Une petite histoire du début de la CEM
Evolution des perturbations
On pourra dire que l’interférence et sa correction ont surgi avec les expériences de Marconi (inspirées de celles de Hertz qui validaient la théorie de Maxwell) en 1895 [4]. En 1901 [4], il a réalisé la première transmission transatlantique par un réseau de fils de cuivre. Les seuls récepteurs d’importance à ce moment-là étaient des récepteurs radio. Ceux-ci étaient peu nombreux et largement séparés, de sorte que la correction d’un problème d’interférence était relativement simple. Toutefois, des articles techniques concernant les interférences radio ont commencé à apparaître dans diverses revues techniques autour de 1920 [5][6][7][8][9]. Les récepteurs radio et les antennes étaient plutôt rudimentaires et étaient sensibles à des interférences, soit à partir de sources externes, soit à partir de l’intérieur même de ces systèmes (oscillations auto-induites). Les améliorations dans la conception ont résolu une large partie de ces problèmes. Les interférences radio des appareils électriques tels que les moteurs électriques, les chemins de fer électriques et les feux électriques sont apparus comme un problème majeur vers 1930.
Pendant la seconde guerre mondiale, l’utilisation des appareils électroniques, principalement les radios, les dispositifs de navigation et les radars, s’est accélérée. Les évènements d’interférences entre les radios et les dispositifs de navigations sur les avions ont commencé à augmenter. Celles-ci sont généralement faciles à corriger en réaffectant les fréquences de transmission dans un spectre peu utilisé ou en déplaçant les câbles loin des sources d’émission pour éviter que ces câbles ne reçoivent ces émissions. Étant donné que la densité de l’électronique était considérablement inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui, ces solutions pouvaient être facilement mises en œuvre pour chaque cas séparé afin de résoudre tout problème d’interférence électromagnétique (IEM). Cependant, l’augmentation des problèmes d’interférences la plus importante est apparue avec les composants électroniques de haute densité, tels que le transistor bipolaire dans les années 1950, les circuits intégrés (CI) dans les années 1960, et la puce du microprocesseur dans les années 1970. Le spectre de fréquence est devenu plus encombré avec l’augmentation de la demande pour la transmission de la voix et des données. La nécessité de planifier l’utilisation du spectre de fréquence s’est donc imposée et reste un enjeu majeur aujourd’hui encore.
La problématique CEM s’est donc révélée incontournable suite à l’introduction du traitement de signal numérique et du calcul numérique. Au début des années 1960 [10][11], les ordinateurs numériques utilisaient des tubes à vide comme composants de commutation. Dans les années 1970, le circuit intégré a permis la création des ordinateurs qui consomment beaucoup moins d’énergie et demandent beaucoup moins d’espace physique. Vers la fin des années 1970, la tendance à remplacer le traitement de signal analogique par le traitement de signal numérique a commencé à accélérer. Presque toutes les fonctions électroniques ont été implémentées numériquement grâce à l’augmentation de la vitesse de commutation et la miniaturisation des circuits intégrés. La mise en œuvre des différentes tâches allant du calcul au traitement de texte en passant par la commande numérique se généralise et continue jusqu’à aujourd’hui. Cela signifie que la densité des sources de bruits riches en contenu spectral (formes d’ondes commutées) devient de plus en plus grande. Par conséquent, l’occurrence des problèmes d’interférences électromagnétiques est croissante.
