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Aléa
L’aléa et le danger sont les deux équivalents français du terme anglais hazard. Dans les usages qui nous intéressent ici, ils semblent avoir été débarrassés de leurs nuances sémantiques 8 pour désigner simplement la source, la composante à l’origine du risque. Il existe une tendance, mais qui n’est pas unanime, à préférer l’usage d’aléa pour les risques naturels, et à réserver le terme danger aux applications sanitaires et industrielles.
Les aléas naturels sont classés en deux grandes catégories. Les aléas d’origine climatique re-groupent les inondations, les tempêtes, les avalanches, la sécheresse, les feux, voire les vagues de chaleur ou de froid. Les dangers d’origine géophysique comprennent les tremblements de terre, les raz de marée (tsunamis), les éruptions volcaniques et les glissements de terrain 9. La plupart de ces classes sont très hétérogènes. Les inondations ne sont pas de même nature selon qu’elles résultent de remontées de nappe ou de crues torrentielles. La classe des tempêtes inclut les cyclones, les tornades, ou encore les dépressions de latitude moyenne, qui sont des phénomènes très disparates en termes d’intensité et de fréquence. Les tremblements de terre peuvent survenir dans des zones de subduction (de chevauchement de plaques tectoniques), le long de failles de décrochement (à l’intérieur de ces plaques), voire suite à des éruptions volcaniques.
La compréhension de ces phénomènes et de leurs effets suppose qu’ils soient décomposés en une succession d’événements liés par des relations de cause à effet. Or le choix de l’élément de cette chaîne qui doit être qualifié d’aléa ne s’impose pas naturellement. Si l’on veut privilégier la proximité de l’aléa avec les conséquences du phénomène pour l’environnement humain, alors il peut rarement être considéré comme une variable exogène dans la représentation du risque. Dans le cas d’un séisme, par exemple, la variable qui détermine les dommages aux structures de la façon la plus fiable est l’accélération au sol ; toutefois, pour être en mesure d’estimer la probabilité de réalisation de ce aléa », il est nécessaire de reconstituer, à partir d’un événement initial, la propagation des ondes sismiques dans le sous-sol. Si l’on veut, en revanche, que l’aléa soit un événement situé en amont des mécanismes causaux étudiés, par exemple de manière à échapper à tout contrôle 10, alors il faut admettre l’existence d’étapes supplémentaires, et donc de sources additionnelles d’incertitude, avant la détermination de ses effets. Ainsi, l’endiguement d’une rivière ne permet plus de considérer sa crue comme indépendante de l’action de l’homme. Pour définir un aléa exogène, il faut s’orienter vers les causes d’une crue qui déborderait la digue, telles que les précipitations. La crue devient, pour sa part, un événement intermédiaire dans la représentation du risque ; entre l’aléa et lui, d’autres facteurs tels que le ruissellement des sols entrent en jeu.
Conséquences
Les conséquences sont l’ensemble des pertes dues à l’aléa : les vies et la santé des personnes, les dommages aux actifs corporels (tels que les logements, les biens mobiliers, les infrastructures, les équipements, le patrimoine culturel ou environnemental) et incorporels (tels que l’image touris-tique), les perturbations de l’activité économique, les défaillances d’entreprises et les pertes d’em-plois, la dislocation des structures sociales, la souffrance psychologique, etc.
