Une matrice vitrimère pour des matériaux composites ?
Avant Propos
Des matériaux peu chers, malléables et toutefois résistants aux attaques extérieures, simples de confection, synthétisés à partir de produits largement disponibles et biosourcés, recyclables, aux propriétés mécaniques contrôlées et exceptionnelles… Voici l’idéal recherché pour tous les matériaux que ce soit ceux que nous utilisons au quotidien ou ceux de technologie de pointe. Malheureusement, ces propriétés sont souvent contradictoires les unes avec les autres : comment obtenir un matériau à haut module d’Young sans qu’il soit fragile ? Malléable mais résistant ? Fluide mais pas trop à haute température ?… On doit toujours se résoudre à faire un compromis. Les matériaux composites sont une des façons de résoudre ce dilemme. En effet, un composite est un matériau formé d’au moins deux constituants A et B. En le synthétisant on espère obtenir un matériau qui combine le meilleur des propriétés de A et de B. Dans cette thèse, A est une matrice polymère et B un renfort macroscopique (fibres de verre, notées GF pour « Glass fibers »).
Vitrimères : une classe à part de polymères
Polymères classiques
Il est usuel de distinguer deux grandes classes de polymères : les thermoplastiques et les thermodurcissables (ou thermodurs). Les propriétés intrinsèques spécifiques à l’une et l’autre classe sont reliées à leur structure.
Thermoplastiques
Nous ne parlons ici que des thermoplastiques amorphes. Les thermoplastiques schématisés dans la Figure 1a) sont constitués de chaînes non liées entre elles de très grande masse molaire et le plus souvent enchevêtrées. Les enchevêtrements sont la pierre angulaire des propriétés mécaniques exceptionnelles de cette classe de polymères [1]. La Figure 1b) présente l’évolution classique du module élastique des polymères thermoplastiques. En pratique, on observe que la température de transition vitreuse Tg [2] plafonne généralement à 130°C. En deçà de Tg, le matériau est un solide vitreux d’un module élastique de l’ordre du GPa et fragile. Au-delà de Tg, les chaînes polymères diffusent les unes par rapport aux autres selon un phénomène de reptation [3, 4]. Cet écoulement rendu possible par la structure même du polymère est un des très grand avantages des thermoplastiques qui explique que ce sont 90% en masse des plastiques utilisés dans l’industrie [5]. En effet, leur malléabilité permet le moulage, l’injection, l’extrusion…
Ces propriétés sont d’ailleurs contrôlables avec la masse molaire du polymère comparée à une masse molaire critique Mc [6] à partir de laquelle les enchevêtrements commencent à jouer un rôle. On observe alors la présence d’un plateau caoutchoutique d’autant plus long que la masse molaire du polymère est grande, puis le matériau finit par couler comme on peut le constater sur la Figure 1b). Enfin, les thermoplastiques sont solubles dans de bons solvants ce qui les rend inutilisables pour de nombreuses applications.
Les réseaux chimiques, outre leurs propriétés élastiques remarquables sont insolubles quel que soit le solvant. Contrairement aux thermoplastiques, ils sont infusibles et gardent une certaine tenue mécanique même au dessus de leur Tg. Mais ces avantages ne sont pas sans désagréments. En effet, la formation du réseau est irréversible. Le matériau ne présente aucune malléabilité. Cela impose donc une mise en œuvre dans la forme finale sans possibilité de modification ni de recyclage et la réaction de réticulation rallonge les cycles de manufacture par rapport aux thermoplastiques. C’est la présence d’un réseau basé sur la réticulation chimique qui permet d’obtenir des propriétés mécaniques et chimiques remarquables mais elle implique l’irréversibilité. Afin de pallier cet inconvénient majeur et de conserver ces avantages, il suffit d’imaginer un réseau dont les points de réticulation sont réversibles.
La chimie offre de nombreux outils pour offrir la réversibilité des liens d’un réseau : réaction d’échange, interactions faibles… Le réseau devient donc dynamique. Pour s’assurer d’un écoulement facile, les temps de dissociation ou d’échange doivent être très rapides par rapport au temps d’observation. Une autre approche envisageable est de faire un réseau avec des chaînes polymères de petite taille (inférieur à la masse critique d’enchevêtrements). Ces oligomères ont cependant des propriétés mécaniques médiocres. Utiliser la cristallinité des chaînes pour pallier à cette perte en propriétés macroscopiques est une solution.
