Une relecture de l’épargne comme comportement de consommation : le cas des déterminants des actes d’épargne

Deux œuvres théâtrales majeures : Le Marchand de Venise et l’Avare nous interrogent sur les motifs qui amènent à détenir de l’argent, donc à épargner. Dans la pièce de Shakespeare, le héros, réfractaire à l’épargne, doit s’employer à trouver du crédit pour une cause noble : le cœur d’une femme. Harpagon gâche sa vie à tenter de maximiser la rétention de son or. Comment mieux illustrer les problématiques de l’épargne : pour quoi et pour qui épargner ? comment procéder ? Ces œuvres illustrent avec humour et brio que l’épargne ou sa sauvegarde ne sont pas vraiment l’activité monolithique, sans aspérité, simple et sereine, d’un bon père de famille, rationaliste et patient. Avec modestie, cette thèse s’interroge sur ce qu’est l’épargne, ses fonctions et ses déterminants. Notre démarche vise à enrichir la connaissance de l’épargne en déportant doublement la perspective académique sur ce comportement : (a) vers les actes d’épargne plutôt que vers les décisions d’épargne, (b) en adoptant la perspective de la consommation plutôt que l’angle économique ou sociologique. Notre travail examine l’influence de déterminants psychosociologiques, habituellement mobilisés en comportement du consommateur – implication, bien-être, estime de soi, satisfaction – sur la mise en œuvre des décisions d’épargne : les actes d’épargne.

Pourquoi étudier l’épargne 

L’argent médium universel

L’argent présente une importance universelle, quantitative et qualitative, symbolique comme fonctionnelle. Instrument privilégié des échanges économiques et financiers, présent dans la plupart des situations de la vie moderne, dans les sociétés plus avancées comme dans les pays moins développés, l’argent jouit d’une situation incontournable au sein du système économique et marchand, lui-même placé au cœur de la société moderne (Worms, 1989 ; De Coppet, 1998). Certains le considèrent comme l’essence de la modernité (Simmel, 1987 ; Ingham, 1998). C’est l’une des inventions humaines les plus polyvalentes . Pour de nombreux individus, l’argent est omniprésent. Les individus s’engagent quotidiennement dans des comportements financiers (Lee et Hanna, 2015 : 43). La crise financière de 2007 2011 a mis en exergue cette dépendance quotidienne. L’argent est l’objet économique que l’on tend spontanément à considérer comme le plus parfait (Lordon, 2000 : 1343). Contrairement au temps, autre concept universel, l’argent est aujourd’hui une ressource aisément disponible (Aaker et al., 2011 : 128). Mais il faut savoir interagir avec l’argent afin d’être bien inséré dans la société (Abramovitch et al., 1991 : 27).

L’argent s’immisce progressivement dans des relations sociales traditionnellement considérées comme personnelles et non marchandes (Zelizer, 1998). Les différents pouvoirs de l’argent peuvent conduire à l’assimiler à un pouvoir magique ou démiurgique et à lui attacher de nombreuses significations symboliques. Dans un monde où l’homme s’est entouré de valeurs et de symboles toujours plus nombreux, l’argent est progressivement devenu un mode ultime de quantification, de hiérarchisation et de différenciation des valeurs (Simmel, 1987). On lui attribue une orientation morale et religieuse, le plus souvent maléfique. Un rapport particulier des individus à la totalité sociale se joue dans l’argent (Lordon, 2000 : 1343). Le développement de monnaies parallèles, y compris dans les économies les plus avancées, accentue cette influence : chèques cadeaux et cartes cadeaux, titres restaurant. Le développement plus récent de monnaies virtuelles, le Bitcoin étant la plus connue, participe également de cette monétisation du monde. Et les individus développent des monies personnelles (Zelizer, 1994). L’influence de l’argent est souvent mise en regard du silence qui l’entourerait : « Dans notre société, l’argent est omniprésent et pourtant on n’en parle pas ! [. . .] Il s’agit pourtant d’un des moteurs de l’existence qui conditionne bien des choix de vie » (De Gaulejac, 2004 : 37-45) . Investiguer les rapports à l’argent peut s’avérer complexe. En France, il existerait une réticence particulière à parler d’argent (Viaud et Roland-Lévy, 2000 : 416) et à en étudier les influences ou les pratiques (Gorge et al., 2015 : 115). Certains déplorent la rareté et la pauvreté des études qui y sont consacrées (Caillé, 2002 : 243). Les recherches sur l’argent ont fréquemment choisi la voie de l’éloignement par l’abstraction mathématique ou par la distanciation temporelle ou géographique (Doyle, 1992a). L’argent et ses usages s’organisent autour de trois dimensions : le quotidien, le crédit et l’épargne (Viaud et Roland-Lévy, 2000 : 424). Depuis l’Antiquité, avec Aristote notamment, puis par les religions du Livre, certains comportements financiers ont été stigmatisés. C’est « la condamnation morale de l’argent » (De Blic et Lazarus, 2007 : 8-19) qui demeure bien présente aujourd’hui . L’épargne, au contraire, a toujours été louée par les penseurs comme par les pouvoirs publics. Avec la multiplication des formes monétaires et des usages, dont l’épargne, la gestion financière personnelle est devenue de plus en plus complexe (Chang, Sun et Chen, 2010 : 1).

L’usage que l’on fait de l’argent, comme pour d’autres modes de consommation, structure et est structuré par notre personnalité (Ladwein, 1999). Il est donc important de chercher à comprendre pourquoi les individus développent des compétences, des motivations et des désirs pour dépenser, conserver et utiliser leur argent (Tokunaga, 1993 : 285).

L’épargne : un usage stratégique, courant et complexe de l’argent

L’épargne est une forme et un ensemble d’usages de l’argent rarement remis en question. Etymologiquement, épargner c’est faire des économies pour se constituer une réserve, ou encore économiser de l’argent en prenant sur quelque chose, en diminuant les dépenses sur tel ou tel secteur (Larousse). L’épargne a une importance politique, économique et sociologique. Elle englobe plusieurs aspects fondamentaux des conduites humaines et contribue à résoudre des problèmes majeurs des économies nationales (Wärneryd, 1999). Au niveau individuel, l’épargne est nécessaire pour faire face aux aléas de la vie : naissance, maladie, décès, chômage (Gutter et al., 2012 : 87), pour permettre de réaliser des achats importants – biens durables, immobilier – pour préparer le financement sa retraite ou encore pour transmettre un patrimoine à ses enfants. Elle permet d’accéder à l‘indépendance et à la stabilité financière (Loibl et al., 2011). La complexité des produits et des solutions confronte les consommateurs à des décisions difficiles. Ces difficultés sont renforcées pour les ménages aux revenus modestes (Loibl, Jones, Haisley, 2018). Dans les pays en voie de développement, l’essentiel de l’épargne est accumulée par les ménages et les individus (Aktas et al., 2012 ; Burney et Khan, 1992). Elle est indispensable pour amorcer l’investissement des entreprises (Metin-Ozcan et al., 2012). Au niveau macroéconomique et des entreprises, l’épargne est nécessaire pour l’investissement et pour soutenir la création des entreprises. Au sein des familles, l’épargne financière est, avec l’immobilier, un sujet stratégique (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2007 ; Bessière et Gollac, 2020).

Une situation financière négative, notamment un endettement trop important, peut affecter la santé physique et mentale des membres d’un ménage (Prawitz et al., 2006 : 37). Une situation financière saine peut contribuer à un bien-être supérieur. Les soucis financiers des collaborateurs affectent leurs comportements et leur productivité sur le lieu de travail, ils accroissent l’absentéisme (Prawitz et al., 2006 : 37). Politiquement, économiquement et socialement, l’épargne d’un pays est stratégique. Au niveau politique, les Etats suivent avec attention l’évolution de l’épargne globale, qui diminue (Tendy et al., 2015). Elle leur permet de réaliser des investissements dans des infrastructures de santé, d’éducation et de communication, indispensables aux sociétés modernes et donc de renforcer le développement économique. Les montants relatifs aux comportements financiers individuels sont extrêmement importants. En dépit de la profonde crise économique et financière que nous avons traversée, ces montants n’ont fait que croître . Au 1er trimestre 2019, le patrimoine financier – hors patrimoine immobilier – des ménages français atteignait 5.154 Mds€, avec un flux net annuel d’épargne de 135 Mds€ . Selon les autorités financières, à la faveur de la crise économique déclenchée par le COVID19 et du confinement, les Français auraient épargné 85 Mds€ .

Si les montants épargnés sont extrêmement importants , les volumes d’actes le sont également. Pour un stock de près de 55 millions de livrets A ou Bleus à fin 2018 , le volume des actes d’épargne reste très significatif : 2,8 millions de fermetures de livrets A contre 2,5 millions d’ouvertures, pour un flux net de +10,8 Mds€. La même année, l’assurance-vie représentait 1.913,2 Mds€, pour un flux net de +51 Mds€. En 2009, on comptabilisait 4,9 millions d’ouvertures de contrats d’assurance-vie. Agrégées, ces actions influencent significativement l’économie (Kirchler, 1988).

Les comportements d’épargne illustrent la complexité instrumentale des usages de l’argent. En France, le patrimoine financier (hors immobilier) est concentré sur une fraction des ménages , ce qui implique une différenciation des comportements d’épargne entre les consommateurs.

Le besoin d’éducation financière des ménages et des individus

Dans de nombreux pays, le taux d’épargne agrégé apparaît insuffisant et en recul (Wärneryd, 1989 : 515). Aux Etats-Unis, le taux d’épargne des ménages est faible voire négatif, alors que l’endettement s’accroît sans discontinuer (Prawitz et al., 2006). Les ménages font face à des décisions économiques nombreuses et régulières. Les décisions financières forment une composante majeure de la vie quotidienne (Asaad, 2015 : 101). Les individus doivent fréquemment réaliser des ajustements face aux facteurs économiques qui affectent leur existence (Engelberg, 2007). Beaucoup de ces décisions ne sont pas perçues comme particulièrement complexes ou importantes (Karlsson et al., 2004), à tort. On constate la multiplication simultanée des produits et services liés à l’épargne et de la réglementation, la montée en puissance du recours aux applications et sites en ligne (Maltby et al., 2009 : 152). Nombre de décisions financières nécessitent une connaissance basique des concepts financiers, tels que le taux d’intérêt ou l’inflation (Grohmann, Kouwenberg et Menkhoff, 2015 : 114). La complexité des décisions financières s’est accrue pour atteindre des niveaux sans précédent (van Rooij et al., 2011 : 593). Les comportements financiers sont hétérogènes et nombre de ménages n’ont pas les connaissances nécessaires, notamment en matière d’épargne et de retraite (Van Rooij et al., 2011 : 604 ; Pham et al., 2012 : 463 ; Tang et Baker, 2016 : 164). Et l’idée que les connaissances suffisent à prendre et à exécuter les décisions adéquates repose avant tout sur une « sagesse conventionnelle » (Tang et Baker, 2016 : 165).