Le concept de conséquences s’avère difficile à manier. Les méthodologies développées pour aider
sa mise en œuvre distinguent des conséquences directes, qui résultent de la seule action de l’aléa, et indirectes, qui font intervenir des actions ou des mécanismes supplémentaires, notamment de marché (ECLAC, 2003). Parmi les premières, certaines, comme le nombre de personnes tuées, blessées et déplacées dans un intervalle de temps limité après l’événement et le coût de remplacement du capital physique détruit, peuvent généralement 11 être évalués avec une précision suffisante a posteriori. D’autres types conséquences restent très incertaines même longtemps après un désastre. Les estimations de coûts des catastrophes se sont longtemps limitées à une partie des conséquences directes, sans d’ailleurs que son périmètre soit toujours clairement indiqué. Il en est probablement résulté non seulement une sous-estimation systématique de l’impact des catastrophes naturelles, mais aussi un biais en défaveur des plus importantes, puisqu’il semble que le rapport entre coûts directs et indirects diminue fortement lorsque la taille de l’événement augmente (Hallegate, 2008). Les années récentes, toutefois, ont vu l’éclosion d’une littérature sur les conséquences économiques à long terme des catastrophes. En faisant appel à des hypothèses théoriques supplémentaires, souvent incorporées dans des modèles économétriques, ces travaux ont cherché à estimer l’impact macro-économique des catastrophes (Freeman et al., 2002; Hallegate, 2008), la charge qu’elles créent pour les finances publiques (Mechler et al., 2006), ou encore leur influence sur la dynamique de développement urbain (Vigdor, 2008).
Par ailleurs, même une fois décomposé en autant de parties, le concept de conséquences dépend fortement de facteurs extérieurs, de sorte qu’il ne peut être employé à des usages prospectifs de mesure du risque ou d’identification d’actions susceptibles de le réduire. Il y aurait peu de sens, à titre d’exemple, de prévoir l’impact d’un séisme sur l’habitat dans un lieu à partir des dommages observés dans un autre lieu. Il est ainsi apparu nécessaire de représenter les dommages causés par un aléa comme la résultante de deux variables : l’exposition et la vulnérabilité (UNDRO, 1979).
Épidémiologie : facteurs de risque et fréquence des maladies
Les rares considérations terminologiques ou méthodologiques de la loi sont inspirées par l’épi-démiologie. Ainsi : « Il est difficile actuellement de connaître la part des facteurs d’environnement collectif (agents physiques, chimiques et biologiques) dans les phénomènes morbides […]. L’im-portance de chaque déterminant est appréciée en termes de risque attribuable : la fraction (ou proportion) du risque attribuable à un facteur de risque mesure l’impact de ce facteur de risque dans la population, c’est-à-dire la fraction de tous les cas d’une maladie qui sont dus au facteur concerné ou, en d’autres termes, la proportion qui peut être évitée si le facteur de risque n’était pas présent. Ainsi, on estime qu’environ 80 % des cancers bronchiques sont attribuables au tabac » (annexe contenant le rapport d’objectifs de santé publique).
Le risque correspondrait ainsi à la fréquence de la maladie, c’est-à-dire qu’il serait homogène à une probabilité, et les facteurs de risque seraient ses causes identifiées. Dans leur ouvrage de référence en épidémiologie, Rothman, Greenberg et Lash (2008) confirment cette interprétation tout en nous mettant en garde contre la pluralité des usages du terme dans leur discipline :
« Unfortunately, in epidemiologic parlance, even in the scholarly literature, ’risk’ is fre-quently used for many distinct concepts : rate, rate ratio, risk ratio, incidence odds, prevalence, etc. » (p.9).
Même si l’on s’en tient à cette première définition, la mesure du risque conduit à des questions délicates : la fréquence de la maladie doit-elle être mesurée par le nombre de nouveaux cas observés
partir d’un point de référence donné (incidence) ou à partir du nombre total de cas (prévalence) ? La première option est celle qui se prête le mieux à la recherche de causes. À titre d’exemple, si l’on retient la seconde, alors une augmentation du taux de survie des malades se traduit, à incidence donnée, par une augmentation du risque. Pourtant, nombre d’études épidémiologiques se fondent sur la prévalence et, dans certains cas, l’information sur l’incidence n’est pas accessible.
Les facteurs de risque sont des déterminants biologiques (âge, sexe, tension artérielle), géné-tiques, comportementaux (régime alimentaire), environnementaux (lieu de résidence ou de travail) ou encore psychologiques, que l’on peut considérer aux niveaux individuel ou collectif, et dont on cherche à mettre en évidence les effets par des méthodes statistiques. Parmi celle-ci, la plus importante est l’essai contrôlé, que nous avons brièvement décrite dans l’introduction.
