Le monde croît, les métropoles se développent, se densifient, s’adaptent. Nous sommes actuellement 7.2 milliards d’êtres-humains sur Terre, et ce chiffre ne cesse d’augmenter malgré la baisse constatée du taux de fécondité. Ces facteurs humains confrontent les métropoles mondiales à de nouveaux enjeux et de nouvelles problématiques économiques, sociales et environnementales. L’économie Allemande est l’une des plus performante mondialement. La ville de Berlin est particulièrement attractive pour les entreprises et les étrangers, car elle reste encore l’une des rares villes de rayonnement mondial où le prix du foncier est encore faible (de 800 à 4000 euros le mètre carré). Cette attraction entraîne un développement urbain à grande vitesse et la création très rapide d’îlots entiers. C’est à la fois un atout économique et un danger pour la préservation des espaces vides. Maîtriser et contrôler ce développement urbain accéléré est l’un des défis majeurs que se doit de relever cette ville renaissante depuis la chute du mur, il y a 25 ans maintenant .
LES MULTIPLES FACETTES DE TEMPELHOF
Avant d’analyser le projet de reconversion et les diverses critiques du projet de Tempelhof, je propose une analyse du site existant. Elle comporte des points de vues distanciés, dits objectifs (typologie, contexte géographique, historique, économique, et social), ainsi qu’une approche plus subjective, sensible à l’espace, afin d’avoir une compréhension complète du site et de ses enjeux. J’ai donc travaillé avec des médiums variés, tels que des cartes analytiques, des textes officiels, le dessin, l’écriture, la vidéo, afin d’en faire une présentation pertinente.
Le contexte urbain de Berlin
Il s’agit dans cette première partie de comprendre en quoi les évolutions historiques et sociales de Berlin font parties des enjeux de projet pour la reconversion de Tempelhof.
Plusieurs décennies nous séparent des bombardements puis du mur, mais il reste encore de nombreux bâtiments et espaces à re-qualifier au centre de la métropole. Berlin à un «tissu urbain» avant tout marqué par l’histoire, et «incarne le rapport entre idéologie et urbanisme». De plus de par son histoire, la population de Berlin a développée la capacité d’agir sur leur ville, et s’organise pour imposer leur idées par la pression de groupes associatifs. Grâce à leur engagement à partir des années 70, ils ont développé de nouvelles formes d’urbanisme dites «douce» , c’est à dire respectueuses du patrimoine, de l’environnement, et des personnes. En quoi la table rase de la guerre offre t-elle un potentiel de développement urbain d’avant-garde? Comment se sont développées ces nouvelles formes d’urbanisme?
Tout d’abord, pour nous plonger dans cette ville, un récit de la ville traversée, montre les cicatrices et les décalages de l’histoire dans les formes du bâti et du non-bâti. Puis à travers une chronologie du développement urbain «doux», l’on verra qu’il existe une tension depuis une trentaine d’années, entre les idées des utopistes postcapitaliste et les décisions des institutions. Ce qui nous amènera plus loin, à restituer dans quel contexte les acteurs des controverses agissent pour une reconversion «douce» du site existant.
Une ville dans l’histoire
Un étranger peut être déstabilisé par l’aspect décousu de Berlin par rapport à sa ville natale. Les trottoirs et les rues sont larges. Les constructions sont ponctuées de vides inattendus. Il n’y a pas de style architectural homogène. La couture urbaine est discontinue, interrompue de cicatrices et friches. L’on passe en plein centre ville, de bâtiments contemporains à d’autres délabrés, du dense au vide, des lieux ressemblant à des franges urbaines à un quartier de tours contemporaines… Ces stigmates sont dus en majorité aux bombardements de la deuxième guerre mondiale qui ont détruits plus de la moitié des constructions existantes . De plus viennent s’ajouter les friches industrielles et d’infrastructures issues de la transition de l’économie industrielle à celle de service. La densité est donc faible, l’échelle urbaine est grande, elle est d’une superficie 7 fois supérieure à celle de Paris avec trois fois moins d’habitants .
Au premier abord, nous pouvons facilement dire que la ville est laide, si nous la comparons à une esthétique classique. A la différence de Paris ou Londres, il n’y a pas d’identité à travers un style unique d’architecture: La construction est plus mentale. Berlin s’est formé à travers l’histoire en une vision commune: le Rêve de Berlin. Tous les axes de l’histoire y ont pris formes (la Monarchie, le National socialisme, la Guerre froide, le Communisme et la Réunification…). Berlin est le résultat, la superposition de ces différentes idéologies présentes et passées. Une collection d’«icônes» dont Tempelhof fait partie.
Mais c’est en se promenant que l’on découvre le potentiel et la beauté de Berlin. Le tissu urbain est fait de ruptures, la couture urbaine est inachevée, mais les respirations qui en résultent sont une ressource exceptionnelle pour une capitale historique. On est loin du concept de beauté classique: la dimension de la découverte domine, on est confronté toujours à de nouvelles perspectives. L’on constate aussi que la ville est toujours en cours de fabrication. Elle ne cesse de se transformer: «L’identité de la ville est un cycle dramatique, avec une dialectique de la construction et de la destruction d’une ville: Rebuilding city on city.» .
