Les avancées spectaculaires réalisées au cours des trente dernières années conduisent le calcul numérique en mécanique à prendre une place importante dans les considérations industrielles actuelles. On y voit l’opportunité de réduire les coûts en terme de matériel expérimental ou d’accélérer les étapes de conception. On espère également pouvoir accéder à la prédiction de phénomènes physiques dont les échelles spatiale ou temporelle rendent impossible la reproduction en laboratoire. Cependant, pour parvenir à réellement s’installer en tant qu’outil fiable et indiscuté, la simulation numérique doit faire la preuve de la validité des résultats qu’elle donne. L’exigence à l’égard des modèles numériques croît en même temps que l’intérêt et la confiance que les ingénieurs souhaitent leur accorder. La majorité des analyses numériques menées aujourd’hui en mécanique des solides ou en couplage fluide-solide reposent sur la méthode des éléments finis [Zienkiewicz 1973][Bathe 1982]. A partir d’équations locales déterminées par la mécanique des matériaux, des calculs prédictifs sur des structures simplifiées au comportement complexe sont à la portée de nombreux codes pour des études de dimensionnement par exemple. Les industriels ont cependant toujours majoritairement recours à des campagnes expérimentales pour valider les options prises au niveau de la conception. En effet, face aux multiples possibilités offertes par les méthodes de simulation, deux questions fondamentales restent posées au niveau des utilisateurs :
1. Pour envisager la prédiction par le calcul du comportement d’un système mécanique, un certain nombre d’hypothèses sont indispensables pour passer du système réel à un système simplifié, régit par un nombre réduit d’équations, elles-mêmes souvent simplifiées. Par exemple, on procédera fréquemment à une approximation des détails géométriques ou à la mise à l’écart de certains phénomènes, comme les phénomènes thermiques ou chimiques pour la mécanique classique, jugés non prépondérants pour l’étude en cours. C’est l’étape de modélisation, qui conduit inévitablement à l’interrogation suivante : quel est le degré d’adéquation entre le modèle d’analyse utilisé pour les calculs et le système physique initial qu’il est censé représenter dans la gamme de comportements envisagée pour l’étude ?
2. Le système d’équations correspondant à un modèle analytique continu requiert systématiquement pour des problèmes réalistes le recours à une méthode discrète approchée pour être résolu. Ceci implique une étape indispensable de discrétisation des équations, ce que fournit la méthode des éléments finis pour les variables d’espace dans la majorité des cas. Ceci soulève la seconde question : la solution donnée par le système issu de la discrétisation rend-elle compte de manière satisfaisante de la solution du système continu original ?
Une méthode multi-domaines pour la dynamique explicite des structures
La dynamique explicite est une discipline particulière en calcul de structures. Sa mise en œuvre informatique montre des spécificités qui la rendent attrayante pour des problèmes de dynamique rapide, mais qui requièrent également une attention particulière au moment de définir une stratégie multi-domaines. Il s’agit notamment de prendre en compte la nature vectorielle du problème à résoudre, au lieu de la nature matricielle des problèmes de dynamique implicite. De même, il est indispensable d’autoriser la variation du pas de temps pour suivre le pas critique imposé par les éléments. Nous nous attachons en premier lieu dans ce chapitre à poser les fondements de la formulation explicite qui sert de base au code EUROPLEXUS. Nous poursuivons par un bref état de l’art des méthodes de décomposition de domaine, pour parvenir à la formulation duale supportant nos développements. La gestion de différentes échelles de temps et le cas particulier des pas variables sont ensuite introduits, puis le traitement des incompatibilités de maillage. Le formalisme multi-domaines multi-échelles initial est alors posé.