Les deux notions complétant la mesure du risque sont l’exposition, qui désigne le degré de présence d’un facteur de risque, et l’effet, défini comme la variation de la fréquence de la maladie associée à une variation de l’exposition.
partir de l’ensemble de ces éléments, la modélisation épidémiologique peut permettre de rendre compte de l’évolution de la fréquence de la maladie et de simuler l’effet de différentes actions.
Il faut noter, enfin, que le domaine de l’épidémiologie s’est considérablement étendu au cours des dernières décennies, et que cette expansion s’est accompagnée d’une dérive lexicale marquée. La notion d’épidémie, d’abord étendue des maladies infectieuses aux maladies chroniques, a pro-gressivement été appliquée aux conditions de santé, comme dans le terme « épidémie d’obésité », et même aux comportements. C’est ainsi qu’à l’occasion de la journée mondiale sans tabac, trois ad-ministrateurs de l’Organisation Mondiale de la Santé ont récemment appelé à « contrer l’épidémie mondiale de tabagisme » (Bettcher, Smith et Perucic, 2008). De façon similaire, l’usage du substan-tif risque s’est transmis des causes (facteurs de risque) aux catégories de population parmi lesquelles ces causes sont particulièrement présentes (groupes à risque pour des maladies infectieuses), puis à des comportements d’exposition, qu’ils soient délibérés (usages à risque d’alcool, sports à risques, conduite à risque) ou non (consommations à risque pour le cancer). Cette évolution dénote une tendance à chercher toujours plus en amont les causes de la pathologie, qui renvoie à la question difficile et ancienne de séparation du normal et du pathologique (Canguilhem, 1966).
Gestion des crises sanitaires : menace et impact
La terminologie da loi sur la santé publique change lorsqu’elle traite de situations où le danger sanitaire est imminent. Ainsi :
L’institut informe sans délai le ministre chargé de la santé en cas de menace pour la santé de la population ou de certaines de ses composantes, quelle qu’en soit l’origine, et il lui recommande toute mesure ou action appropriée pour prévenir la réalisation ou atténuer l’impact de cette menace » (article 15).
En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. […] En cas d’urgence, notamment de danger ponctuel imminent pour la santé publique, le représentant de l’Etat dans le département peut ordonner l’exécution immédiate, tous droits réservés, des mesures prescrites par les règles d’hygiène prévues au présent chapitre » (article 18).
Lorsqu’il s’avère nécessaire de prévenir ou de maîtriser des risques graves pour la santé humaine […] » (article 21).
Ces extraits nous ramènent à une conception plus traditionnelle du risque social. La menace ou le danger semblent être des sources clairement identifiés, uniques et externes au corps social. Si les risques mentionnés peuvent éventuellement être encore interprétés comme des probabilités, il ne fait pas de doute que la prise en compte des conséquences possibles est un élément important du problème.
Toxicologie : agent et gravité
La loi sur la santé publique emprunte le vocabulaire de la toxicologie lorsqu’elle s’intéresse plus spécifiquement à la source du risque qu’à la population exposée, par exemple lorsqu’elle décrit le contenu du plan national de prévention des risques pour la santé liés à l’environnement : « Ce plan prend notamment en compte les effets sur la santé des agents chimiques, biologiques et physiques présents dans les différents milieux de vie, y compris le milieu de travail » (article 53).
Nous disposons, dans ce domaine, de nombreuses définitions du risque provenant de législations et d’agences sanitaires. À titre d’exemple, le règlement européen n° 178/2002 connu sous le nom de loi sur l’alimentation », énonce : « Aux fins du présent règlement, on entend par […] « danger », un agent biologique, chimique ou physique présent dans les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux, ou un état de ces denrées alimentaires ou aliments pour animaux, pouvant avoir un effet néfaste sur la santé […] « risque », une fonction de la probabilité et de la gravité d’un effet néfaste sur la santé, du fait de la présence d’un danger » 18.
