Julie a été marquée par un enseignant « au charisme naturel » qui était passionné par ce qu’il enseignait. Dans les témoignages, il est fréquent que les professeurs ayant marqué ces élèves, comme Julie ici, étaient « passionnés » par leur métier. C’est par exemple le cas du témoignage anonyme qui a été marqué par une de ses professeurs de musique au lycée : « elle était passionnée par son métier. Elle m’a donné le plaisir d’apprendre la musique et l’envie d’être enseignante. » Pour Sandy, il s’agissait de son professeur de CM1 : « Il discutait avec tous les élèves et jamais il ne s’est moqué d’un élève. Il se renseignait sur nos passions et nous mettait en avant par nos expériences vécues. »
Mais lors de l’entretien plus approfondie avec Sandy, celle-ci explique également que l’une de ses professeurs l’a marquée et boostée d’une certaine manière mais d’une manière plus radicale : « Un événement m’a marquée au lycée, en terminale : ma professeure principale après les baccalauréats blancs, nous disait devant toute la classe si nous allions obtenir le bac en fin d’année. Quand elle s’arrêta sur mon nom, elle me dit : « Mademoiselle, là vous auriez votre bac, mais c’est trop juste. » Cette réflexion ma vexée et j’ai travaillé dur mais j’ai obtenu ce bac. » Jean-Philippe a, lui aussi, été marqué par plusieurs de ses professeurs notamment un professeur de maternelle et les situations d’apprentissages qu’il mettait en place comme par exemple la réalisation d’un potager :« Lors d’une de mes années de maternelle, M. Tison m’a marqué par la réalisation d’un potager. Pour la première fois, j’étais vraiment motivé par cette activité. L’ob jectif était de vendre les légumes que nous allions récolter. J’ai trouvé ça super ». Mais aussi sa professeure de CP : « Elle était sévère avec moi mais elle m’a aidé je pense. » Ou encore celle de CM2 : « Ma professeure de CM2 m’a marqué par son implication dans l’apprentissage et j’ai monté de niveau pendant les années CM1/CM2 » Au lycée, deux de ses professeurs l’ont marqué car ils inspiraient selon lui « le respect ». Ils ne criaient jamais dans leur classe et celle-ci été toujours maîtrisée me raconte-t-il.
Le sociologue Pierre Merle fait référence à l’impact du professeur dans la réussite ou l’échec d’un élève. Pour lui, s’il existe bien un facteur de réduction des inégalités face à l’enseignement et à l’éducation, c’est bel et bien l’en seignant lui-même. Le rapport Coleman et Al rejoint cette idée en montrant que les difficultés scolaires ne sont pas une fatalité pour les élèves issus d’un milieu populaire et peuvent être palliées par l’impact de l’enseignant.
L’enseignant, grâce à sa pédagogie, va permettre aux élèves de développer leur confiance en eux, de leur donner envie d’apprendre, de progresser et de se dépasser. Une étude a estimé entre 10 à 15% les écarts de résultats constatés en fin d’année entre des élèves issus d’une catégorie socioprofessionnelle identique et d’un même niveau selon l’enseignant auquel l’enfant a été confié.
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Table des matières
LA REUSSITE DES ELEVES ISSUS DE MILIEUX POPULAIRES EPIGRAPHES
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
I- PEUT-ON EXPLIQUER LE PARCOURS SCOLAIRE D’UN ELEVE PAR LE MILIEU SOCIAL DONT IL EST ISSU ?
A-CONSTAT SUR LES INEGALITES SOCIALES DANS LE MILIEU POPULAIRE
B- LES LIMITES DE CETTE CONCEPTION
C-QU’ENTEND-ON PAR FAMILLE POPULAIRE ?14
II- UNE REUSSITE LIEE A L’INDIVIDU LUI-MEME ET A SON ENVIRONNEMENT FAMILIAL ?
A-QU’ENTEND-T-ON PAR REUSSITE ?
B- LE ROLE DES PARENTS
C- LE STATUT DE « BONS ELEVES » ET L’ENGAGEMENT
A- Le statut de « bons élèves »
B- L’engagement et le rapport au savoir
III- LES EVENTUELS FACTEURS EXTERNES DE CETTE REUSSITE.
A- LE ROLE DES ENSEIGNANTS, DE LEURS PEDAGOGIES ET DE L’ORIENTATION
A- Le rôle des enseignants et de leurs pédagogies
B- L’importance de l’orientation
B- LE ROLE DE L’INSTITUTION ET DES MOYENS MIS EN ŒUVRE
C- CES CAS DE REUSSITE, UNE PISTE DE REFLEXION POUR LUTTER CONTRE L’ECHEC SCOLAIRE ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES