Le Dispositif Local d’Accompagnement, interface signifiante des relations entre État et associations
« On utilise tout le temps ce terme de professionnalisation. […] Je me suis demandé ce que ça voulait dire. […] Professionnaliser, c’est aider les associations qui ont des salariés mais qui ne savent pas être employeurs. C’est les aider à être employeurs, à être responsables de leurs salariés. [Il y a aussi l’idée] « d’accompagner les associations à être des grands », un peu en opposition avec le militantisme : « Ils ont été militants pendant quelques années, maintenant c’est bien ils se professionnalisent. On va pouvoir discuter d’égal à égal. Maintenant, c’est des gens qui font des dossiers de subvention, qui parlent le même langage que nous ». […] Et il y a ce côté vicieux, je trouve, derrière, plus les associations créent d’emplois, mieux c’est pour le DLA, plus ça répond à nos critères, et ça ne pose pas la question de pourquoi on crée de l’emploi. Si tu critiques le fait qu’une association doit créer de l’emploi, t’es un sacré rabat-joie, parce que l’emploi c’est de la balle ! » (Chargé-e de mission DLA, n°7) .
Cet extrait est tiré d’un entretien réalisé avec un-e chargé-e de mission du Dispositif Local d’Accompagnement (DLA). Mis en œuvre dans chaque département, le DLA est une politique publique d’État qui propose aux associations employeuses, et plus largement aux structures de l’économie sociale et solidaire (ESS), de bénéficier gratuitement d’un accompagnement pour consolider leur modèle économique et pérenniser leurs emplois. Depuis 2002, sur l’ensemble du territoire ce sont environ 6 500 associations employeuses – la France en compte environ 180 000 (Tchernonog, 2013) – qui sont accompagnées par le DLA chaque année et au total plus de 20 000 associations différentes qui ont bénéficié d’au moins un accompagnement DLA au cours des 10 dernières années. Concrètement, le-la chargé-e de mission DLA réalise le diagnostic d’une association volontaire puis, quand c’est pertinent, commande une prestation – en moyenne – de cinq jours afin d’aider la structure à se consolider . Cette seconde partie de l’accompagnement est confiée à un consultant. Celui-ci intervient sur de nombreux aspects, comme la gestion, le projet associatif, le modèle économique, la communication, etc. Pour décrire l’action du DLA, les chargé-e-s de mission utilisent souvent, comme c’est ici le cas, le terme de « professionnalisation». Mais qu’est-ce que « professionnaliser » une association ?
Cet extrait d’entretien avec un-e chargé-e de mission, situé-e à l’interface entre les pouvoirs publics commanditaires de son travail et les associations bénéficiaires de celui-ci, nous invite à dégager plusieurs dimensions. Tout d’abord, il nous renseigne sur les objectifs du dispositif : accompagner les associations à être de « bons employeurs », à avoir une « gestion professionnalisée » (Brodiez, 2009). C’est-à-dire à avoir des éléments de gestion, que l’organisation du travail soit conventionnelle ou du moins se rapproche idéalement du respect du droit du travail, etc. Cette idée en amène une autre : « être responsable de ses salariés », c’est être moins militant. Opposer « militantisme » ou « bénévolat » à « professionnalisme » n’est pas une dichotomie évidente : on opposerait plus naturellement « professionnel » à son antonyme « amateur ». Ici, l’association « militante », au projet politique fort, est présentée comme incompatible avec l’image de l’association « professionnelle » prestataire qui saurait, quant à elle, faire des dossiers, parler « le même langage » que l’administration, répondre aux attentes des pouvoirs publics. Enfin, dernier enseignement de cet extrait, si « l’emploi c’est de la balle ! », le développement de l’emploi dans les associations fait évidence. « Professionnaliser » c’est avoir des salariés.