Ainsi un collectif d’architectes a mené un exercice de description par l’écriture et la photographie sur les espaces vides de Berlin. A travers leur vécus, et anecdotes ils expliquent comment Berlin offre un fort potentiel de vie publique. L’impression d’inachèvement donne à l’imagination la possibilité de s’y étendre. Les espaces libres, utilisés de manière créative par la population réactive notre imagination et le potentiel onirique de la ville. Le cas de la reconversion de Tempelhof s’inscrit dans toute ce contexte de vides à re-qualifier et d’usages pionniers. Ne pouvant requalifier tous les espaces vacants, les institutions les ont concédés aux personnes et à des associations.
Depuis sa fermeture, Tempelhof fait partie de tous ces espaces en marge permettant des zones de respiration dans le tissu urbain. Avec ses 380 h, le site est une opportunité pour augmenter la vie publique et donner un sens positif à l’histoire douloureuse du XXéme siècle.
Histoire du développement urbain doux
L’implication de la population dans le cours de l’histoire a induit un rapport de connivence entre la fabrique de la ville et les habitants. Comme nous l’avons évoqué précédemment Berlin incarne donc «le rapport entre l’idéologie et l’urbanisme» . Le reconstruction de Berlin jusqu’à aujourd’hui a donné naissance à l’avantgarde des pratiques urbanistiques. Les institutions sous l’influence des idées de la population ont donné une «définition progressiste d’un urbanisme doux» , au moyen de la «relativisation des utopies urbaines» , de «méthodes novatrices de rénovation urbaines» , et «nouvelles formes de démocraties locales» . Le tout est en «symbiose entre expérimentation et institutionnalisation» . Le contexte du passé de Berlin induit aussi naturellement le «rapport symbolique et monumental à l’histoire» en architecture. Après la guerre, la première période de la reconstruction associe la théorie moderniste et le développement des transports autoroutiers. De plus la destruction d’une grande partie du tissu urbain place Berlin comme laboratoire expérimental. La table rase permet la contestation du modèle moderniste et pose les conditions d’une expérimentation à vaste échelle de la construction d’une ville nouvelle dans son essence.
Dès les années 80, la pression d’urbanistes alternatifs et des comités d’habitants, de locataires protestent contre les expulsions et les démolitions. Ces contestataires sont les héritiers des alternatifs des années 1970, ainsi un milieu d’activistes urbains se constitue. Ainsi dès les années 1980 se met en place le début des principes d’urbanisme doux: «De là naît l’idée de la rénovation douce, qui renoncerait à la démolition en vue de la construction d’une ville hors sol pour s’attacher à la réparation de l’existant et à sa réinsertion dans un cadre urbain qui deviendrait l’objet d’un soin plus grand, au niveau de l’îlot hérité» . Outre la protection du patrimoine existant vient s’ajouter les principes de l’écologie et de la participation citoyenne aux projets urbains Après 1990, ces principes sont intégrés et institutionnalisés dans la rénovation urbaine, dans le renouvellement urbain et servent de fondement au travail. Une instance sociale, le «STERN» est active dans la politique de la ville (ex: îlots traités de manière raisonnée dans le quartier de Kreuzberg). Devant le constat du foisonnement des espaces vacants après la chute du mur, le sénat de Berlin met en place des développements urbains à plusieurs vitesses. Les deux exemples suivant illustrent les contrastes de ceux-ci: Dans les années 2000, Hans Stimmann, directeur des bureaux d’urbanisme préside à la planification et veut recréer un panorama urbain digne de la capitale. Il décide de la création d’espaces publics à rayonnement mondial, vitrine de grands groupes industriels, tel que la Potsdamer Platz. Anciennement un No Man’s land entre les deux murs, elle est devenu un espace public laissé non pas à la place publique mais à l’intérieur des îlots destinés à servir de vitrine à de grands groupes. A contrario, le sénat concède des espaces publics aux associations et aux habitants en développant des pratiques locales de recyclage des espaces, avec par exemple «les usages pionniers» . Cette fois dans la lignée du concept de renouvellement urbain doux, la ville et les habitants ont ainsi développé au sein de ces creux les «zwischen Nutzung». Ce sont des usages intermédiaires et éphémères des espaces non utilisés pour une durée déterminée (baux de 1 à 3 ans). Cette possibilité de s’approprier ces espaces permet de qualifier ces vides en préservant la ville. Ces usages réactivent les lieux oubliés de manière simple, et créent des espaces improbables et créatifs.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. LES MULTIPLES FACETTES DE TEMPELHOF
1.1 Le contexte urbain de Berlin
1.2 Le contexte urbain du quartier
1.3 La portée historique
1.4 Présentation sensible du site
II. LE CADRE DU PROJET INSTITUTIONNEL
2.1 Le projet institutionnel
2.2 La place de la participation des habitants
III. LE CYCLE DES CONTROVERSES
3.1 Les alternatives et les prospectives pour l’avenir des pistes
3.2 Paroles d’utilisateurs :De nouveaux enjeux de projets
3.3 La résistance de l’association “Demokratische Initiative 100% Tempelhofer Feld e.V.”
CONCLUSION