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Table des matières

INTRODUCTION
1. POURQUOI ETUDIER L’EPARGNE
2. INTERET DE NOTRE RECHERCHE
3. DEFINITION DE L’OBJET ET DE LA PROBLEMATIQUE DE NOTRE RECHERCHE
4. OBJECTIFS ET CONTRIBUTIONS ATTENDUES DE LA RECHERCHE
5. PLAN DE NOTRE RECHERCHE
CHAPITRE 1 – L’EPARGNE : ENVIRONNEMENT, DEFINITIONS, REDEFINITION ET SIGNIFICATIONS
1. L’ENVIRONNEMENT DES PRATIQUES D’EPARGNE
1.1. Les formes de l’argent
1.2. L’apprentissage de l’épargne : la socialisation financière
2. DEFINITIONS ET ANALYSES CLASSIQUES DE L’EPARGNE
2.1. Définitions : de multiples perspectives pour envisager l’épargne
2.2. Dans quel cadre se situe l’analyse classique de l’épargne ?
2.3. L’épargne comme mécanique involontaire
2.4. L’épargne démarche rationnelle et rationalisée
3. CE QUE SIGNIFIE L’EPARGNE
3.1. Les intérêts : mécanisme financier ou convention sociale ?
3.2. Quelle valence pour l’épargne ?
3.3. Les significations de l’épargne
CONCLUSION
CHAPITRE 2 – LE COMPORTEMENT D’EPARGNE : D’UN SURPLUS MONETAIRE CONSOMMABLE A UN ACTE DE CONSOMMATION
1. L’EPARGNE DANS LE CHAMP DE LA CONSOMMATION
1.1. Une définition de la consommation
1.2. Quelques enseignements empiriques
1.3. L’épargne en tant qu’auxiliaire de la consommation
1.4. L’épargne et les dimensions structurantes de la consommation
2. L’ANALYSE DES COMPORTEMENTS D’EPARGNE AUTOUR DE THEORIES EMBLEMATIQUES
2.1. L’épargne possession
2.2. La consumation de l’épargne : l’épargne qui circule
3. APPREHENDER LA MISE EN ŒUVRE DE LA DECISION D’EPARGNE : LA NOTION D’ACTE D’EPARGNE
3.1. Le stade de l’épargne étudié : la mise en œuvre des décisions d’épargne
3.2. Des définitions inadaptées des comportements d’épargne
3.3. La mise en œuvre des décisions d’épargne : les actes d’épargne
3.4. L’extension du champ des actes d’épargne
3.5. L’intensité des actes d’épargne : le choix des actes d’épargne répétés
CONCLUSION
CHAPITRE 3 – UN CADRE D’ANALYSE POUR LES ACTES D’EPARGNE REPETES
1. LES DETERMINANTS NON RETENUS
2. L’AUTO-EFFICACITE OU SENTIMENT D’EFFICACITE PERSONNELLE
3. L’INFLUENCE DES DETERMINANTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES
3.1. Les concepts non retenus
3.2. L’influence du risque sur les attitudes et les comportements financiers
3.3. Les attitudes à l’égard de l’épargne
3.4. La théorie du comportement planifié
3.5. Les construits associés aux valeurs
4. IDENTITE, EXPRESSION DE SOI ET COMPORTEMENT D’EPARGNE
4.1. L’estime de soi
4.2. Le bonheur, le bien-être subjectif, la satisfaction dans la vie
4.3. Le bien-être financier
5. ENGAGEMENT, IMPLICATION ET SATISFACTION
5.1. L’engagement
5.2. La théorie de l’implication
5.3. L’influence de la satisfaction sur la répétition des actes d’épargne
CONCLUSION
CHAPITRE 4 – CADRE CONCEPTUEL, PRESENTATION DES HYPOTHESES
1. CADRE CONCEPTUEL DE NOTRE RECHERCHE
2. LES HYPOTHESES DE RECHERCHE
2.1. Hypothèses relatives à l’importance de l’épargne et à l’implication envers l’épargne
2.2. Hypothèses relatives à l’influence des affects positifs associés à l’épargne
2.3. Hypothèses relatives à l’influence de la perception et des attitudes à l’égard des risques
2.4. Hypothèses relatives à l’influence du sentiment d’efficacité personnelle
2.5. Hypothèses relatives à l’influence de l’estime de soi
2.6. Hypothèses relatives à l’influence du bien-être financier
2.7. Hypothèses relatives à la satisfaction à l’égard de ses actes d’épargne
2.8. Hypothèses relatives à l’influence de la répétition sur la perception des actes et les intentions d’actes d’épargne
2.9. Les variables comportementales relatives à l’épargne
3. DESCRIPTION DU MODELE ET STRUCTURATION DES HYPOTHESES
CONCLUSION
CHAPITRE 5 – METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
1. APPROCHE EPISTEMOLOGIQUE
2. METHODOLOGIE DE LA MESURE
2.1. Choix d’une méthode de recueil
2.2. Distribution et recueil des questionnaires
2.3. Echantillonnage
3. OPERATIONNALISATION DES CONSTRUITS ET DES COMPORTEMENTS
3.1. Choix en matière de structure de construit et de modèle
3.2. Critères de sélection des différents construits mobilisés
3.3. Mesure des attitudes à l’égard de l’épargne
3.4. Mesure du plaisir associé à l’épargne
3.5. Mesure des attitudes à l’égard des risques
3.6. Mesures du sentiment d’efficacité personnelle en matière financière et d’épargne
3.7. Mesure de l’estime de soi
3.8. Mesure du bien-être financier
3.9. Mesure de la satisfaction
3.10. Mesure des intentions d’épargne
3.11. Mesure directe des actes d’épargne
3.12. Variables sociodémographiques
4. METHODES D’ANALYSE UTILISEES POUR TESTER LES HYPOTHESES ET LES COMPOSANTES DU MODELE
4.1. Application des méthodes d’équations structurelles
4.2. Validation des construits et de leur structure
4.3. Corroboration des hypothèses
4.4. Evaluation du modèle et des composantes
4.5. Minimisation du biais de variance commune
CONCLUSION

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