Emergence des réglementations
En raison de l’augmentation des occurrences d’interférences entre les câbles et les communications radio, la Commission Fédérale de Communication (Federal Commuinication Commission – FCC) aux États-Unis a publié un règlement en 1979 qui exigeait que les émissions électromagnétiques de tous les « dispositifs numériques » soient en-dessous de certaines limites [12]. Le but de cette règle était d’essayer de limiter la « pollution électromagnétique » de l’environnement afin d’éviter, ou au moins réduire, le nombre d’évènements d’IEM. Vu qu’aucun « appareil numérique » ne pouvait être vendu si ses émissions électromagnétiques répondaient aux limites imposées par la FCC, le sujet de la CEM a généré un vif intérêt parmi les fabricants du domaine électronique. Cela ne laisse pas entendre que les États-Unis étaient les premiers à imposer des limites pour « nettoyer l’environnement électromagnétique ». Les pays européens ont imposé des exigences similaires sur les appareils numériques bien avant que la FCC n’ait publié ses règles. En 1933 [13], une réunion de la Commission Électrotechnique Internationale à Paris a recommandé la formation d’un Comité International Spécial des Perturbations Radioélectriques (CISPR) pour faire face aux problèmes d’IEM. Ce comité a permis de définir les normes limitant les perturbations électromagnétiques des équipements électriques et électroniques. Il a aussi produit un document détaillant les équipements de mesure pour déterminer les émissions IEM potentielles. Le CISPR s’est réuni de nouveau après la seconde guerre mondiale à Londres en 1946. Les réunions suivantes ont abouti à diverses publications techniques, qui traitent des techniques de mesures ainsi que des limites d’émissions recommandées. Un autre aspect de la réglementation concerne la susceptibilité. Des signaux perturbateurs sont volontairement injectés dans l’équipement, qui doit alors fonctionner correctement en présence de ces signaux. Même si un produit électronique est conforme aux exigences d’émission, il peut causer des interférences ou être sensible aux émissions d’un autre dispositif électronique à proximité. Les exigences en émission tendent à limiter la pollution électromagnétique. Les exigences de susceptibilité visent à assurer un fonctionnement correct de tous les équipements.
Mécanismes de la CEM
La CEM met en jeu une trilogie (source – couplage –victime). La source (ou émetteur) produit la perturbation, qui transite par un chemin de couplage vers la victime (ou récepteur) ; l’énergie d’émission se traduit par un comportement souhaitable ou non. Une interférence se crée quand l’énergie reçue engendre un comportement indésirable au niveau du récepteur. Le transfert de l’énergie électromagnétique se produit souvent par les modes de couplage involontaires. Cependant, l’interférence n’est pas systématique car le transfert d’énergie involontaire provoque des interférences uniquement si l’énergie reçue est d’une amplitude suffisante au niveau du récepteur pour l’amener à se comporter d’une manière indésirable. Ainsi, la quantification des interactions électromagnétiques est un axe de travail primordial en CEM. L’interaction peut être d’origine intentionnelle (exemple : transmission radio) ou non intentionnelle (exemple : couplage inductif entre deux circuits proches). Dans les deux cas, afin de limiter les interférences, trois leviers sont à la disposition de l’ingénieur CEM :
➤ réduire l’émission à sa source ;
➤ minimiser le couplage ou rendre le chemin de couplage aussi inefficace que possible ;
➤ rendre le récepteur moins sensible à l’émission.
Ces dernières années, dans le domaine de l’électronique de puissance, la technologie des composants de commutation n’a cessé d’évoluer dans le but d’atteindre des fréquences de commutation de plus en plus importante. L’augmentation de cette fréquence de commutation permet en effet de réduire la taille des systèmes (en particulier la bobine) et par voie de conséquence, une minimisation du poids qui s’avère fort avantageux dans le cas de systèmes embarqués. Cette évolution technologique a fait apparaître en contrepartie des problèmes de pertes par commutation, et engendre également des problèmes de CEM liés aux variations rapides des grandeurs électriques. Du point de vue de la CEM, ralentir la vitesse de commutation pourra être un moyen efficace pour réduire la perturbation à la source. Or, cela n’est pas toujours possible. Dans ce cas, si la source de perturbation ne peut être modifiée, le chemin des perturbations pourra être limité : un filtre haute fréquence limitera les perturbations conduites et un blindage peut être utilisé pour protéger des perturbations rayonnées. En général, le blindage est coûteux et sa performance réelle est conditionnée par d’autres éléments et loin d’être idéale. Dans le cas d’un convertisseur à découpage, la notion d’émission de perturbation est évidente. Il convient d’introduire aussi la notion de susceptibilité. Le convertisseur est soumis à des perturbations dans son environnement (exemples : d’autres convertisseurs ou des machines électriques à balais) et il doit conserver un comportement acceptable malgré la proximité de ces perturbations.