Une politique publique pour l’emploi, pour les associations, avec les associations
Au début des années 2000, l’État va créer le dispositif local d’accompagnement (DLA). Cette politique publique offre un soutien aux structures de l’économie sociale et solidaire (ESS), dont les principales représentantes sont les associations, pour consolider leur modèle économique et pérenniser leurs emplois. Pourquoi cette politique publique émerge-t-elle à ce moment précis ? Quelles sont ses modalités ? Que nous dit l’étude du DLA de la transformation de l’État ? Le lecteur aura compris qu’ici, c’est le DLA en tant que politique publique qui sera notre objet. Il ne s’agit pas (encore) d’étudier ses résultats, mais de porter notre attention sur les choix et les formes que prend l’action publique pour comprendre ce que cela nous dit de l’État. La naissance de ce dispositif, et ses modalités, s’inscrit dans une histoire et des formes qu’il convient de comprendre. L’enjeu de cette partie sera de faire « parler » le dispositif en restituant sa genèse et sa structuration.
Méthode & plan
Cette partie a été réalisée à partir d’entretiens (N = 20) avec les créateurs du dispositif, mais aussi avec ceux qui le dirigent – les « pilotes » – ou le mettent en œuvre. Pour comprendre l’organisation et la structuration du dispositif, nous avons également mobilisé la littérature grise : circulaires, documentation interne au dispositif, guides, journaux, rapports d’activité, etc. Ce travail de terrain nous a permis d’avoir une vue d’ensemble de l’univers DLA à la fois structurelle, fonctionnelle et historique.
La création du DLA et les politiques de l’emploi
Le Dispositif Local d’Accompagnement (DLA), créé en 2002, n’est pas un dispositif d’appui opérant auprès des associations en raison de leur qualité de structure loi 1901 (ou de leur utilité sociale), mais un dispositif de soutien à l’activité économique et à l’emploi dans ce secteur. Cette spécificité, le DLA la tient de sa genèse et de son inscription dans les politiques de l’emploi.
Depuis sa création, l’objectif officiel de ce dispositif est la « consolidation et [le] développement des activités et services d’utilité sociale créateurs d’emplois, dans leur démarche de consolidation économique et de développement » ; il «accompagne » les structures porteuses d’emplois et participe à la consolidation de ceux-ci. Gomel et Schmidt notent en 2006 qu’il est remarquable que les prestataires qui ont la charge de l’accompagnement des projets dans le cadre de l’activité des dispositifs locaux d’accompagnement s’intéressent essentiellement à l’économie des structures associatives et à leur capacité d’autofinancement. Les expertises ont pour
objet la mesure et l’amélioration de l’efficacité économique des actions. Ainsi, pour le réseau France Active qui porte de nombreux DLA, « apporter des outils financiers à une structure associative, c’est lui donner les moyens de se professionnaliser et, à terme, de se gérer comme une petite entreprise » ou encore « le but d’un DLA, c’est de faciliter la mobilisation des acteurs et la synergie des financeurs ». C’est le premier caractère frappant du DLA, contrairement aux dispositifs qui l’ont précédé (RIG, MAIA, CRIB) ; le DLA n’est donc pas né du monde associatif ni de sa tutelle ministérielle traditionnelle. Créé par la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et par la Caisse des Dépôts et Consignations (que nous nommerons par la suite « la Caisse » ou par son acronyme CDC), il prend sa source dans les politiques de l’emploi (I). Le second caractère marquant est que la naissance du DLA est le résultat d’un dynamisme administratif et que celui-ci a contribué à faire naître un dispositif inscrit dans une nouvelle logique d’activité aidée (II).