Méthode multi-échelles pour la dynamique explicite
Lors de calculs sur des structures complexes sollicitées par des impacts localisés, le comportement local peut varier fortement entre le voisinage des zones chargées et les parties plus éloignées. En particulier, l’amplitude des déformations et leur gradient peuvent être très différents. La finesse d’analyse requise, en terme de taille d’éléments ou de complexité de comportement des matériaux, va donc également changer suivant les zones de la structure. Les méthodes standard permettent naturellement d’adapter la taille des éléments ou d’affecter des modèles de matériaux différents en fonction des parties du système. Cependant, cela se fait souvent au prix de difficultés de maillage, avec des gradients de taille d’éléments, qui peuvent également nuire à la précision de la simulation. Le calcul reste de plus fortement pénalisé par l’emploi général du pas de temps imposé par les petits éléments à utiliser à proximité des impacts. Si la complexité structurale conduit à un grand nombre d’inconnues, même avec des éléments relativement grands, on aboutit rapidement à des temps de résolution prohibitifs. C’est pourquoi on s’oriente vers les méthodes multi-domaines. On souhaite ainsi pouvoir séparer les processus de résolution et les adapter aux caractéristiques propres d’un certain nombre de sous-parties, ou sous-domaines, de la structure.
Un bref état de l’art des méthodes multi-domaines en mécanique des structures
Il s’agit dans ce paragraphe de présenter rapidement les principales directions en matière de décomposition de domaine, pour expliquer le choix de notre approche. Pour une étude plus exhaustive, on peut se rapporter à [Gravouil 2000].
Remarque 1 : On se limite aux approches multi-domaines sans recouvrement. Parmi les méthodes autorisant des recouvrements entre les sous-domaines, on peut citer la méthode de Schwarz [Roux 1990] ou la méthode Arlequin [Ben Dhia 1998].
Nous distinguons classiquement les méthodes en fonction de la technique utilisée pour assurer la continuité des grandeurs cinématiques et l’équilibre des efforts surfaciques au niveau des interfaces entre les sous-domaines. On décrit les méthodes à partir d’une discrétisation en espace par éléments finis et d’une discrétisation en temps à l’aide du schéma explicite précédemment cité. Pour conserver des expressions simples, nous limitons dans la suite l’écriture des systèmes couplés au cas de deux sous-domaines. L’extension à un nombre quelconque de sous-domaines est à chaque fois évidente.
Méthode de Schur primale [Dodds et Lopez 1980]
Une méthode de Schur primale impose implicitement la continuité des grandeurs cinématiques sur les interfaces, c’est-à-dire que les degrés de liberté des sous-domaines sont les mêmes au niveau des connexions. La formulation du problème couplé se rapproche alors des techniques d’élimination de variables par condensation sur les inconnues d’interface [Guyan 1965].
Remarque 2 : Une méthode primale suppose que les degrés de liberté d’interface d’un sous-domaine restent « visibles » pour pouvoir intégrer la continuité cinématique dans la formulation. Cela représente une contrainte forte au moment d’utiliser des méthodes de projection modale. Les degrés de liberté nodaux sont remplacés par des inconnues généralisées et seules quelques méthodes de projection laissent accessibles les degrés de liberté de liaison. Ceci nuit à la généralité cherchée dans notre méthode multi-domaines multi-échelles avec réduction modale éventuelle.
Méthode de Schur duale
A présent, c’est l’équilibre des interfaces qui est supposé vérifié a priori. Il reste à vérifier la continuité cinématique au moment de la résolution. On écrit alors le problème décomposé comme une succession d’équilibres individuels des sous-domaines auxquels s’ajoutent des relations cinématiques. Ces relations sont dualisées, faisant apparaître les inter-efforts sous la forme de multiplicateurs de Lagrange au niveau des équations d’équilibre.
Au niveau discret en temps, il subsiste un choix en matière de continuité cinématique à imposer. Il se pose entre les déplacements, les vitesses ou les accélérations. Dans l’objectif du couplage de schémas de Newmark aux propriétés différentes en fonction des sous-domaines, les vitesses s’avèrent la grandeur la plus adaptée [Gravouil et Combescure 2001].