Positionnement de nos travaux
Pour être conforme aux normes qui deviennent de plus en plus sévères et éviter le dysfonctionnement des systèmes, il est nécessaire de prédire le comportement CEM d’un système et cela dès la phase de conception. Les premiers pas de la CEM dans la conception électronique ne consistaient qu’à valider un dimensionnement électronique en confrontant le produit aux différents tests qu’il devait réussir. Même si cette démarche empirique a rapidement été facilitée par des règles de conception établies par les électroniciens, elle n’en demeure pas moins lourde et coûteuse à mettre en œuvre. Le besoin de moyens d’essais certifiant est une limite évidente à cette démarche purement empirique. Plus généralement, les coûts de prototypage et, en cas de non-conformité, de redimensionnement du produit, constituent un risque rédhibitoire pour l’industrie. Ainsi, il est nécessaire d’introduire les problématiques CEM dès la phase de conception. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de disposer de méthodologies de conception mais également de modèles pouvant prédire les phénomènes mis en jeu. Ces modèles de composants doivent permettre de caractériser le comportement des systèmes en prenant en compte les aspects CEM en conduit et en rayonné. La modélisation permet de prédire les perturbations générées par les dispositifs électriques sans avoir à effectuer un ensemble de mesures et de les refaire à chaque fois que le produit nécessite une modification pour le rendre conforme à la norme. Les différents travaux initiés dans le domaine de la CEM des composants de puissance ont pour but de développer des modèles de composants d’électronique de puissance et de développer des méthodologies de caractérisation. Parmi ces travaux, on peut citer F. Lafon [51] qui a développé des démarches de modélisation concernant les modèles des composants passifs basés sur la mesure ainsi que les modèles du PCB. D’autre part, B. Revol [76] a travaillé sur la prédiction du niveau d’émission conduite par simulation dans le but de prédire le filtrage CEM nécessaire et optimum pour le système et minimiser le nombre de prototypes dans la phase du développement. Ces travaux se sont concentrés sur le développement des modèles rapides et flexible à la variation de paramètres afin d’éviter les longues simulations temporelles des logiciels type circuits tel que SABER. Afin de prédire les perturbations CEM, il a utilisé des modèles matricielles rapides, efficaces pour les algorithmes d’optimisations mais avec une perte de précision comme compromis. Dans les travaux de K. Moustefauoui-Kasri [71], le problème de la pollution électromagnétique conduite d’une alimentation à découpage pour application Radar est étudié. Ces travaux ont porté sur le développement des modèles fréquentiels pour la prédiction des perturbations conduites en mode différentiel et en mode commun engendrée par le SEPIC de l’application. Les modèles utilisés étaient souvent des modèles fréquentiels rapides à simuler et qui sont basés sur la mesure. Dans [77] , T. De Oliveira a travaillé pour sa part sur l’optimisation du routage dans un filtre CEM afin d’avoir une meilleure efficacité du filtre. Il a utilisé la simulation numérique sur un logiciel commercial (InCa3D) de manière à pouvoir calculer l’ensemble des phénomènes électromagnétiques parasites. Dans ces travaux le couplage inter composants n’a pas été considéré. Mes travaux de thèse développés au GeePs constituent une complémentarité à ces travaux. Ils se sont articulés autour du développement de modèles CEM de composants de puissance en conduit pour la prédiction et la minimisation des perturbations électromagnétiques générées par les dispositifs électriques. Ces modèles sont généralement génériques pour permettre leurs intégrations dans des simulateurs électriques (SPICE, PORTUNUS, SIMPLORER…) ou électromagnétiques (COMSOL, Maxwell, CST Microwave, HFSS,…). Dans la bibliographie, les paramètres électriques des modèles peuvent être obtenus par modélisation numérique, par des mesures ou à travers des formulations analytiques. Dans certains cas, il est même avantageux d’utiliser les trois méthodes de manière complémentaire. Pour ma part, l’ensemble des modèles développés sont issus de formulations analytiques et/ou à partir de la mesure. Le temps de simulation est un paramètre important, un compromis doit être trouvé entre la précision de l’analyse et la finesse du modèle choisi surtout lorsqu’il s’agit de traiter des problèmes avec une large dispersion des constantes de temps. Pour cette raison, Nous avons proposé des modèles avec plusieurs niveaux de complexité. Ce niveau de complexité dépendra fortement de la bande de fréquence et de l’objectif recherché par la simulation. Le domaine visé par ces travaux est le secteur automobile, un secteur contenant un nombre important de dispositifs électroniques parmi ses équipements. La compacité, l’efficacité et la complexité des équipements automobiles sont des critères de plus en plus contraints par les attentes des clients, les exigences des normes ou encore les questions environnementales. Ces contraintes influent sur la conception de l’ensemble des équipements automobiles. Les équipements électroniques de ce secteur doivent être conformes à la norme CISPR 25 ou/et différents cahiers des charges imposés par les constructeurs.