Du soutien à la vie associative au soutien à l’emploi
Depuis les années 1970, le monde associatif a progressivement été structuré par les politiques publiques de l’emploi. Celles-ci ont largement participé à la « salarisation » (Dussuet & Flahault, 2010) des associations. Dans cette partie il s’agit de s’intéresser à l’histoire des politiques de l’emploi à destination du monde associatif. Ainsi nous nous interrogerons : en quoi sont-elles significatives ? Que nous disent leurs mutations au sujet de l’État ? Dans cette partie nous reviendrons sur les formes traditionnelles du soutien de l’État à la vie associative (1), puis nous nous intéresserons à l’histoire des contrats aidés (2) pour mieux comprendre la spécificité du programme « Nouveaux Services-Emplois Jeunes » (NSEJ) et de la logique d’« activité aidée » qui ont donné naissance au DLA.
Le déclin des formes traditionnelles de soutien aux associations
Le soutien de l’État aux associations a pris plusieurs formes : nous en distinguerons trois. Il est passé, et passe encore souvent, par le biais de dispositif nationaux spécifiques (a), par l’action des conseillers d’éducation populaire et de jeunesse (b) ou encore par des mises à disposition de personnel (c).
Les dispositifs nationaux aux marges limitées à destination des associations
Depuis les années 1970 et le « choc culturel » de mai 68 (Chevallier, 1981 ; 1986) le nombre d’associations, stable jusqu’alors, va exploser. Aujourd’hui encore ce phénomène continue : plus de 60 000 associations se créent chaque année (Tchernonog, 2013). Et alors qu’avant la seconde guerre mondiale, les terrains privilégiés des associations étaient l’éducation populaire, l’animation socio-culturelle, l’action socio-économique ; désormais les associations s’intéressent aussi aux loisirs, aux sports, aux activités artistiques et culturelles, à la santé, etc. « Elles investissent littéralement la vie quotidienne, l’aménagement, le logement, l’environnement et assument des responsabilités de gestion de plus en plus étendues. » (Chevallier, 1986) Ce développement du monde associatif a participé à sa structuration en réseaux et en fédérations. En 2011 (Tchernonog, 2013), 53 % des associations adhèrent à un réseau, ce chiffre monte à 67 % pour les associations employeuses. Les réseaux, fédérations ou confédérations associatives font bénéficier à leurs membres des services pour consolider leurs organisations, que ce soit de l’information, de l’orientation, des outils de gestion, etc.
Parallèlement, l’État a développé plusieurs dispositifs de soutien aux associations pour répondre à leurs différents besoins. Cette mission est historiquement portée par le Ministère en charge de la Vie Associative – en 2015 sous la tutelle du Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. Il est possible de distinguer plusieurs dispositifs d’appui aux associations : des politiques publiques nationales et transversales à l’ensemble du monde associatif. En nous appuyant sur un rapport de la CPCA et un second rapport de l’IGJS (Inspection Générale de la Jeunesse et des Sports), nous pouvons dénombrer trois dispositifs nationaux en plus du DLA : les RIG, les MAIA et les CRIB, mais aussi un corps d’État, celui des conseillers d’éducation populaire et de jeunesse (CEPJ).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE 1. UNE POLITIQUE PUBLIQUE POUR L’EMPLOI, POUR LES ASSOCIATIONS, AVEC LES ASSOCIATIONS
Chapitre 1. La création du DLA et les politiques de l’emploi
Chapitre 2. Une politique publique déléguée
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
PARTIE 2. LE TRAVAIL DES CHARGE-E-S DE MISSION DLA, REFLET D’UN GOUVERNEMENT PAR L’ACCOMPAGNEMENT
Chapitre 3. Le cadre du travail des chargé-e-s de mission DLA
Chapitre 4. Le travail des chargé-e-s de mission : accompagner pour l’emploi
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
PARTIE 3. LES EFFETS DU DLA SUR LES ASSOCIATIONS : LA « PROFESSIONNALISATION CONTEMPORAINE »
Chapitre 5. Les fonctions du DLA : la « professionnalisation contemporaine »
Chapitre 6. L’usage des outils de gestion, une ressource de pouvoir
Chapitre 7. Relations entre pouvoirs publics et associations bénéficiaires
CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE
CONCLUSION
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
PLAN DETAILLE