Réseaux dynamiques non covalents (supramoléculaires)
« Supramolecular chemistry may be defined as « chemistry beyond the molecule », bearing on the organized entities of higher complexity that result from the association of two or more chemical species held together by intermolecular forces ». Voilà comment Pr. Lehn, prix Nobel en 1987 avec les professeurs Cram et Pedersen, a défini la chimie supramoléculaire. La base de la chimie supramoléculaire est l’utilisation d’interactions spécifiques, directionnelles, dynamiques et non covalentes qui permettent d’auto-assembler des composés de faible masse molaire en macromolécules [9]. Un exemple d’une telle interaction est la liaison hydrogène, largement utilisées dans la synthèse de polymère supramoléculaire [10-13]. Elles présentent l’avantage d’être réversibles par l’application de stimulus thermique. L’échantillon peut alors être remis en forme et réparé [14]. D’autres interactions supramoléculaires peuvent être mis à profit pour la mise en forme de polymères comme les interactions π-π [15], de Van der Waals, les liaisons ioniques [16]… Un réseau tridimensionnel peut se former si ces liaisons peuvent organiser des monomères multifonctionnels ou si les groupements supramoléculaires sont portés par les chaînes polymères (Figure 5). La chimie supramoléculaire a connu un très grand succès dans le développement de matériaux, particulièrement dans la recherche de matériaux autoréparants. De nombreux laboratoires, dont le laboratoire Matière Molle et Chimie du Pr. Leibler, ont développé de tels matériaux. Les caoutchoucs synthétisés par Cordier et al. [14] en sont une bonne illustration. Ils présentent le long de leurs chaines des groupements auto associatifs par liaison hydrogène. Les réseaux tridimensionnels qu’ils forment sont thermoréversibles. La température n’est pas le seul stimulus envisageable. L’irradiation [17], le pH [18], la présence d’un compétiteur [19]… sont aussi utilisés.
Réseaux dynamiques covalents
On peut noter 2 conceptions de réseau chimique dynamique à liens covalents.
➤ Un réseau à liens covalents réversibles représenté dans la Figure 6a) qui repose sur un équilibre chimique conditionné (par la lumière, la température ou le pH…) entre une forme associée et une forme dissociée donc sur la formation ou la rupture de liens chimiques [22].
➤ Un réseau à liens échangeables représenté dans la Figure 6b) où le nombre de liens ne change pas en moyenne et qui conserve les fonctionnalités chimiques [23].
Réseaux à réaction réversible
Un exemple très connu qui a permis d’obtenir des réseaux chimiques réversibles est le système de Wudl [25] reposant sur la réversibilité thermique de la réaction de Diels-Alder. A basse température, une polymérisation à lieu entre l’alcène et le diène comme présenté dans la Figure 7a). On obtient alors un matériau aux propriétés comparables aux thermodurcissables usuels (module d’Young 3-4 GPa). Cette réaction est réversible à température élevée car la dépolymérisation intervient alors, permettant la mise en forme ou la réparation du matériau. Après 2h à 150°C sous atmosphère inerte, le fracture a presque totalement disparu à l’œil nu (Figure 7b)) et l’échantillon réparé présente 50% de la force à la rupture du matériau initial.
Les réactions réversibles à liaisons covalentes sont nombreuses et versatiles. Outre la réaction de Diels-Alder, on peut mentionner les réactions radicalaires [26], la condensation entre un hydrazide et un aldehyde [27, 28], les formations d’ester boroniques [29, 30]…
Réseaux à réactions d’échange
Les réactions d’échanges sont aussi nombreuses et plusieurs groupes ont tiré parti de leur équilibre d’échange pour synthétiser des matériaux aux propriétés innovantes. Le réarrangement par des liens disulfures a été utilisé par Canadell et al. dans un réseau thiol-époxy [31]. Le matériau est un élastomère réticulé de Tg ~ -35°C. Les propriétés mécaniques sont intégralement recouvrées après 1h de réparation à 60°C. Il est insoluble dans la plupart des solvants mais présente à haute température une certaine instabilité chimique dûe à la nature radicalaire de la réaction. Les réactions radicalaires ont également été largement employées pour réaliser des matériaux auto-réparant sans stimulus extérieur [32] ou grâce à un stimulus thermique [33] ou lumineux [34, 35]. Le nombre de liaisons rompues reste à chaque instant très faible [24] donc le nombre de liens reste globalement constant mais ces systèmes sont soumis à des réactions de terminaisons qui peuvent limiter la réversibilité du réseau.