Pour l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), le risque est « la probabilité de survenue du danger (c’est-à-dire de l’effet toxique) ; il est caractérisé en confrontant les résultats de l’estimation de la relation dose-réponse avec ceux de l’estimation des expositions » 19.
L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) décrit le risque comme « une me-sure de la probabilité que des dommages à la vie, à la santé, aux biens ou à l’environnement se produisent comme conséquence d’un danger », ce dernier comme « la capacité potentielle d’une ra-diation, d’un produit chimique ou d’un autre polluant à entraîner une maladie ou blessure humaine » et l’agent comme « toute entité physique, chimique ou biologique qui puisse être dommageable pour un organisme » 20.
L’agence sanitaire anglaise, the Health and Safety Executive, propose des définitions similaires : le risque est la probabilité qu’une personne ou qu’un bien soient affectés d’une manière spécifique par un danger » et le danger est « la capacité de dommage liée à une propriété intrinsèque ou la disposition d’une chose à causer des pertes » (HSE, 1999).
Au-delà des nuances et des imprécisions éventuelles, le risque apparaît ici comme une probabilité de survenue d’un effet bien spécifié, lié à la présence d’un danger, propriété intrinsèque d’un agent
physique, chimique ou biologique.
Les effets visés sont clairement indiqués par l’EPA : « En général, un effet s’ensuit inévitablement d’un antécédent (cause ou agent). Un effet biologique est le résultat biologique de l’exposition à un agent causal. Ce terme est similaire à celui de réponse, mais il met l’accent sur l’agent actif (comme dans l’effet du cadmium) plutôt que le récepteur qui lui répond (comme dans la réponse de la truite) » 21.
Accidents industriels et technologiques
Si l’attention à la sûreté des ouvrages et des installations dangereuses a fait de longue date partie des prérogatives des pouvoirs publics, elle a connu un très net regain avec le développement des industries chimique et nucléaire.
titre d’exemple, la directive européenne 96/82/CE, dite « Seveso II », qui concerne les instal-lations dangereuses autres que nucléaires, a constitué une étape importante dans le développement des politiques publiques des pays européens en matière de risque. Le risque y est défini comme « la probabilité qu’un effet spécifique se produise dans une période donnée ou dans des circonstances dé-terminées » (article 3) 23. L’effet spécifique dont il est principalement question dans le document est un accident majeur, défini comme « un événement tel qu’une émission, un incendie ou une explosion d’importance majeure résultant de développements incontrôlés survenus au cours de l’exploitation d’un établissement couvert par la présente directive, entraînant pour la santé humaine, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement, et/ou pour l’environnement, un danger grave, immédiat ou dif-féré, et faisant intervenir une ou plusieurs substances dangereuses ». Les substances dangereuses visées par la Directive sont listées en annexe. Quant à la notion de danger, elle désigne « la pro-priété intrinsèque d’une substance dangereuse ou d’une situation physique de pouvoir provoquer des dommages pour la santé humaine et/ou l’environnement ».
Le risque est donc ici défini comme la probabilité de survenue d’un événement représentant lui-même un danger pour la santé humaine ou l’environnement, indépendamment de ses conséquences finales. La description détaillée des circonstances de survenue de l’événement montre par ailleurs que le risque est ici considéré à l’intérieur des limites d’une installation, c’est-à-dire d’un système technique.
Plus précisément, sans effet observé.
Directive 96/82/CE du Conseil du 9 décembre 1996 concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, Journal officiel de l’Union européenne, L 010, 14 janvier 1997.