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Table des matières
Introduction
Une méthode multi-domaines pour la dynamique explicite des structures
1.1. Résolution explicite d’un problème de dynamique non-linéaire
1.1.1. Une formulation lagrangienne en grandes transformations
1.1.2. Discrétisation en espace – Méthode des éléments finis
1.1.3. Discrétisation en temps – Schéma explicite des différences centrées
1.1.4. Algorithme d’intégration en temps
1.2. Méthode multi-échelles pour la dynamique explicite
1.2.1. Un bref état de l’art des méthodes multi-domaines en mécanique des structures
1.2.2. La méthode FETI
1.2.3. Plusieurs échelles de temps
1.2.4. Une première approche multi-échelles en espace : gestion des maillages nonconformes
1.3. Implantation dans EUROPLEXUS
1.3.1. Calcul des coefficients des relations de collage incompatible en 2D et 3D
1.3.2. Traitement du problème d’interface
1.3.3. Exemples de validation
Réduction modale sur les sous-domaines linéaires en petits déplacements
2.1. Réduction modale
2.1.1. Modes de réduction
2.1.2. Identification des directions prépondérantes dans un sous-espace
2.1.3. Propagation d’ondes et projection modale
2.1.4. Dissipation des hautes fréquences dans la structure
2.1.5. Stabilité de l’intégration explicite
2.2. Introduction d’un sous-domaine réduit dans le formalisme à plusieurs échelles de temps et d’espace
2.2.1. Ecriture du système couplé
2.2.2. Matrice de masse diagonale pour les sous-domaines projetés
2.2.3. Singularités potentielles de l’opérateur d’interface
2.2.4. Coût de résolution du problème condensé sur les interfaces
2.2.5. Jeu de modes dédié au couplage dual sur les interfaces : modes étendus
2.3. Exemples
2.3.1. Chaînage entre un code de calcul vibratoire et EUROPLEXUS
2.3.2. Impact de la projection modale locale sur le problème d’interface
2.3.3. Structure 3D massive
2.3.4. Structure 3D coque
2.4. Conclusion intermédiaire
Réduction modale en présence de rotations rigides non-linéaires
3.1. Rotations finies en mécanique
3.1.1. Algèbre des rotations
3.1.2. Paramétrages classiques des rotations
3.1.3. Systèmes flexibles en rotation finie
3.1.4. Orientation des développements
3.2. Méthode modale multi-échelles explicite
3.2.1. Paramétrage des mouvements d’ensemble
3.2.2. Système dynamique local réduit
3.2.3. Linéarisation des liaisons rigides et problème matriciel à résoudre
3.2.4. Etude de la stabilité
3.2.5. Perspectives pour le traitement des forces gyroscopiques
3.3. Système multi-domaines couplé
3.3.1. Eléments massifs à degrés de liberté de translations
3.3.2. Eléments comprenant des degrés de liberté de rotation
3.4. Traitement spécifique du problème condensé sur les interfaces
3.4.1. Décompte des opérations élémentaires
3.4.2. Recherche d’une méthode améliorée pour les cas modaux
3.4.3. Choix d’une méthode
3.4.4. Jeu de modes particuliers dans le cas de la réduction multi-échelles
3.5. Développement des nouvelles fonctionnalités dans EUROPLEXUS
3.5.1. Résolution du problème free multi-échelles
3.5.2. Traitement du problème d’interface
3.5.3. Structure du fichier d’échange avec le code vibratoire
3.6. Exemples
3.6.1. Massif en rotation en 3D
3.6.2. Massif en rotation en 2D déformations planes
3.6.3. Impact sur un moteur d’avion
3.7. Vers un traitement avec réduction des structures flexibles en rotation d’ensemble à grande vitesse
3.7.1. Exemple académique : précession d’une toupie symétrique
3.7.2. Rotation propre forcée à grande vitesse
3.7.3. Précontrainte
3.7.4. Exemple
3.7.5. Difficultés spécifiques issues des rotations à grande vitesse
Conclusion
Bibliographie