Concept des vitrimères
Les vitrimères sont des polymères à réseaux dynamiques qui se distinguent des catégories de polymères présentées jusqu’à présent : thermoplastiques, thermodurcissables ou réseaux dynamiques covalents et non covalents.
Nous avons abordé le fait que les polymères réticulés chimiquement présentent d’excellentes propriétés mécaniques et sont insolubles mais ne peuvent pas être remis en forme. Ceux qui ne sont pas réticulés ou avec un réseau chimique réversible sont malléables mais solubles. Les vitrimères proposent une alternative qui ne fait pas de compromis entre insolubilité et malléabilité. Ils ont un réseau chimique permanent mais dont la topologie peut se réarranger grâce à des réactions d’échange qui maintient le nombre de liaisons constant.
Contrôle cinétique et dynamique : la catalyse
Il existe des réactions secondaires [42] qui peuvent être évitées grâce à l’emploi d’un catalyseur [39, 40] qui parfois promeut à la fois l’estérification et la transestérification. La nature des catalyseurs est très variable [43-47] (sels métalliques [48], bases amines [49]…). Plusieurs ont été testés au sein des vitrimères et l’effet de leur nature et de leur concentration a été investigué [50]. Dans la suite de ce travail, seulement des catalyseurs métalliques issus du Zinc sont utilisés. Grâce à la réaction de transestérification, il est possible d’envisager un matériau qui relaxe les contraintes, qui soit malléable et qui soit en tout point comparable avec un solide à froid puisque ses échanges seraient fortement ralentis à température ambiante.
Réseau « mou »/Réseau « dur »
Epoxy/acide : Vitrimère « mou »
Le premier vitrimère qui a été synthétisé est basé sur une chimie époxy classique entre le diglycidyl ether de bisphenol A (DGEBA) et un mélange de biacides et triacides gras (Pripol 1040). Les fonctions époxy et acides suivent un ratio 1:1.
Insoluble mais « coulant » comme du verre
Des analyses infrarouges (Figure 14a)) ont montré que la hauteur du pic correspondant aux fonctions ester reste inchangée quelque soit la température, indépendamment du temps. De plus, le matériau gonfle mais ne se dissout pas dans des solvants (non réactifs) comme le trichlorobenzene (TCB) même à 180°C après 16h (Figure 14b)). Cela indique que le nombre de fonctions ester reste constant au cours des échanges et que le réseau est bien réticulé.
|
Table des matières
Introduction générale
CHAPITRE 1 : Une matrice vitrimère pour des matériaux composites ?
1. Vitrimères : une classe à part de polymères
2. Matériaux composites : l’union fait la force mais pas tout
3. Ouverture sur les travaux de thèse
Références
CHAPITRE 2 : Introduction aux outils de chimiométrie
1. La méthode d’expérimentation
2. Méthodes classiques et limitations
3. La méthode des plans d’expérience
4. Conclusions et examen critique
Appendice
Références
CHAPITRE 3 : Une matrice vitrimère pour des composites nouveau genre
1. Introduction
2. Composite plates manufacturing : many challenges to overcome
3. Autogenous welding of composite samples
4. Conclusions
Appendix 1 : Adhesion of rough vitrimer surfaces
Appendix 2 : Experimental section
References
CHAPITRE 4 : Les vitrimères ont plus d’un tour dans leurs échanges : bilames et actuateurs vitrimères
1. Composite vitrimère : assemblage vitrimère dur/mou
2. Actuateurs thermiques
3. Vers des actuateurs vitrimères
4. Conclusions
Partie Experimentale
Références
CHAPITRE 5 : Recyclage complet de matériaux composites à matrice polyamide supramoléculaire
1. Thermoplastic composites : a well deserved reputation ?
2. Supramolecular super low viscosity polyamides
3. Composite recycling: from A to Z
4. Conclusions
Experimental section
References
Télécharger le rapport complet