Dans leur article de référence sur la terminologie du risque dans les installations nucléaires et plus généralement les systèmes techniques, Kaplan et Garrick (1981) définissent le risque comme la donnée de l’ensemble des scénarios décrivant les évolutions dommageables du système, accompagnés de leurs probabilités de réalisation et des conséquences qui leur seraient attachées. Ceci suppose, comme le notent les auteurs, que l’on dispose au préalable d’une description complète des états du système, ou en tout cas ceux qui peuvent conduire à un événement dommageable, que l’on construise à partir de ces états les scénarios formant le risque, et que l’on soit en mesure de leur attribuer des probabilités et des conséquences.
L’analyse des systèmes, que nous aborderons en détail au chapitre 3, est la discipline technique qui s’intéresse à l’identification d’états critiques résultant de la défaillance d’un composant physique, d’interactions anormales entre composants, d’erreurs humaines ou encore d’événements extérieurs. L’une de ses particularités, par rapport aux autres méthodes discutées, est que son objet est défini par des frontières relativement fermes. Elle a donc pu se donner pour ambition de construire des re-présentations fiables de tous les scénarios pertinents à l’intérieur de ces frontières. Elle a par la suite été progressivement conduite à élargir cette base en recherchant les causes des dysfonctionnements au-delà des frontières traditionnelles des systèmes techniques, par exemple dans les facteurs orga-nisationnels et humain. En ce sens, l’approche a constitué une avancée importante pour l’analyse causale.
Le risque étant ainsi défini, il lui est fréquemment associé une courbe de risque, qui est la fonction de répartition cumulative des conséquences (pour l’ensemble des scénarios) (Helton, 1994).
Autres cas qui relèvent ou ne relèvent pas du risque social
Actes de malveillance, troubles sociaux et guerres
En 1914, les navires marchands américains engagés dans le ravitaillement des puissances alliées et soumis aux attaques des sous-marins allemands ne parvenaient pas à s’assurer auprès de compagnies privées. Pour palier cette défaillance, le Congrès adopta dès le mois de septembre 1914 le War risk insurance act, qui créait une assurance publique pour les navires et leurs équipages. L’assurance contre les détournements et actes de guerre se développa après la seconde guerre mondiale pour le transport aérien et maritime, tout en faisant l’objet de conditions particulières comme l’exclusion des pertes liées à un usage d’armes de destruction massive et une clause d’annulation unilatérale de la police par l’assureur avec un préavis de 7 jours (Hoeven, 2005). Pour Kunreuther et Michel-Kerjan (2005), ces restrictions traduisaient la difficulté des compagnies d’assurance à estimer le risque couvert.
Presque un siècle plus tard plus tard, les pertes sans précédent enregistrées suite aux attentats du 11 septembre 2001 amenèrent l’ensemble des compagnies d’assurance à faire jouer les clauses d’annulation pour se retirer du marché des risques d’actes de guerre. Le secteur assurantiel dut ainsi être une nouvelle fois relayé par des États placés en situation d’« assureurs en dernier ressort ».
Des efforts ont néanmoins été engagés pour mieux évaluer ces risques. De nouveaux modèles d’évaluation du risque ont été développés, dont le trait commun est de limiter le recours aux probabilités subjectives collectées auprès d’experts en intégrant de façon plus systématique l’in-formation existante et en explorant les relations causales en amont des événements (RMS, 2011). La terminologie a été clarifiée, différentes catégories d’événements ont été distinguées afin d’amé-liorer l’homogénéité des risques, et des liens ont été établis entre les structures des organisations terroristes et les formes et fréquences de leurs attaques. Par ailleurs, les modèles de théorie des jeux appliquée aux problèmes de stratégie militaire, développés à partir des travaux pionniers de (Schelling, 1960), ont été mis à contribution pour représenter les stratégies d’attaque et de défense intervenant dans la détermination du risque (Major, 2002).