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Table des matières
Introduction
Contexte et problématiques
1. Introduction
2. Une petite histoire du début de la CEM.
A. Evolution des perturbations
B. Emergence des réglementations
3. Mécanismes de la CEM
4. Positionnement de nos travaux.
Chapitre I : Modélisation des composants passifs
I.1 Composants passifs
I.2 Différentes technologies.
I.2.1 Résistances
I.2.1.1 Résistance en carbone
I.2.1.2 Résistance à fil bobiné
I.2.1.3 Résistance film
I.2.2 Condensateurs
I.2.2.1 Condensateurs électrolytiques
I.2.2.2 Condensateurs films
I.2.2.3 Condensateurs céramiques
I.2.3 Bobines
I.2.3.1 Matériaux magnétiques dédiés à l’électronique de puissance
I.2.3.2 Bobinages
I.3 Modélisation
I.3.1 Modèles Analytiques
I.3.1.1 Solénoïde
I.3.1.2 Condensateur multicouches
I.3.2 Modèles basés sur la mesure
I.3.2.1 Utilisation d’un analyseur de réseau
I.3.2.2 Détermination des paramètres du modèle
I.4 Application sur un filtre
I.5 Conclusion
Chapitre II : Modélisation des composants actifs
II.1 Composants actifs
II.2 Modélisation
II.2.1 Modélisation dans le domaine temporel
II.2.1.1 Modèle de résistance variable
II.2.1.2 Modèle de résistance variable avec des éléments parasites
II.2.1.3 Modèle complet du MOSFET
II.2.1.4 Modèle basé sur la mesure
II.2.2 Modélisation dans le domaine fréquentiel
II.2.2.1 Forme d’onde carrée
II.2.2.2 Forme d’onde trapézoïdale
II.2.2.3 Forme d’onde trapézoïdale non régulière
II.2.2.3 Forme d’onde trapézoïdale non régulière avec oscillations
II.3 Comparaison des modèles
II.3.1 Comparaison des formes d’ondes temporelles
II.3.2 Comparaison des spectres fréquentiels des perturbations
II.3.3 Comparaison des temps de simulations
II.4 Conclusion
Chapitre III : Modélisation du PCB
III.1 Introduction
III.2 Modélisation
III.2.1 Méthode PEEC
III.2.2 Méthode des moments MoM
III.2.3 Calcul de l’inductance et la résistance interne du plan de masse
III.2.4 Validation
III.3 Conclusion
Chapitre IV : Optimisation du routage et de l’emplacement des composants
IV.1 Introduction
IV.2 Choix de l’algorithme évolutionnaire
IV.3 Optimisation du routage
IV.3.1 Règles générales et hypothèses
IV.3.2 Cas 1 : Liaisons à deux pistes
IV.3.3 Cas 2 : Liaisons à cinq pistes
IV.4 Optimisation de l’emplacement des composants
IV.5 Conclusion
Conclusions
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