En réaction à la réévaluation des risques liés au terrorisme à la suite des attentats du 11 sep-tembre 2001, les autorités publiques ont également engagé une réflexion sans précédent sur leur représentation et leur estimation. Des études préliminaires ont cherché à élaborer des modèles es-timatifs simples ou à appliquer les modèles de l’industrie de l’assurance au risque social posé par le terrorisme à travers les États-Unis (Willlis et al., 2005). Le département américain de la sécu-rité intérieure (DHS) a lancé des programmes spécifiques d’évaluation des risques liés aux formes les plus graves d’actes terroristes. Les méthodologies mises sur pied dans ces programmes a été rendues publiques, et la communauté scientifique s’est investie dans leur analyse critique et leur amélioration (National Research Council, 2008 ; Piegorsch, Cutter et Hardisty, 2007).
Ces travaux posent pas à pas les fondements d’une analyse systématique des actes de voilence comme sources de dommages incertains auxquels la société doit faire face. Il s’agit donc bien de risques sociaux.
Dérèglements socio-économiques
Les bouleversements économiques tels que les grandes faillites, les licenciements massifs, le déclin industriel, les dépressions, la déflation et les récessions, et enfin crises financières systémiques font également partie des phénomènes sociaux comportant à la fois une incertitude et des possibilités de perte substantielles.
La gestion des crises financières, à titre d’exemple, peut être analysée dans les mêmes termes que celle d’une crise épidémique (Freixas et al., 2000), à laquelle elle a d’ailleurs emprunté le terme de contagion. L’analyse de l’intervention nécessaire d’une autorité publique agissant en qualité de prêteur en dernier ressort » dans cette gestion remonte à Thornton (1802) et Bagehot (1873), ce qui plaide pour la reconnaissance de la crise financière systémique comme un vieux risque social. Dans l’analyse du risque et des moyens d’y faire face, les mécanismes causaux de la crise sont décrits de façon précise et font l’objet de recherches, depuis la transmission du mouvement de panique et son effet sur la masse monétaire jusqu’aux incitations négatives liées à l’intervention publique (ou aléa moral).
Le déclin d’une industrie, la faillite d’une grande entreprise nationale voire le retournement conjoncturel doivent-ils également être considérés comme des risques sociaux ? Il semble bien que la réponse ait varié selon les époques, les pays et les doctrines politiques et économiques. S’il semble aujourd’hui assez largement admis, au moins dans la plupart des pays de l’OCDE, que de tels événements constituent des risques privés qui n’engagent pas les responsabilités de l’État, c’est parce qu’ils sont produits par ce que l’on considère être le fonctionnement normal de l’économie et, plus spécifiquement, des marchés.
Une telle analyse lie l’appréciation du caractère social d’un risque économique à une représen-tation du fonctionnement de l’économie, de la même façon que l’évaluation d’un problème de santé publique dépend du jugement porté sur l’état de santé « normal » de la population. Sur des marchés complets où règne une concurrence pure et parfaite, il ne semble guère y avoir de place pour un risque collectif. Il est intéressant de noter que les récents plaidoyers en faveur d’actions plus marquées des autorités de régulation afin de prévenir les risques liés au fonctionnement des marchés financiers ont recouru à des arguments d’imperfection de ces marchés tels que l’imperfection de la concurrence ou l’omniprésence de comportements mimétiques, même en dehors des épisodes de crise systémique. Ainsi, la modification d’une hypothèse relative aux interactions micro-économiques transforme un risque privé en risque social, fournit une justification à l’intervention publique et décrit le levier sur lequel cette dernière peut s’appuyer.
Les risques sociaux au sens de la sécurité sociale
La dernière étape de notre tour d’horizon concerne les risques que l’on appelle sociaux au sens de la sécurité sociale.
Historiquement, la protection sociale s’est développée à partir de la couverture des risques de perte de revenu des travailleurs liés à la maladie, aux accidents du travail ou à la vieillesse. De ces trois risques, seuls les deux premiers comportent une réelle incertitude, les mécanismes de retraite s’apparentant simplement à une redistribution de revenus entre générations (régimes par répartition) ou entre périodes de la vie (régimes par capitalisation). Cependant, même pour les deux premiers risques, la question de la séparation entre risque privé et risque social nous mène une nouvelle fois à celle de la distinction entre le normal et le pathologique. Ainsi, pendant une grande partie du XIXe siècle, les accidents du travail et les problèmes chroniques de santé liés à l’exercice professionnel furent considérés comme des aléas relevant de décisions individuelles. Selon l’esprit de l’époque, en choisissant leur travail, les employés en acceptaient les risques et étaient rémunérés pour cela (Tunc, 1990). Au cours du XXe siècle, au contraire, la protection sociale a progressivement étendu son champ à des risques qui n’avaient plus de lien direct avec le statut de travailleur : l’incapacité à répondre aux besoins de la famille (allocations familiales, soutien aux parents isolés, aides à l’éducation), la dépendance due au grand âge, etc.
Ainsi, le Système européen de comptes considère conventionnellement comme risque ou besoin social : la maladie ; l’invalidité et l’infirmité ; les accidents du travail et maladies professionnelles ; la vieillesse ; la survie ; la maternité ; la famille ; la promotion de l’emploi ; le chômage ; le logement ; l’éducation ; et l’indigence. Le Système définit alors la protection sociale comme l’ensemble des mécanismes de prévoyance en relation avec l’un de ces risques ou besoins 24. Ces mécanismes (ou régimes) peuvent être distingués selon qu’ils relèvent du principe de l’assurance sociale ou de celui de l’assistance sociale. Dans le premier cas, le régime est organisé pour le compte d’un ensemble de personnes affiliées, et il existe une correspondance entre les prestations qui leur sont délivrées et les contributions qui leur sont (ou ont été) demandées. Dans le second cas, les prestations ne sont conditionnées ni par l’affiliation ni par le versement de contributions.
Dans sa définition contemporaine, la protection sociale ne lie donc plus le risque à la réalisation d’un événement particulier de nature accidentelle, mais à la capacité de tout individu d’accéder à un niveau de vie considéré comme un minimum social. Seule une partie de son activité correspond donc à la définition que nous avons retenue ici.
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Table des matières
Remerciements
Organisation générale
Introduction générale
I Une problématique du risque social
1 Examen du concept de risque social
1.1 Introduction
1.2 Survol des domaines concernés
1.3 Proposition de synthèse
1.4 Conclusion
2 L’action publique face au risque social
2.1 Introduction
2.2 La société de la réglementation du risque ?
2.3 Décisions publiques ou collectives ? L’exemple des inondations
2.4 Le point de vue normatif
2.5 Conclusion : la nécessité d’un cadre d’analyse
II Risques et sûreté nucléaires
3 L’analyse de la sûreté des centrales nucléaires
3.1 Introduction
3.2 Préliminaires : risques et sûreté dans une centrale nucléaire
3.3 L’approche déterministe de la sûreté
3.4 L’approche probabiliste de la sûreté
3.5 Caractérisation des deux approches
3.6 Conclusion
4 Les politiques de sûreté nucléaire
4.1 Les décisions initiales (1945-1967)
4.2 La politique de la sûreté nucléaire aux États-Unis
4.3 La politique de la sûreté nucléaire en France
4.4 Conclusion
III Une approche causale du risque
5 Une représentation par les réseaux bayésiens causaux
5.1 Introduction
5.2 Les réseaux bayésiens causaux
5.3 Une application à la sûreté
5.4 Conclusion
6 Les leçons de Fukushima
6.1 Introduction
6.2 Chronique des événements
6.3 Les causes d’une catastrophe
6.4 Après Fukushima
6.5 Conclusion
IV Une approche causale de la décision en incertitude
7 Introduction aux réseaux décisionnels : un cas d’école
7.1 Introduction
7.2 Un problème de gestion du risque et son traitement causal
7.3 Analyse de quelques problèmes traditionnels
7.4 Conclusion
8 Réseaux décisionnels : cadre et résultats théoriques
8.1 Introduction
8.2 Un modèle de décision causale
8.3 Articulation avec la théorie de la décision
8.4 Décision dans l’ambigüité
8.5 Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie
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